Jazz live
Publié le 21 Oct 2018

Cherchez la Source à l’AJMI, avec Paul BROUSSEAU et Matthieu METZGER

Retour à Avignon dans le quadrilatère chéri, le quartier de la Manutention, Utopia et l'AJMI, au pied du Palais des Papes, et du jardin Urbain V . L'AJMI, scène de musiques actuelles, fête toujours ses quarante ans de jazz et de musiques improvisées. Un nouveau tournant dans son histoire, avec une nouvelle directrice, Aïda Belhamd et la programmation toujours pertinente de Jean-Paul Ricard, qui fait revivre le passé du jazz dans ses Jazz Story, conférences avec écoute de L.P choisis avec soin dans sa collection XXL. II n'en est pas moins ouvert aux derniers développements de ces musiques actuelles et on aime suivre ses coups de coeur. Après le premier concert du Louis SCLAVIS Quartet, le 11 octobre dernier, c'est le duo acoustique de Paul Brousseau (piano) et Matthieu Metzger (saxophones) qui nous était proposé, en cette douce soirée automnale du vendredi 19 octobre, veille des vacances de la Toussaint.

Source Paul Brousseau et Matthieu Metzger à l’AJMI d’ Avignon, le 19 Octobre

 

Retour à Avignon dans le quadrilatère chéri, le quartier de la Manutention, Utopia et l’AJMI, au pied du Palais des Papes, et du jardin Urbain V .

L’AJMI, scène de musiques actuelles, fête toujours ses quarante ans de jazz et de musiques improvisées.

Un nouveau tournant dans son histoire, avec une nouvelle directrice, Aïda Belhamd et la programmation toujours pertinente de Jean-Paul Ricard, qui fait revivre le passé du jazz dans ses Jazz Story, conférences avec écoute de L.P choisis avec soin dans sa collection XXL. II n’en est pas moins ouvert aux derniers développements de ces musiques actuelles et on aime suivre ses coups de coeur.

 

Après le premier concert du Louis SCLAVIS Quartet, le 11 octobre dernier, c’est le duo acoustique de Paul Brousseau (piano) et Matthieu Metzger (saxophones) qui nous était proposé, en cette douce soirée automnale du vendredi 19 octobre, veille des vacances de la Toussaint.

 

Les deux musiciens se connaissent depuis vingt ans, depuis leurs années de conservatoire et ils ont participé à certains des projets importants des musiques actuelles, comme celui de Marc Ducret, Le sens de la Marche en 2003, à l’amphithéâtre du Thor, à une quinzaine de kms à l’est d’Avignon. Ce souvenir déjà ancien prend une résonance particulière à l’Ajmi, car la jeune formation avait été sélectionnée attentivement par le guitariste et le directeur de l’Ajmi, la condition essentielle étant que ces musiciens en herbe aient fini leur cursus musical. Un album sortit sur le label Illusions, beaucoup plus tard mais le projet ne fut guère valorisé par les programmateurs et nous fûmes peu à avoir entendu ce grand format dans sa fraîcheur initiale, après la résidence pédagogique soutenue par la structure avignonnaise.

Paul Brousseau et Matthieu Metzger ont tous deux été dans des formations emmenées par Louis Sclavis

et participé à des ONJ (celui de Daniel Yvinec pour Brousseau et le tout dernier, celui d’Olivier Benoît pour Metzger). Ce qui donne une idée de la mouvance dans laquelle ils aiment à apparaître. S’ ils ont près de dix albums en commun en tant que sidemen, ils n’avaient jamais eu le temps, ni l’occasion de se retrouver à deux sur un projet commun, plus personnel et donc intime. C’est chose faite à présent avec ce Source qui est sorti fin 2017, sur le label indépendant et emblématique EMOUVANCE, écrin tout indiqué pour ce duo.

Elégant est sans doute le qualificatif le plus adéquat pour traduire la délicatesse de cette musique à l’image de la photographie de la pochette due à Samuel Choisy: légèreté des plumes nuageuses dans l’atmosphère, en suspension, formes vaporeuses qui surgissent et disparaissent, choses fugaces qui restent en mémoire comme les improvisations lancinantes, sinueuses, troublantes du duo, donnant du sfumato à ce «jazz» chambriste.

 

Vais-je retrouver ces impressions à l’écoute du duo, d’autant que je ne suis pas mal placée? C’est là tout l’avantage de venir écouter de la musique en club, et j’assiste ainsi à une « leçon » d’improvisation qui reprend et réarrange, réexpose autrement la climatologie de chaque morceau. La géométrie des compositions va se détendre, la fantaisie des interprètes dominer à moins que ce ne soit le sérieux de la concentration, les formes naître ou renaître. On ne sait à quoi s’attendre à chaque surgissement d’un nouveau morceau : répétitions, rythmes contrastés, décalages et déplacements alors qu’il semblent effectuer les mêmes gestes, adopter des positions proches.

Tout un art de la sensation où les deux musiciens révèlent leur sensibilité en usant finement des atouts d’une belle pratique instrumentale. Matthieu Metzger est assurément un saxophoniste avec lequel il faut compter, avec chacun de ses saxophones, alors qu’il ne joue pas ici du sopranino (il faut l’entendre en duo Rhizottome avec l’accordéoniste Armelle Doucet ). Aussi fougueux que délicat dans la recherche de textures ( multipliant les effets avec ou sans bec, remuant les clés, ou libérant des fragments vifs, hoquets qui augmentent la puissance de ses graves). Toujours très concentré et affûté, il sait aussi se taire pour mieux entendre et inspirer ce qui va suivre. Et j’ai alors l’impression quand le morceau se termine qu’il revient de très loin.

Paul Brousseau aussi sait s’adapter et réagir : sur le rappel, par exemple, il se fait devancer, par l’attaque plus directe du saxophoniste: avec un sourire et un regard amusés, car on s’écoute aussi avec les yeux, il se penche sur les cordes du piano et s’ajuste immédiatement au saxophone.

 

Il révèle une profondeur de son, un toucher qui sait se faire tendre, qui peut tomber en gouttes mais qui sera aussi musclé comme dans le vibrant «Thollot’s Rhapsody». Ou une variation très éloignée de « Giant Steps ». Dans la deuxième partie du concert, je retrouve l’émotion onirique et élégiaque du cd, avec un développement étiré qui entraîne une fluidité de jeu plus évidente.

Paul Brousseau, malicieusement, annonçait qu’il ne savait pas jouer du piano mais qu’il aimait peindre. Ce à quoi Matthieu Metzger rétorquait « Nous faisons donc des tableaux ». Si le public apprécie la boutade, il me semble qu’ il faudrait acquiescer, tant ces deux là rendent une atmosphère, la lumière du lieu et de l’instant, les couleurs des sons et timbres. Comment ne pas être sensible une fois encore à la subtilité des nuances de leurs jeux respectifs ? Ils ne font pas de solos, même s’ils ont des choses à dire, c’est à une vraie conversation qu’ils se livrent, et comme le souligne mon voisin, qui apprécie l’échange, aucune tentative de domination. Le pianiste entend les notes de son complice, rentre avec l’accord, ou accentue l’aspect percussif en se jouant du piano préparé.

Un sens indéniable de la mélodie se révèle sur ces pièces vives, libres, ouvertes qui égrènent tout un art, renouvelé du duo piano sax. Et l’on ne souhaite qu’une chose, après les avoir vus, c’est de les entendre encore.

 

 

Sophie Chambon