Jazz live
Publié le 2 Avr 2018

Jazz à Megève: Gregory Porter et Marcus Miller sortis d’hiver en station

Gregory Porter à propos de Nat King Cole mais pas seulement, Marcus Miller en finalisation d’un nouvel album à paraître chez Blue Note ont apporté à Megève, chacun dans leurs bagages, un jazz qui sonne très actuel. Produits percutants pour un festival qui visiblement a trouvé son public.

Gregory Porter entame le set en douceur. Le timbre de sa voix se fait grave, moelleux à évoquer l’élément « Liquid » en premier titre (Water) Au même moment pour qui jette un oeil par les portes vitrées de la salle, au dehors les flocons de neige tombent drus dans un ballet de silence ouaté.

Gregory Porter (voc), Jahmal Nichols (p), Amanuel Harrold (dm), Tivon Pennicot (ts), Ondrej Pivec (org)
Marcus Miller (elb, voc), Russel Gunn (tp), Alex Han (as), Brett Williams (clav), Alex Bailey (dm)

Festival Jazz à Megève, Palais des Sports, Megève (74120)

Sur scène, c’est net: exit les violons et donc la griffe soft du producteur-arrangeur Vince Mendoza apposée pour un disque à un chanteur métamorphosé en pur crooner. De l’album Nat King Cole and me, sur les planches il demeure avant tout sa présence à lui, Gregory Porter, chanteur de son état. Et sa voix unique, bien sur, faite de puissance et d’une plastique qui lui permet de s’adapter avec bonheur à tous les contextes musicaux qu’il aborde dans le show. Reste que l’on assiste dès lors au concert d’un (remarquable) chanteur de jazz. Et de jazz tout court somme toute. Témoin si besoin était, les chorus successifs du saxophoniste Tivon Pennicot, silhouette petit format sans doute en regard de la stature imposante du leader à l’éternel bonnet à fourrure -pour une fois bien adapté au contexte de Megève plongé cette nuit là sous un intense blizzard neigeux. Mais musicien incisif, inspiré particulièrement lors du solo volubile livré sur Take me to the alley, accentuant le rythme, apportant au groupe un bon gros son de ténor. Gregory Porter, au delà de sa présence, de la marque laissée par sa voix, la longueur en bouche de son chant, fait aussi vivre sa musique livrée live en valorisant son orchestre. Hey Laura donne à l’orgue d’Ondrej Pivec de se lancer dans un festival d’accords gorgés de soul. I love you for sentimental reasons se joue sur un duo aux couleurs très piano stride mettant en valeur Jahmal Nichols. Le concert se trouve construit très serré, nourri de relances de rythmes entre les balades de ton intime qu’affectionne, on le sait, le leader. De quoi finir en trombe sur une version bien funky de When Love was King. Récital très dense, reçu d’un public conquis par un chanteur de jazz.

 

Marcus Miller, Brett Williams

Comme de coutume, histoire de bien lancer la machine, Marcus Miller n’hésite pas à mouiller sa chemise. The blues, lui fournit occasion d’un premier chorus de basse efficace, pensé et joué comme tel, marqué d’un son métal qui lui appartient question forme comme fond (funk à haute dose de reliefs créés) Même au yeux de ceux qui n’ont jamais su qu’il fut le dernier bassiste de Miles, avec lui on sait exactement à quel type de musicien, d’instrumentiste qualifié on a affaire. Car sa musique parle d’elle même. Il y a toujours la base: le soubassement rythmique permanent (il saute aux oreilles plus encore qu’aux yeux dans la version livrée ludique, carrément jouissive même de Papa was a rolling stone, désormais un classique du genre dans ses concerts…et très différente de celle, plutôt sage de Gregory Porter, donnée la veille) De quoi propulser idéalement les explosions de cuivre des deux jeunes solistes habituels (Russel Gunn, trompette tonitruante sous des allures taciturne ou Alex Han, toujours prompt à monter en flèche vers les aigües les plus extrême jaillissants du sax alto) Une tonalité générale connotée très soul, très découpe funk qui n’empêche nullement l’édification de lignes d’harmonies claires, de mélodies tracées fines qui surfent au dessus de tous ces temps très fortement imprimés. Dans un contexte musical que l’on sent très travaillé -depuis plusieurs années maintenant Marcus Miller tient a garder l’ossature de son orchestre pour « mieux profiter du fruit du boulot collectif ainsi produit » – le bassiste leader met en relief les instruments du groupe. Donc l’apport, le potentiel de chacun de ces musiciens. A titre d’exemple s’il en fallait un, la séquence jouée en trio où sur le socle hyper solide rythmique basse batterie (Alex Bailey se donne alors vraiment à fond) Brett Williams, sur ses claviers électroniques, alterne échappées belles mélodiques et effets rythmiques répétitifs. A ce niveau le groupe sonne tel les orchestres rythm’n blues des années 70/80, quelque chose comme une résonance Stax…Cerise sur le gâteau, vient le développement de Marcus Miller exploitant toutes les possibilités de sa basse 5 cordes pour illustrer au plus riche sa version de I love you Porgy.
Les quelques thèmes (Trip Trap, Blues) donnés en primeur illustrent la tendance de l’album à venir « Il me reste juste quelques jours pour préparer, peaufiner les arrangements afin que ce disque sonne exactement comme je le souhaite. Plutôt hot… C’est vraiment du boulot ! » confiait-il à chaud à l’issue du concert. Laid Black sortira sur le label Blue Note le 1er juin prochain.

 

Megève, le jazz dans la rue enneigée

A suivre.

Robert Latxague