Jazz live
Publié le 18 Juil 2018

Jazz à Sète (2) : Thomas de Pourquery, jazz big bang

Jazz à Sète a pris sa vitesse de croisière. Au Théâtre de la Mer où Louis Martinez le boss du festival oeuvre pour "ouvrir le public" un musicien solaire singulier, Thomas de Pourquery et un chanteur anglo-nigérian, Jacob Banks à la voix éclatante ont électrisé l'audience. Jazz et soul, face à la Méditerranée, on retrouvé des pas de danse.

Il est des festivals sages comme des images.  Au sein desquels chacun reste à sa place, sur les gradins comme sur scène. Serait-ce l’effet de l’appel du large sur la circulation de l’air dans l’entonnoir du Théâtre de la Mer ? Toujours est-il  que Jacob Banks, tout soul, sans l’avoir vraiment demandé, puis le Supersonic sous l’insistance vocale de Thomas de Pourquery ont aspiré une frange de public venu se déhancher bord à bord de la scène.  Cette migration se répétera le lendemain pour Deva Mahal comme pour Don Bryant. Jazz et soul, sous la chaleur d’une nuit plein sud  nuit  retrouvent leur fonction danse.

Jacob Banks (voc, g), Michael Hamilton (b), Daniel Byrne (g,keyb), Harold Brown (dm)

Supersonic: Thomas de Pourquery (as, voc), Arnaud Roulin (p, keyb, percu), Laurent Bardainne (ts, keyb, von), Fabrice Martinez (tp, flg, voc), Frederik Galay (b, voc), Edouard Perraud (dm, perc, electr)

Jazz à Sète, Théâtre de la Mer, Sète (34 200), 16 juillet

 

Jacob Banks

Grand, élancé, bien bâti, Jacob Banks chanteur d’origine nigériane impose sur scène déjà une stature. Même si l’on ne peut que remarquer cette drôle de grimace surgissant dans des moments de vocal forcé, bouche en en torsion, lèvre supérieure placée en accent aigu. Surprise pour qui ne l’a jamais vu. De par la nature sa voix surtout, grave, gorgée de grain, rauque et très puissante dans ses inflexions. Comme des traces, s’il fallait aller chercher dans l’histoire récente,  tendues dans la gorge d’Otis Reddng sans doute, de Tom Waits surement, de Fela autre cri nigérian pourquoi pas. Avec ce côté violence brute dans les montées en tension, limite dérapage parfois. Une capacité aussi d’aller jusqu’à la déchirure à force de percussion des syllabes lâchées plein pot dans le micro. Sans pour autant passer à côté d’un vibrato ou d’une tranche de sentiment à l’occasion d’une complainte dédiée à son père et sa mère, évocation d’une ferme dans sa terre natale (Say something, homecoming)  Seul bémol dans ce set acclamé par l’auditoire (une bonne part féminine, il faut le noter) mais contesté par certains dans le « mundillo » jazz n’y voyant qu’une opération marketing « beau gosse belle gueule tonnerre de voix » : le rôle de ses musiciens restés, toujours en contrôle dans un strict rôle d’accompagnement. Reste à trouver une formule orchestrale qui booste cette voix, qui le propulse  dans un univers musical plus ouvert.

 

Jacob Banks, Michael Hamilton (b), Harold Brown (dm)

Jacob Banks reste encore  peu connu en France. A côté de moi un jeune s’est levé enthousiaste dès la fin du premier morceau. Explication « Je suis mauricien,  DJ dans une radio de l’île. A Maurice les chansons de Banks passent dans toutes les radios. On va beaucoup e chercher sur le web…Voilà pourquoi, en vacances en France je me suis précipité à Sète »

 

Supersonique

Thomas de Pourquery

Supersonic ne rencontre pas ce genre de problème de placement, personnalité ou contenu musical. Les contrastes, les montées en tension, le spectacle permanent d’Edouard Perraud, les emphases de gestes, d’images et de sons représentent autant de fils d’une toile sonore qui capte définitivement yeux et oreilles. Thomas de Pourquery a beau dire, l’oeil brillant, la barbe lissée « Je me contente de faire la musique qui me vient naturellement à l’esprit, je ne cherche pas autre chose » on n’est nullement obligé de donner crédit à pareille fausse ingénuité. Le concert éclate tout de suite en un bal dingue,  notes feux d’artifice toujours en mouvement. Les mélodies s’ouvrent, se fixent pour mieux s’échapper comme le diable rouge de sa boite de fer. Se succèdent beaucoup de moments de folie sonore. Ténor de souffle incandescent entre Ayler et Coltrane (Laurent Bardainne); lignes transversales tendues dans une orchestration de cuivres concentrés (Simple forces); effets stroboscopés jaillissant des frappes d’Edouard Perraut, à la fois lutin et zébulon des tambours ou cymbales; échappée belle enfin de Fabrice Martinez, marchant seul sur le fil tendu de son bugle. Thomas de Pourquery saxophoniste et compositeur avoue tout de go un plaisir de chanteur « J’aime chanter des chansons avec des paroles qui parlent aux gens. je n’improvise pas les mots. Je les écrits » Slow down, thème très inspiré de Sun Ra, place ainsi des riffs de voix traitées à l’unisson, ou placées en décalage pour créer du relief. Il y a dans cet orchestre de la musique, des musiques ! oscillants entre slow et funk type Zappa. Du jazz qui fait exploser les harmonies. Des touches de romantisme pourquoi pas (intro de piano douce signée Arnaud Roulin, From planet to planet) Du théâtre également, gestuelle, scénographie, postures. Et dans doute dans l’intention comme l’action quelques échos de groupes des seventies aujourd’hui oubliés type Au bonheur des dames ou Odeurs.  Thomas de Pourquery se définit d’abord comme  « un épicurien » Exemple à l’appui  « Hier soir dans cette ville méditerranéenne j’ai eu un vrai orgasme du côté des  papilles en dégustant un fantastique jambon Pata negra » Ses paroles (voix grave, jeu sur les mots et le silence) en font un redoutable « entertainer ») Sa musique supersonique vise donc le public pleine cible plaisir. CQFD.

 

Edouard Perraud batteur polychrome

 

Deva Mahal (voc, g), Benjamin Thiebault (keyb), Ashton Sellars (g), Pat Stewart (elb), Alex Brajkovic (dm)

Don Bryant (voc), Scott Bomar (b), David Mason (dm), Joe Restivo (g), Archie Tunners (keyb), Kirk Smothers (ts), Marc Franklin (tp)

Jazz à Sète, Théâtre de la er, Sète (34 200), 17 juillet

 

Deva Mahal

La robe rouge fluo tonitruante tranche avec les vêtements blancs de ses musiciens,. La fille de Taj Mahal déroule des ondulations de soul tirant fort sur des accents gospel. A aucun moment elle ne cherche les passages en force. Caisse claire et accords de guitare marquent le temps fort, un peu systématiquement. La voix de Deve Mahal reste en premier plan. celle de sa soeur vient l’épauler en contre chants. C’est bien fait, presque carré question musique. Derrière elle, le groupe reste à sa place. On a l’impression pourtant d’avoir déjà entendu ce genre de musique. Un manque d’envergure, d’originalité toutefois. Un travail de production, une direction, un suivi musical s’imposent. Ceci dit, on l’a déjà noté, l’espace devant la scène s’est empli de danseurs volontaires. Et le Théâtre dans son entier ne boude pas son plaisir. Deva chante, descend danser sur le parterre avec les premiers rangs, souriante. Pendant ce temps sa soeur prend le relai au micro. The show must go on…

 

Don Bryant

 

Avec Don Bryant on change de rythme. et surtout de dimension. On le connait comme l’un des créateurs des plus beaux titres de la musique soul. Sur scène le septuagénaire en pleine bourre , en cette occasion c’est le cas de le dire sur ces rythmes  cadencés, mène la danse. Avec deux leitmotivs qu’il offre au public « This music put my soul on fire «  ou « I love you » Musique soul souple (What kind of love) accents de blues sur les accords qui vont avec, pics de funk aigu (Can Hide  the hurt) : son groupe lui donne les bons appuis sous l’effet d’un bloc rythmique soudé, d’un rideau de riffs de cuivre très ordonnés. Et un clavier très électrique dans le son qui assure lui sans cesse le lien harmonique. Don Bryant chante d’une voix chaude, pose des nuances, couleurs douces, acides ou séductrices selon la tonalité de la phrase. Beaucoup de métier dans la prise en compte du public. Il n’a pas travaillé pour des figures tels  Otis Redding, Solomon Burke ou Albert King sans raison.  » Soul on fire «   c’est bien de cela qu’il s’agit, ici dans la nuit moite.  On se trouve bel et bien entrainé dans  cette cuisine épicée de « Mermphis Soul Stew » qu’il décline comme une recette à consommer par pur plaisir. La machine de Memphis tourne à fond, tourne rond. Pendant ce temps Don Bryant lui prend le temps de quelques respirations. Et de changer de costard vu ce qu’il se donne sur les planches. Au final c’est bien le théâtre sètois qui, sous la qualité du boulot, l’élan jailli de la musique black, se retrouve en feu. Don Bryant quitte la scène un grand sourire aux lèvres. En prenant le temps de serrer toutes les mains tendues vers lui au bord de la scène. Soul classe d’un doyen encore fort inspiré.

 

 

Robert Latxague