Jazz live
Publié le 11 Mai 2018

Jazz en Comminges. Avishai Cohen. Stanley Clarke.

Une soirée contrastée, comme les affectionnent les organisateurs d’un festival placé, on l’a dit, sous le signe de la diversité. Elle répond à merveille à leur souci pédagogique : faire découvrir à un large public diverses facettes du jazz tel qu’il est actuellement élaboré à travers le monde.

En première partie, le trompettiste Avishai Cohen, ami et partenaire d’Omer Avital qui a rallié hier, dans cette salle, tous les suffrages. Il se produit à la tête d’un quartette au sein duquel figure l’excellent Yonathan Avishai, à qui le lie une complicité manifeste. Le pianiste figure en effet dans son dernier album « Into  the Silence », paru en 2016 chez Blue Note. Quant aux deux autres membres du quartette, ils s’intègrent parfaitement au projet porté par le trompettiste.

 

Avishai Cohen (tp), Yonathan Avishai (p), Barak Mori (b), Ziv Ravitz dm).

Saint-Gaudens, Parc des Expositions, 10 mai.

 

« Into the Silence » fournit une large part de la thématique développée ce soir. Composée dans les mois qui ont suivi la disparition du père du trompettiste, la musique va au-delà de la seule expression du deuil. Elle le transcende, d’une certaine manière. Invite à une méditation qui est aussi une quête de la sérénité. Emblématique à cet égard, outre le titre éponyme, Life and Death. Un  des sommets du concert. Il en résume la charge émotionnelle en même temps qu’il précise ses enjeux.

 

Comment ne pas être séduit ? Le quartette sait,  d’entrée de jeu, instaurer un climat de recueillement, de méditation, avant d’alterner phases de calme et moments de tension, jusqu’au déchaînement qui confine au cri. Cri de révolte ou de libération ? D’accablement ou d’allégresse ? Célébration d’une sérénité reconquise ? A chacun d’en décider. Ce qui est certain, c’est que cette musique  épurée, probe, dépourvue d’esbroufe, qui joue volontiers sur la polyrythmie et la réitération de motifs mélodiques, ménage à chacun de larges espaces. Les solistes s’expriment librement, sans qu’en soit affecté le son d’ensemble. Il faut dire que tous se plient aux exigences d’une musique qui ne cède jamais au pathos. Elle porte la marque d’une recherche de pureté, de profondeur  confinant à l’ascèse.

 

Chaque note, ou presque, émise par la trompette d’Avishai Cohen évoque Miles. Plus précisément, le Miles de la période Gil Evans (une longue citation, ou paraphrase, du Concierto de Aranjuez en témoigne opportunément). Limpidité du son dépourvu de vibrato, phrasé, lyrisme contenu, qu’il joue ouvert ou avec sourdine. Recherche, toujours, d’un minimalisme porteur d’intensité. Jusqu’à la posture, pavillon pointé vers le sol. Un patronage revendiqué. Avishai Cohen n’a jamais caché son admiration pour un musicien à l’emprise duquel il a su s’arracher pour développer son propre idiome. La sobriété du style de Yonathan Avishai répond à la même exigence. Tout comme la rythmique, exemplaire à l’image d’un concert qui  gardera pour le plus grand nombre la saveur d’une révélation.

Stanley Clarke (cb, b), Cameron Graves (claviers), Beka Gochiasvili (p, elp), Shariq Tucker (dm).

Saint-Gaudens, Parc des Expositions, 10 mai.

 

La prestation de Stanley Clarke devait, elle aussi, réserver des surprises, mais d’un autre ordre. Car ceux qui s’attendaient à découvrir ou à redécouvrir le bassiste héraut d’un jazz rock exubérant, expressionniste, en auront été pour leurs frais. La guitare basse est reléguée au second plan au profit de la contrebasse dont Clarke use avec moins de parcimonie que par le passé et sur laquelle, du reste, il fait montre d’une technique prodigieuse. Il faudra attendre le rappel pour que se réveille le souvenir des grandes heures de la fusion, celles du Return to Forever de Chick Corea, ou celles, plus récentes, de ses confrontations avec Marcus Miller et Victor Wooten.

 

Jusque là, une longue, lente montée en puissance. Un feu couvant sous la cendre. Un groupe composé d’individualités brillantes, certes, mais dont les talents se juxtaposent plus qu’ils ne se conjuguent. Une succession de soli, non cette communion appréciée en première partie. L’impression d’entendre un prélude interminable (certains diront lénifiant). Un hors-d’œuvre dont on s’aperçoit, non sans une certaine stupéfaction, qu’il constituait en réalité le plat de résistance. Si on voulait filer la métaphore et passer du domaine culinaire à celui de la peinture, on pourrait qualifier cette musique d’impressionniste. Voire de pointilliste. On attendait un Munch, on a eu un Seurat.

Le leader ne ménage certes pas sa peine. Véritable catalyseur, il sollicite ses partenaires, esquisse ici un duo, là un échange collectif. Le tout ne manque pas de charme. Mais, disons-le, on reste sur sa faim. L’intensité du concert précédent aurait-il fait naître des attentes hors de proportion ? Aurait-il suffi d’inverser l’ordre de passage des deux groupes pour rétablir l’équilibre ? Peut-être… Tel est le côté imprévisible du jazz. Là réside une bonne part de sa séduction.

 

Jacques Aboucaya