Jazz live
Publié le 15 Oct 2018

Jazz et Garonne: Seva et Girotto, deux sax baryton en dialogue

Au pays du Côte du Marmandais, le festival Jazz et Garonne offrait pour sa huitième vendange de notes improvisées un nouveau crû aux saveurs jazz et musiques cousines. L'équipe du fsstival rassemblée, autour d'Eric Seva et Myriam Espacia a voulu développer des arômes diffusant sur des airs, des rythmes ouverts sur le monde.

Deux saxophones baryton an action côte à côte. Situation plutôt  singulière, on en convient dans un quartet de jazz. Eric Seva et Javier Girotto combinent leur souffle dans le registre des basses le plus naturellement du monde. En addition comme en décalage. Seules comptent la spécificité du son de chacun. l’originalité du phrasé. Et la qualité de l’écoute mutuelle. Pari tenu, pari gagné de par les personnalités affichées. Gage d’une qualité de la musique offerte.

Daniel Mille (accord), Grégoire Kornéliuk, Paul Colomb, Frédéric Deville (cello), Pascal Berne (b)

Eric Seva (bars, ss), Javier Girotto (bars), Felipe Cabrera (b), Minino Garay (dm, perc)

Festival Jazz et Garonne, Théâtre Comédia, Marmande (47200), 12 octobre

 

Daniel Mille

Nombre de ses confrères accordéonistes s’y sont frottés un jour ou l’autre. Dans son projet « Cierra tus ojos » inspiré de l’univers d’Astor Pïazzolla, Daniel Mille fait lui le pari de s’entourer des vibrations de cordes. Soit un accordéon, une basse plus trois violoncelles exposés en expression directe. Le travail se fait d’abord sur des lignes mélodiques traitées par les cordes dans une intensité égale quelle que soit la nature de  l’instrument. A l’évidence dans ce produit musical le volume, la force ne représentent pas l’objectif premier. Les sons retranscrits sortent avec beaucoup de finesse. Dans l’évocation du tango comme à l’occasion d’une version inédite de l’Ave Maria (sonorités agues privilégiées par Grégoire Korniliuk avec une grande précision) écrite par le compositeur argentin. En accords, en notes arpégées Daniel Mille règle avec soin les progressions harmoniques. Son accordéon, par la lecture ou -moments plus furtifs- via l’improvisation colle au plus près de cet effet de séduction que l’on prête aux airs de tangos et milongas écrits nature par Piazzolla. Pas de hiatus, pas de résistance, l’effet de séduction douce, à Marmande comme ailleurs, ne manque pas d’accrocher aussitôt un public qui se plait à se laisser conquérir par le courant continu de musique jouée.

 

Javier Girottto (à g), Eric Seva (à dr) deux barytons à complémentaires

«Depuis que je l’ai entendu sur la scène de cette même salle il y a quelques années, je voulais partager nos pratiques. Son jeu m’avait fait forte impression… » Eric Seva ne tarit pas d’éloge vis à vis de Javier Girotto musicien argentin vivant à Rome. Conscient qu’ils opèrent en décalque dans le même registre instrumental: saxophone baryton et saxophone soprano. D’où le pari assumé de ce nouvel orchestre formaté dans l’optique d’un projet musical sensé aborder un jazz niché dans un horizon très diversifié . « J’ai tout de suite pensé à Minino Garay pour les couleurs de sa palette de percussion. Et lui m’a rapidement suggéré Felipe Cabrera…» Sur scène, dans l’action cette juxtaposition de sax barytons ne tourne pas à la « battle » Au contraire, en dépit de trois courtes journées de travail préparatoire pour un orchestre fraîchement constitué, la personnalité de chacun des deux saxophonistes, à l’évidence apporte un plus. La sonorité immédiatement identifiable -délicieuse tonalité acidulée du soprano de Girotto– le phrasé de chacun, les idées lâchées en matière d’improvisation offrent un bonus question qualité de l’épisode jazz ainsi fabriqué live. A propos de Minino Garay comme de Felipe Cabrera on ne peut en rester au vocable passe partout de « rythmique » Le percu argentin natif de Cordoba fait d’une batterie ordinaire un petit monde constitué de frappes, caresses, bonds ou rebonds de peaux cuivres et métaux divers.

 

Minino Garay

Felipe Cabrera, Éric Seva le dit avec une pointe d’humour  « est un type de bassiste dangereux tant il est à l’aise sur les temps et les barres de mesure » Reste que chez lui, le solo de basse procède d’une construction millimétrée. Cross Road -tel est le nom du long travail de composition et d’arrangements effectué dans la perspective du festival Jazz et Garonne- a porté ses premiers fruits à Marmande et qui se poursuivra dès le mois prochain en quatre étapes de concert en Argentine- porte bien son nom tant le croisement de lignes et riches trajectoires musicales y sert de marque de fabrique. Depuis quelque échos de fanfares jusqu’à des traces de valse musette – «  je jouais ces airs à danser dans le dancing que tenait mon père à Rozay-en Brie » témoigne Eric Seva– aux drôles de temps forts marqués…au « cajon. » En passant par les accents andins de la quena (flute indienne) de Javier Girotto (soit dit en passât le saxophoniste argentin est sorti il n’ya pas si longtemps d’une longue période noire « un tunnel » qui l’a laissé sans pouvoir jouer de son instrument une année durant. Pour cause d’une maladie psycho somatique pas si rare qu’on le croit chez les musiciens. On y reviendra…)

 

Felipe Cabrera, les temps en l’air !

Bien sur il faut que cette musique bouge encore, vive sa vie en partage sur scène, voyage pour se mettre en danger histoire d’improviser davantage encore. Pourtant ce quartet, recèle déjà tous les ingrédients d’un atelier jazz aux accents riches du « Tout Monde » comme disait Edouard Glissant.

A suivre

Roberrt Latxague

BaG