Jazz live
Publié le 4 Août 2018

Le Simon Below Quartet remporte le Tremplin Jazz d’Avignon

Une fois de plus, ce sont les étudiants de l’Ecole supérieure de musique et de danse de Cologne qui s’imposent au palmarès de la 27ème édition du Tremplin Jazz d’Avignon, avec le Simon Below Quartet auquel succèderont ce soir 4 août le quartette d’Erik Truffaz et demain 5 août le Sound Prints Quintet de Joe Lovano et Dave Douglas.

A l’issue des deux soirées de tremplin proprement dit, dans un cadre idéal (le Cloître des Carmes) devant un public fidèle (fidélisé par 27 années de mobilisation d’une équipe de bénévoles en or, et “formé” par quarante ans de rayonnement régional de l’AJMI), le jury (cette année présidé par Jean-Paul Ricard, fondateur de l’AJMI), n’a pas eu de mal à se mettre d’accord : le Simon Below Quartet (Grand Prix du jury) avait déjà le premier soir marqué les imaginations. En premier lieu par un son de groupe précis, concentré, respectueux de l’acoustique du lieu, notamment de la part du batteur Jan Philip hyperactif en toute discrétion, déconstuctiviste tout en laissant percevoir un authentique enracinement dans le swing. L’interactitivé et la rapide circulation des idées et des initiatives ne laisse personne à l’écart : ni le contrebassiste Yannik Tiemann que l’on appréciera plus encore le lendemain au sein de Der Weise Panda Quartet, du fait peut-être d’une meilleure sonorisation, ni le pianiste Simon Below qui, dans ce vaste paysage pianistique qui s’est développé à partir de Bill Evans, Paul Bley et Keith Jarrett sait trouver sa place avec beaucoup d’élégance harmonique, de sens de l’espace, de justesse de placement et de vivacité rythmique. La fluidité du passage entre le lyrisme de la ligne claire et l’abstraction sonore, sont une des marques de fabrique de leur répertoire qu’assume admirablement le saxophoniste Fabian Dudek, altiste konitzien “growlant” et pulvérisant soudain son discours du côté d’Albert Ayler, Eric Dolphy et Evans Parker, soprano impressionnant de maîtrise se dotant parfois d’une vibrato évocateur du duduk arménien. Probablement un prix de soliste si ne lui avait pas succédé sur la même scène les Torunski Brothers.

Torunski Brothers Quartet

Venu des Pays-Bas, plus précisément de Maastricht et de son conservatoire, le quartette des Torunski Brothers étiqueté “Pays-Bas” est, comme son nom l’indique, la création des frères Torunski qui ont d’abord étudié au conservatoire de Katowice en Pologne et ont poussé après Maastricht jusqu’à Cologne. Et s’ils ont trouvé en Mike Roelots (au Fender-Rhodes) et Ron Van Stratum (batterie) les bons partenaires, la complicité des deux frangins est la raison d’être de la formule sans contrebasse qu’ils se sont choisie. Certes, Mike Roelots dispose et se sert ici et là, avec une intelligente parcimonie, d’une bass station (petit clavier basse) dont les infra basses auraient surement mérité un mixage plus précis que ne le permet les rapides changements de plateaux d’une tel tremplin, tantôt envahissantes, tantôt étouffées par une grosse caisse exagérée, mais la véritable résolution de l’absence de contrebasse réside dans l’existence du tandem réunissant l’alto Greg Torunski et la clarinette basse de Piotr Torunski. Et si c’est à eux deux que fut décerné le Prix d’instrumentiste, c’est qu’en dépit de leurs qualités respectives, la cohésion acoustique et discursive de leur association les rendait indissociables aux yeux du jury, la clarinette suivant l’alto comme son ombre : unissons écrits et tutti harmonisés où l’on croit entendre un seul et même instrument au timbre inouï, improvisations collectives (l’alto légèrement devant par son débit) ou solo d’alto accompagné d’un contrechant tantôt plus fourni tantôt plus assimilable à une walking bass, le phrasé passant constamment du legato, à un jeu plus articulé pouvant aller jusqu’au slap. Le tout au service de longues formes au lyrisme et à l’onirisme d’abord saisissant puis dont on se dit qu’il reste au groupe à diversifier les couleurs et à ramasser les durées. Reste un potentiel qui mérite d’être développé.

Maïka Küster – Der Weise Panda Quartet

Ce public si fervent évoqué plus haut, il est arrivé au fil des années que son vote se recoupe avec celui du jury, mais il s’en démarque souvent, du fait d’une écoute différente, d’un autre rapport au plaisir musical et d’une indifférence dilettante aux principes qui sont ceux d’une jury de tremplin jazz. Hier, bien qu’il ait exprimé par un grand soupir collectif son regret à l’annonce du dernier morceau du Simon Below Quartet, il avait oublié ce dernier dans ses votes du lendemain, et c’est Maïka Küster et Der Weise Panda Quartet qui ont remporté le Prix du public. Encore un groupe en provenance de Cologne ! Une chanteuse sur les marges du jazz, modeste improvisatrice, mais doté d’un timbre séduisant et d’une belle intonation, sur un répertoire à texte finement accompagné par un audacieux tandem contrebasse-batterie : Yannick Tiemann entendu la veille avec Simon Below, cette fois-ci le plus beau son de contrebasse du tremplin, et le batteur Joe Beyer que la chanteuse, dans un français hésitant, présenta comme « un peu fou. Mais je l’aime bien ! » ce qui dit mieux et plus simplement ce que je n’arriverai à dire avant que ne sonne la cloche invitant à ma remise de copie. Un composition de Yannick Tiemman mit en évidence le soutien très libre et stimulant qu’il apporta à la chanteuse et qui, si la complicité du pianiste Felix Hauptmann avait été plus vive, aurait peut-être porté Maïka Küster à sortir des balises de ses textes et mélodie.

Mais c’est finalement le pianiste Arthur Guyard du sextette toulousain Shift qui remporta le Prix de composition avec sa partition Impressions d’ivresse. Une mélange d’efficacité, d’économie de moyens et de sophistication servie par la puissance de projection du groupe héritée du hard bop mais selon une esthétique les rapprochant des Brecker Brothers. Une écriture orchestrale fournie au scénario nerveux dont on regretta dans le reste du répertoire le côté catalogue d’idées, pour une musique bruyante et très encombrées.

Ce côté catalogue fut également ressenti à l’écoute du trio du pianiste Dexter Goldberg (ressenti d’autant plus grand qu’il avait été précédé par la concision du Simon Below Quartet) avec une rythmique (Bertrand Beruard à la contrebasse et Kevin Luchetti à la batterie) un peu trop nerveuse pour une écriture qui l’est déjà beaucoup, à l’issue d’une journée très chaude qui vit le piano lâcher une de ses cordes. Trio à suivre néanmoins comme le laisse à penser la réception de son album “Tell Me Something New”.

La seconde journée vit débarquer de Serbie après un long voyage par la route, l’Hashima Quartet pour une musique à programmes avec force fumigène (dont une longue suite inspirée du Jugement dernier de Jérôme Bosch), évoquant les balbutiements expérimentaux du rock progressive du tournant des années 1970. Sympathique, énergique, un peu confus en dépit de scénarios tirés au cordeau, et finalement hors sujet. • Franck Bergerot