Nantes: Festival Variations (1/3)
Inclassable : le mot est aujourd’hui si galvaudé qu’on hésite à l’utiliser. Et pourtant, comment caractériser autrement la programmation du Festival Variations ? « Musiques pour piano et claviers », tel est le sobre sous-titre de cette manifestation coproduite par le Lieu Unique, scène nationale de Nantes, et la Fondation BNP Paribas, à laquelle nous avons eu la chance d’assister le temps d’un week-end : un concept à la fois suffisamment précis pour donner son identité à l’événement, et suffisamment vague pour laisser la porte ouverte à toutes les facettes imaginables de la modernité musicale, du contemporain à l’électro. Une ligne de force tout de même, par-delà les étiquettes : la relative prédominance d’une musique modeste, discrète, épurée à l’extrême, d’une musique du « presque rien » qu’on nommera selon les circonstances « minimaliste », « ambient » ou que sais-je encore. Et au milieu de tout ça, le jazz, comme trait d’union indispensable d’un festival qui n’aime rien tant que brouiller les frontières entre traditions savantes et musiques dites « actuelles ».
Vendredi soir, 16 mars, dans l’un des multiples espaces offerts par l’emblématique ancienne usine de biscuits LU, nous arrivons à point nommé pour le concert en solo de Thomas Enhco, artiste dont la double casquette « jazz et classique » colle parfaitement à l’esprit du festival. Double casquette, et peut-être aussi double personnalité : d’un côté, un rapport espiègle et joueur à l’improvisation, s’exprimant en particulier à travers une renversante version up-tempo du standard You Don’t Know What Love Is, quasi solalienne dans sa virtuosité ludique, son parfait équilibre entre inventivité débridée et maîtrise de la forme ; de l’autre, un lyrisme profondément intériorisé, ancré dans la grande tradition du piano romantique, s’exprimant en particulier sur une improvisation autour de la Danse des esprits bienheureux de l’Orphée et Eurydice de Gluck, jouée traditionnellement en bis par nombre de pianistes classiques dans sa transcription par Giovanni Sgambati.
La soirée se poursuit avec le Bang on a Can All-Stars, ensemble jouant – pour faire vite – de la musique contemporaine sur un instrumentarium en grande partie hérité du rock et du jazz (clarinette, guitare électrique, violoncelle, piano et claviers, contrebasse, batterie et percussions). Écrite spécifiquement pour le groupe par divers compositeurs d’aujourd’hui (citons Steve Reich, qui les a fait connaître, mais aussi Tyondai Braxton – fils d’Anthony – ou encore Christian Marclay, ancien collaborateur de John Zorn), la musique impressionne par sa précision, sa maîtrise et son inventivité, en même temps qu’elle agace un peu par une certaine posture arty typiquement new-yorkaise, post-modernisme nonchalant et un brin caricatural. Rien de tout cela dans la majestueuse cathédrale gothique de Nantes, illuminée pour l’occasion à la bougie, où les chanteurs du Macadam Ensemble et les percussionnistes et claviéristes d’Utopik mêlaient les partitions d’Arvo Pärt et Steve Reich (encore lui) à celles d’un de leurs inspirateurs communs, le compositeur médiéval Pérotin. Intelligence et sobriété de la mise en espace, exploitation parfaite de la résonance des lieux : « une expérience immersive et mystique », tout à fait dans la ligne de ce que nous promettait le texte de présentation.
Pascal Rozat
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