Jazz live
Publié le 4 Fév 2018

Qu’est ce qu’on attend pour être belge?

Petit compte-rendu sur le Brussels Jazz Festival, et sur la vitalité du jazz belge...

Le dernier soir, en rentrant à mon hôtel, je me suis tapé sur le front: « Merde, je n’ai pas vu le Mannekenpis! ». Le séjour avait été tellement riche en événements musicaux que les attractions touristiques étaient passées à l’as. Tant pis, le Mannekenpis, les chocolats belges, et les waffles attendront. Mes cartes postales seront sonores. L’objet de ma venue, après tout, était le festival de Jazz de Bruxelles, à Flagey (la place Eugène Flagey, située un peu à l’écart du centre, une des plus grandes de la ville) et aussi, plus largement, d’explorer ce qui fait la richesse actuelle du jazz belge. Sans remonter aux historiques Toots Thielmanns (décédé il y a deux ans), Philipp Catherine (toujours bien actif) le jazz belge semble jouir ces temps-ci d’une belle vitalité, avec des groupes dont l’intégrité artistique et le renouvellement sont exemplaires, comme Aka Moon (une référence pour de nombreux jeunes jazzmen français) ou Mik Maak, emmené par l’incroyable trompettiste Laurent Blondiau (à ne pas rater pour les Parisiens le 8 février à l’Alhambra avec la chanteuse Ghalia Benali, le disque est superbe), sans parler de musiciens qui ont maintenant une réputation bien établie, comme Jozef Dumoulin (installé à Paris) Eric Legnini, David Linx, Melanie de Biasio. Le jazz belge a donc toujours brillé d’un éclat singulier. Mais depuis quelques années, à Bruxelles en particulier, l’atmosphère semble chargée d’une électricité particulière…
Alors, qu’est ce qui se passe avec le jazz en Belgique? C’est ce que j’ai demandé à tous les musiciens et programmateurs que je croisais. On m’a souvent cité la présence de deux conservatoires de très bon niveau dans la ville, l’un wallon, l’autre flamand, mais j’ai eu droit aussi à des théories plus personnelles.

« Peut-être qu’il y a ici un certain décalage, et que ce qui est valable pour l’humour belge se retrouve aussi dans la musique? » a suggéré Laurent Blondiau.
Quant à l’accordéoniste et compositeur Tuur Florizone, qui m’a emmené déguster des moules-frites chez Pré salé, du côté de la place Sainte-Catherine (comme quoi, je n’ai pas échappé à tous les clichés), il a son idée bien à lui: « Ecoute, ici il y a une atmosphère un peu absurde…Tu demandes un croissant, et si le type est flamand et que tu es wallon, ou l’inverse, t’es vraiment pas sûr de l’avoir. C’est absurde mais on peut s’arranger. ici on peut toujours s’arranger. Y a les règles et puis y a ce qu’on en fait. C’est un peu l’Afrique, ici…sauf qu’on est placés super-bien, à deux heures de Londres et à une heure de Paris. On est une ville sans prétention tout près de villes où l’on se prend très au sérieux. Alors, Peut-être que c’est ça qui nous donne un truc particulier… ».

En plus de demander à mes interlocuteurs les raisons de la vitalité du jazz belge, je leur demande de me donner les noms des jeunes musiciens les plus actifs et les plus prometteurs de la scène bruxelloise. (J’observe que plusieurs de mes interlocuteurs citent les musiciens en ménageant l’équilibre communautaire, « Du côté flamand…du côté wallon… »). Voici en tous cas les noms qui reviennent le plus, les pépites d’aujourd’hui et de demain: Antoine Pierre (batteur, dont le nom est cité par tout le monde), Hendrik Lazure, pianiste (pareil que pour Antoine Pierre) , Bram de Looze (pianiste) Jean-Paul Estiévenart (trompettiste) Lander Gyselink (batteur), Jens Bouttery (batteur), Sam Comerford (sax tenor), Quentin Stockard (guitare)… On remarquera de nombreux batteurs dans cette liste: le fait que Stéphane Galland, batteur d’Aka Moon, enseigne dans un des conservatoires de la ville, le flamand n’est pas étranger à la chose. (Côté conservatoire wallon, tiens, je fais comme les Bruxellois, on prend vite le pli, on trouve des musiciens aussi estimés que Jean-Louis Rassinfosse, et un enseignement plus axé sur la tradition.)
Aussitôt arrivé, je me dirige vers Flagey où le festival bat son plein. Il a lieu dans des bâtiments construits dans les années 30, pour la Radio télévision belge. L’accoustique est impecccable, et l’esthétique rappelle un peu le studio 104 de Radio France (mais les bâtiments de Flagey ont été construits avant).
Le premier concert auquel j’assiste, dans la plus petite salle de Flagey, est celui du groupe belge Sinister Sister, dirigé par le vibraphoniste Pieter Claus avec Michel Hatzigeorgiou à la basse, Maayan Smith au sax ténor, Jan Ghesquière (guitare), et Lander Gyselink à la batterie.

La musique, acérée, tranchante, nerveuse, part de compositions de Bartok arrangées par Pieter Claus. Mais c’est du Bartok passé par le filtre de Frank Zappa (auquel ce groupe a consacré un précédent disque). Les contrastes entre musiciens donnent à la musique son équilibre et sa dynamique, les notes du bassiste Michel Hatzigeorgiou sont tranchantes comme des éclats de granite, Gyselink déchaîne une puissance très rock, tandis que le saxophoniste a un son rond et doux, et que le vibraphoniste se ménage des échappées pleines de rêverie. Les ambiances sont tendues, compactes, et évoluent parfois vers la danse. Belle découverte.
Le lendemain, toujours à Flagey, un autre groupe belge, le Labtrio, qui fête ses dix ans d’existence avec un nouveau disque, Nature City. Dans ce trio, on retrouve le batteur Lander Gyselink, ainsi que le pianiste Bram de Looze, délicat, aérien, jamais une note de trop, et la bassiste Anneleen Boehme, au jeu très organique, très ancré, qui se révèle un complément idéal du pianiste.

Photo: Alexander Popelier

Le trio est original, avec une influence classique complètement asssumée (deux morceaux sont des interprétations de Bach, traité un peu comme un standard) mais en même temps des tourneries, une énergie, des rapports entre les instruments qui sont très inspirés par la musique éléctro. Beaux moments où le piano de Bram de Looze bascule dans une ivresse irrésistible. Après le trio, Kurt Rosenwinkel officie dans la grande salle située au-dessus. Même si j’ai inscrit essentiellement des groupes belges sur mon carnet de bal, je ne peux rater ça. Kurt Rosenwinkel se présente dans une formation originale, avec un autre guitariste, Tim Motzer et le batteur Gintas Janusonis. Conversation étonnante entre ces deux musiciens-bidouilleurs, venus avec leurs guitares mais aussi tous leurs grillons éléctroniques. Au début, je suis séduit par la musique produite, les deux guitaristes ne se marchent pas dessus, chacun a son territoire guitaristique (Rosenwinkel surtout dans les mediums et dans les graves, Motzer volontiers dans les aigus) et sa propre manière d’aborder la distorsion. Des moments de lyrisme magnifique, où les guitaristes chantent à deux voix. Mais au bout de trois quarts d’heure environ, j’éprouve la sensation de manquer d’air, une saturation qui n’est pas seulement celle des guitares mais aussi de l’espace sonore. Musique passionnante, néanmoins.
Tout en voyant de chouettes concerts au Brussels Jazz festival de Flagey, j’en profite pour rencontrer des programmateurs. Maarten van Rousselt s’est occupé de la programmation du festival de jazz avec des têtes d’affiches très fortes (Archie shepp en ouverture, Uri Caine pour une composition symphonique originale, « agent orange » évidemment reliée à Trump, Matthew Herbert et le Brexit big band…) qui dessinent l’envie de mettre l’accent sur la contestation et les incertitudes politiques.

Toujours entre deux coups de téléphone, mais affable et disponible, Maarten prend le temps de me parler de l’engouement autour du jazz, en particulier de la part des jeunes (bien représentés hier soir dans le public du Labtrio et de Kurt Rosenwinkel): « Aujourd’hui, le rock est devenu si prévisible…si formaté par le marketing. Pour moi, le jazz a pris la place qu’avaient le rock et le punk dans les années 80. Dans le jazz d’aujourd’hui, on retrouve l’énergie du rock, et l’esprit de révolte du punk, et je crois que pas mal de jeunes sont en train de s’en rendre compte! ».
Pour expliquer la vitalité du jazz à Bruxelles, Maarten relève l’état d’esprit des musiciens, leur capacité à s’ouvrir à d’autres influences (« Bruxelles est la deuxième ville la plus cosmopolite du monde après Dubaï ») l’importance des deux conservatoires, le wallon et le flamand. Il me signale aussi deux programmes (Take five sur une radio flamande, Just Jazz sur une francophone) rendent compte de cette musique à des heures où tout le monde n’est pas couché…
Roel van Hoeck , même générarion que Maarten van Rousselt, est un autre figure très influente de la scène musicale brusseloise. Il s’occupe de la programmation du Bozar, une véritable institution, avec un poids et rayonnement comparables à la Philarmonie de Paris.

Le Bozar programme 400 concerts par an. Les plus grandes têtes d’affiche du classique et du jazz se produisent ici, Keith Jarrett, Brad Mehldau, ou encore Wynton Marsalis dont des affiches annoncent la venue prochaine avec le Lincoln Center autour d’un programme dédié à Thelonious Monk. Le Bozar est en fait un vaste paquebot culturel. Dans ses entrailles, un musée (exposition Fernand Léger en ce moment) une grande salle (la salle Henry le Boeuf) réservée aux têtes d’affiche, et des espaces qui permettent d’accueillir des musiciens moins connus ou en devenir (le studio, 200 places, ou la petite salle M, plus intimiste).

Roel van Hoeck me fait visiter sa grande salle de 2100 places, monument historique contruit en 1929 et où se sont produits Thelonious Monk (à trois reprises, en 1963, 64, et 1971) où Billie Holiday dans les années 50. La salle Henry le Boeuf est superbe, toute en courbes,toute en bois, une salle qui malgré ses dimensions donne l’impression d’un confortable cocon. Nous voilà au niveau du deuxième balcon, avec une vue imprenable sur la scène. En contrebas, un manutentionnaire dispose des pupitres pour le concert du soir. Le moindre de ses gestes, le moindre crissement de ses pas sur le parquet, tout nous parvient avec une netteté extraordinaire. Roel van Hoeck s’amuse de ma surprise: « Oui…l’un des atouts de cette salle c’est l’accoustique (il claque ses mains l’une contre l’autre pour m’en faire la démonstration). Ici, certains musiciens acceptent de jouer accoustique alors qu’ils sont habituellement amplifiés. Comme Randy Weston. Keith Jarrett adore venir ici… ».
Après avoir vu Maarten van Rousselt et Roel van Hoeck, deux programmateurs des plus grandes institutions de la ville, je continue les explorations mais dans des structures plus petites. Je me rends à la Jazz Station, située Chaussée de Louvain, dans un quartier cosmopolite avec, si j’en juge par les noms des restaurants, une forte ccommunauté turque. Là encore ce n’est pas seulement un club de jazz mais plutôt un lieu culturel à plusieurs facettes (expositions, conférences, salles de répétitions, cours de chants…). La salle de concert se situe dans un ancien hall de gare. Aka Moon, mais aussi Gilad Hekselmann ou Shai Maestro, aiment venir jouer ici. C’est chaleureux, intime, convivial. On pratique ici des concerts à des prix très raisonnables (huit euros).

Le concert du samedi soir 18h est devenu un repère pour les amoureux du jazz. Je rencontre Kostia Pace, le juvénile directeur du lieu, à peine trente ans, qui se réjouit lui-aussi que le jazz ait le vent en poupe: « Depuis trois ou quatre ans, il y a une sorte d’émulation autour du jazz dans la ville…je dirais qu’il y a facilement une centaine de concerts par moi dans la région bruxelloise. On dit souvent que le jazz est une musique élitiste. C’est de moins en moins le cas ici… ».
Nous sommes samedi, bientôt 18 heures, je m’installe pour le concert du jour. C’est vrai qu’on est bien, ici. Le plafond fait des sortes de petites vagues en bois. Les habitués arrivent petit à petit. Ils commandent tous des « jambes de bois » au bar. Je décide de faire pareil et en suis récompensé. C’est une bière blonde dont l’amertume est délicieuse.
Ce soir c’est donc le Steve Houben quartet. Je connaissais Steve Houben pour sa participation à un disque avec Chet Baker en 1980 (il a joué également avec George Coleman, BIll Frisell, Gerry Mulligan). Ce soir, il se révèle surtout à moi comme compositeur remarquable, introduisant ses morceaux par des commentaires d’un humour délicieux. Un de ses thèmes me touche particulièrement, The road to grenade. Son contrebassiste Sal La Rocca le soutien avec une inépuisable énergie.
Je ne m’attarde pas et file à Flagey pour le concert de clôture du festival, le très attendu Matthew Herbert Brexit Big Band, un orchestre de seize musiciens, 110 choristes, et une chanteuse Rahel Debe-Dessalegne. On connaît Matthew herbert, ce musicien à l’excentricité typiquement britannique, capable de remixer Gainsbourg en éléctro comme de faire un album concept, « pig one », sur tous les sons jalonnant la vie d’un porc, de la naissance à la mort, ou encore dans « A nude » de faire un album n’utilisant que ls bruits du corps humain. J’attendais beaucoup de concert, mais il m’a donné beaucoup plus que tout ce que je pouvais en espérer. Ce fut incroyable. D’abord parce que la chanteuse Rahel Debe-Dessalegne, diva soul, est à l’aise dans tous les registres du plus exacerbé au plus intime, avec toujours le même abattage. Ensuite parce que le spectacle est un véritable show, joyeux, délirant, exubérant, comme par exemple ce moment où les musiciens de l’orchestre et les choristes déchirent ensemble un exemplaire du Daily Mirror (tabloïd pro-Brexit) et que Matthew Herbert se sert de ce bruit de papier froissé comme d’une percussion (ensuite, les musiciens en font des avions en papier qui pendant tous le concert ne cesseront de voltiger de la salle à la scène ou de la scène à la salle). Matthew Herbert manipule ses machines éléctroniques (souvent pour introduire un mroceau) tout en dansant d’une manière désarticulée totalement inimitable. Incroyable personnage. Le voilà qui chante (au milieu du concert) les mails d’insultes reçus lorsqu’il a annoncé qu’ils formerait un Brexit Big band pour une « tournée d’excuses ». Les musiciens du big band prennent très peu de solo, l’orchestre est plutôt transformé en implacable machines à riffs pour soutenir ou mettre en valeur la chanteuse, et il fait cela avec une incroyable efficacité. Le concert finit en apothéose sur ce refrain goguenard et réconciliateur: « You’re my yes, I’m your no! ». Inoubliable. A la fin du concert, des dessinateurs impriment leurs dessins et vendent leurs reproductions. Et ça part comme des petits pains.


Entre deux concerts à Flagey ou ailleurs, j’essaie de rencontrer quelques musiciens belges. L’un de ceux qui m’intérèsse le plus est le batteur Antoine Pierre, que tout le monde me cite dans la liste des jeunes musiciens belges qui comptent.

Nous nous retrouvons dans un restau bio situé du côté de la Chaussée d’Ixelles. Antoine Pierre est venu avec Pamela, sa muse, son inspiratrice, sa conseillère, et c’est touchant de voir comment chacun complète les phrases de l’autre. Antoine Pierre est un gars souriant, chaleureux, ouvert, qui préfère mettre en valeur ses amis plutôt que de parler de sa pomme. C’est ainsi qu’il ne me raconte pas comment le grand Philippe Catherine l’a repéré alors qu’il n’avait que dix-huit ans, et intégré tout de suite à son groupe régulier (mais je le savais par d’autres musiciens). Antoine Pierre préfère donc me tresser les éloges de son ami, le trompettiste Jean-paul Estiévenart, qui figure sur son disque Ubex (2015): « Il n’a pas de limites » dit-il de ce dernier.
On parle de musique, bien sûr, en particulier d’une figure qui semble-t-il a beaucoup influencé la scène belge, mais pas seulement, le guitariste Pierre Vandormael, prématurément décédé en 2008, auteur d’un livre d’harmonie sur le concept de résonance émotionnelle, qui a été un des inspirateurs d’Aka Moon. C’est d’ailleurs le batteur d’Aka Moon, Stéphane Galland, qui a été le prof d’Antoine Pierre au conservatoire flamand, et le jeune batteur ne se fait pas prier pour reconnaître tout ce qu’il doit à son enseignement.
Je lui demande si l’appartenance à une communauté ou à l’autre influe sur les relations entre musiciens. « Humainement, entre les musiciens, tout marche très bien. Quand on va chercher un musicien, c’est pour ses qualités musicales, par parce qu’il est flamand ou wallon…la musique transcende les clivages politiques, et heureusement. Malgré tout, quand tu formes un groupe, tu sais que si tu fais une tournée la presse wallone va avoir tendance à parler plutôt des groupes francophones, et la presse flamande plutôt des groupes flamands…alors certains peuvent être tentés d’en tenir compte au moment de former leur groupe… ».
Après le repas, on marche un peu, « Il drache mais tu peux attendre le bus sous cette aubette » me dit-il en désignant un arrêt de bus.
Le dernier soir arrive. J’ai un peu de temps pour me promener dans les rues, passer par la grande place, sentir l’atmosphère cosmopolite de cette ville où l’on entend parler toutes les langues du monde.

J’ai même le temps de m’arrêter dans un café, le Pantin, qu’Antoine Pierre m’avait recommandé en des termes auxquels il m’était difficile de résister: « Tu verras, c’est sombre et ça sent la gnaule ».

J’entre. Effectivement, c’est sombre. Mais ça ne sent pas la gnaule, en tous cas pas là où je suis. On s’y sent bien, la lumière et les bruits semblent tamisés. Le genre d’endroit capable de transformer n’importe quel jour de la semaine en dimanche après-midi. Je lis le Soir, et même un torchon démagogique que j’ai récolté quelque part, un journal nommé DH où Denis Ducarme ministre fédéral des « classes moyennes, des indépendants, des PME, de l’agriculture, et de l’intégration sociale » (rien que ça?) déclare en Une: « Les soins de conforts offerts aux illégaux, c’est fini »..
Pour mon dernier concert du séjour, je me rends en compagnie de l’accordéoniste Tuur Florizone au Roskam, rue de Flandre, un café qui programme de la musique live tous les dimanches. C’est gratuit. La programmatrice, Karen van Shaïk, est elle-même saxophoniste. Elle programme surtout du jazz, souvent épicé d’autres musiques, mais pas du free jazz (« le public de free jazz ne consomme que des thés à lamenthe » décrète -t-elle. Comme avec chaque personne que je rencontre, je lui demande ce qui fait de Bruxelles un microcosme favorable à la musique en général et au jazz en particulier. Elle me donne une raison concrète que personne n’avait encore avancée devant moi tant elle est évidente: les loyers bon marché: « Ecoute…c’est pas hyper cher de vivre à Bruxelles…C’est l’inverse d’Amsterdam…alors je pense que cela dynamise la ville »..


Le concert de ce soir, c’est le Geoffrey Fiorese tentet, un big band qui doit se serrer les coudes pour tenir sur la petite scène. L’orchestre joue des compositions du pianiste. C’est plein, un public assez jeune écoute tranquillement cette musique (dans la moitié de la salle près de la scène) ou discute tranquillement dans l’autre moitié. C’est l’image que je retiens de mon séjour, ce petit café accueillant où le dimanche soir, on peut entendre un big band de jazz. Un miracle belge? Ce serait peut-être aller un peu loin. Mais incontestablement il y a ici quelque chose dans l’air qui sourit à la musique. Mais quelque chose de fragile. Beaucoup de musiciens s’inquiètent, leur statut est plus difficile encore qu’en France, et la montée des populismes entraîne (comme en France, comme partout en Europe) des coupes claires dans les budgets culturels. Et puis demeure la grande incertitude politique de savoir si ce pays pourra continuer à vivre ensemble. Tuur Florizone grand voyageur, grand amoureux de l’Afrique, semble prendre les choses avec insouciance: « Moi, la situation actuelle, j’en profite…quand je veux aller au Bénin, je dis que je suis francophone, et quand je veux aller en Afrique du sud, je dis que je suis néerlandophone. Tu prends une autre Triple Carmélite? ».

JF Mondot

PS: remerciements à Lobke Aalbrechts et à Maaike Wuyts qui ont rendu ce voyage possible.