Jazz live
Publié le 12 Nov 2018

Raphaël Imbert dévoile le secret de Thelonious

Régulièrement invité au Bal Blomet sur un thème de l’histoire du jazz, Raphaël Imbert s’attaquait ce soir-là à un continent à lui tout seul:  Thelonious Monk.

 

Raphaël Imbert (sax ténor), baptiste Herbin (sax alto) Johann Farjot (p), laure sanchez (basse), Arnaud Bichon (batterie), dans le cadre des 1001 nuits du Jazz au Bal Blomet, 33 rue Blomet 75015 Paris, 1er novembre 2018

Avec Laurent de Wilde, Raphaël Imbert est le meilleur passeur de jazz que je connaisse, tout simplement parce qu’il ne cherche pas à enseigner mais à partager ce qu’il aime. Il explique mais surtout il célèbre. Cela s’est vérifié encore ce jeudi soir, lors de cette soirée consacrée à Thelonious Monk, où Raphaël Imbert, mine de rien, a réussi à nous introduire dans les arcanes du cerveau génial et torturé de Thelonious grâce à une simple anecdote. J’y reviendrai.

Pour évoquer Thelonious Monk, Raphaël Imbert s’était adjoint un invité de choix en la personne de Baptiste Herbin, virtuose reconnu de l’instrument.  Deux jeunes musiciens du CMDL (Centre des Musiques Didier Lockwood) complètaient le line-up. En introduction, Raphaël Imbert met les choses au clair sur la place de Monk dans le panthéon du jazz: « Duke Ellington, c’est notre Mozart, Coltrane c’est notre Bach, Monk c’est notre Beethoven! » Voilà qui est dit. Une quinzaine de compositions du maître sont jouées ce soir là (Misterioso, I mean you, Straight no chaser, well you needn’t, In walked Bud, Friday the 13th, Ugly Beauty, Evidence, Round Midnight…)  avec de courts interludes be-bop joués au cordeau par Raphaël Imbert et Baptiste Herbin, histoire de rappeler opportunément la contribution de Monk à la naissance de cette musique (bon dosage entre les morceaux très connus et moins connus). On goûte les démonstrations lumineuses (par le jeu) de la genèse de certaines compositions monkiennes, qui sont (parfois) des démarquages de grands standards de Broadway (Blue Skies/ In Walked Bud, et Just you , just me/ Evidence) .

Ce qui marche formidablement bien du point de vue musical, c’est la complémentarité entre Baptiste Herbin à l’alto et Raphaël Imbert au ténor. Tous deux ont un réacteur thermonucléaire  au fond du bocal de leur sax, mais cette énergie ne s’exprime pas de la même manière, cinglante chez Baptiste Herbin, plus bouillonnante chez Raphaël Imbert. Le discours de ce dernier repose sur un lyrisme éruptif, chaleureux, écumant, avec quelques embardées free, le tout épicé d’une palette organique de miaulements, étranglements, sifflements qui donnent de la folie à son jeu. Chez Baptiste Herbin, on relève un discours plein de zébrures incandescentes, une volonté de marquer ses improvisations de forts contrastes, certaines notes semblent gueulées, d’autre prononcées entre ses dents, et toujours cette rapidité terrifiante, on a peur parfois que cet ogre du saxophone n’engloutisse son bec. Son premier solo, sur Misterioso,  avec ce mélange de miel et de piment, ces traits rapides suivies  de notes étirées à l’extrème me frappe : on parle toujours de la rapidité de Baptiste Herbin, on oublie parfois, me semble-t-il de parler de son travail sur le son.

Entre ces deux énergies, ces deux tempéraments , ces deux esthétiques, il y a de délicieux unissons (volontairement un peu vrillés) dans l’exposition des thèmes, et des mano a mano terribles, en particulier sur I mean You, dans la deuxième partie du concert, qui restera pour moi un des sommets de la soirée.  

Au piano, Johann Farjot fait preuve d’un swing élégant et délicat, et montre de manière convaincante comment Thelonious Monk vient aussi du stride et de James P. Johnson. Il est associé à deux jeunes musiciens du CMDL , Laure Sanchez (basse) et Arnaud Bichon (batterie) qui se montrent à la hauteur de la musique jouée ce soir-là.

Et le secret de Thelonious Monk? On y vient. Entre chaque morceau Raphaël Imbert, pédagogue chaleureux, fait partager son amour de Monk et donne quelques éclairages toujours justes et pertinents, comme cette anecdote selon laquelle Monk pouvait travailler inlassablement, pendant des heures,  le même accord de piano.

Raphaël Imbert  voit dans cette anecdote quelque chose de plus que de la simple obsession: Thelonious, selon lui était en train de travailler les harmoniques du piano. Il a a ce moment-là une très belle belle image: Monk, dit-il , fait avec son piano comme un bluesman avec sa guitare. A force de la tordre et de la déformer , il attrappe des notes qui théoriquement n’existent pas. Mais ce n’est pas ça le secret de Thelonious. Ce secret , il me semble que Raphaël Imbert l’a dévoilé un peu plus tard lorsqu’il a raconté l’origine du thème de Monk, Evidence, conçu comme une démarcation de Just You, Just me. Evidence signifie la preuve en Anglais, et just you, just me équivaut à Just us, c’est à dire Justice en pronociation ricaine un peu mâchouillée…Il me semble que ce calembour tarabiscoté, ce calembour de contorsionniste, fixe une sorte de scanner des labyrinthes neuronaux de Thelonious Sphere, tout en nous en disant aussi beaucoup sur ce mélange de cocasse et d’alambiqué que l’on retrouve dans sa musique…

Bref, merveilleuse soirée, merveilleuse musique, et l’impression inoubliable d’avoir soulevé un petit coin du voile sur le génie de Thelonious Sphere Monk, ce sphynx sublime. 

Texte: JFMondot

Dessins:  Annie-Claire Alvoët : autres dessins et peintures à découvrir sur son site www.annie-claire.com. (Pour acquérir l’un des dessins de cette chronique, s’adresser à l’artiste à l’adresse suivante annie_claire@hotmail.com )

PROCHAINS CONCERTS DE RAPHAEL IMBERT AU BAL BLOMET DANS LE CADRE DES 1001 NUITS DU JAZZ : LE 15 NOVEMBRE (ART BLAKEY) ET LE 29 NOVEMBRE (LE BLUES DE LA COLERE)