Coltrane for ever
Les murs du château d’Eymet en continuent de frémir : la seconde édition du projet “Coltrane for ever” a libéré tant d’énergie que si la musique s’est envolée, l’esprit de Trane, l’osmose avec lui, les imprègnent encore. Et pas que les murs…
Boris Blanchet (ts, ss), Etienne Déconfin (p), Michel Zenino (b), Simon Goubert (dm), François-René Simon (narration). Eymet, le château, samedi 9 décembre 2017.
Puisque je suis à la fois juge et presque parti(e), je suis tout d’abord reconnaissant à Laurent Pasquon, l’organisateur de ce festival “Jazz Off” – http://www.maquizart.com – où tous les musiciens aiment être programmés, de m’avoir fait totalement confiance et laissé une liberté absolue quant à la conception et à la réalisation du projet. Quelques e-mails avec les membres de l’orchestre ont suffi à l’améliorer et à le mettre sur pied. Par rapport à la première édition (mars 2013), il comportait une différence majeure : l’adjonction d’un pianiste. Aux côtés du narrateur, non plus un trio mais un quartette, qu’un jeu de mot circonstancié a vite fait de dénommer le Coltrane Fever Quartet, un quartette en or. Par ailleurs, tout le monde était d’accord pour évacuer l’aspect didactique ou biographique du projet au profit de son caractère thématique. Quatre séquences dévolues à Coltrane ont ainsi rythmé la première partie de la soirée : le son / My Favorite Things / la spiritualité / la puissance. Chaque fois le narrateur s’exprimait accompagné d’un instrumentiste : Blanchet / Déconfin / Zenino / Goubert. Entre ses propos accompagnés, le CFQ jouait une composition du “Heavyweight Champion”, pour reprendre l’intitulé du coffret de l’intégrale Atlantic. En seconde partie, le quartette a fait parler la musique, seule, de Coltrane. Et il n’y aura eu pour toute mise au point, pour toute répétition, que la balance. C’est dire l’imprégnation des cinq pour la musique et la pensée du grand Trane ! L’accord paroles/musique s’est d’emblée trouvé, et je ne mens pas ! A propos du son, Boris Blanchet a fait s’alterner harmoniques et suavité, volubilité et sagesse ; Etienne Déconfin a subtilement enrobé de phrases délicates l’accompagnement de mes propos sur le thème emblématique de Coltrane ; ceux qui connaissent “A Love Supreme” ont pu l’identifier dans le soutien de Michel Zenino ; quant à Simon Goubert, il fait tomber la foudre dans la neige de ses mailloches dansantes et africaines. Nous n’avons pas manqué non plus, en cette soirée d’hommage (il n’y a pas que Johnny Halliday qui soit mort), de saluer Sonny Murray en rappelant que Coltrane l’avait pressenti, avant Rashied Ali, pour “doubler” Elvin. Au répertoire des première et seconde partie cumulées : Impressions, My Favorite Things, Spiritual, Joy puis Chim Chim Cheree, Blues Minor, Alabama et Transition. De quoi pousser la soirée ’round midnight avec une énergie et une joie de jouer partagée et démultipliée. Blanchet est un cas : dans la foultitude des saxophonistes coltraniens, il est celui qui s’investit follement, body and soul, dans une passion toute proche de l’osmose, il a d’ailleurs fini sa prestation au bord de l’inanition (quelques gorgées de bergerac l’ont remonté). Déconfin connaît parfaitement le répertoire coltranien : il n’a pas créé pour rien l’association “After the Crescent”, et son jeu marie subtilement rigueur et invention. Zenino a l’oreille plus qu’absolue : un cheveu dans le diapason le perturbe ; heureusement, il faut le savoir pour l’entendre, cette perturbation ! Jimmy Garrison, au paradis des musiciens, a peut-être entendu des références humoreusement glissées à ses propres chorus. Goubert c’est l’enfer : une auditrice (charmante et enthousiaste) l’avait surnommé “l’ange de la batterie”, elle a rectifié son appellation mais “le démon de la batterie” l’enthousiasma tout autant ; un solo avec un long passage sur les cymbales, en prélude à Alabama, restera longtemps dans les mémoires du public qui réclama naturellement un rappel. J’avais annoncé une surprise, y compris pour les musiciens. Je leur ai donc demandé, suite à ma pérégrination au sein de l’équipe de The Bridge dans la tournée libertaire de Twins (voir mes comptes rendus sur ce site), d’improviser totalement pendant que je lirai quelques extraits des écrits asilaires du poète Stan Rodanski, aux limites de l’abîme et du ciel, comme Coltrane, et en appelant comme lui au vocable Om et au Bardo-Thödol, le livre des morts tibétain. Le public n’y a vu que le feu, mais s’est rassuré grâce à un Every Time we Say Goodbye avec sa coda apaisante en guise de conclusion. FRS. Photos Joël Delayre.