Jazz à Luz (4)
Pour la dernière journée de son édition 2012, Luz proposait à ses festivaliers un concert « grand standing » avec le trio historique Evan Parker – Barry Guy – Paul Lytton. Une façon de clôturer en fanfare un cru qui aura très favorablement impressionné.
Comme les jours précédents, d’autres événements ont rythmé les déplacements des spectateurs dans les rues du village pyrénéen avant le concert du soir. S’il n’est pas nécessaire de proposer un compte-rendu de chacun d’eux, en voici quatre ayant marqué les esprits.
André Minvielle Solo
Lundi 9 juillet 2012, Jazz à Luz, Luz-Saint-Sauveur (09), Maison de la Vallée, 11h00
André Minvielle (vx, percussions électroniques, sachet plastique, sifflet)
Pas facile pour un artiste plutôt noctambule de se produire en fin de matinée. De ce fait, André Minvielle prend son temps, chuchote un texte, s’amuse avec une fréquence aigue refusant obstinément de disparaître, bidouille son tambourin électronique. Deux chansons lui viennent à l’esprit, le texte de l’une portant sur la créolisation, l’autre écrit sur une valse mélancolique à l’exécution vocale périlleuse mais parfaitement réalisée. C’est ensuite une rythmique africaine qui s’impose à lui, ce qui l’entraîne à imaginer des vocalises tout en blue notes ponctuées de quelques figures vocales rock’n’roll (ou peut-être de youyous nord-africains ?). Peu à peu, André Minvielle se réveille, oublie qu’il est tôt… Misterioso de Monk apparaît avant de s’évanouir dans un mélange de sons, de fragments chantés, d’éléments parlés entre mots et onomatopées. Progressivement le chanteur se grise de sa propre vocalchimie. Après Le nombril du nombre, c’est la Valse à cinq sens qu’il entonne. Et là, ça chauffe vraiment. Prenant un sachet plastique entre ses mains, il rythme sa prestation d’un bon vieux after beat swing et reprend dans un tempo très rapide la version mise en texte par Mimi Perrin d’Anthropology. Là, il est carrément enflammé l’ami Minvielle. C’est enfin le moment de lire Ler dla can pane, un long texte de Jean Dubuffet, écrit par le peintre en phonétique, comme le titre du texte le démontre bien. Enchanté, le public en redemande. Minvielle s’embarque dans l’histoire de La chanson de l’indicible, une composition de Marc Perrone qu’il s’apprête à interpréter : un quart d’heure de franche drôlerie, passant par la banlieue, son grand-père, la philosautrie, l’accordéon diatonique, et le chromatique aussi (« celui d’Aimable, le même qu’Yvette Horner mais en pire »), etc. Minvielle, ce n’est pas seulement une voix sans pareil, virtuose et profondément émouvante, c’est aussi la gaieté de communiquer, de procurer de l’énergie positive pour toute la journée. Mais il est déjà l’heure d’enchaîner avec le concert suivant.
Dure Mère
Lundi 9 juillet 2012, Jazz à Luz, Luz-Saint-Sauveur (09), Hôtel Le Londres
Maximilano D’Ambrosio (bandonéon, kb, charango), Jako (g, vx), Medhi Issad (dm)
La petite terrasse de l’hôtel a fait le plein, le concert étant en accès libre et le soleil de retour. Présenté comme le « coup de cœur » du festival par les organisateurs de Jazz à Luz, il s’agit d’un power trio avec bandonéon. La musique produite est de ce fait un étonnant mélange de saveurs argentines venues du tango et de rythmiques franchement rock voire hard-rock. Certains autres passages laissent aussi deviner l’influence des Pink Floyd. Malgré les chaudes recommandations de Yan Beigbeder, je dois avouer que j’ai été peu sensible aux charmes de Dure Mère. Sans doute parce que je trépignais déjà à l’idée d’entendre le trio Parker-Guy-Lytton. Il faudra donc y revenir.
Pourtant une interview du trio à 14h00 par Anne Montaron était propre à assouvir un moment mon impatience. Traduite en direct par notre confrère de Jazz Magazine Pascal Ségala, l’interview se révéla passionnante. Sans Barry Guy parti se reposer, Evan Parker et Paul Lytton évoquèrent la constitution de leur trio dans les années 1980, l’évolution de Barry Guy passant de la musique baroque à la musique improvisée dans les années 1970, les difficultés de Paul Lytton liées à son instrumentarium démentiel mais intransportable. D’un point de vue historique, cet entretien aurait d’ailleurs mérité d’être enregistré puisque les deux protagonistes livrèrent des informations de première main, indiquant par exemple le rôle fondamental, essentiel même, de Barre Phillips dans la direction prise par un certain nombre de musiciens anglais vers une improvisation au départ issue du jazz mais s’ouvrant toujours davantage à la musique contemporaine. Evan Parker insista aussi sur la rapidité avec laquelle cette évolution eut lieu, entre le milieu des années 1960 et le début de la décennie suivante. Il revint également sur le rôle important joué par Butch Morris et son London Skyscraper qui, d’une certaine façon, consistua une esquisse du futur London Jazz Composers Orchestra (entre autres noms pour son grand ensemble) dirigé par Barry Guy. Le tout dans une ambiance très détendue sur la terrasse du café d’une place du village, façon sûrement de retrouver un esprit entretenu dans les années 1970 et qui tend à disparaître.
La conférence ayant duré plus longtemps que prévu, il ne fut pas possible d’assister à toutes les autres manifestations.
Evan Parker, Barry Guy & Paul Lytton
Lundi 9 juillet 2012, Jazz à Luz, Luz-Saint-Sauveur (09), Chapiteau, 21h00
Evan Parker (ts), Barry Guy (cb), Paul Lytton (dm)
Enfin le moment tant attendu. Applaudissements, accordages des musiciens, concentration… et c’est parti ! Alors que je m’attendais un long set sans interruption, ce furent en fait six pièces qui alternant entre pièces en trio et solos qui furent produites. La première, assez longue, débuta par une tempête du duo contrebasse/batterie, bientôt rejoint par Evan Parker dans un registre contenu, non forcé, avant que le saxophoniste ne passe à un jeu en détachés. Les précipités de ces trois « historiques » s’apparentèrent à de l’expressionnisme abstrait. Le solo de Parker qui succéda, d’une seule traite en respiration continue, fut absolument sublime. Boosté par cette prestation de haut vol, le niveau expressif de l’ensemble monta d’un cran, et l’improvisation en trio qui suivit se révéla d’une meilleure tenue encore que la première. La pièce progressa par touches successives, puis en sautes d’humeur plus franchement marquées, rebondissant de proposition en proposition. D’évidence, il est vite apparu que Barry Guy était le musicien le plus imaginatif, Evan Parker et Paul Lytton suivant le plus souvent ce que le contrebassiste présentait. Volontairement empêtré dans des baguettes de métal coincées dans ses cordes, le solo que Guy réalisa ensuite releva de la lutte épique entre la matière sonore désirée et les objets conviés. Une aiguille au-dessu
s de sa tête, une autre s’échappant sans cesse de son instrument, Guy fit vibrer ses cordes, esquivant les amples vibrations de ses aiguilles, transfigurant ce combat en un moment musical intense. Après cela, retour au trio pour de perpétuelles variations de timbre athématiques, où les crissements, les craquements, les multiphoniques dominèrent cette pièce en crescendo. Pour son solo, Paul Lytton inonda littéralement sa batterie de tout un tas d’objets étranges. Débutant en alternés à la caisse claire (démontrant au passage qu’il possède une technique « classique » impeccable), il élabora une forme musicale basée sur le cadencement d’éléments issus du jeu traditionnel de la batterie (mais une batterie avec deux charlestons, et sans le recours de la grosse caisse) avec des moments tout à fait déconstruits. Barry Guy le rejoint enfin sur la pointe des pieds, avant le final en trio.
A contrario d’une majorité de groupes présentés cette année à Luz, à l’évidence ce trio est celui dont le background jazz fut le plus prégnant (talonné de près par le Whahay Trio bien sûr), des effluves d’Ornette Coleman, du dernier John Coltrane ou d’Albert Ayler passant ici ou là. D’autre part, la description qui précède laisse deviner que le concert aurait pu se résumer à une quinzaine de climats différents répartis en cinq ou six scénarios narratifs. Mais, comme bien d’autres musiques, ce n’est pas le fait d’user de ces quelques squelettes qui importent, mais bien la façon dont les musiciens leur donnent chair. Or ce soir-là, le galbe musical du trio fut pour le moins généreux. Ce dernier soir à Luz confirma que les années n’ont pas atteint l’invention, la capacité de réaction et la joie de jouer ensemble de ces sexagénaires fringants.
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Pour la dernière journée de son édition 2012, Luz proposait à ses festivaliers un concert « grand standing » avec le trio historique Evan Parker – Barry Guy – Paul Lytton. Une façon de clôturer en fanfare un cru qui aura très favorablement impressionné.
Comme les jours précédents, d’autres événements ont rythmé les déplacements des spectateurs dans les rues du village pyrénéen avant le concert du soir. S’il n’est pas nécessaire de proposer un compte-rendu de chacun d’eux, en voici quatre ayant marqué les esprits.
André Minvielle Solo
Lundi 9 juillet 2012, Jazz à Luz, Luz-Saint-Sauveur (09), Maison de la Vallée, 11h00
André Minvielle (vx, percussions électroniques, sachet plastique, sifflet)
Pas facile pour un artiste plutôt noctambule de se produire en fin de matinée. De ce fait, André Minvielle prend son temps, chuchote un texte, s’amuse avec une fréquence aigue refusant obstinément de disparaître, bidouille son tambourin électronique. Deux chansons lui viennent à l’esprit, le texte de l’une portant sur la créolisation, l’autre écrit sur une valse mélancolique à l’exécution vocale périlleuse mais parfaitement réalisée. C’est ensuite une rythmique africaine qui s’impose à lui, ce qui l’entraîne à imaginer des vocalises tout en blue notes ponctuées de quelques figures vocales rock’n’roll (ou peut-être de youyous nord-africains ?). Peu à peu, André Minvielle se réveille, oublie qu’il est tôt… Misterioso de Monk apparaît avant de s’évanouir dans un mélange de sons, de fragments chantés, d’éléments parlés entre mots et onomatopées. Progressivement le chanteur se grise de sa propre vocalchimie. Après Le nombril du nombre, c’est la Valse à cinq sens qu’il entonne. Et là, ça chauffe vraiment. Prenant un sachet plastique entre ses mains, il rythme sa prestation d’un bon vieux after beat swing et reprend dans un tempo très rapide la version mise en texte par Mimi Perrin d’Anthropology. Là, il est carrément enflammé l’ami Minvielle. C’est enfin le moment de lire Ler dla can pane, un long texte de Jean Dubuffet, écrit par le peintre en phonétique, comme le titre du texte le démontre bien. Enchanté, le public en redemande. Minvielle s’embarque dans l’histoire de La chanson de l’indicible, une composition de Marc Perrone qu’il s’apprête à interpréter : un quart d’heure de franche drôlerie, passant par la banlieue, son grand-père, la philosautrie, l’accordéon diatonique, et le chromatique aussi (« celui d’Aimable, le même qu’Yvette Horner mais en pire »), etc. Minvielle, ce n’est pas seulement une voix sans pareil, virtuose et profondément émouvante, c’est aussi la gaieté de communiquer, de procurer de l’énergie positive pour toute la journée. Mais il est déjà l’heure d’enchaîner avec le concert suivant.
Dure Mère
Lundi 9 juillet 2012, Jazz à Luz, Luz-Saint-Sauveur (09), Hôtel Le Londres
Maximilano D’Ambrosio (bandonéon, kb, charango), Jako (g, vx), Medhi Issad (dm)
La petite terrasse de l’hôtel a fait le plein, le concert étant en accès libre et le soleil de retour. Présenté comme le « coup de cœur » du festival par les organisateurs de Jazz à Luz, il s’agit d’un power trio avec bandonéon. La musique produite est de ce fait un étonnant mélange de saveurs argentines venues du tango et de rythmiques franchement rock voire hard-rock. Certains autres passages laissent aussi deviner l’influence des Pink Floyd. Malgré les chaudes recommandations de Yan Beigbeder, je dois avouer que j’ai été peu sensible aux charmes de Dure Mère. Sans doute parce que je trépignais déjà à l’idée d’entendre le trio Parker-Guy-Lytton. Il faudra donc y revenir.
Pourtant une interview du trio à 14h00 par Anne Montaron était propre à assouvir un moment mon impatience. Traduite en direct par notre confrère de Jazz Magazine Pascal Ségala, l’interview se révéla passionnante. Sans Barry Guy parti se reposer, Evan Parker et Paul Lytton évoquèrent la constitution de leur trio dans les années 1980, l’évolution de Barry Guy passant de la musique baroque à la musique improvisée dans les années 1970, les difficultés de Paul Lytton liées à son instrumentarium démentiel mais intransportable. D’un point de vue historique, cet entretien aurait d’ailleurs mérité d’être enregistré puisque les deux protagonistes livrèrent des informations de première main, indiquant par exemple le rôle fondamental, essentiel même, de Barre Phillips dans la direction prise par un certain nombre de musiciens anglais vers une improvisation au départ issue du jazz mais s’ouvrant toujours davantage à la musique contemporaine. Evan Parker insista aussi sur la rapidité avec laquelle cette évolution eut lieu, entre le milieu des années 1960 et le début de la décennie suivante. Il revint également sur le rôle important joué par Butch Morris et son London Skyscraper qui, d’une certaine façon, consistua une esquisse du futur London Jazz Composers Orchestra (entre autres noms pour son grand ensemble) dirigé par Barry Guy. Le tout dans une ambiance très détendue sur la terrasse du café d’une place du village, façon sûrement de retrouver un esprit entretenu dans les années 1970 et qui tend à disparaître.
La conférence ayant duré plus longtemps que prévu, il ne fut pas possible d’assister à toutes les autres manifestations.
Evan Parker, Barry Guy & Paul Lytton
Lundi 9 juillet 2012, Jazz à Luz, Luz-Saint-Sauveur (09), Chapiteau, 21h00
Evan Parker (ts), Barry Guy (cb), Paul Lytton (dm)
Enfin le moment tant attendu. Applaudissements, accordages des musiciens, concentration… et c’est parti ! Alors que je m’attendais un long set sans interruption, ce furent en fait six pièces qui alternant entre pièces en trio et solos qui furent produites. La première, assez longue, débuta par une tempête du duo contrebasse/batterie, bientôt rejoint par Evan Parker dans un registre contenu, non forcé, avant que le saxophoniste ne passe à un jeu en détachés. Les précipités de ces trois « historiques » s’apparentèrent à de l’expressionnisme abstrait. Le solo de Parker qui succéda, d’une seule traite en respiration continue, fut absolument sublime. Boosté par cette prestation de haut vol, le niveau expressif de l’ensemble monta d’un cran, et l’improvisation en trio qui suivit se révéla d’une meilleure tenue encore que la première. La pièce progressa par touches successives, puis en sautes d’humeur plus franchement marquées, rebondissant de proposition en proposition. D’évidence, il est vite apparu que Barry Guy était le musicien le plus imaginatif, Evan Parker et Paul Lytton suivant le plus souvent ce que le contrebassiste présentait. Volontairement empêtré dans des baguettes de métal coincées dans ses cordes, le solo que Guy réalisa ensuite releva de la lutte épique entre la matière sonore désirée et les objets conviés. Une aiguille au-dessu
s de sa tête, une autre s’échappant sans cesse de son instrument, Guy fit vibrer ses cordes, esquivant les amples vibrations de ses aiguilles, transfigurant ce combat en un moment musical intense. Après cela, retour au trio pour de perpétuelles variations de timbre athématiques, où les crissements, les craquements, les multiphoniques dominèrent cette pièce en crescendo. Pour son solo, Paul Lytton inonda littéralement sa batterie de tout un tas d’objets étranges. Débutant en alternés à la caisse claire (démontrant au passage qu’il possède une technique « classique » impeccable), il élabora une forme musicale basée sur le cadencement d’éléments issus du jeu traditionnel de la batterie (mais une batterie avec deux charlestons, et sans le recours de la grosse caisse) avec des moments tout à fait déconstruits. Barry Guy le rejoint enfin sur la pointe des pieds, avant le final en trio.
A contrario d’une majorité de groupes présentés cette année à Luz, à l’évidence ce trio est celui dont le background jazz fut le plus prégnant (talonné de près par le Whahay Trio bien sûr), des effluves d’Ornette Coleman, du dernier John Coltrane ou d’Albert Ayler passant ici ou là. D’autre part, la description qui précède laisse deviner que le concert aurait pu se résumer à une quinzaine de climats différents répartis en cinq ou six scénarios narratifs. Mais, comme bien d’autres musiques, ce n’est pas le fait d’user de ces quelques squelettes qui importent, mais bien la façon dont les musiciens leur donnent chair. Or ce soir-là, le galbe musical du trio fut pour le moins généreux. Ce dernier soir à Luz confirma que les années n’ont pas atteint l’invention, la capacité de réaction et la joie de jouer ensemble de ces sexagénaires fringants.
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Pour la dernière journée de son édition 2012, Luz proposait à ses festivaliers un concert « grand standing » avec le trio historique Evan Parker – Barry Guy – Paul Lytton. Une façon de clôturer en fanfare un cru qui aura très favorablement impressionné.
Comme les jours précédents, d’autres événements ont rythmé les déplacements des spectateurs dans les rues du village pyrénéen avant le concert du soir. S’il n’est pas nécessaire de proposer un compte-rendu de chacun d’eux, en voici quatre ayant marqué les esprits.
André Minvielle Solo
Lundi 9 juillet 2012, Jazz à Luz, Luz-Saint-Sauveur (09), Maison de la Vallée, 11h00
André Minvielle (vx, percussions électroniques, sachet plastique, sifflet)
Pas facile pour un artiste plutôt noctambule de se produire en fin de matinée. De ce fait, André Minvielle prend son temps, chuchote un texte, s’amuse avec une fréquence aigue refusant obstinément de disparaître, bidouille son tambourin électronique. Deux chansons lui viennent à l’esprit, le texte de l’une portant sur la créolisation, l’autre écrit sur une valse mélancolique à l’exécution vocale périlleuse mais parfaitement réalisée. C’est ensuite une rythmique africaine qui s’impose à lui, ce qui l’entraîne à imaginer des vocalises tout en blue notes ponctuées de quelques figures vocales rock’n’roll (ou peut-être de youyous nord-africains ?). Peu à peu, André Minvielle se réveille, oublie qu’il est tôt… Misterioso de Monk apparaît avant de s’évanouir dans un mélange de sons, de fragments chantés, d’éléments parlés entre mots et onomatopées. Progressivement le chanteur se grise de sa propre vocalchimie. Après Le nombril du nombre, c’est la Valse à cinq sens qu’il entonne. Et là, ça chauffe vraiment. Prenant un sachet plastique entre ses mains, il rythme sa prestation d’un bon vieux after beat swing et reprend dans un tempo très rapide la version mise en texte par Mimi Perrin d’Anthropology. Là, il est carrément enflammé l’ami Minvielle. C’est enfin le moment de lire Ler dla can pane, un long texte de Jean Dubuffet, écrit par le peintre en phonétique, comme le titre du texte le démontre bien. Enchanté, le public en redemande. Minvielle s’embarque dans l’histoire de La chanson de l’indicible, une composition de Marc Perrone qu’il s’apprête à interpréter : un quart d’heure de franche drôlerie, passant par la banlieue, son grand-père, la philosautrie, l’accordéon diatonique, et le chromatique aussi (« celui d’Aimable, le même qu’Yvette Horner mais en pire »), etc. Minvielle, ce n’est pas seulement une voix sans pareil, virtuose et profondément émouvante, c’est aussi la gaieté de communiquer, de procurer de l’énergie positive pour toute la journée. Mais il est déjà l’heure d’enchaîner avec le concert suivant.
Dure Mère
Lundi 9 juillet 2012, Jazz à Luz, Luz-Saint-Sauveur (09), Hôtel Le Londres
Maximilano D’Ambrosio (bandonéon, kb, charango), Jako (g, vx), Medhi Issad (dm)
La petite terrasse de l’hôtel a fait le plein, le concert étant en accès libre et le soleil de retour. Présenté comme le « coup de cœur » du festival par les organisateurs de Jazz à Luz, il s’agit d’un power trio avec bandonéon. La musique produite est de ce fait un étonnant mélange de saveurs argentines venues du tango et de rythmiques franchement rock voire hard-rock. Certains autres passages laissent aussi deviner l’influence des Pink Floyd. Malgré les chaudes recommandations de Yan Beigbeder, je dois avouer que j’ai été peu sensible aux charmes de Dure Mère. Sans doute parce que je trépignais déjà à l’idée d’entendre le trio Parker-Guy-Lytton. Il faudra donc y revenir.
Pourtant une interview du trio à 14h00 par Anne Montaron était propre à assouvir un moment mon impatience. Traduite en direct par notre confrère de Jazz Magazine Pascal Ségala, l’interview se révéla passionnante. Sans Barry Guy parti se reposer, Evan Parker et Paul Lytton évoquèrent la constitution de leur trio dans les années 1980, l’évolution de Barry Guy passant de la musique baroque à la musique improvisée dans les années 1970, les difficultés de Paul Lytton liées à son instrumentarium démentiel mais intransportable. D’un point de vue historique, cet entretien aurait d’ailleurs mérité d’être enregistré puisque les deux protagonistes livrèrent des informations de première main, indiquant par exemple le rôle fondamental, essentiel même, de Barre Phillips dans la direction prise par un certain nombre de musiciens anglais vers une improvisation au départ issue du jazz mais s’ouvrant toujours davantage à la musique contemporaine. Evan Parker insista aussi sur la rapidité avec laquelle cette évolution eut lieu, entre le milieu des années 1960 et le début de la décennie suivante. Il revint également sur le rôle important joué par Butch Morris et son London Skyscraper qui, d’une certaine façon, consistua une esquisse du futur London Jazz Composers Orchestra (entre autres noms pour son grand ensemble) dirigé par Barry Guy. Le tout dans une ambiance très détendue sur la terrasse du café d’une place du village, façon sûrement de retrouver un esprit entretenu dans les années 1970 et qui tend à disparaître.
La conférence ayant duré plus longtemps que prévu, il ne fut pas possible d’assister à toutes les autres manifestations.
Evan Parker, Barry Guy & Paul Lytton
Lundi 9 juillet 2012, Jazz à Luz, Luz-Saint-Sauveur (09), Chapiteau, 21h00
Evan Parker (ts), Barry Guy (cb), Paul Lytton (dm)
Enfin le moment tant attendu. Applaudissements, accordages des musiciens, concentration… et c’est parti ! Alors que je m’attendais un long set sans interruption, ce furent en fait six pièces qui alternant entre pièces en trio et solos qui furent produites. La première, assez longue, débuta par une tempête du duo contrebasse/batterie, bientôt rejoint par Evan Parker dans un registre contenu, non forcé, avant que le saxophoniste ne passe à un jeu en détachés. Les précipités de ces trois « historiques » s’apparentèrent à de l’expressionnisme abstrait. Le solo de Parker qui succéda, d’une seule traite en respiration continue, fut absolument sublime. Boosté par cette prestation de haut vol, le niveau expressif de l’ensemble monta d’un cran, et l’improvisation en trio qui suivit se révéla d’une meilleure tenue encore que la première. La pièce progressa par touches successives, puis en sautes d’humeur plus franchement marquées, rebondissant de proposition en proposition. D’évidence, il est vite apparu que Barry Guy était le musicien le plus imaginatif, Evan Parker et Paul Lytton suivant le plus souvent ce que le contrebassiste présentait. Volontairement empêtré dans des baguettes de métal coincées dans ses cordes, le solo que Guy réalisa ensuite releva de la lutte épique entre la matière sonore désirée et les objets conviés. Une aiguille au-dessu
s de sa tête, une autre s’échappant sans cesse de son instrument, Guy fit vibrer ses cordes, esquivant les amples vibrations de ses aiguilles, transfigurant ce combat en un moment musical intense. Après cela, retour au trio pour de perpétuelles variations de timbre athématiques, où les crissements, les craquements, les multiphoniques dominèrent cette pièce en crescendo. Pour son solo, Paul Lytton inonda littéralement sa batterie de tout un tas d’objets étranges. Débutant en alternés à la caisse claire (démontrant au passage qu’il possède une technique « classique » impeccable), il élabora une forme musicale basée sur le cadencement d’éléments issus du jeu traditionnel de la batterie (mais une batterie avec deux charlestons, et sans le recours de la grosse caisse) avec des moments tout à fait déconstruits. Barry Guy le rejoint enfin sur la pointe des pieds, avant le final en trio.
A contrario d’une majorité de groupes présentés cette année à Luz, à l’évidence ce trio est celui dont le background jazz fut le plus prégnant (talonné de près par le Whahay Trio bien sûr), des effluves d’Ornette Coleman, du dernier John Coltrane ou d’Albert Ayler passant ici ou là. D’autre part, la description qui précède laisse deviner que le concert aurait pu se résumer à une quinzaine de climats différents répartis en cinq ou six scénarios narratifs. Mais, comme bien d’autres musiques, ce n’est pas le fait d’user de ces quelques squelettes qui importent, mais bien la façon dont les musiciens leur donnent chair. Or ce soir-là, le galbe musical du trio fut pour le moins généreux. Ce dernier soir à Luz confirma que les années n’ont pas atteint l’invention, la capacité de réaction et la joie de jouer ensemble de ces sexagénaires fringants.
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Pour la dernière journée de son édition 2012, Luz proposait à ses festivaliers un concert « grand standing » avec le trio historique Evan Parker – Barry Guy – Paul Lytton. Une façon de clôturer en fanfare un cru qui aura très favorablement impressionné.
Comme les jours précédents, d’autres événements ont rythmé les déplacements des spectateurs dans les rues du village pyrénéen avant le concert du soir. S’il n’est pas nécessaire de proposer un compte-rendu de chacun d’eux, en voici quatre ayant marqué les esprits.
André Minvielle Solo
Lundi 9 juillet 2012, Jazz à Luz, Luz-Saint-Sauveur (09), Maison de la Vallée, 11h00
André Minvielle (vx, percussions électroniques, sachet plastique, sifflet)
Pas facile pour un artiste plutôt noctambule de se produire en fin de matinée. De ce fait, André Minvielle prend son temps, chuchote un texte, s’amuse avec une fréquence aigue refusant obstinément de disparaître, bidouille son tambourin électronique. Deux chansons lui viennent à l’esprit, le texte de l’une portant sur la créolisation, l’autre écrit sur une valse mélancolique à l’exécution vocale périlleuse mais parfaitement réalisée. C’est ensuite une rythmique africaine qui s’impose à lui, ce qui l’entraîne à imaginer des vocalises tout en blue notes ponctuées de quelques figures vocales rock’n’roll (ou peut-être de youyous nord-africains ?). Peu à peu, André Minvielle se réveille, oublie qu’il est tôt… Misterioso de Monk apparaît avant de s’évanouir dans un mélange de sons, de fragments chantés, d’éléments parlés entre mots et onomatopées. Progressivement le chanteur se grise de sa propre vocalchimie. Après Le nombril du nombre, c’est la Valse à cinq sens qu’il entonne. Et là, ça chauffe vraiment. Prenant un sachet plastique entre ses mains, il rythme sa prestation d’un bon vieux after beat swing et reprend dans un tempo très rapide la version mise en texte par Mimi Perrin d’Anthropology. Là, il est carrément enflammé l’ami Minvielle. C’est enfin le moment de lire Ler dla can pane, un long texte de Jean Dubuffet, écrit par le peintre en phonétique, comme le titre du texte le démontre bien. Enchanté, le public en redemande. Minvielle s’embarque dans l’histoire de La chanson de l’indicible, une composition de Marc Perrone qu’il s’apprête à interpréter : un quart d’heure de franche drôlerie, passant par la banlieue, son grand-père, la philosautrie, l’accordéon diatonique, et le chromatique aussi (« celui d’Aimable, le même qu’Yvette Horner mais en pire »), etc. Minvielle, ce n’est pas seulement une voix sans pareil, virtuose et profondément émouvante, c’est aussi la gaieté de communiquer, de procurer de l’énergie positive pour toute la journée. Mais il est déjà l’heure d’enchaîner avec le concert suivant.
Dure Mère
Lundi 9 juillet 2012, Jazz à Luz, Luz-Saint-Sauveur (09), Hôtel Le Londres
Maximilano D’Ambrosio (bandonéon, kb, charango), Jako (g, vx), Medhi Issad (dm)
La petite terrasse de l’hôtel a fait le plein, le concert étant en accès libre et le soleil de retour. Présenté comme le « coup de cœur » du festival par les organisateurs de Jazz à Luz, il s’agit d’un power trio avec bandonéon. La musique produite est de ce fait un étonnant mélange de saveurs argentines venues du tango et de rythmiques franchement rock voire hard-rock. Certains autres passages laissent aussi deviner l’influence des Pink Floyd. Malgré les chaudes recommandations de Yan Beigbeder, je dois avouer que j’ai été peu sensible aux charmes de Dure Mère. Sans doute parce que je trépignais déjà à l’idée d’entendre le trio Parker-Guy-Lytton. Il faudra donc y revenir.
Pourtant une interview du trio à 14h00 par Anne Montaron était propre à assouvir un moment mon impatience. Traduite en direct par notre confrère de Jazz Magazine Pascal Ségala, l’interview se révéla passionnante. Sans Barry Guy parti se reposer, Evan Parker et Paul Lytton évoquèrent la constitution de leur trio dans les années 1980, l’évolution de Barry Guy passant de la musique baroque à la musique improvisée dans les années 1970, les difficultés de Paul Lytton liées à son instrumentarium démentiel mais intransportable. D’un point de vue historique, cet entretien aurait d’ailleurs mérité d’être enregistré puisque les deux protagonistes livrèrent des informations de première main, indiquant par exemple le rôle fondamental, essentiel même, de Barre Phillips dans la direction prise par un certain nombre de musiciens anglais vers une improvisation au départ issue du jazz mais s’ouvrant toujours davantage à la musique contemporaine. Evan Parker insista aussi sur la rapidité avec laquelle cette évolution eut lieu, entre le milieu des années 1960 et le début de la décennie suivante. Il revint également sur le rôle important joué par Butch Morris et son London Skyscraper qui, d’une certaine façon, consistua une esquisse du futur London Jazz Composers Orchestra (entre autres noms pour son grand ensemble) dirigé par Barry Guy. Le tout dans une ambiance très détendue sur la terrasse du café d’une place du village, façon sûrement de retrouver un esprit entretenu dans les années 1970 et qui tend à disparaître.
La conférence ayant duré plus longtemps que prévu, il ne fut pas possible d’assister à toutes les autres manifestations.
Evan Parker, Barry Guy & Paul Lytton
Lundi 9 juillet 2012, Jazz à Luz, Luz-Saint-Sauveur (09), Chapiteau, 21h00
Evan Parker (ts), Barry Guy (cb), Paul Lytton (dm)
Enfin le moment tant attendu. Applaudissements, accordages des musiciens, concentration… et c’est parti ! Alors que je m’attendais un long set sans interruption, ce furent en fait six pièces qui alternant entre pièces en trio et solos qui furent produites. La première, assez longue, débuta par une tempête du duo contrebasse/batterie, bientôt rejoint par Evan Parker dans un registre contenu, non forcé, avant que le saxophoniste ne passe à un jeu en détachés. Les précipités de ces trois « historiques » s’apparentèrent à de l’expressionnisme abstrait. Le solo de Parker qui succéda, d’une seule traite en respiration continue, fut absolument sublime. Boosté par cette prestation de haut vol, le niveau expressif de l’ensemble monta d’un cran, et l’improvisation en trio qui suivit se révéla d’une meilleure tenue encore que la première. La pièce progressa par touches successives, puis en sautes d’humeur plus franchement marquées, rebondissant de proposition en proposition. D’évidence, il est vite apparu que Barry Guy était le musicien le plus imaginatif, Evan Parker et Paul Lytton suivant le plus souvent ce que le contrebassiste présentait. Volontairement empêtré dans des baguettes de métal coincées dans ses cordes, le solo que Guy réalisa ensuite releva de la lutte épique entre la matière sonore désirée et les objets conviés. Une aiguille au-dessu
s de sa tête, une autre s’échappant sans cesse de son instrument, Guy fit vibrer ses cordes, esquivant les amples vibrations de ses aiguilles, transfigurant ce combat en un moment musical intense. Après cela, retour au trio pour de perpétuelles variations de timbre athématiques, où les crissements, les craquements, les multiphoniques dominèrent cette pièce en crescendo. Pour son solo, Paul Lytton inonda littéralement sa batterie de tout un tas d’objets étranges. Débutant en alternés à la caisse claire (démontrant au passage qu’il possède une technique « classique » impeccable), il élabora une forme musicale basée sur le cadencement d’éléments issus du jeu traditionnel de la batterie (mais une batterie avec deux charlestons, et sans le recours de la grosse caisse) avec des moments tout à fait déconstruits. Barry Guy le rejoint enfin sur la pointe des pieds, avant le final en trio.
A contrario d’une majorité de groupes présentés cette année à Luz, à l’évidence ce trio est celui dont le background jazz fut le plus prégnant (talonné de près par le Whahay Trio bien sûr), des effluves d’Ornette Coleman, du dernier John Coltrane ou d’Albert Ayler passant ici ou là. D’autre part, la description qui précède laisse deviner que le concert aurait pu se résumer à une quinzaine de climats différents répartis en cinq ou six scénarios narratifs. Mais, comme bien d’autres musiques, ce n’est pas le fait d’user de ces quelques squelettes qui importent, mais bien la façon dont les musiciens leur donnent chair. Or ce soir-là, le galbe musical du trio fut pour le moins généreux. Ce dernier soir à Luz confirma que les années n’ont pas atteint l’invention, la capacité de réaction et la joie de jouer ensemble de ces sexagénaires fringants.