De Django Reinhardt à Marc Ducret en passant par Journal intime
Hier soir, une inauguration et une première: à la Cité de la musique s’ouvrait l’exposition Django Reinhardt, Swing de Paris et, à vingt bonnes minutes de marche à pied, Journal Intime créait son nouveau programme Extension des feux avec Marc Ducret en invité. Et les coings sont à point.
Une nuit presque chaude. Je suis rentré de la gare en sifflant, bien maladroitement, le verse et le chorus de Stardust, merveille de standard dont j’aime accompagner ma marche. À coin de mon immeuble, le coignassier (qui, c’est bien connu, est ainsi nommé parce qu’il pousse dans les coins) embaumait l’air qui commençait juste à fraîchir. Une cueillette s’impose ce week-end. Alors que j’ouvre mon ordinateur, à part un intense bonheur de son, de rythme, d’intelligence musicale, que me reste-t-il du concert de Journal Intime qui créait à la Dynamo son nouveau programme Extension des feux avec Marc Ducret ? Je n’allais tout de même pas porter mon pas en me chantant les airs de ce répertoire.
Il faut dire que d’autres airs, d’un autre temps, les avaient précédés dans ma soirée qui avait commencé avec l’inauguration de l’exposition Django Reinhardt, Swing de Paris.
Comme pour Miles Davis voici deux ans, son commissaire Vincent Bessières a mis les bouchées doubles, mettant à profit toutes les sources disponibles, des plus improbables et aux réputés inaccessibles. Et Django Reinhardt s’y révèle sous une multitude de facettes à travers de brèves séquences filmées d’une grande rareté, une diffusion sonore multiple, des instruments (dont la fameuse guitare à double pan coupée de la Boîte à Matelots, fabriquée pour Baro Ferret), une iconographie exceptionnelle faite d’affiches et de photos rares et oubliées, telle celle apparaissant dans une petite coupure de presse, qu’il faut savoir repérer dans le méli-mélo de boîtes en bois comparables à celles des bouquinistes, dont la légende précise – je cite de mémoire –, « Django Reinhardt est un homme simple et peu disert, mais il sait observer et sourire des scènes quotidiennes, comme ici de l’apparition d’une poule, rue de la Barre. » Chris Marker n’aurait pas fait mieux.
Je serais bien resté des heures dans cet espace traversé par le vent de l’histoire (les Manouches, le musette, la chanson française, l’arrivée du jazz hot, du swing, du bop, l’Occupation, l’extermination des tziganes, les zazous, la Libération (merveilleuse scène filmée au Bal Tabarin – j’espère ne pas confondre les lieux – où l’on voit la foule de l’époque danser devant un big band américain dont le soliste vedette est Django… où apparaît soudain, rayonnante à une table, Marlène Dietrich)… mais la première d’Extension des feux était d’un attrait trop puissant.
La Dynamo, Pantin (93), le 7 octobre.
Journal Intime crée “Extension des feux”: Sylvain Bardiau (trompette), Matthias Mahler (trombone), Frédéric Gastard (sax basse), Marc Ducret (guitare).
Journal Intime donc, sur un programme de la plume de Fred Gastard, dont il me reste le souvenir d’une palette de nuances, de couleurs, de matières, une puissance polyphonique rare, dans l’énergie comme dans la douceur, entre musique de chambre et grooves. Les trois de Journal intime ont assimilé le vocabulaire instrumental étendu que défrichèrent les chefs de file de la free music des années 70, tel Paul Rutherford auquel Matthias Mahler fait maintes fois penser, mais ils ajoutent à ces pratiques une sens du parcours, de la construction, de la cosmogonie qui faisait autrefois défaut et faisait souvent tourner en rond leurs illustres prédécesseurs, sauf lorsqu’un Barry Guy prenait les choses en main. Qu’ils semblent se chercher ou qu’ils se rassemblent autour d’un groove de baryton, c’est toujours dans un état d’écoute, de réaction, de complémentarité d’où provient cette puissance polyphonique, avec une spontanéité et une diversité de geste qui tiennent de l’improvisation et une cohésion du son qui relève de l’écriture, dans un équilibre rappelant cet art de la “collective” néo-orléanaise qui atteignit son état de grâce voici quelques 90 ans. Les grooves de baryton, habituel écueil de la formule “vents sans rythmique”, sont ici maillés dans un tissu orchestral tel que l’on en oublie le système sans en perdre la motricité.
À leurs vents, les musiciens de Journal Intime ont voulu ajouter “un instrument harmonique”, formule dont s’amuse Marc Ducret à la sortie du concert, tant sa contribution harmonique s’estompe dans le piquetage de sa guitare, dans l’étalement mélodique de ses lignes ou dans le nappage d’épaisses masse sonores. Il retrouve ici un contexte orchestral qu’il affectionne, le brass band, et le format orchestral n’est pas sans évoquer son œuvre Tapage pour trompette, trombone, petite basse, tuba, guitare et batterie qu’il donna en 2004 à Monaco.
Rappel chaleureux. Les musiciens donnent un dernier morceau qui sera le lieu d’un formidable pas de deux entre Fred Gastard et Marc Ducret. Je me souviens d’avoir flashé sur Fred Gastard dès ses premières apparitions au sein du Sacre du Tympan et à la tête des Dentelles à Mamie au cours de ces dix dernières années. Le voir ainsi donner la réplique à Marc Ducret me laisse passablement ému, même si ce n’est pas là leur première collaboration. Ce qui n’est rien dire de la prodigieuse et très musicale (musikalisch diraient plus explicitement les Allemands) virtuosité de ses deux compères.
Le Trio renouvellera plus tard l’expérience avec Vincent Peirani avant que les deux invités ne se retrouvent en studio. Auparavant, “Extension des feux” prend la route : il sera ce soir 6 octobre à Vitrolles (Charlie Free) et le 11 à Perpignan (festival Jazzèbre). Après quoi, Journal intime reprendra son répertoire habituel autour de Jimi Hendrix sans Marc Ducret, le 26 à Hyères (Jazz à Porquerolles), le 27 au Tourcoing Jazz Festival), le 28 à Paris (Atelier du Plateau pour un “Journal intime rencontre le cirque »), le 22 novembre à Strasbourg (Jazzdor), le 2 décembre à Courdimanche (Jazz au fil de l’Oise), etc. Mais du 9 au 21 novembre, Gastard et Mahler tourneront avec les douze musiciens du Tower-Bridge de Ducret… On vous dit tout dans notre numéro de novembre en préparation.
« J’énumère, j’énumère, écrivait Colette le 30 mars 1903 au retour d’un programme Richard Strauss au Nouveau-Théâtre, dans l’espoir de remplir ma demie-colonne sans parler de Richard Strauss qui m’embarrasse et que je n’aime pas. » Et bien moi aussi j’énumère pour remplir ma demie-colonne, mais j’adore Journal intime.
Franck Bergerot
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Hier soir, une inauguration et une première: à la Cité de la musique s’ouvrait l’exposition Django Reinhardt, Swing de Paris et, à vingt bonnes minutes de marche à pied, Journal Intime créait son nouveau programme Extension des feux avec Marc Ducret en invité. Et les coings sont à point.
Une nuit presque chaude. Je suis rentré de la gare en sifflant, bien maladroitement, le verse et le chorus de Stardust, merveille de standard dont j’aime accompagner ma marche. À coin de mon immeuble, le coignassier (qui, c’est bien connu, est ainsi nommé parce qu’il pousse dans les coins) embaumait l’air qui commençait juste à fraîchir. Une cueillette s’impose ce week-end. Alors que j’ouvre mon ordinateur, à part un intense bonheur de son, de rythme, d’intelligence musicale, que me reste-t-il du concert de Journal Intime qui créait à la Dynamo son nouveau programme Extension des feux avec Marc Ducret ? Je n’allais tout de même pas porter mon pas en me chantant les airs de ce répertoire.
Il faut dire que d’autres airs, d’un autre temps, les avaient précédés dans ma soirée qui avait commencé avec l’inauguration de l’exposition Django Reinhardt, Swing de Paris.
Comme pour Miles Davis voici deux ans, son commissaire Vincent Bessières a mis les bouchées doubles, mettant à profit toutes les sources disponibles, des plus improbables et aux réputés inaccessibles. Et Django Reinhardt s’y révèle sous une multitude de facettes à travers de brèves séquences filmées d’une grande rareté, une diffusion sonore multiple, des instruments (dont la fameuse guitare à double pan coupée de la Boîte à Matelots, fabriquée pour Baro Ferret), une iconographie exceptionnelle faite d’affiches et de photos rares et oubliées, telle celle apparaissant dans une petite coupure de presse, qu’il faut savoir repérer dans le méli-mélo de boîtes en bois comparables à celles des bouquinistes, dont la légende précise – je cite de mémoire –, « Django Reinhardt est un homme simple et peu disert, mais il sait observer et sourire des scènes quotidiennes, comme ici de l’apparition d’une poule, rue de la Barre. » Chris Marker n’aurait pas fait mieux.
Je serais bien resté des heures dans cet espace traversé par le vent de l’histoire (les Manouches, le musette, la chanson française, l’arrivée du jazz hot, du swing, du bop, l’Occupation, l’extermination des tziganes, les zazous, la Libération (merveilleuse scène filmée au Bal Tabarin – j’espère ne pas confondre les lieux – où l’on voit la foule de l’époque danser devant un big band américain dont le soliste vedette est Django… où apparaît soudain, rayonnante à une table, Marlène Dietrich)… mais la première d’Extension des feux était d’un attrait trop puissant.
La Dynamo, Pantin (93), le 7 octobre.
Journal Intime crée “Extension des feux”: Sylvain Bardiau (trompette), Matthias Mahler (trombone), Frédéric Gastard (sax basse), Marc Ducret (guitare).
Journal Intime donc, sur un programme de la plume de Fred Gastard, dont il me reste le souvenir d’une palette de nuances, de couleurs, de matières, une puissance polyphonique rare, dans l’énergie comme dans la douceur, entre musique de chambre et grooves. Les trois de Journal intime ont assimilé le vocabulaire instrumental étendu que défrichèrent les chefs de file de la free music des années 70, tel Paul Rutherford auquel Matthias Mahler fait maintes fois penser, mais ils ajoutent à ces pratiques une sens du parcours, de la construction, de la cosmogonie qui faisait autrefois défaut et faisait souvent tourner en rond leurs illustres prédécesseurs, sauf lorsqu’un Barry Guy prenait les choses en main. Qu’ils semblent se chercher ou qu’ils se rassemblent autour d’un groove de baryton, c’est toujours dans un état d’écoute, de réaction, de complémentarité d’où provient cette puissance polyphonique, avec une spontanéité et une diversité de geste qui tiennent de l’improvisation et une cohésion du son qui relève de l’écriture, dans un équilibre rappelant cet art de la “collective” néo-orléanaise qui atteignit son état de grâce voici quelques 90 ans. Les grooves de baryton, habituel écueil de la formule “vents sans rythmique”, sont ici maillés dans un tissu orchestral tel que l’on en oublie le système sans en perdre la motricité.
À leurs vents, les musiciens de Journal Intime ont voulu ajouter “un instrument harmonique”, formule dont s’amuse Marc Ducret à la sortie du concert, tant sa contribution harmonique s’estompe dans le piquetage de sa guitare, dans l’étalement mélodique de ses lignes ou dans le nappage d’épaisses masse sonores. Il retrouve ici un contexte orchestral qu’il affectionne, le brass band, et le format orchestral n’est pas sans évoquer son œuvre Tapage pour trompette, trombone, petite basse, tuba, guitare et batterie qu’il donna en 2004 à Monaco.
Rappel chaleureux. Les musiciens donnent un dernier morceau qui sera le lieu d’un formidable pas de deux entre Fred Gastard et Marc Ducret. Je me souviens d’avoir flashé sur Fred Gastard dès ses premières apparitions au sein du Sacre du Tympan et à la tête des Dentelles à Mamie au cours de ces dix dernières années. Le voir ainsi donner la réplique à Marc Ducret me laisse passablement ému, même si ce n’est pas là leur première collaboration. Ce qui n’est rien dire de la prodigieuse et très musicale (musikalisch diraient plus explicitement les Allemands) virtuosité de ses deux compères.
Le Trio renouvellera plus tard l’expérience avec Vincent Peirani avant que les deux invités ne se retrouvent en studio. Auparavant, “Extension des feux” prend la route : il sera ce soir 6 octobre à Vitrolles (Charlie Free) et le 11 à Perpignan (festival Jazzèbre). Après quoi, Journal intime reprendra son répertoire habituel autour de Jimi Hendrix sans Marc Ducret, le 26 à Hyères (Jazz à Porquerolles), le 27 au Tourcoing Jazz Festival), le 28 à Paris (Atelier du Plateau pour un “Journal intime rencontre le cirque »), le 22 novembre à Strasbourg (Jazzdor), le 2 décembre à Courdimanche (Jazz au fil de l’Oise), etc. Mais du 9 au 21 novembre, Gastard et Mahler tourneront avec les douze musiciens du Tower-Bridge de Ducret… On vous dit tout dans notre numéro de novembre en préparation.
« J’énumère, j’énumère, écrivait Colette le 30 mars 1903 au retour d’un programme Richard Strauss au Nouveau-Théâtre, dans l’espoir de remplir ma demie-colonne sans parler de Richard Strauss qui m’embarrasse et que je n’aime pas. » Et bien moi aussi j’énumère pour remplir ma demie-colonne, mais j’adore Journal intime.
Franck Bergerot
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Hier soir, une inauguration et une première: à la Cité de la musique s’ouvrait l’exposition Django Reinhardt, Swing de Paris et, à vingt bonnes minutes de marche à pied, Journal Intime créait son nouveau programme Extension des feux avec Marc Ducret en invité. Et les coings sont à point.
Une nuit presque chaude. Je suis rentré de la gare en sifflant, bien maladroitement, le verse et le chorus de Stardust, merveille de standard dont j’aime accompagner ma marche. À coin de mon immeuble, le coignassier (qui, c’est bien connu, est ainsi nommé parce qu’il pousse dans les coins) embaumait l’air qui commençait juste à fraîchir. Une cueillette s’impose ce week-end. Alors que j’ouvre mon ordinateur, à part un intense bonheur de son, de rythme, d’intelligence musicale, que me reste-t-il du concert de Journal Intime qui créait à la Dynamo son nouveau programme Extension des feux avec Marc Ducret ? Je n’allais tout de même pas porter mon pas en me chantant les airs de ce répertoire.
Il faut dire que d’autres airs, d’un autre temps, les avaient précédés dans ma soirée qui avait commencé avec l’inauguration de l’exposition Django Reinhardt, Swing de Paris.
Comme pour Miles Davis voici deux ans, son commissaire Vincent Bessières a mis les bouchées doubles, mettant à profit toutes les sources disponibles, des plus improbables et aux réputés inaccessibles. Et Django Reinhardt s’y révèle sous une multitude de facettes à travers de brèves séquences filmées d’une grande rareté, une diffusion sonore multiple, des instruments (dont la fameuse guitare à double pan coupée de la Boîte à Matelots, fabriquée pour Baro Ferret), une iconographie exceptionnelle faite d’affiches et de photos rares et oubliées, telle celle apparaissant dans une petite coupure de presse, qu’il faut savoir repérer dans le méli-mélo de boîtes en bois comparables à celles des bouquinistes, dont la légende précise – je cite de mémoire –, « Django Reinhardt est un homme simple et peu disert, mais il sait observer et sourire des scènes quotidiennes, comme ici de l’apparition d’une poule, rue de la Barre. » Chris Marker n’aurait pas fait mieux.
Je serais bien resté des heures dans cet espace traversé par le vent de l’histoire (les Manouches, le musette, la chanson française, l’arrivée du jazz hot, du swing, du bop, l’Occupation, l’extermination des tziganes, les zazous, la Libération (merveilleuse scène filmée au Bal Tabarin – j’espère ne pas confondre les lieux – où l’on voit la foule de l’époque danser devant un big band américain dont le soliste vedette est Django… où apparaît soudain, rayonnante à une table, Marlène Dietrich)… mais la première d’Extension des feux était d’un attrait trop puissant.
La Dynamo, Pantin (93), le 7 octobre.
Journal Intime crée “Extension des feux”: Sylvain Bardiau (trompette), Matthias Mahler (trombone), Frédéric Gastard (sax basse), Marc Ducret (guitare).
Journal Intime donc, sur un programme de la plume de Fred Gastard, dont il me reste le souvenir d’une palette de nuances, de couleurs, de matières, une puissance polyphonique rare, dans l’énergie comme dans la douceur, entre musique de chambre et grooves. Les trois de Journal intime ont assimilé le vocabulaire instrumental étendu que défrichèrent les chefs de file de la free music des années 70, tel Paul Rutherford auquel Matthias Mahler fait maintes fois penser, mais ils ajoutent à ces pratiques une sens du parcours, de la construction, de la cosmogonie qui faisait autrefois défaut et faisait souvent tourner en rond leurs illustres prédécesseurs, sauf lorsqu’un Barry Guy prenait les choses en main. Qu’ils semblent se chercher ou qu’ils se rassemblent autour d’un groove de baryton, c’est toujours dans un état d’écoute, de réaction, de complémentarité d’où provient cette puissance polyphonique, avec une spontanéité et une diversité de geste qui tiennent de l’improvisation et une cohésion du son qui relève de l’écriture, dans un équilibre rappelant cet art de la “collective” néo-orléanaise qui atteignit son état de grâce voici quelques 90 ans. Les grooves de baryton, habituel écueil de la formule “vents sans rythmique”, sont ici maillés dans un tissu orchestral tel que l’on en oublie le système sans en perdre la motricité.
À leurs vents, les musiciens de Journal Intime ont voulu ajouter “un instrument harmonique”, formule dont s’amuse Marc Ducret à la sortie du concert, tant sa contribution harmonique s’estompe dans le piquetage de sa guitare, dans l’étalement mélodique de ses lignes ou dans le nappage d’épaisses masse sonores. Il retrouve ici un contexte orchestral qu’il affectionne, le brass band, et le format orchestral n’est pas sans évoquer son œuvre Tapage pour trompette, trombone, petite basse, tuba, guitare et batterie qu’il donna en 2004 à Monaco.
Rappel chaleureux. Les musiciens donnent un dernier morceau qui sera le lieu d’un formidable pas de deux entre Fred Gastard et Marc Ducret. Je me souviens d’avoir flashé sur Fred Gastard dès ses premières apparitions au sein du Sacre du Tympan et à la tête des Dentelles à Mamie au cours de ces dix dernières années. Le voir ainsi donner la réplique à Marc Ducret me laisse passablement ému, même si ce n’est pas là leur première collaboration. Ce qui n’est rien dire de la prodigieuse et très musicale (musikalisch diraient plus explicitement les Allemands) virtuosité de ses deux compères.
Le Trio renouvellera plus tard l’expérience avec Vincent Peirani avant que les deux invités ne se retrouvent en studio. Auparavant, “Extension des feux” prend la route : il sera ce soir 6 octobre à Vitrolles (Charlie Free) et le 11 à Perpignan (festival Jazzèbre). Après quoi, Journal intime reprendra son répertoire habituel autour de Jimi Hendrix sans Marc Ducret, le 26 à Hyères (Jazz à Porquerolles), le 27 au Tourcoing Jazz Festival), le 28 à Paris (Atelier du Plateau pour un “Journal intime rencontre le cirque »), le 22 novembre à Strasbourg (Jazzdor), le 2 décembre à Courdimanche (Jazz au fil de l’Oise), etc. Mais du 9 au 21 novembre, Gastard et Mahler tourneront avec les douze musiciens du Tower-Bridge de Ducret… On vous dit tout dans notre numéro de novembre en préparation.
« J’énumère, j’énumère, écrivait Colette le 30 mars 1903 au retour d’un programme Richard Strauss au Nouveau-Théâtre, dans l’espoir de remplir ma demie-colonne sans parler de Richard Strauss qui m’embarrasse et que je n’aime pas. » Et bien moi aussi j’énumère pour remplir ma demie-colonne, mais j’adore Journal intime.
Franck Bergerot
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Hier soir, une inauguration et une première: à la Cité de la musique s’ouvrait l’exposition Django Reinhardt, Swing de Paris et, à vingt bonnes minutes de marche à pied, Journal Intime créait son nouveau programme Extension des feux avec Marc Ducret en invité. Et les coings sont à point.
Une nuit presque chaude. Je suis rentré de la gare en sifflant, bien maladroitement, le verse et le chorus de Stardust, merveille de standard dont j’aime accompagner ma marche. À coin de mon immeuble, le coignassier (qui, c’est bien connu, est ainsi nommé parce qu’il pousse dans les coins) embaumait l’air qui commençait juste à fraîchir. Une cueillette s’impose ce week-end. Alors que j’ouvre mon ordinateur, à part un intense bonheur de son, de rythme, d’intelligence musicale, que me reste-t-il du concert de Journal Intime qui créait à la Dynamo son nouveau programme Extension des feux avec Marc Ducret ? Je n’allais tout de même pas porter mon pas en me chantant les airs de ce répertoire.
Il faut dire que d’autres airs, d’un autre temps, les avaient précédés dans ma soirée qui avait commencé avec l’inauguration de l’exposition Django Reinhardt, Swing de Paris.
Comme pour Miles Davis voici deux ans, son commissaire Vincent Bessières a mis les bouchées doubles, mettant à profit toutes les sources disponibles, des plus improbables et aux réputés inaccessibles. Et Django Reinhardt s’y révèle sous une multitude de facettes à travers de brèves séquences filmées d’une grande rareté, une diffusion sonore multiple, des instruments (dont la fameuse guitare à double pan coupée de la Boîte à Matelots, fabriquée pour Baro Ferret), une iconographie exceptionnelle faite d’affiches et de photos rares et oubliées, telle celle apparaissant dans une petite coupure de presse, qu’il faut savoir repérer dans le méli-mélo de boîtes en bois comparables à celles des bouquinistes, dont la légende précise – je cite de mémoire –, « Django Reinhardt est un homme simple et peu disert, mais il sait observer et sourire des scènes quotidiennes, comme ici de l’apparition d’une poule, rue de la Barre. » Chris Marker n’aurait pas fait mieux.
Je serais bien resté des heures dans cet espace traversé par le vent de l’histoire (les Manouches, le musette, la chanson française, l’arrivée du jazz hot, du swing, du bop, l’Occupation, l’extermination des tziganes, les zazous, la Libération (merveilleuse scène filmée au Bal Tabarin – j’espère ne pas confondre les lieux – où l’on voit la foule de l’époque danser devant un big band américain dont le soliste vedette est Django… où apparaît soudain, rayonnante à une table, Marlène Dietrich)… mais la première d’Extension des feux était d’un attrait trop puissant.
La Dynamo, Pantin (93), le 7 octobre.
Journal Intime crée “Extension des feux”: Sylvain Bardiau (trompette), Matthias Mahler (trombone), Frédéric Gastard (sax basse), Marc Ducret (guitare).
Journal Intime donc, sur un programme de la plume de Fred Gastard, dont il me reste le souvenir d’une palette de nuances, de couleurs, de matières, une puissance polyphonique rare, dans l’énergie comme dans la douceur, entre musique de chambre et grooves. Les trois de Journal intime ont assimilé le vocabulaire instrumental étendu que défrichèrent les chefs de file de la free music des années 70, tel Paul Rutherford auquel Matthias Mahler fait maintes fois penser, mais ils ajoutent à ces pratiques une sens du parcours, de la construction, de la cosmogonie qui faisait autrefois défaut et faisait souvent tourner en rond leurs illustres prédécesseurs, sauf lorsqu’un Barry Guy prenait les choses en main. Qu’ils semblent se chercher ou qu’ils se rassemblent autour d’un groove de baryton, c’est toujours dans un état d’écoute, de réaction, de complémentarité d’où provient cette puissance polyphonique, avec une spontanéité et une diversité de geste qui tiennent de l’improvisation et une cohésion du son qui relève de l’écriture, dans un équilibre rappelant cet art de la “collective” néo-orléanaise qui atteignit son état de grâce voici quelques 90 ans. Les grooves de baryton, habituel écueil de la formule “vents sans rythmique”, sont ici maillés dans un tissu orchestral tel que l’on en oublie le système sans en perdre la motricité.
À leurs vents, les musiciens de Journal Intime ont voulu ajouter “un instrument harmonique”, formule dont s’amuse Marc Ducret à la sortie du concert, tant sa contribution harmonique s’estompe dans le piquetage de sa guitare, dans l’étalement mélodique de ses lignes ou dans le nappage d’épaisses masse sonores. Il retrouve ici un contexte orchestral qu’il affectionne, le brass band, et le format orchestral n’est pas sans évoquer son œuvre Tapage pour trompette, trombone, petite basse, tuba, guitare et batterie qu’il donna en 2004 à Monaco.
Rappel chaleureux. Les musiciens donnent un dernier morceau qui sera le lieu d’un formidable pas de deux entre Fred Gastard et Marc Ducret. Je me souviens d’avoir flashé sur Fred Gastard dès ses premières apparitions au sein du Sacre du Tympan et à la tête des Dentelles à Mamie au cours de ces dix dernières années. Le voir ainsi donner la réplique à Marc Ducret me laisse passablement ému, même si ce n’est pas là leur première collaboration. Ce qui n’est rien dire de la prodigieuse et très musicale (musikalisch diraient plus explicitement les Allemands) virtuosité de ses deux compères.
Le Trio renouvellera plus tard l’expérience avec Vincent Peirani avant que les deux invités ne se retrouvent en studio. Auparavant, “Extension des feux” prend la route : il sera ce soir 6 octobre à Vitrolles (Charlie Free) et le 11 à Perpignan (festival Jazzèbre). Après quoi, Journal intime reprendra son répertoire habituel autour de Jimi Hendrix sans Marc Ducret, le 26 à Hyères (Jazz à Porquerolles), le 27 au Tourcoing Jazz Festival), le 28 à Paris (Atelier du Plateau pour un “Journal intime rencontre le cirque »), le 22 novembre à Strasbourg (Jazzdor), le 2 décembre à Courdimanche (Jazz au fil de l’Oise), etc. Mais du 9 au 21 novembre, Gastard et Mahler tourneront avec les douze musiciens du Tower-Bridge de Ducret… On vous dit tout dans notre numéro de novembre en préparation.
« J’énumère, j’énumère, écrivait Colette le 30 mars 1903 au retour d’un programme Richard Strauss au Nouveau-Théâtre, dans l’espoir de remplir ma demie-colonne sans parler de Richard Strauss qui m’embarrasse et que je n’aime pas. » Et bien moi aussi j’énumère pour remplir ma demie-colonne, mais j’adore Journal intime.
Franck Bergerot