Charlotte Wassy et Anne Paceo au Respire Jazz Festival
Deuxième journée au Respire Jazz Festival au pied de l’abbatiale Saint-Gilles d’Aignes-et-Puypéroux dans le Sud des Charentes. Des concerts et des jam sessions sous la menace déjouée de la pluie.
Eric Allard Quartet : Ilyes Férfera (sax soprano), Eric Allard-Jacquin (accordéon), François Lapeyssonnie (basse électrique), Arthur Alard (batterie) + Mathis Pascaud (guitare électrique).
Drôles d’oiseaux : Laurent Vichard (clarinette basse), Didier Frébœuf (piano électrique), Guillaume Souriau (contrebasse), Maxime Legrand (batterie).
Duo Walla : Charlotte Wassy (chant), Julien Lallier (piano),.
Anne Paceo Yôkaï Quintet : Emile Parisien (sax soprano), Pierre Perchaud (guitare électrique), Leonardo Montana (piano), Stéphane Kerecki (contrebasse), Anne Paceo (batterie).
Depuis des mois, des phénomènes météorologiques d’une alarmante ampleur sévissent sur toute l’Europe occidentale, bouleversant la vie de millions d’hommes… Partout les eaux montent inexorablement. Alors qu’une violente tempête balaie Paris, perturbant le trafic, se faufilant avec adresse au milieu du flot désordonné des voitures, un taxi se dirige vers la porte de Saint-Cloud. Et dans ce taxi, nous retrouvons notre vieil ami, le professeur Philip Mortimer en séjour à Paris. Profitant de sa présence dans la capitale française, il prend la route de Jouy-en-Josas pour répondre à l’invitation du météorologue, le professeur Labrousse, l’un comme l’autre ayant été chargés par leurs gouvernements respectifs d’examiner les causes de ces intempéries sans précédent. Or l’intime conviction de Mortimer penche depuis quelques jours pour une origine humaine. Et si quelque esprit malin avait intérêt à voir le monde sombrer dans le chaos climatique. « By Jove ! », s’exclame le professeur en scrutant la rubrique “chien et chat” d’un quotidien abandonné sur la banque du taxi…
Pendant ce temps, dans le Sud charentais, au pied de l’abbatiale Saint-Gilles d’Aignes-et-Puypéroux, alors que le sonorisateur Boris Darley et les membres du Yôkaï Quintet regardent, perplexes, la pluie tomber, espérant une éclaircie pour effectuer leur balance… dans l’espoir d’une soirée sèche, je prend place dans les murs de la maison familiale rurale installée sur le site de l’ancien couvent, devant un auditoire réuni par l’Université populaire du Pays Sud-Charentes. S’y mêlent fidèles de l’Université populaire et festivaliers, néophytes de toutes origines et amateurs, dont quelques uns très éclairés (musiciens à l’affiche du festival, un professeur de musique, etc.). Au programme de ma conférence (non, le terme de conférence n’est pas ringard, la preuve, la salle est pleine), un portrait de Miles Davis en une heure, montre en main… Un marathon, mais chassés par la pluie de la petite scène extérieure accueillant les concerts gratuits de l’après-midi, les musiciens de l’Eric Allard Quartet attendent à la porte avec tout leur matériel pour s’installer sur la petite scène que j’occupe. Je n’en suis pas moins remercié par le représentant de l’université populaire qui, mon propos à peine bouclé, me rejoint sur scène pour résumer ma conférence à l’intention de ses étudiants en cinq points dont je ne n’ai pas retenus le détail mais où il est question de lutte anti-raciste, de combat pour la liberté, de démocratie, de liberté de pensée… Bref, je ne suis pas peu fier d’avoir contribué à de telles causes parmi lesquelles l’éducation populaire que promeut ce type d’initiative.
Du coup, une bière bien méritée en main, je m’installe au fond de la salle pour écouter le quintette de l’accordéoniste Eric Allard-Jacquin et m’effondre peu à peu dans un sommeil réparateur de longues nuits de veille accumulées ces derniers mois et la tension causée par cette heure d’exposé bride abattue. Reconnaissant les musiciens entendus au bœuf de la veille, sachant que je pourrai réentendre le groupe demain, je résiste peu, dressant l’oreille à une valse swing dans la lignée virtuose de Tony Murena et Marcel Azzola, en duo avec l’invité du quartette Mathis Pascaud, et saisissant ici et là des bribes d’un répertoire métissé animé par un groupe cohérent, où la basse électrique ce François Lapeyssonnie trouve mieux sa place que dans les standards de la veille et où brille tout particulièrement le lyrisme généreux, accidenté et nerveux d’Illyes Férfera.
Leur succède Drôles d’oiseaux, formation régionale dont Didier Frébœuf semble le leader naturel. C’est en tout cas sa maîtrise du piano électrique qui se distingue, avec un mélange de fluidité et de ce sens de l’espace sans lequel le Fender-Rhodes est guère praticable, grâce à une main gauche aux motifs très structurants. Et pourtant, il s’agit d’un véritable collectif qui lui-même se structure autour d’une musique aux partitions très motivique, aux ostinatos lyriques où vient se greffer des moments free. Ceux-ci culmine avec le recours par Frébœuf de ce qui m’a semblé être un ring-modulator (boîte à effet dont Chick Corea chez Miles Davis et Joe Zawinul dans les premières années de Weather Report firent un abondant usage et qui consiste à déstructurer la hauteur de notes). L’un des forts moments du concert fut d’ailleurs un solo de Frébœuf au cours duquel il sembla simuler l’effet du ring-modulator en déstructurant lui-même la valeur mélodique de ses phrases par un phrasé totalement disjoint.
Pleuvra ? Pleuvra pas ? Tandis qu’à quelques centaines de kilomètres de là, à Buc en Yvelines, les soupçons du professeurs Mortimer se portent sur le curieux domaine animalier du Chat perché gardé par de redoutables félins qui rôde dans le parc, la question de la pluie alimente la conversation des dîneurs parmi lesquels se mêlent, dans la salle réservée aux bénévoles et musiciens, Chris Cheek, Jorge Rossy et Patrick Goraguer. C’est notre collaborateur Pascal Ségala, devenu le temps d’un week end chauffeur du festival qui a été les cueillir en des allers et venues triangulaires entre Puypéroux, Angoulême et Bordeaux.
Le public s’installe sur les bottes de foin point trop humide ou retournée du côté sec. Certains ont amené leurs propres sièges et la chanteuse Charlotte Wassy entre en scène avec le pianiste Julien Lallier qui avait été fort apprécié l’an passé pour son travail d’écriture autour du flamenco pour son spectacle La Escoucha Interior. Quant à Charlotte Wassy Jazz Magazine a salué le tout récent disque “Niam” de son quintette emmené par le pianiste Leonardo Montana (que l’on entendra avec Anne Paceo). Le répertoire du duo, le Duo Walla, est dominé par le répertoire, de Speak Low à Afro Blue, en passant par Night in Tunisia, revisité parfois de fond en comble, déstructuré, réharmonisé ou “désharmonisé” ou simplement reconfiguré en mesures impaires aux appuis farceurs ou en “6/8 africain”. Julien Lallier est évidemment au cœur de ce travail, dont les solos évoquent souvent le balafon et la kora… et peuvent parfois lasser dans les solos, lorsqu’ils se laissent aller à un certain “pianisme” ou lorsque les croches égales se font trop systématiques. La voix n’est pas en reste dans ce travail de réappropriation qui culmine peut-être avec Don’t Explain. On est d’abord frappé par la qualité de l’intonation et des variations timbrales, mais celles-ci et la décontraction qui l’accompagne reposent sur un rapport au rythme et à la métrique soulignée par les frappes qu’elle superpose à son chant sur un tronc évidé et qui nous rappelle que Charlotte est la fille
du batteur camerounais Brice Wassy, maître des vertiges polyrythmiques africains qui fascinèrent Steve Coleman et Graham Haynes. Sur un bouleversant Come Sunday, elle se lance dans un ample chorégraphie qui lui vient de James Carlès, danseur d’origine camerounaise, fondateur d’un centre chorégraphique où elle a étudié à Toulouse. Je pense à Katherine Dunham. Le lendemain, dans le train qui nous ramènera vers Paris, Charlotte Wassy se montrera flattée de la comparaison, mais précisera que son inspiration lui vient plutôt d’Alvin Alley. N’étant sensible ni à l’un ni à l’autre de ces chorégraphes, ce n’est pas la partie de ce récital qui me convainc le plus. Reste que la présence, du 6 au 9 août au concours Crest Jazz Vocal, de Charlotte Wassy (ainsi qu’Élise Dabrowski et Lou Tavano pour ne citer que celle de ses concurrentes dont le nom m’est connu) promet une belle édition 2013.
Après l’entracte, les gouttes qui menacèrent à plusieurs reprises la prestation du duo Walla ayant l’air de faire place à quelques étoiles que l’on commence à percevoir pour peu de s’écarter de la lueur des projecteurs, le quintette Yôkaï de la batteuse Anne Paceo entame son concert par une ritournelle, Yôkaï, son thème générique, qui n’est pas sans évoquer l’écriture mélodique d’Henri Texier. Mais rapidement, Anne Paceo impose un univers bien à elle, un univers de voyageuse évoquant tour à tourne la Côte d’Ivoire, la Birmanie, la Thaïlande et… (pourquoi pas) le chocolat (Crunch). Voilà un drumming qui ne cherche pas midi à quatorze heures, tout en étant du jour, mais une chef d’orchestre qui sait faire chanter les mélodies (qu’elle met parfois en paroles pour les chanter elle-même, dans Smile) et leur communiquer de son charisme qu’elle partage avec ses cinq comparses tout en soumettant chacun d’eux à un même projet collectif. Même l’ébouriffant Emile Parisien qui remplace au pied levé Antonin-Tri Hoang, se pliera ce son d’ensemble, non sans emmener le groupe vers cet esprit de chauffe qu’on lui connaît. L’enchantement descend sur le public lui faisant oublier le froid qui, lui aussi, lui tombe sur épaules.
L’heure de la jam est arrivée. On y remarquera la présence du bassiste du Triphase Trio d’Anne Paceo, Joan Eche-Puig, de passage pour le plaisir de dire bonjour aux amis. Jorge Rossy s’y emparera du Rhodes pour donner une réplique totalement iconoclaste à Charlotte Wassy qui en profitera pour s’évader sur Love for Sale. Pascal Ségala jettera encore quelques vives étincelles (des idées mélodiques lumineuses, des réminiscences, des jeux de motifs et des lignes d’accords comme des chorals) sur Solar et sur What Is This Thing Called Love où le saxophoniste bondit dans l’arène comme un zébulon pour entraîner Pascal dans un ludique exercice de mémoire – mémoire de la tête et des doigts – sur les lignes folles de Subsconcious Lee, le démarquage de Lee Konitz sur le thème de Cole Porter que le guitariste rattrape au vol et restitue par bribes. À deux heures du matin, je plie mes gaules mais j’entendrai du fond de mon sommeil, jusqu’à l’aube, la jam se poursuivre et l’on dit que ça n’était pas triste.
À l’entracte, de cette soirée, coup de fil impromptu de Sigmund le Chat dont j’étais sans nouvelle depuis deux ans. Il avait l’air d’être dans de sales draps, ne pouvait m’en dire plus, mais me faisait comprendre en quelques miaulements qu’il avait besoin de mon aide et me donnait rendez-vous dans un café des environs de Buc en Yvelines, à quelques centaines de mètres de l’entrée d’un domaine dit du Chat perché. C’est pourquoi, j’ai repris ce matin le train pour Paris, renonçant à revoir l’Eric Allard Quartet (15h30) et au double concert de clôture donné à 17 heures par Vincent Peirani puis par le quintette de Chris Cheek avec Patrice Goraguer, Pierre Perchaud, Sylvain Daniel et Jorge Rossy.
À l’approche de la gare de Poitiers un énigmatique SMS me parvenait : « Tout est ok, rentre chez toi. La redoutable station-pilote 001 qu’abritait le domaine du Chat perché vient d’épuiser toute sa malfaisante énergie. Olrik est hors d’état de nuire. Mortimer est sain et sauf grâce à l’intervention conjuguée du commissaire divisionnaire Pradier et de Francis Blake du MI5. J’ai pour ma part échappé aux félins d’Olrik et mes blessures sont en voie de guérison. Sigmund. » Depuis quelques minutes, l’épais brouillard du matin laissait paraître un ciel limpide. Charlotte Wassy penchant sa tête vers la fenêtre souleva une nouvelle énigme : « Mais pourquoi donc le ciel est-il bleu ? »
Franck Bergerot
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Deuxième journée au Respire Jazz Festival au pied de l’abbatiale Saint-Gilles d’Aignes-et-Puypéroux dans le Sud des Charentes. Des concerts et des jam sessions sous la menace déjouée de la pluie.
Eric Allard Quartet : Ilyes Férfera (sax soprano), Eric Allard-Jacquin (accordéon), François Lapeyssonnie (basse électrique), Arthur Alard (batterie) + Mathis Pascaud (guitare électrique).
Drôles d’oiseaux : Laurent Vichard (clarinette basse), Didier Frébœuf (piano électrique), Guillaume Souriau (contrebasse), Maxime Legrand (batterie).
Duo Walla : Charlotte Wassy (chant), Julien Lallier (piano),.
Anne Paceo Yôkaï Quintet : Emile Parisien (sax soprano), Pierre Perchaud (guitare électrique), Leonardo Montana (piano), Stéphane Kerecki (contrebasse), Anne Paceo (batterie).
Depuis des mois, des phénomènes météorologiques d’une alarmante ampleur sévissent sur toute l’Europe occidentale, bouleversant la vie de millions d’hommes… Partout les eaux montent inexorablement. Alors qu’une violente tempête balaie Paris, perturbant le trafic, se faufilant avec adresse au milieu du flot désordonné des voitures, un taxi se dirige vers la porte de Saint-Cloud. Et dans ce taxi, nous retrouvons notre vieil ami, le professeur Philip Mortimer en séjour à Paris. Profitant de sa présence dans la capitale française, il prend la route de Jouy-en-Josas pour répondre à l’invitation du météorologue, le professeur Labrousse, l’un comme l’autre ayant été chargés par leurs gouvernements respectifs d’examiner les causes de ces intempéries sans précédent. Or l’intime conviction de Mortimer penche depuis quelques jours pour une origine humaine. Et si quelque esprit malin avait intérêt à voir le monde sombrer dans le chaos climatique. « By Jove ! », s’exclame le professeur en scrutant la rubrique “chien et chat” d’un quotidien abandonné sur la banque du taxi…
Pendant ce temps, dans le Sud charentais, au pied de l’abbatiale Saint-Gilles d’Aignes-et-Puypéroux, alors que le sonorisateur Boris Darley et les membres du Yôkaï Quintet regardent, perplexes, la pluie tomber, espérant une éclaircie pour effectuer leur balance… dans l’espoir d’une soirée sèche, je prend place dans les murs de la maison familiale rurale installée sur le site de l’ancien couvent, devant un auditoire réuni par l’Université populaire du Pays Sud-Charentes. S’y mêlent fidèles de l’Université populaire et festivaliers, néophytes de toutes origines et amateurs, dont quelques uns très éclairés (musiciens à l’affiche du festival, un professeur de musique, etc.). Au programme de ma conférence (non, le terme de conférence n’est pas ringard, la preuve, la salle est pleine), un portrait de Miles Davis en une heure, montre en main… Un marathon, mais chassés par la pluie de la petite scène extérieure accueillant les concerts gratuits de l’après-midi, les musiciens de l’Eric Allard Quartet attendent à la porte avec tout leur matériel pour s’installer sur la petite scène que j’occupe. Je n’en suis pas moins remercié par le représentant de l’université populaire qui, mon propos à peine bouclé, me rejoint sur scène pour résumer ma conférence à l’intention de ses étudiants en cinq points dont je ne n’ai pas retenus le détail mais où il est question de lutte anti-raciste, de combat pour la liberté, de démocratie, de liberté de pensée… Bref, je ne suis pas peu fier d’avoir contribué à de telles causes parmi lesquelles l’éducation populaire que promeut ce type d’initiative.
Du coup, une bière bien méritée en main, je m’installe au fond de la salle pour écouter le quintette de l’accordéoniste Eric Allard-Jacquin et m’effondre peu à peu dans un sommeil réparateur de longues nuits de veille accumulées ces derniers mois et la tension causée par cette heure d’exposé bride abattue. Reconnaissant les musiciens entendus au bœuf de la veille, sachant que je pourrai réentendre le groupe demain, je résiste peu, dressant l’oreille à une valse swing dans la lignée virtuose de Tony Murena et Marcel Azzola, en duo avec l’invité du quartette Mathis Pascaud, et saisissant ici et là des bribes d’un répertoire métissé animé par un groupe cohérent, où la basse électrique ce François Lapeyssonnie trouve mieux sa place que dans les standards de la veille et où brille tout particulièrement le lyrisme généreux, accidenté et nerveux d’Illyes Férfera.
Leur succède Drôles d’oiseaux, formation régionale dont Didier Frébœuf semble le leader naturel. C’est en tout cas sa maîtrise du piano électrique qui se distingue, avec un mélange de fluidité et de ce sens de l’espace sans lequel le Fender-Rhodes est guère praticable, grâce à une main gauche aux motifs très structurants. Et pourtant, il s’agit d’un véritable collectif qui lui-même se structure autour d’une musique aux partitions très motivique, aux ostinatos lyriques où vient se greffer des moments free. Ceux-ci culmine avec le recours par Frébœuf de ce qui m’a semblé être un ring-modulator (boîte à effet dont Chick Corea chez Miles Davis et Joe Zawinul dans les premières années de Weather Report firent un abondant usage et qui consiste à déstructurer la hauteur de notes). L’un des forts moments du concert fut d’ailleurs un solo de Frébœuf au cours duquel il sembla simuler l’effet du ring-modulator en déstructurant lui-même la valeur mélodique de ses phrases par un phrasé totalement disjoint.
Pleuvra ? Pleuvra pas ? Tandis qu’à quelques centaines de kilomètres de là, à Buc en Yvelines, les soupçons du professeurs Mortimer se portent sur le curieux domaine animalier du Chat perché gardé par de redoutables félins qui rôde dans le parc, la question de la pluie alimente la conversation des dîneurs parmi lesquels se mêlent, dans la salle réservée aux bénévoles et musiciens, Chris Cheek, Jorge Rossy et Patrick Goraguer. C’est notre collaborateur Pascal Ségala, devenu le temps d’un week end chauffeur du festival qui a été les cueillir en des allers et venues triangulaires entre Puypéroux, Angoulême et Bordeaux.
Le public s’installe sur les bottes de foin point trop humide ou retournée du côté sec. Certains ont amené leurs propres sièges et la chanteuse Charlotte Wassy entre en scène avec le pianiste Julien Lallier qui avait été fort apprécié l’an passé pour son travail d’écriture autour du flamenco pour son spectacle La Escoucha Interior. Quant à Charlotte Wassy Jazz Magazine a salué le tout récent disque “Niam” de son quintette emmené par le pianiste Leonardo Montana (que l’on entendra avec Anne Paceo). Le répertoire du duo, le Duo Walla, est dominé par le répertoire, de Speak Low à Afro Blue, en passant par Night in Tunisia, revisité parfois de fond en comble, déstructuré, réharmonisé ou “désharmonisé” ou simplement reconfiguré en mesures impaires aux appuis farceurs ou en “6/8 africain”. Julien Lallier est évidemment au cœur de ce travail, dont les solos évoquent souvent le balafon et la kora… et peuvent parfois lasser dans les solos, lorsqu’ils se laissent aller à un certain “pianisme” ou lorsque les croches égales se font trop systématiques. La voix n’est pas en reste dans ce travail de réappropriation qui culmine peut-être avec Don’t Explain. On est d’abord frappé par la qualité de l’intonation et des variations timbrales, mais celles-ci et la décontraction qui l’accompagne reposent sur un rapport au rythme et à la métrique soulignée par les frappes qu’elle superpose à son chant sur un tronc évidé et qui nous rappelle que Charlotte est la fille
du batteur camerounais Brice Wassy, maître des vertiges polyrythmiques africains qui fascinèrent Steve Coleman et Graham Haynes. Sur un bouleversant Come Sunday, elle se lance dans un ample chorégraphie qui lui vient de James Carlès, danseur d’origine camerounaise, fondateur d’un centre chorégraphique où elle a étudié à Toulouse. Je pense à Katherine Dunham. Le lendemain, dans le train qui nous ramènera vers Paris, Charlotte Wassy se montrera flattée de la comparaison, mais précisera que son inspiration lui vient plutôt d’Alvin Alley. N’étant sensible ni à l’un ni à l’autre de ces chorégraphes, ce n’est pas la partie de ce récital qui me convainc le plus. Reste que la présence, du 6 au 9 août au concours Crest Jazz Vocal, de Charlotte Wassy (ainsi qu’Élise Dabrowski et Lou Tavano pour ne citer que celle de ses concurrentes dont le nom m’est connu) promet une belle édition 2013.
Après l’entracte, les gouttes qui menacèrent à plusieurs reprises la prestation du duo Walla ayant l’air de faire place à quelques étoiles que l’on commence à percevoir pour peu de s’écarter de la lueur des projecteurs, le quintette Yôkaï de la batteuse Anne Paceo entame son concert par une ritournelle, Yôkaï, son thème générique, qui n’est pas sans évoquer l’écriture mélodique d’Henri Texier. Mais rapidement, Anne Paceo impose un univers bien à elle, un univers de voyageuse évoquant tour à tourne la Côte d’Ivoire, la Birmanie, la Thaïlande et… (pourquoi pas) le chocolat (Crunch). Voilà un drumming qui ne cherche pas midi à quatorze heures, tout en étant du jour, mais une chef d’orchestre qui sait faire chanter les mélodies (qu’elle met parfois en paroles pour les chanter elle-même, dans Smile) et leur communiquer de son charisme qu’elle partage avec ses cinq comparses tout en soumettant chacun d’eux à un même projet collectif. Même l’ébouriffant Emile Parisien qui remplace au pied levé Antonin-Tri Hoang, se pliera ce son d’ensemble, non sans emmener le groupe vers cet esprit de chauffe qu’on lui connaît. L’enchantement descend sur le public lui faisant oublier le froid qui, lui aussi, lui tombe sur épaules.
L’heure de la jam est arrivée. On y remarquera la présence du bassiste du Triphase Trio d’Anne Paceo, Joan Eche-Puig, de passage pour le plaisir de dire bonjour aux amis. Jorge Rossy s’y emparera du Rhodes pour donner une réplique totalement iconoclaste à Charlotte Wassy qui en profitera pour s’évader sur Love for Sale. Pascal Ségala jettera encore quelques vives étincelles (des idées mélodiques lumineuses, des réminiscences, des jeux de motifs et des lignes d’accords comme des chorals) sur Solar et sur What Is This Thing Called Love où le saxophoniste bondit dans l’arène comme un zébulon pour entraîner Pascal dans un ludique exercice de mémoire – mémoire de la tête et des doigts – sur les lignes folles de Subsconcious Lee, le démarquage de Lee Konitz sur le thème de Cole Porter que le guitariste rattrape au vol et restitue par bribes. À deux heures du matin, je plie mes gaules mais j’entendrai du fond de mon sommeil, jusqu’à l’aube, la jam se poursuivre et l’on dit que ça n’était pas triste.
À l’entracte, de cette soirée, coup de fil impromptu de Sigmund le Chat dont j’étais sans nouvelle depuis deux ans. Il avait l’air d’être dans de sales draps, ne pouvait m’en dire plus, mais me faisait comprendre en quelques miaulements qu’il avait besoin de mon aide et me donnait rendez-vous dans un café des environs de Buc en Yvelines, à quelques centaines de mètres de l’entrée d’un domaine dit du Chat perché. C’est pourquoi, j’ai repris ce matin le train pour Paris, renonçant à revoir l’Eric Allard Quartet (15h30) et au double concert de clôture donné à 17 heures par Vincent Peirani puis par le quintette de Chris Cheek avec Patrice Goraguer, Pierre Perchaud, Sylvain Daniel et Jorge Rossy.
À l’approche de la gare de Poitiers un énigmatique SMS me parvenait : « Tout est ok, rentre chez toi. La redoutable station-pilote 001 qu’abritait le domaine du Chat perché vient d’épuiser toute sa malfaisante énergie. Olrik est hors d’état de nuire. Mortimer est sain et sauf grâce à l’intervention conjuguée du commissaire divisionnaire Pradier et de Francis Blake du MI5. J’ai pour ma part échappé aux félins d’Olrik et mes blessures sont en voie de guérison. Sigmund. » Depuis quelques minutes, l’épais brouillard du matin laissait paraître un ciel limpide. Charlotte Wassy penchant sa tête vers la fenêtre souleva une nouvelle énigme : « Mais pourquoi donc le ciel est-il bleu ? »
Franck Bergerot
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Deuxième journée au Respire Jazz Festival au pied de l’abbatiale Saint-Gilles d’Aignes-et-Puypéroux dans le Sud des Charentes. Des concerts et des jam sessions sous la menace déjouée de la pluie.
Eric Allard Quartet : Ilyes Férfera (sax soprano), Eric Allard-Jacquin (accordéon), François Lapeyssonnie (basse électrique), Arthur Alard (batterie) + Mathis Pascaud (guitare électrique).
Drôles d’oiseaux : Laurent Vichard (clarinette basse), Didier Frébœuf (piano électrique), Guillaume Souriau (contrebasse), Maxime Legrand (batterie).
Duo Walla : Charlotte Wassy (chant), Julien Lallier (piano),.
Anne Paceo Yôkaï Quintet : Emile Parisien (sax soprano), Pierre Perchaud (guitare électrique), Leonardo Montana (piano), Stéphane Kerecki (contrebasse), Anne Paceo (batterie).
Depuis des mois, des phénomènes météorologiques d’une alarmante ampleur sévissent sur toute l’Europe occidentale, bouleversant la vie de millions d’hommes… Partout les eaux montent inexorablement. Alors qu’une violente tempête balaie Paris, perturbant le trafic, se faufilant avec adresse au milieu du flot désordonné des voitures, un taxi se dirige vers la porte de Saint-Cloud. Et dans ce taxi, nous retrouvons notre vieil ami, le professeur Philip Mortimer en séjour à Paris. Profitant de sa présence dans la capitale française, il prend la route de Jouy-en-Josas pour répondre à l’invitation du météorologue, le professeur Labrousse, l’un comme l’autre ayant été chargés par leurs gouvernements respectifs d’examiner les causes de ces intempéries sans précédent. Or l’intime conviction de Mortimer penche depuis quelques jours pour une origine humaine. Et si quelque esprit malin avait intérêt à voir le monde sombrer dans le chaos climatique. « By Jove ! », s’exclame le professeur en scrutant la rubrique “chien et chat” d’un quotidien abandonné sur la banque du taxi…
Pendant ce temps, dans le Sud charentais, au pied de l’abbatiale Saint-Gilles d’Aignes-et-Puypéroux, alors que le sonorisateur Boris Darley et les membres du Yôkaï Quintet regardent, perplexes, la pluie tomber, espérant une éclaircie pour effectuer leur balance… dans l’espoir d’une soirée sèche, je prend place dans les murs de la maison familiale rurale installée sur le site de l’ancien couvent, devant un auditoire réuni par l’Université populaire du Pays Sud-Charentes. S’y mêlent fidèles de l’Université populaire et festivaliers, néophytes de toutes origines et amateurs, dont quelques uns très éclairés (musiciens à l’affiche du festival, un professeur de musique, etc.). Au programme de ma conférence (non, le terme de conférence n’est pas ringard, la preuve, la salle est pleine), un portrait de Miles Davis en une heure, montre en main… Un marathon, mais chassés par la pluie de la petite scène extérieure accueillant les concerts gratuits de l’après-midi, les musiciens de l’Eric Allard Quartet attendent à la porte avec tout leur matériel pour s’installer sur la petite scène que j’occupe. Je n’en suis pas moins remercié par le représentant de l’université populaire qui, mon propos à peine bouclé, me rejoint sur scène pour résumer ma conférence à l’intention de ses étudiants en cinq points dont je ne n’ai pas retenus le détail mais où il est question de lutte anti-raciste, de combat pour la liberté, de démocratie, de liberté de pensée… Bref, je ne suis pas peu fier d’avoir contribué à de telles causes parmi lesquelles l’éducation populaire que promeut ce type d’initiative.
Du coup, une bière bien méritée en main, je m’installe au fond de la salle pour écouter le quintette de l’accordéoniste Eric Allard-Jacquin et m’effondre peu à peu dans un sommeil réparateur de longues nuits de veille accumulées ces derniers mois et la tension causée par cette heure d’exposé bride abattue. Reconnaissant les musiciens entendus au bœuf de la veille, sachant que je pourrai réentendre le groupe demain, je résiste peu, dressant l’oreille à une valse swing dans la lignée virtuose de Tony Murena et Marcel Azzola, en duo avec l’invité du quartette Mathis Pascaud, et saisissant ici et là des bribes d’un répertoire métissé animé par un groupe cohérent, où la basse électrique ce François Lapeyssonnie trouve mieux sa place que dans les standards de la veille et où brille tout particulièrement le lyrisme généreux, accidenté et nerveux d’Illyes Férfera.
Leur succède Drôles d’oiseaux, formation régionale dont Didier Frébœuf semble le leader naturel. C’est en tout cas sa maîtrise du piano électrique qui se distingue, avec un mélange de fluidité et de ce sens de l’espace sans lequel le Fender-Rhodes est guère praticable, grâce à une main gauche aux motifs très structurants. Et pourtant, il s’agit d’un véritable collectif qui lui-même se structure autour d’une musique aux partitions très motivique, aux ostinatos lyriques où vient se greffer des moments free. Ceux-ci culmine avec le recours par Frébœuf de ce qui m’a semblé être un ring-modulator (boîte à effet dont Chick Corea chez Miles Davis et Joe Zawinul dans les premières années de Weather Report firent un abondant usage et qui consiste à déstructurer la hauteur de notes). L’un des forts moments du concert fut d’ailleurs un solo de Frébœuf au cours duquel il sembla simuler l’effet du ring-modulator en déstructurant lui-même la valeur mélodique de ses phrases par un phrasé totalement disjoint.
Pleuvra ? Pleuvra pas ? Tandis qu’à quelques centaines de kilomètres de là, à Buc en Yvelines, les soupçons du professeurs Mortimer se portent sur le curieux domaine animalier du Chat perché gardé par de redoutables félins qui rôde dans le parc, la question de la pluie alimente la conversation des dîneurs parmi lesquels se mêlent, dans la salle réservée aux bénévoles et musiciens, Chris Cheek, Jorge Rossy et Patrick Goraguer. C’est notre collaborateur Pascal Ségala, devenu le temps d’un week end chauffeur du festival qui a été les cueillir en des allers et venues triangulaires entre Puypéroux, Angoulême et Bordeaux.
Le public s’installe sur les bottes de foin point trop humide ou retournée du côté sec. Certains ont amené leurs propres sièges et la chanteuse Charlotte Wassy entre en scène avec le pianiste Julien Lallier qui avait été fort apprécié l’an passé pour son travail d’écriture autour du flamenco pour son spectacle La Escoucha Interior. Quant à Charlotte Wassy Jazz Magazine a salué le tout récent disque “Niam” de son quintette emmené par le pianiste Leonardo Montana (que l’on entendra avec Anne Paceo). Le répertoire du duo, le Duo Walla, est dominé par le répertoire, de Speak Low à Afro Blue, en passant par Night in Tunisia, revisité parfois de fond en comble, déstructuré, réharmonisé ou “désharmonisé” ou simplement reconfiguré en mesures impaires aux appuis farceurs ou en “6/8 africain”. Julien Lallier est évidemment au cœur de ce travail, dont les solos évoquent souvent le balafon et la kora… et peuvent parfois lasser dans les solos, lorsqu’ils se laissent aller à un certain “pianisme” ou lorsque les croches égales se font trop systématiques. La voix n’est pas en reste dans ce travail de réappropriation qui culmine peut-être avec Don’t Explain. On est d’abord frappé par la qualité de l’intonation et des variations timbrales, mais celles-ci et la décontraction qui l’accompagne reposent sur un rapport au rythme et à la métrique soulignée par les frappes qu’elle superpose à son chant sur un tronc évidé et qui nous rappelle que Charlotte est la fille
du batteur camerounais Brice Wassy, maître des vertiges polyrythmiques africains qui fascinèrent Steve Coleman et Graham Haynes. Sur un bouleversant Come Sunday, elle se lance dans un ample chorégraphie qui lui vient de James Carlès, danseur d’origine camerounaise, fondateur d’un centre chorégraphique où elle a étudié à Toulouse. Je pense à Katherine Dunham. Le lendemain, dans le train qui nous ramènera vers Paris, Charlotte Wassy se montrera flattée de la comparaison, mais précisera que son inspiration lui vient plutôt d’Alvin Alley. N’étant sensible ni à l’un ni à l’autre de ces chorégraphes, ce n’est pas la partie de ce récital qui me convainc le plus. Reste que la présence, du 6 au 9 août au concours Crest Jazz Vocal, de Charlotte Wassy (ainsi qu’Élise Dabrowski et Lou Tavano pour ne citer que celle de ses concurrentes dont le nom m’est connu) promet une belle édition 2013.
Après l’entracte, les gouttes qui menacèrent à plusieurs reprises la prestation du duo Walla ayant l’air de faire place à quelques étoiles que l’on commence à percevoir pour peu de s’écarter de la lueur des projecteurs, le quintette Yôkaï de la batteuse Anne Paceo entame son concert par une ritournelle, Yôkaï, son thème générique, qui n’est pas sans évoquer l’écriture mélodique d’Henri Texier. Mais rapidement, Anne Paceo impose un univers bien à elle, un univers de voyageuse évoquant tour à tourne la Côte d’Ivoire, la Birmanie, la Thaïlande et… (pourquoi pas) le chocolat (Crunch). Voilà un drumming qui ne cherche pas midi à quatorze heures, tout en étant du jour, mais une chef d’orchestre qui sait faire chanter les mélodies (qu’elle met parfois en paroles pour les chanter elle-même, dans Smile) et leur communiquer de son charisme qu’elle partage avec ses cinq comparses tout en soumettant chacun d’eux à un même projet collectif. Même l’ébouriffant Emile Parisien qui remplace au pied levé Antonin-Tri Hoang, se pliera ce son d’ensemble, non sans emmener le groupe vers cet esprit de chauffe qu’on lui connaît. L’enchantement descend sur le public lui faisant oublier le froid qui, lui aussi, lui tombe sur épaules.
L’heure de la jam est arrivée. On y remarquera la présence du bassiste du Triphase Trio d’Anne Paceo, Joan Eche-Puig, de passage pour le plaisir de dire bonjour aux amis. Jorge Rossy s’y emparera du Rhodes pour donner une réplique totalement iconoclaste à Charlotte Wassy qui en profitera pour s’évader sur Love for Sale. Pascal Ségala jettera encore quelques vives étincelles (des idées mélodiques lumineuses, des réminiscences, des jeux de motifs et des lignes d’accords comme des chorals) sur Solar et sur What Is This Thing Called Love où le saxophoniste bondit dans l’arène comme un zébulon pour entraîner Pascal dans un ludique exercice de mémoire – mémoire de la tête et des doigts – sur les lignes folles de Subsconcious Lee, le démarquage de Lee Konitz sur le thème de Cole Porter que le guitariste rattrape au vol et restitue par bribes. À deux heures du matin, je plie mes gaules mais j’entendrai du fond de mon sommeil, jusqu’à l’aube, la jam se poursuivre et l’on dit que ça n’était pas triste.
À l’entracte, de cette soirée, coup de fil impromptu de Sigmund le Chat dont j’étais sans nouvelle depuis deux ans. Il avait l’air d’être dans de sales draps, ne pouvait m’en dire plus, mais me faisait comprendre en quelques miaulements qu’il avait besoin de mon aide et me donnait rendez-vous dans un café des environs de Buc en Yvelines, à quelques centaines de mètres de l’entrée d’un domaine dit du Chat perché. C’est pourquoi, j’ai repris ce matin le train pour Paris, renonçant à revoir l’Eric Allard Quartet (15h30) et au double concert de clôture donné à 17 heures par Vincent Peirani puis par le quintette de Chris Cheek avec Patrice Goraguer, Pierre Perchaud, Sylvain Daniel et Jorge Rossy.
À l’approche de la gare de Poitiers un énigmatique SMS me parvenait : « Tout est ok, rentre chez toi. La redoutable station-pilote 001 qu’abritait le domaine du Chat perché vient d’épuiser toute sa malfaisante énergie. Olrik est hors d’état de nuire. Mortimer est sain et sauf grâce à l’intervention conjuguée du commissaire divisionnaire Pradier et de Francis Blake du MI5. J’ai pour ma part échappé aux félins d’Olrik et mes blessures sont en voie de guérison. Sigmund. » Depuis quelques minutes, l’épais brouillard du matin laissait paraître un ciel limpide. Charlotte Wassy penchant sa tête vers la fenêtre souleva une nouvelle énigme : « Mais pourquoi donc le ciel est-il bleu ? »
Franck Bergerot
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Deuxième journée au Respire Jazz Festival au pied de l’abbatiale Saint-Gilles d’Aignes-et-Puypéroux dans le Sud des Charentes. Des concerts et des jam sessions sous la menace déjouée de la pluie.
Eric Allard Quartet : Ilyes Férfera (sax soprano), Eric Allard-Jacquin (accordéon), François Lapeyssonnie (basse électrique), Arthur Alard (batterie) + Mathis Pascaud (guitare électrique).
Drôles d’oiseaux : Laurent Vichard (clarinette basse), Didier Frébœuf (piano électrique), Guillaume Souriau (contrebasse), Maxime Legrand (batterie).
Duo Walla : Charlotte Wassy (chant), Julien Lallier (piano),.
Anne Paceo Yôkaï Quintet : Emile Parisien (sax soprano), Pierre Perchaud (guitare électrique), Leonardo Montana (piano), Stéphane Kerecki (contrebasse), Anne Paceo (batterie).
Depuis des mois, des phénomènes météorologiques d’une alarmante ampleur sévissent sur toute l’Europe occidentale, bouleversant la vie de millions d’hommes… Partout les eaux montent inexorablement. Alors qu’une violente tempête balaie Paris, perturbant le trafic, se faufilant avec adresse au milieu du flot désordonné des voitures, un taxi se dirige vers la porte de Saint-Cloud. Et dans ce taxi, nous retrouvons notre vieil ami, le professeur Philip Mortimer en séjour à Paris. Profitant de sa présence dans la capitale française, il prend la route de Jouy-en-Josas pour répondre à l’invitation du météorologue, le professeur Labrousse, l’un comme l’autre ayant été chargés par leurs gouvernements respectifs d’examiner les causes de ces intempéries sans précédent. Or l’intime conviction de Mortimer penche depuis quelques jours pour une origine humaine. Et si quelque esprit malin avait intérêt à voir le monde sombrer dans le chaos climatique. « By Jove ! », s’exclame le professeur en scrutant la rubrique “chien et chat” d’un quotidien abandonné sur la banque du taxi…
Pendant ce temps, dans le Sud charentais, au pied de l’abbatiale Saint-Gilles d’Aignes-et-Puypéroux, alors que le sonorisateur Boris Darley et les membres du Yôkaï Quintet regardent, perplexes, la pluie tomber, espérant une éclaircie pour effectuer leur balance… dans l’espoir d’une soirée sèche, je prend place dans les murs de la maison familiale rurale installée sur le site de l’ancien couvent, devant un auditoire réuni par l’Université populaire du Pays Sud-Charentes. S’y mêlent fidèles de l’Université populaire et festivaliers, néophytes de toutes origines et amateurs, dont quelques uns très éclairés (musiciens à l’affiche du festival, un professeur de musique, etc.). Au programme de ma conférence (non, le terme de conférence n’est pas ringard, la preuve, la salle est pleine), un portrait de Miles Davis en une heure, montre en main… Un marathon, mais chassés par la pluie de la petite scène extérieure accueillant les concerts gratuits de l’après-midi, les musiciens de l’Eric Allard Quartet attendent à la porte avec tout leur matériel pour s’installer sur la petite scène que j’occupe. Je n’en suis pas moins remercié par le représentant de l’université populaire qui, mon propos à peine bouclé, me rejoint sur scène pour résumer ma conférence à l’intention de ses étudiants en cinq points dont je ne n’ai pas retenus le détail mais où il est question de lutte anti-raciste, de combat pour la liberté, de démocratie, de liberté de pensée… Bref, je ne suis pas peu fier d’avoir contribué à de telles causes parmi lesquelles l’éducation populaire que promeut ce type d’initiative.
Du coup, une bière bien méritée en main, je m’installe au fond de la salle pour écouter le quintette de l’accordéoniste Eric Allard-Jacquin et m’effondre peu à peu dans un sommeil réparateur de longues nuits de veille accumulées ces derniers mois et la tension causée par cette heure d’exposé bride abattue. Reconnaissant les musiciens entendus au bœuf de la veille, sachant que je pourrai réentendre le groupe demain, je résiste peu, dressant l’oreille à une valse swing dans la lignée virtuose de Tony Murena et Marcel Azzola, en duo avec l’invité du quartette Mathis Pascaud, et saisissant ici et là des bribes d’un répertoire métissé animé par un groupe cohérent, où la basse électrique ce François Lapeyssonnie trouve mieux sa place que dans les standards de la veille et où brille tout particulièrement le lyrisme généreux, accidenté et nerveux d’Illyes Férfera.
Leur succède Drôles d’oiseaux, formation régionale dont Didier Frébœuf semble le leader naturel. C’est en tout cas sa maîtrise du piano électrique qui se distingue, avec un mélange de fluidité et de ce sens de l’espace sans lequel le Fender-Rhodes est guère praticable, grâce à une main gauche aux motifs très structurants. Et pourtant, il s’agit d’un véritable collectif qui lui-même se structure autour d’une musique aux partitions très motivique, aux ostinatos lyriques où vient se greffer des moments free. Ceux-ci culmine avec le recours par Frébœuf de ce qui m’a semblé être un ring-modulator (boîte à effet dont Chick Corea chez Miles Davis et Joe Zawinul dans les premières années de Weather Report firent un abondant usage et qui consiste à déstructurer la hauteur de notes). L’un des forts moments du concert fut d’ailleurs un solo de Frébœuf au cours duquel il sembla simuler l’effet du ring-modulator en déstructurant lui-même la valeur mélodique de ses phrases par un phrasé totalement disjoint.
Pleuvra ? Pleuvra pas ? Tandis qu’à quelques centaines de kilomètres de là, à Buc en Yvelines, les soupçons du professeurs Mortimer se portent sur le curieux domaine animalier du Chat perché gardé par de redoutables félins qui rôde dans le parc, la question de la pluie alimente la conversation des dîneurs parmi lesquels se mêlent, dans la salle réservée aux bénévoles et musiciens, Chris Cheek, Jorge Rossy et Patrick Goraguer. C’est notre collaborateur Pascal Ségala, devenu le temps d’un week end chauffeur du festival qui a été les cueillir en des allers et venues triangulaires entre Puypéroux, Angoulême et Bordeaux.
Le public s’installe sur les bottes de foin point trop humide ou retournée du côté sec. Certains ont amené leurs propres sièges et la chanteuse Charlotte Wassy entre en scène avec le pianiste Julien Lallier qui avait été fort apprécié l’an passé pour son travail d’écriture autour du flamenco pour son spectacle La Escoucha Interior. Quant à Charlotte Wassy Jazz Magazine a salué le tout récent disque “Niam” de son quintette emmené par le pianiste Leonardo Montana (que l’on entendra avec Anne Paceo). Le répertoire du duo, le Duo Walla, est dominé par le répertoire, de Speak Low à Afro Blue, en passant par Night in Tunisia, revisité parfois de fond en comble, déstructuré, réharmonisé ou “désharmonisé” ou simplement reconfiguré en mesures impaires aux appuis farceurs ou en “6/8 africain”. Julien Lallier est évidemment au cœur de ce travail, dont les solos évoquent souvent le balafon et la kora… et peuvent parfois lasser dans les solos, lorsqu’ils se laissent aller à un certain “pianisme” ou lorsque les croches égales se font trop systématiques. La voix n’est pas en reste dans ce travail de réappropriation qui culmine peut-être avec Don’t Explain. On est d’abord frappé par la qualité de l’intonation et des variations timbrales, mais celles-ci et la décontraction qui l’accompagne reposent sur un rapport au rythme et à la métrique soulignée par les frappes qu’elle superpose à son chant sur un tronc évidé et qui nous rappelle que Charlotte est la fille
du batteur camerounais Brice Wassy, maître des vertiges polyrythmiques africains qui fascinèrent Steve Coleman et Graham Haynes. Sur un bouleversant Come Sunday, elle se lance dans un ample chorégraphie qui lui vient de James Carlès, danseur d’origine camerounaise, fondateur d’un centre chorégraphique où elle a étudié à Toulouse. Je pense à Katherine Dunham. Le lendemain, dans le train qui nous ramènera vers Paris, Charlotte Wassy se montrera flattée de la comparaison, mais précisera que son inspiration lui vient plutôt d’Alvin Alley. N’étant sensible ni à l’un ni à l’autre de ces chorégraphes, ce n’est pas la partie de ce récital qui me convainc le plus. Reste que la présence, du 6 au 9 août au concours Crest Jazz Vocal, de Charlotte Wassy (ainsi qu’Élise Dabrowski et Lou Tavano pour ne citer que celle de ses concurrentes dont le nom m’est connu) promet une belle édition 2013.
Après l’entracte, les gouttes qui menacèrent à plusieurs reprises la prestation du duo Walla ayant l’air de faire place à quelques étoiles que l’on commence à percevoir pour peu de s’écarter de la lueur des projecteurs, le quintette Yôkaï de la batteuse Anne Paceo entame son concert par une ritournelle, Yôkaï, son thème générique, qui n’est pas sans évoquer l’écriture mélodique d’Henri Texier. Mais rapidement, Anne Paceo impose un univers bien à elle, un univers de voyageuse évoquant tour à tourne la Côte d’Ivoire, la Birmanie, la Thaïlande et… (pourquoi pas) le chocolat (Crunch). Voilà un drumming qui ne cherche pas midi à quatorze heures, tout en étant du jour, mais une chef d’orchestre qui sait faire chanter les mélodies (qu’elle met parfois en paroles pour les chanter elle-même, dans Smile) et leur communiquer de son charisme qu’elle partage avec ses cinq comparses tout en soumettant chacun d’eux à un même projet collectif. Même l’ébouriffant Emile Parisien qui remplace au pied levé Antonin-Tri Hoang, se pliera ce son d’ensemble, non sans emmener le groupe vers cet esprit de chauffe qu’on lui connaît. L’enchantement descend sur le public lui faisant oublier le froid qui, lui aussi, lui tombe sur épaules.
L’heure de la jam est arrivée. On y remarquera la présence du bassiste du Triphase Trio d’Anne Paceo, Joan Eche-Puig, de passage pour le plaisir de dire bonjour aux amis. Jorge Rossy s’y emparera du Rhodes pour donner une réplique totalement iconoclaste à Charlotte Wassy qui en profitera pour s’évader sur Love for Sale. Pascal Ségala jettera encore quelques vives étincelles (des idées mélodiques lumineuses, des réminiscences, des jeux de motifs et des lignes d’accords comme des chorals) sur Solar et sur What Is This Thing Called Love où le saxophoniste bondit dans l’arène comme un zébulon pour entraîner Pascal dans un ludique exercice de mémoire – mémoire de la tête et des doigts – sur les lignes folles de Subsconcious Lee, le démarquage de Lee Konitz sur le thème de Cole Porter que le guitariste rattrape au vol et restitue par bribes. À deux heures du matin, je plie mes gaules mais j’entendrai du fond de mon sommeil, jusqu’à l’aube, la jam se poursuivre et l’on dit que ça n’était pas triste.
À l’entracte, de cette soirée, coup de fil impromptu de Sigmund le Chat dont j’étais sans nouvelle depuis deux ans. Il avait l’air d’être dans de sales draps, ne pouvait m’en dire plus, mais me faisait comprendre en quelques miaulements qu’il avait besoin de mon aide et me donnait rendez-vous dans un café des environs de Buc en Yvelines, à quelques centaines de mètres de l’entrée d’un domaine dit du Chat perché. C’est pourquoi, j’ai repris ce matin le train pour Paris, renonçant à revoir l’Eric Allard Quartet (15h30) et au double concert de clôture donné à 17 heures par Vincent Peirani puis par le quintette de Chris Cheek avec Patrice Goraguer, Pierre Perchaud, Sylvain Daniel et Jorge Rossy.
À l’approche de la gare de Poitiers un énigmatique SMS me parvenait : « Tout est ok, rentre chez toi. La redoutable station-pilote 001 qu’abritait le domaine du Chat perché vient d’épuiser toute sa malfaisante énergie. Olrik est hors d’état de nuire. Mortimer est sain et sauf grâce à l’intervention conjuguée du commissaire divisionnaire Pradier et de Francis Blake du MI5. J’ai pour ma part échappé aux félins d’Olrik et mes blessures sont en voie de guérison. Sigmund. » Depuis quelques minutes, l’épais brouillard du matin laissait paraître un ciel limpide. Charlotte Wassy penchant sa tête vers la fenêtre souleva une nouvelle énigme : « Mais pourquoi donc le ciel est-il bleu ? »
Franck Bergerot