Jazz live
Publié le 8 Juil 2013

Pour le plaisir : Benny Golson et Pierre-Yves Sorin à Monségur

Les 24 Heures du Swing de Monségur recevaient samedi 6 juillet une formation régulière en France depuis près de quinze ans : le quintette du contrebassiste Pierre-Yves Sorin, avec Benny Golson (ts), Alain Jean-Marie (p), John Betsch (dm) et François Biensan (tp). Sur un répertoire de standards (du saxophoniste) ou d’originaux (du leader), Benny Golson a prouvé qu’à 84 ans, il tenait fort bien la scène, avec le sourire, le plaisir d’être là, le souffle et la présence…

 

 

Benny Golson et Pierre-Yves Sorin Quintet : Benny Golson (ts), Pierre-Yves Sorin (b), Alain Jean-Marie (p), John Betsch (dm), François Biensan (tp)

 

 

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Des morceaux prévus, seul Stablemates a été laissé de côté, et Blues March a été joué en rappel. Sur Horizon Ahead Benny Golson a fait des commentaires relatifs à l’histoire du jazz et comme quoi il faut toujours regarder vers l’avant, sur Along Came Betty il a raconté l’histoire de cette Betty qui lui apparut un soir et disparut le lendemain (mais comme il avait écrit et donné son titre à la pièce, il n’a jamais pu changer, « trop tard » conclut-il le récit de cet amour si bref), Marthe est de la plume de P-Y Sorin, une belle ballade dédiée à sa mère, d’esprit très « golsonnien ». On a regretté l’absence de I Remember Clifford, ou de Moanin’. Voilà pour la petite histoire.

 

Pour la grande, on a suffisamment répété que Golson était l’un des compositeurs les plus importants de l’histoire du jazz pour qu’on n’y revienne pas. Quantité et qualité : qui peut se vanter d’avoir mis sur le marché la douzaine de « hits » absolus que l’auteur de Blues March a laissé tomber de son pupitre quand il était dans le plus vif du jazz vif des années 50 ? Comme me le disait Alain Jean-Marie, « pensons au nombre de musiciens qui chaque soir dans le monde jouent I Remember Clifford, et au nombre d’étudiants qui travaillent sur Stablemates !!! » Exact. Alors prenons les choses côté instrument. J’ai lu ces temps derniers des commentaires d’époque sur le jeu de saxophone de Benny Golson qui m’ont étonné. On y relève ces formules (je ne cite pas tout), sous la plume de François Postif : « On a pu se rendre compte (…) qu’il devenait rapidement fébrile au cours du développement de ses solos. Ces notes frétillées inconsidérément après quelques chorus (…) ont malheureusement compromis ses chances auprès du grand public. » Ou encore, du même : « et son style, dérivé de celui de Don Byas, s’il a pu paraître parfois assez décousu… » Surpris, j’ai réécouté les deux faces de « Turning Point » (1962), où Golson est seulement accompagné de Wynton Kelly (p), Paul Chambers (b) et Jimmy Cobb (dm). Un des plus beaux disques de saxophone ténor de tous les temps. Une version de Stella By Starlight que vous pouvez réécouter des centaines de fois. Vous en resterez la mâchoire décrochée un peu plus longtemps à chaque écoute. Tout y est : beauté d’un son qui touche au stylisme absolu de Ben Webster, phrasé à la fois direct et sinueux, aigus d’une tendresse sublime, caresse et intelligence, modulations subtiles. Et Wynton Kelly, si simple et si juste, écoutez le final, avec la basse à l’archet de Chambers. Voilà, c’est Benny Golson soliste incomparable, et ça enchaîne sur un Alone Together magnifique.

 

On n’y reviendra pas. Golson, après avoir beaucoup travaillé dans les studios de Los Angeles comme arrangeur, a un peu laissé son ténor au vestiaire, puis il a repris le biniou, a de nouveau beaucoup travaillé pour retrouver le son, y est parvenu au bout de deux ou trois ans. Ce qui donne aujourd’hui, une certaine profondeur en moins, un phrasé très caractéristique, et surtout ce qui « signe » le sujet, cette volubilité feutrée, cette façon de murmurer (« whisper », yes or not) à votre oreille des choses dont vous ne comprenez pas tout à fait le détail, mais dont le sens global vous atteint jusqu’à l’os. C’est Benny Golson, et qu’on ne nous l’enlève pas. François Biensan, très en lèvres, a été excellent, entre Joe Newman et Lee Morgan. John Betsch s’est amusé à nous faire marcher, Pierre-Yves peaufine ses solos avec précision et le sens des formules, et Alain Jean-Marie est au moins au niveau du Kelly de l’époque, la façon dont il a retrouvé le thème de Along Came Betty à la fin d’un solo qui avait parcouru du chemin tient du miracle. Pour moi en tous cas.

 

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Pierre-Yves Sorin, Benny Golson, François Biensan : Blues March

 

Vers onze heures du soir, la place de Monségur, bastide girondine de belle facture, avait un air de petit Marciac : jeunes gens et jeunes femmes, enfants, familles, sourires et décontraction. Bon, le jazz est souvent un prétexte, c’est sûr. Et alors ? Rien n’empêche les fondus d’aller voir Benny Golson et de lui parler de la préface qu’il a écrite pour un livre sur Gigi Gryce. Et de lire un bref instant dans ses yeux comme un voile. Bon, j’aurais pas du lui parler de ça. « Trop tard », comme il le disait lui-même…

 

Philippe Méziat

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Les 24 Heures du Swing de Monségur recevaient samedi 6 juillet une formation régulière en France depuis près de quinze ans : le quintette du contrebassiste Pierre-Yves Sorin, avec Benny Golson (ts), Alain Jean-Marie (p), John Betsch (dm) et François Biensan (tp). Sur un répertoire de standards (du saxophoniste) ou d’originaux (du leader), Benny Golson a prouvé qu’à 84 ans, il tenait fort bien la scène, avec le sourire, le plaisir d’être là, le souffle et la présence…

 

 

Benny Golson et Pierre-Yves Sorin Quintet : Benny Golson (ts), Pierre-Yves Sorin (b), Alain Jean-Marie (p), John Betsch (dm), François Biensan (tp)

 

 

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Des morceaux prévus, seul Stablemates a été laissé de côté, et Blues March a été joué en rappel. Sur Horizon Ahead Benny Golson a fait des commentaires relatifs à l’histoire du jazz et comme quoi il faut toujours regarder vers l’avant, sur Along Came Betty il a raconté l’histoire de cette Betty qui lui apparut un soir et disparut le lendemain (mais comme il avait écrit et donné son titre à la pièce, il n’a jamais pu changer, « trop tard » conclut-il le récit de cet amour si bref), Marthe est de la plume de P-Y Sorin, une belle ballade dédiée à sa mère, d’esprit très « golsonnien ». On a regretté l’absence de I Remember Clifford, ou de Moanin’. Voilà pour la petite histoire.

 

Pour la grande, on a suffisamment répété que Golson était l’un des compositeurs les plus importants de l’histoire du jazz pour qu’on n’y revienne pas. Quantité et qualité : qui peut se vanter d’avoir mis sur le marché la douzaine de « hits » absolus que l’auteur de Blues March a laissé tomber de son pupitre quand il était dans le plus vif du jazz vif des années 50 ? Comme me le disait Alain Jean-Marie, « pensons au nombre de musiciens qui chaque soir dans le monde jouent I Remember Clifford, et au nombre d’étudiants qui travaillent sur Stablemates !!! » Exact. Alors prenons les choses côté instrument. J’ai lu ces temps derniers des commentaires d’époque sur le jeu de saxophone de Benny Golson qui m’ont étonné. On y relève ces formules (je ne cite pas tout), sous la plume de François Postif : « On a pu se rendre compte (…) qu’il devenait rapidement fébrile au cours du développement de ses solos. Ces notes frétillées inconsidérément après quelques chorus (…) ont malheureusement compromis ses chances auprès du grand public. » Ou encore, du même : « et son style, dérivé de celui de Don Byas, s’il a pu paraître parfois assez décousu… » Surpris, j’ai réécouté les deux faces de « Turning Point » (1962), où Golson est seulement accompagné de Wynton Kelly (p), Paul Chambers (b) et Jimmy Cobb (dm). Un des plus beaux disques de saxophone ténor de tous les temps. Une version de Stella By Starlight que vous pouvez réécouter des centaines de fois. Vous en resterez la mâchoire décrochée un peu plus longtemps à chaque écoute. Tout y est : beauté d’un son qui touche au stylisme absolu de Ben Webster, phrasé à la fois direct et sinueux, aigus d’une tendresse sublime, caresse et intelligence, modulations subtiles. Et Wynton Kelly, si simple et si juste, écoutez le final, avec la basse à l’archet de Chambers. Voilà, c’est Benny Golson soliste incomparable, et ça enchaîne sur un Alone Together magnifique.

 

On n’y reviendra pas. Golson, après avoir beaucoup travaillé dans les studios de Los Angeles comme arrangeur, a un peu laissé son ténor au vestiaire, puis il a repris le biniou, a de nouveau beaucoup travaillé pour retrouver le son, y est parvenu au bout de deux ou trois ans. Ce qui donne aujourd’hui, une certaine profondeur en moins, un phrasé très caractéristique, et surtout ce qui « signe » le sujet, cette volubilité feutrée, cette façon de murmurer (« whisper », yes or not) à votre oreille des choses dont vous ne comprenez pas tout à fait le détail, mais dont le sens global vous atteint jusqu’à l’os. C’est Benny Golson, et qu’on ne nous l’enlève pas. François Biensan, très en lèvres, a été excellent, entre Joe Newman et Lee Morgan. John Betsch s’est amusé à nous faire marcher, Pierre-Yves peaufine ses solos avec précision et le sens des formules, et Alain Jean-Marie est au moins au niveau du Kelly de l’époque, la façon dont il a retrouvé le thème de Along Came Betty à la fin d’un solo qui avait parcouru du chemin tient du miracle. Pour moi en tous cas.

 

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Pierre-Yves Sorin, Benny Golson, François Biensan : Blues March

 

Vers onze heures du soir, la place de Monségur, bastide girondine de belle facture, avait un air de petit Marciac : jeunes gens et jeunes femmes, enfants, familles, sourires et décontraction. Bon, le jazz est souvent un prétexte, c’est sûr. Et alors ? Rien n’empêche les fondus d’aller voir Benny Golson et de lui parler de la préface qu’il a écrite pour un livre sur Gigi Gryce. Et de lire un bref instant dans ses yeux comme un voile. Bon, j’aurais pas du lui parler de ça. « Trop tard », comme il le disait lui-même…

 

Philippe Méziat

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Les 24 Heures du Swing de Monségur recevaient samedi 6 juillet une formation régulière en France depuis près de quinze ans : le quintette du contrebassiste Pierre-Yves Sorin, avec Benny Golson (ts), Alain Jean-Marie (p), John Betsch (dm) et François Biensan (tp). Sur un répertoire de standards (du saxophoniste) ou d’originaux (du leader), Benny Golson a prouvé qu’à 84 ans, il tenait fort bien la scène, avec le sourire, le plaisir d’être là, le souffle et la présence…

 

 

Benny Golson et Pierre-Yves Sorin Quintet : Benny Golson (ts), Pierre-Yves Sorin (b), Alain Jean-Marie (p), John Betsch (dm), François Biensan (tp)

 

 

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Des morceaux prévus, seul Stablemates a été laissé de côté, et Blues March a été joué en rappel. Sur Horizon Ahead Benny Golson a fait des commentaires relatifs à l’histoire du jazz et comme quoi il faut toujours regarder vers l’avant, sur Along Came Betty il a raconté l’histoire de cette Betty qui lui apparut un soir et disparut le lendemain (mais comme il avait écrit et donné son titre à la pièce, il n’a jamais pu changer, « trop tard » conclut-il le récit de cet amour si bref), Marthe est de la plume de P-Y Sorin, une belle ballade dédiée à sa mère, d’esprit très « golsonnien ». On a regretté l’absence de I Remember Clifford, ou de Moanin’. Voilà pour la petite histoire.

 

Pour la grande, on a suffisamment répété que Golson était l’un des compositeurs les plus importants de l’histoire du jazz pour qu’on n’y revienne pas. Quantité et qualité : qui peut se vanter d’avoir mis sur le marché la douzaine de « hits » absolus que l’auteur de Blues March a laissé tomber de son pupitre quand il était dans le plus vif du jazz vif des années 50 ? Comme me le disait Alain Jean-Marie, « pensons au nombre de musiciens qui chaque soir dans le monde jouent I Remember Clifford, et au nombre d’étudiants qui travaillent sur Stablemates !!! » Exact. Alors prenons les choses côté instrument. J’ai lu ces temps derniers des commentaires d’époque sur le jeu de saxophone de Benny Golson qui m’ont étonné. On y relève ces formules (je ne cite pas tout), sous la plume de François Postif : « On a pu se rendre compte (…) qu’il devenait rapidement fébrile au cours du développement de ses solos. Ces notes frétillées inconsidérément après quelques chorus (…) ont malheureusement compromis ses chances auprès du grand public. » Ou encore, du même : « et son style, dérivé de celui de Don Byas, s’il a pu paraître parfois assez décousu… » Surpris, j’ai réécouté les deux faces de « Turning Point » (1962), où Golson est seulement accompagné de Wynton Kelly (p), Paul Chambers (b) et Jimmy Cobb (dm). Un des plus beaux disques de saxophone ténor de tous les temps. Une version de Stella By Starlight que vous pouvez réécouter des centaines de fois. Vous en resterez la mâchoire décrochée un peu plus longtemps à chaque écoute. Tout y est : beauté d’un son qui touche au stylisme absolu de Ben Webster, phrasé à la fois direct et sinueux, aigus d’une tendresse sublime, caresse et intelligence, modulations subtiles. Et Wynton Kelly, si simple et si juste, écoutez le final, avec la basse à l’archet de Chambers. Voilà, c’est Benny Golson soliste incomparable, et ça enchaîne sur un Alone Together magnifique.

 

On n’y reviendra pas. Golson, après avoir beaucoup travaillé dans les studios de Los Angeles comme arrangeur, a un peu laissé son ténor au vestiaire, puis il a repris le biniou, a de nouveau beaucoup travaillé pour retrouver le son, y est parvenu au bout de deux ou trois ans. Ce qui donne aujourd’hui, une certaine profondeur en moins, un phrasé très caractéristique, et surtout ce qui « signe » le sujet, cette volubilité feutrée, cette façon de murmurer (« whisper », yes or not) à votre oreille des choses dont vous ne comprenez pas tout à fait le détail, mais dont le sens global vous atteint jusqu’à l’os. C’est Benny Golson, et qu’on ne nous l’enlève pas. François Biensan, très en lèvres, a été excellent, entre Joe Newman et Lee Morgan. John Betsch s’est amusé à nous faire marcher, Pierre-Yves peaufine ses solos avec précision et le sens des formules, et Alain Jean-Marie est au moins au niveau du Kelly de l’époque, la façon dont il a retrouvé le thème de Along Came Betty à la fin d’un solo qui avait parcouru du chemin tient du miracle. Pour moi en tous cas.

 

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Pierre-Yves Sorin, Benny Golson, François Biensan : Blues March

 

Vers onze heures du soir, la place de Monségur, bastide girondine de belle facture, avait un air de petit Marciac : jeunes gens et jeunes femmes, enfants, familles, sourires et décontraction. Bon, le jazz est souvent un prétexte, c’est sûr. Et alors ? Rien n’empêche les fondus d’aller voir Benny Golson et de lui parler de la préface qu’il a écrite pour un livre sur Gigi Gryce. Et de lire un bref instant dans ses yeux comme un voile. Bon, j’aurais pas du lui parler de ça. « Trop tard », comme il le disait lui-même…

 

Philippe Méziat

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Les 24 Heures du Swing de Monségur recevaient samedi 6 juillet une formation régulière en France depuis près de quinze ans : le quintette du contrebassiste Pierre-Yves Sorin, avec Benny Golson (ts), Alain Jean-Marie (p), John Betsch (dm) et François Biensan (tp). Sur un répertoire de standards (du saxophoniste) ou d’originaux (du leader), Benny Golson a prouvé qu’à 84 ans, il tenait fort bien la scène, avec le sourire, le plaisir d’être là, le souffle et la présence…

 

 

Benny Golson et Pierre-Yves Sorin Quintet : Benny Golson (ts), Pierre-Yves Sorin (b), Alain Jean-Marie (p), John Betsch (dm), François Biensan (tp)

 

 

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Des morceaux prévus, seul Stablemates a été laissé de côté, et Blues March a été joué en rappel. Sur Horizon Ahead Benny Golson a fait des commentaires relatifs à l’histoire du jazz et comme quoi il faut toujours regarder vers l’avant, sur Along Came Betty il a raconté l’histoire de cette Betty qui lui apparut un soir et disparut le lendemain (mais comme il avait écrit et donné son titre à la pièce, il n’a jamais pu changer, « trop tard » conclut-il le récit de cet amour si bref), Marthe est de la plume de P-Y Sorin, une belle ballade dédiée à sa mère, d’esprit très « golsonnien ». On a regretté l’absence de I Remember Clifford, ou de Moanin’. Voilà pour la petite histoire.

 

Pour la grande, on a suffisamment répété que Golson était l’un des compositeurs les plus importants de l’histoire du jazz pour qu’on n’y revienne pas. Quantité et qualité : qui peut se vanter d’avoir mis sur le marché la douzaine de « hits » absolus que l’auteur de Blues March a laissé tomber de son pupitre quand il était dans le plus vif du jazz vif des années 50 ? Comme me le disait Alain Jean-Marie, « pensons au nombre de musiciens qui chaque soir dans le monde jouent I Remember Clifford, et au nombre d’étudiants qui travaillent sur Stablemates !!! » Exact. Alors prenons les choses côté instrument. J’ai lu ces temps derniers des commentaires d’époque sur le jeu de saxophone de Benny Golson qui m’ont étonné. On y relève ces formules (je ne cite pas tout), sous la plume de François Postif : « On a pu se rendre compte (…) qu’il devenait rapidement fébrile au cours du développement de ses solos. Ces notes frétillées inconsidérément après quelques chorus (…) ont malheureusement compromis ses chances auprès du grand public. » Ou encore, du même : « et son style, dérivé de celui de Don Byas, s’il a pu paraître parfois assez décousu… » Surpris, j’ai réécouté les deux faces de « Turning Point » (1962), où Golson est seulement accompagné de Wynton Kelly (p), Paul Chambers (b) et Jimmy Cobb (dm). Un des plus beaux disques de saxophone ténor de tous les temps. Une version de Stella By Starlight que vous pouvez réécouter des centaines de fois. Vous en resterez la mâchoire décrochée un peu plus longtemps à chaque écoute. Tout y est : beauté d’un son qui touche au stylisme absolu de Ben Webster, phrasé à la fois direct et sinueux, aigus d’une tendresse sublime, caresse et intelligence, modulations subtiles. Et Wynton Kelly, si simple et si juste, écoutez le final, avec la basse à l’archet de Chambers. Voilà, c’est Benny Golson soliste incomparable, et ça enchaîne sur un Alone Together magnifique.

 

On n’y reviendra pas. Golson, après avoir beaucoup travaillé dans les studios de Los Angeles comme arrangeur, a un peu laissé son ténor au vestiaire, puis il a repris le biniou, a de nouveau beaucoup travaillé pour retrouver le son, y est parvenu au bout de deux ou trois ans. Ce qui donne aujourd’hui, une certaine profondeur en moins, un phrasé très caractéristique, et surtout ce qui « signe » le sujet, cette volubilité feutrée, cette façon de murmurer (« whisper », yes or not) à votre oreille des choses dont vous ne comprenez pas tout à fait le détail, mais dont le sens global vous atteint jusqu’à l’os. C’est Benny Golson, et qu’on ne nous l’enlève pas. François Biensan, très en lèvres, a été excellent, entre Joe Newman et Lee Morgan. John Betsch s’est amusé à nous faire marcher, Pierre-Yves peaufine ses solos avec précision et le sens des formules, et Alain Jean-Marie est au moins au niveau du Kelly de l’époque, la façon dont il a retrouvé le thème de Along Came Betty à la fin d’un solo qui avait parcouru du chemin tient du miracle. Pour moi en tous cas.

 

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Pierre-Yves Sorin, Benny Golson, François Biensan : Blues March

 

Vers onze heures du soir, la place de Monségur, bastide girondine de belle facture, avait un air de petit Marciac : jeunes gens et jeunes femmes, enfants, familles, sourires et décontraction. Bon, le jazz est souvent un prétexte, c’est sûr. Et alors ? Rien n’empêche les fondus d’aller voir Benny Golson et de lui parler de la préface qu’il a écrite pour un livre sur Gigi Gryce. Et de lire un bref instant dans ses yeux comme un voile. Bon, j’aurais pas du lui parler de ça. « Trop tard », comme il le disait lui-même…

 

Philippe Méziat