Jazz live
Publié le 18 Oct 2013

Les Travelers de Matteo Bortone aux Jazz-sessions de Pierrelay

Le contrebassiste Matteo Bortone et ses Travelers (Antonin-Tri Hoang, Francesco Diodati, Ariel Tessier) jouait ce 17 octobre aux Jazz-Sessions de Pierrelaye.

 


« Sur la A15, beau temps dans les deux sens », disait la radio. Le moment était tout choisi pour aller faire un tour dans le Val d’Oise voir comme s’y déroule le festival Jazz sur Seine. J’ai attelé Bijou à ma carrosse et j’ai donc gagné la A15 que j’ai trouvé beaucoup plus carrossable – pour un carrosse, ça tombait bien – que sur mon plan qui doit commencer à dater mais dont, contrairement à l’annonce de la radio n’était sous le beau que dans un sens, l’autre était plongé dans une épaisse bruine.


La Mezzanine, Pierrelay (95), le 17 octobre 2013.


Bien pire, arrivé à la Mezzanine, on m’a certifié que la soirée n’était pas estampillée “Jazz sur Seine” et devant mon incrédulité on m’a ouvert Jazz Magazine. Lu dans Jazzmag… incontestable !  La raison en est que, comme à Jazz à Eaubonne tous les mardis à l’Orangerie (organisation quasiment jumelle dont la présidente Danièle Thierry est présente ce soir à Pierrelaye) et comme à Jazz à Confluent une fois par mois à Conflans-Sainte-Honorine, l’entrée des Jazz-sessions (tous les jeudis) de Pierrelaye est libre, les deux associations vivant du bénévolat et de la cotisation de leurs adhérents ainsi que d’aides de la ville, du conseil général du Val d’Oise. Une configuration qui n’entrait probablement pas dans le profil de Jazz sur Seine.


Il y a dans ces deux associations un peu de l’esprit des antiques Hot Clubs constitués localement d’amateurs de jazz regroupés autour d’une poignée de praticiens pour faire vivre la scène locale, accueillir les représentants de la scène nationale ou internationale et promouvoir la cause du jazz. Pour ce qui est de la scène locale, on y repère professionnels (Christian Darré, le vibraphoniste Pascal Bivalski, les contrebassistes Christian Duperray, François Massé et Hevé Czak, le batteur Jean-Marie Lagache) et amateurs, parmi lesquels le regretté saxophoniste baryton Jean-Yves Denis qui était l’âme de Jazz à Eaubonne et le multi-saxophoniste et flûtiste Roger Mouchabac, ex-pharmacien dont on imagine la rondeur sous le jour du dixieland alors qu’au répertoire de la jam du soir, il fait inscrire Solar, Invitation, Juju qu’il abordera avec un angularité volontiers hirsute… 


Jam session ? Oui, car à Pierrelaye comme à Eaubonne, le concert est suivi d’une jam session qui se met en place avec plus ou moins de naturel et pour des résultats inégaux avec la complicité plus ou moins réticente, amusée ou généreuse des musiciens à l’affiche. D’où un hiatus fréquent entre la musique programmée en première partie et l’attente du public. Avec des réactions à l’affiche très diversifiées, comme on le verra ce soir, passant par la franche hostilité (qui ne se manifeste guère plus que par une désertion durant l’entracte), une attention et une volonté de dépasser la perplexité première qui pourra faire basculer vers l’adhésion de cette partie du public acquise d’avance. Pour cette première jazz-session de la saison, en guise de présentation après le mot d’accueil du Président Pierre Gras, Roger Mouchabac prévient : on va entendre un type de musique que beaucoup n’ont jamais entendu mais qu’on sera heureux de découvrir. Au-delà du modèle du Hot-Club, on pense à une vieille tradition militante de l’éducation populaire qui évoque tant l’héritage de la très laïque Ligue de l’enseignement de Jean Macé au XIXe siècle ou du Sillon catholique et ouvriériste de Marc Sangnier au début du siècle, de l’aventure du théâtre populaire démarrée avec les Copiaus de Jacques Copeau (entre les deux guerres) ou des Jeunesses musicales de France (JMF) après la Libération.


Matteo Bortone Travelers : Antonin Tri-Hoang (clarinette, sax alto, clarinette basse, clavier), Francesco Diodati (elg, boucles électro), Matteo Bortone (contrebasse, compositions), Ariel Tessier (batterie).

 

Difficile de faire abstraction de ce contexte face à une musique qui est un peu comme la A15 ce soir, limpide dans un sens et embrumée dans l’autre. Soit une culture du groove et un lyrisme pop dans laquelle ont grandi ces musiciens et une approche musicale très “laborantine”, les deux approches se succédant ou se superposant selon les cas, avec des départs souvent bruitistes d’où un groove induit ne se dégage que très progressivement pour parvenir à une sorte de transe survenue de réitérations mélodiques dans un halo sonore, des pièces totalement abstraites et d’autres privilégiant groove et mélodie, la notion de chorus et la répartition des rôles s’estompant dans une conception très collective de l’improvisation, les solos des uns et des autres n’étant jamais envol solitaire, mais variations autour de boucles thématiques intimement tissées dans la texture orchestrale serrée des arrangements. Ariel Tessier et Bortone réinventent constamment les niveaux de fonctionnalité ou d’hyperactivité de leurs instruments. Diodati lance des boucles sur ses machines et sur sa guitare qui procède par cocottes, motifs plus développés, phrasés en accords ici et là déchirés de fulgurances. Antonin-Tri Hoang improvise parfois d’une main tout en jouant de l’autre sur son clavier ou joue même dans un morceau une double partie, non pas à partir de multiphoniques mais par l’insertion d’un riff en forme de “pêches” entre les notes de sa phrase. Saisissant !


Et pourtant, je ne peux m’empêcher de trouver à tout ça un manque de charisme et d’élan, comme si l’on était à l’atelier. Il est vrai que le groupe se retouve après une longue interruption. Que de nouveaux morceaux sont en chantier (mais est-ce le bon public pour tenter? Ne faudrait-il pas ici privilégier la conviction ?) Une perception probablement influencée par l’observation des réactions du public décrite plus haut. Aimeront ? Aimeront pas ? À en juger par les applaudissements nourris, ils ont aimé dans leur majorité. Parce qu’ils aiment être étonnés et surpris. Mais qu’ils sont vieux dans leur majorité ! Au moins autant que moi, sinon plus. Où sont les jeunes ? Effrayés par ce côté éducation populaire ? Par l’attention que demande cette musique ? Il y a une vraie question sur la surformation accélérée de tous ces jeunes musiciens de plus enplus nombreux alors qu
e dans le même temps on déforme les jeunes publics par la valorisation du fun, du format court et de l’immédiat. Bientôt la 4G sur la totalité du territoire, voilà la grande question du jour, alors que la 3G ne le couvre pas encore dans son intégralité. La 4G pour quoi faire s’interroge Que Choisir ? Pour plus de quoi ? Pour éviter quoi? Pour se distraire de quoi?  Si l’on se posait un peu…


Christian Darré lance la jam avec l’un des thèmes du jour, Juju. Ariel Tessier se fait aussitôt “elvinien”, Matteo Bortone corrige de la voix Antonin Tri-Hoang qui n’en connaît pas bien la mélodie mais qu’il la déduit dès le deuxième thème des accords de piano et qui improvise sur ces harmonies on improviserait sur I Got Rhythm.  Roger Mouchabac se joindra à eux, puis Matteo Bortone cédera sa basse à Hervé Czak et d’autres les rejoindront tandis que je reprends la A 15 qui est cette fois-ci brumeuse du côté Paris-Cergy et dégagée de mon côté. Mon carrosse se tranforme non pas en citrouille orange, mais en Twingo bleu, dont la vitre latérale gauche est passablement encrassée… Beau temps sur la A15 dans les deux sens.


Samedi soir 19 octobre, la Péniche L’Improviste où ils étaient initialement programmés n’étant pas encore opérationnelle dans son nouveau stationnement, les Travelers de Matteo Bortone retrouveront le public parisien, plus jeune, aux Disquaires en début de soirée (19h).


Franck Bergerot

 

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Le contrebassiste Matteo Bortone et ses Travelers (Antonin-Tri Hoang, Francesco Diodati, Ariel Tessier) jouait ce 17 octobre aux Jazz-Sessions de Pierrelaye.

 


« Sur la A15, beau temps dans les deux sens », disait la radio. Le moment était tout choisi pour aller faire un tour dans le Val d’Oise voir comme s’y déroule le festival Jazz sur Seine. J’ai attelé Bijou à ma carrosse et j’ai donc gagné la A15 que j’ai trouvé beaucoup plus carrossable – pour un carrosse, ça tombait bien – que sur mon plan qui doit commencer à dater mais dont, contrairement à l’annonce de la radio n’était sous le beau que dans un sens, l’autre était plongé dans une épaisse bruine.


La Mezzanine, Pierrelay (95), le 17 octobre 2013.


Bien pire, arrivé à la Mezzanine, on m’a certifié que la soirée n’était pas estampillée “Jazz sur Seine” et devant mon incrédulité on m’a ouvert Jazz Magazine. Lu dans Jazzmag… incontestable !  La raison en est que, comme à Jazz à Eaubonne tous les mardis à l’Orangerie (organisation quasiment jumelle dont la présidente Danièle Thierry est présente ce soir à Pierrelaye) et comme à Jazz à Confluent une fois par mois à Conflans-Sainte-Honorine, l’entrée des Jazz-sessions (tous les jeudis) de Pierrelaye est libre, les deux associations vivant du bénévolat et de la cotisation de leurs adhérents ainsi que d’aides de la ville, du conseil général du Val d’Oise. Une configuration qui n’entrait probablement pas dans le profil de Jazz sur Seine.


Il y a dans ces deux associations un peu de l’esprit des antiques Hot Clubs constitués localement d’amateurs de jazz regroupés autour d’une poignée de praticiens pour faire vivre la scène locale, accueillir les représentants de la scène nationale ou internationale et promouvoir la cause du jazz. Pour ce qui est de la scène locale, on y repère professionnels (Christian Darré, le vibraphoniste Pascal Bivalski, les contrebassistes Christian Duperray, François Massé et Hevé Czak, le batteur Jean-Marie Lagache) et amateurs, parmi lesquels le regretté saxophoniste baryton Jean-Yves Denis qui était l’âme de Jazz à Eaubonne et le multi-saxophoniste et flûtiste Roger Mouchabac, ex-pharmacien dont on imagine la rondeur sous le jour du dixieland alors qu’au répertoire de la jam du soir, il fait inscrire Solar, Invitation, Juju qu’il abordera avec un angularité volontiers hirsute… 


Jam session ? Oui, car à Pierrelaye comme à Eaubonne, le concert est suivi d’une jam session qui se met en place avec plus ou moins de naturel et pour des résultats inégaux avec la complicité plus ou moins réticente, amusée ou généreuse des musiciens à l’affiche. D’où un hiatus fréquent entre la musique programmée en première partie et l’attente du public. Avec des réactions à l’affiche très diversifiées, comme on le verra ce soir, passant par la franche hostilité (qui ne se manifeste guère plus que par une désertion durant l’entracte), une attention et une volonté de dépasser la perplexité première qui pourra faire basculer vers l’adhésion de cette partie du public acquise d’avance. Pour cette première jazz-session de la saison, en guise de présentation après le mot d’accueil du Président Pierre Gras, Roger Mouchabac prévient : on va entendre un type de musique que beaucoup n’ont jamais entendu mais qu’on sera heureux de découvrir. Au-delà du modèle du Hot-Club, on pense à une vieille tradition militante de l’éducation populaire qui évoque tant l’héritage de la très laïque Ligue de l’enseignement de Jean Macé au XIXe siècle ou du Sillon catholique et ouvriériste de Marc Sangnier au début du siècle, de l’aventure du théâtre populaire démarrée avec les Copiaus de Jacques Copeau (entre les deux guerres) ou des Jeunesses musicales de France (JMF) après la Libération.


Matteo Bortone Travelers : Antonin Tri-Hoang (clarinette, sax alto, clarinette basse, clavier), Francesco Diodati (elg, boucles électro), Matteo Bortone (contrebasse, compositions), Ariel Tessier (batterie).

 

Difficile de faire abstraction de ce contexte face à une musique qui est un peu comme la A15 ce soir, limpide dans un sens et embrumée dans l’autre. Soit une culture du groove et un lyrisme pop dans laquelle ont grandi ces musiciens et une approche musicale très “laborantine”, les deux approches se succédant ou se superposant selon les cas, avec des départs souvent bruitistes d’où un groove induit ne se dégage que très progressivement pour parvenir à une sorte de transe survenue de réitérations mélodiques dans un halo sonore, des pièces totalement abstraites et d’autres privilégiant groove et mélodie, la notion de chorus et la répartition des rôles s’estompant dans une conception très collective de l’improvisation, les solos des uns et des autres n’étant jamais envol solitaire, mais variations autour de boucles thématiques intimement tissées dans la texture orchestrale serrée des arrangements. Ariel Tessier et Bortone réinventent constamment les niveaux de fonctionnalité ou d’hyperactivité de leurs instruments. Diodati lance des boucles sur ses machines et sur sa guitare qui procède par cocottes, motifs plus développés, phrasés en accords ici et là déchirés de fulgurances. Antonin-Tri Hoang improvise parfois d’une main tout en jouant de l’autre sur son clavier ou joue même dans un morceau une double partie, non pas à partir de multiphoniques mais par l’insertion d’un riff en forme de “pêches” entre les notes de sa phrase. Saisissant !


Et pourtant, je ne peux m’empêcher de trouver à tout ça un manque de charisme et d’élan, comme si l’on était à l’atelier. Il est vrai que le groupe se retouve après une longue interruption. Que de nouveaux morceaux sont en chantier (mais est-ce le bon public pour tenter? Ne faudrait-il pas ici privilégier la conviction ?) Une perception probablement influencée par l’observation des réactions du public décrite plus haut. Aimeront ? Aimeront pas ? À en juger par les applaudissements nourris, ils ont aimé dans leur majorité. Parce qu’ils aiment être étonnés et surpris. Mais qu’ils sont vieux dans leur majorité ! Au moins autant que moi, sinon plus. Où sont les jeunes ? Effrayés par ce côté éducation populaire ? Par l’attention que demande cette musique ? Il y a une vraie question sur la surformation accélérée de tous ces jeunes musiciens de plus enplus nombreux alors qu
e dans le même temps on déforme les jeunes publics par la valorisation du fun, du format court et de l’immédiat. Bientôt la 4G sur la totalité du territoire, voilà la grande question du jour, alors que la 3G ne le couvre pas encore dans son intégralité. La 4G pour quoi faire s’interroge Que Choisir ? Pour plus de quoi ? Pour éviter quoi? Pour se distraire de quoi?  Si l’on se posait un peu…


Christian Darré lance la jam avec l’un des thèmes du jour, Juju. Ariel Tessier se fait aussitôt “elvinien”, Matteo Bortone corrige de la voix Antonin Tri-Hoang qui n’en connaît pas bien la mélodie mais qu’il la déduit dès le deuxième thème des accords de piano et qui improvise sur ces harmonies on improviserait sur I Got Rhythm.  Roger Mouchabac se joindra à eux, puis Matteo Bortone cédera sa basse à Hervé Czak et d’autres les rejoindront tandis que je reprends la A 15 qui est cette fois-ci brumeuse du côté Paris-Cergy et dégagée de mon côté. Mon carrosse se tranforme non pas en citrouille orange, mais en Twingo bleu, dont la vitre latérale gauche est passablement encrassée… Beau temps sur la A15 dans les deux sens.


Samedi soir 19 octobre, la Péniche L’Improviste où ils étaient initialement programmés n’étant pas encore opérationnelle dans son nouveau stationnement, les Travelers de Matteo Bortone retrouveront le public parisien, plus jeune, aux Disquaires en début de soirée (19h).


Franck Bergerot

 

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Le contrebassiste Matteo Bortone et ses Travelers (Antonin-Tri Hoang, Francesco Diodati, Ariel Tessier) jouait ce 17 octobre aux Jazz-Sessions de Pierrelaye.

 


« Sur la A15, beau temps dans les deux sens », disait la radio. Le moment était tout choisi pour aller faire un tour dans le Val d’Oise voir comme s’y déroule le festival Jazz sur Seine. J’ai attelé Bijou à ma carrosse et j’ai donc gagné la A15 que j’ai trouvé beaucoup plus carrossable – pour un carrosse, ça tombait bien – que sur mon plan qui doit commencer à dater mais dont, contrairement à l’annonce de la radio n’était sous le beau que dans un sens, l’autre était plongé dans une épaisse bruine.


La Mezzanine, Pierrelay (95), le 17 octobre 2013.


Bien pire, arrivé à la Mezzanine, on m’a certifié que la soirée n’était pas estampillée “Jazz sur Seine” et devant mon incrédulité on m’a ouvert Jazz Magazine. Lu dans Jazzmag… incontestable !  La raison en est que, comme à Jazz à Eaubonne tous les mardis à l’Orangerie (organisation quasiment jumelle dont la présidente Danièle Thierry est présente ce soir à Pierrelaye) et comme à Jazz à Confluent une fois par mois à Conflans-Sainte-Honorine, l’entrée des Jazz-sessions (tous les jeudis) de Pierrelaye est libre, les deux associations vivant du bénévolat et de la cotisation de leurs adhérents ainsi que d’aides de la ville, du conseil général du Val d’Oise. Une configuration qui n’entrait probablement pas dans le profil de Jazz sur Seine.


Il y a dans ces deux associations un peu de l’esprit des antiques Hot Clubs constitués localement d’amateurs de jazz regroupés autour d’une poignée de praticiens pour faire vivre la scène locale, accueillir les représentants de la scène nationale ou internationale et promouvoir la cause du jazz. Pour ce qui est de la scène locale, on y repère professionnels (Christian Darré, le vibraphoniste Pascal Bivalski, les contrebassistes Christian Duperray, François Massé et Hevé Czak, le batteur Jean-Marie Lagache) et amateurs, parmi lesquels le regretté saxophoniste baryton Jean-Yves Denis qui était l’âme de Jazz à Eaubonne et le multi-saxophoniste et flûtiste Roger Mouchabac, ex-pharmacien dont on imagine la rondeur sous le jour du dixieland alors qu’au répertoire de la jam du soir, il fait inscrire Solar, Invitation, Juju qu’il abordera avec un angularité volontiers hirsute… 


Jam session ? Oui, car à Pierrelaye comme à Eaubonne, le concert est suivi d’une jam session qui se met en place avec plus ou moins de naturel et pour des résultats inégaux avec la complicité plus ou moins réticente, amusée ou généreuse des musiciens à l’affiche. D’où un hiatus fréquent entre la musique programmée en première partie et l’attente du public. Avec des réactions à l’affiche très diversifiées, comme on le verra ce soir, passant par la franche hostilité (qui ne se manifeste guère plus que par une désertion durant l’entracte), une attention et une volonté de dépasser la perplexité première qui pourra faire basculer vers l’adhésion de cette partie du public acquise d’avance. Pour cette première jazz-session de la saison, en guise de présentation après le mot d’accueil du Président Pierre Gras, Roger Mouchabac prévient : on va entendre un type de musique que beaucoup n’ont jamais entendu mais qu’on sera heureux de découvrir. Au-delà du modèle du Hot-Club, on pense à une vieille tradition militante de l’éducation populaire qui évoque tant l’héritage de la très laïque Ligue de l’enseignement de Jean Macé au XIXe siècle ou du Sillon catholique et ouvriériste de Marc Sangnier au début du siècle, de l’aventure du théâtre populaire démarrée avec les Copiaus de Jacques Copeau (entre les deux guerres) ou des Jeunesses musicales de France (JMF) après la Libération.


Matteo Bortone Travelers : Antonin Tri-Hoang (clarinette, sax alto, clarinette basse, clavier), Francesco Diodati (elg, boucles électro), Matteo Bortone (contrebasse, compositions), Ariel Tessier (batterie).

 

Difficile de faire abstraction de ce contexte face à une musique qui est un peu comme la A15 ce soir, limpide dans un sens et embrumée dans l’autre. Soit une culture du groove et un lyrisme pop dans laquelle ont grandi ces musiciens et une approche musicale très “laborantine”, les deux approches se succédant ou se superposant selon les cas, avec des départs souvent bruitistes d’où un groove induit ne se dégage que très progressivement pour parvenir à une sorte de transe survenue de réitérations mélodiques dans un halo sonore, des pièces totalement abstraites et d’autres privilégiant groove et mélodie, la notion de chorus et la répartition des rôles s’estompant dans une conception très collective de l’improvisation, les solos des uns et des autres n’étant jamais envol solitaire, mais variations autour de boucles thématiques intimement tissées dans la texture orchestrale serrée des arrangements. Ariel Tessier et Bortone réinventent constamment les niveaux de fonctionnalité ou d’hyperactivité de leurs instruments. Diodati lance des boucles sur ses machines et sur sa guitare qui procède par cocottes, motifs plus développés, phrasés en accords ici et là déchirés de fulgurances. Antonin-Tri Hoang improvise parfois d’une main tout en jouant de l’autre sur son clavier ou joue même dans un morceau une double partie, non pas à partir de multiphoniques mais par l’insertion d’un riff en forme de “pêches” entre les notes de sa phrase. Saisissant !


Et pourtant, je ne peux m’empêcher de trouver à tout ça un manque de charisme et d’élan, comme si l’on était à l’atelier. Il est vrai que le groupe se retouve après une longue interruption. Que de nouveaux morceaux sont en chantier (mais est-ce le bon public pour tenter? Ne faudrait-il pas ici privilégier la conviction ?) Une perception probablement influencée par l’observation des réactions du public décrite plus haut. Aimeront ? Aimeront pas ? À en juger par les applaudissements nourris, ils ont aimé dans leur majorité. Parce qu’ils aiment être étonnés et surpris. Mais qu’ils sont vieux dans leur majorité ! Au moins autant que moi, sinon plus. Où sont les jeunes ? Effrayés par ce côté éducation populaire ? Par l’attention que demande cette musique ? Il y a une vraie question sur la surformation accélérée de tous ces jeunes musiciens de plus enplus nombreux alors qu
e dans le même temps on déforme les jeunes publics par la valorisation du fun, du format court et de l’immédiat. Bientôt la 4G sur la totalité du territoire, voilà la grande question du jour, alors que la 3G ne le couvre pas encore dans son intégralité. La 4G pour quoi faire s’interroge Que Choisir ? Pour plus de quoi ? Pour éviter quoi? Pour se distraire de quoi?  Si l’on se posait un peu…


Christian Darré lance la jam avec l’un des thèmes du jour, Juju. Ariel Tessier se fait aussitôt “elvinien”, Matteo Bortone corrige de la voix Antonin Tri-Hoang qui n’en connaît pas bien la mélodie mais qu’il la déduit dès le deuxième thème des accords de piano et qui improvise sur ces harmonies on improviserait sur I Got Rhythm.  Roger Mouchabac se joindra à eux, puis Matteo Bortone cédera sa basse à Hervé Czak et d’autres les rejoindront tandis que je reprends la A 15 qui est cette fois-ci brumeuse du côté Paris-Cergy et dégagée de mon côté. Mon carrosse se tranforme non pas en citrouille orange, mais en Twingo bleu, dont la vitre latérale gauche est passablement encrassée… Beau temps sur la A15 dans les deux sens.


Samedi soir 19 octobre, la Péniche L’Improviste où ils étaient initialement programmés n’étant pas encore opérationnelle dans son nouveau stationnement, les Travelers de Matteo Bortone retrouveront le public parisien, plus jeune, aux Disquaires en début de soirée (19h).


Franck Bergerot

 

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Le contrebassiste Matteo Bortone et ses Travelers (Antonin-Tri Hoang, Francesco Diodati, Ariel Tessier) jouait ce 17 octobre aux Jazz-Sessions de Pierrelaye.

 


« Sur la A15, beau temps dans les deux sens », disait la radio. Le moment était tout choisi pour aller faire un tour dans le Val d’Oise voir comme s’y déroule le festival Jazz sur Seine. J’ai attelé Bijou à ma carrosse et j’ai donc gagné la A15 que j’ai trouvé beaucoup plus carrossable – pour un carrosse, ça tombait bien – que sur mon plan qui doit commencer à dater mais dont, contrairement à l’annonce de la radio n’était sous le beau que dans un sens, l’autre était plongé dans une épaisse bruine.


La Mezzanine, Pierrelay (95), le 17 octobre 2013.


Bien pire, arrivé à la Mezzanine, on m’a certifié que la soirée n’était pas estampillée “Jazz sur Seine” et devant mon incrédulité on m’a ouvert Jazz Magazine. Lu dans Jazzmag… incontestable !  La raison en est que, comme à Jazz à Eaubonne tous les mardis à l’Orangerie (organisation quasiment jumelle dont la présidente Danièle Thierry est présente ce soir à Pierrelaye) et comme à Jazz à Confluent une fois par mois à Conflans-Sainte-Honorine, l’entrée des Jazz-sessions (tous les jeudis) de Pierrelaye est libre, les deux associations vivant du bénévolat et de la cotisation de leurs adhérents ainsi que d’aides de la ville, du conseil général du Val d’Oise. Une configuration qui n’entrait probablement pas dans le profil de Jazz sur Seine.


Il y a dans ces deux associations un peu de l’esprit des antiques Hot Clubs constitués localement d’amateurs de jazz regroupés autour d’une poignée de praticiens pour faire vivre la scène locale, accueillir les représentants de la scène nationale ou internationale et promouvoir la cause du jazz. Pour ce qui est de la scène locale, on y repère professionnels (Christian Darré, le vibraphoniste Pascal Bivalski, les contrebassistes Christian Duperray, François Massé et Hevé Czak, le batteur Jean-Marie Lagache) et amateurs, parmi lesquels le regretté saxophoniste baryton Jean-Yves Denis qui était l’âme de Jazz à Eaubonne et le multi-saxophoniste et flûtiste Roger Mouchabac, ex-pharmacien dont on imagine la rondeur sous le jour du dixieland alors qu’au répertoire de la jam du soir, il fait inscrire Solar, Invitation, Juju qu’il abordera avec un angularité volontiers hirsute… 


Jam session ? Oui, car à Pierrelaye comme à Eaubonne, le concert est suivi d’une jam session qui se met en place avec plus ou moins de naturel et pour des résultats inégaux avec la complicité plus ou moins réticente, amusée ou généreuse des musiciens à l’affiche. D’où un hiatus fréquent entre la musique programmée en première partie et l’attente du public. Avec des réactions à l’affiche très diversifiées, comme on le verra ce soir, passant par la franche hostilité (qui ne se manifeste guère plus que par une désertion durant l’entracte), une attention et une volonté de dépasser la perplexité première qui pourra faire basculer vers l’adhésion de cette partie du public acquise d’avance. Pour cette première jazz-session de la saison, en guise de présentation après le mot d’accueil du Président Pierre Gras, Roger Mouchabac prévient : on va entendre un type de musique que beaucoup n’ont jamais entendu mais qu’on sera heureux de découvrir. Au-delà du modèle du Hot-Club, on pense à une vieille tradition militante de l’éducation populaire qui évoque tant l’héritage de la très laïque Ligue de l’enseignement de Jean Macé au XIXe siècle ou du Sillon catholique et ouvriériste de Marc Sangnier au début du siècle, de l’aventure du théâtre populaire démarrée avec les Copiaus de Jacques Copeau (entre les deux guerres) ou des Jeunesses musicales de France (JMF) après la Libération.


Matteo Bortone Travelers : Antonin Tri-Hoang (clarinette, sax alto, clarinette basse, clavier), Francesco Diodati (elg, boucles électro), Matteo Bortone (contrebasse, compositions), Ariel Tessier (batterie).

 

Difficile de faire abstraction de ce contexte face à une musique qui est un peu comme la A15 ce soir, limpide dans un sens et embrumée dans l’autre. Soit une culture du groove et un lyrisme pop dans laquelle ont grandi ces musiciens et une approche musicale très “laborantine”, les deux approches se succédant ou se superposant selon les cas, avec des départs souvent bruitistes d’où un groove induit ne se dégage que très progressivement pour parvenir à une sorte de transe survenue de réitérations mélodiques dans un halo sonore, des pièces totalement abstraites et d’autres privilégiant groove et mélodie, la notion de chorus et la répartition des rôles s’estompant dans une conception très collective de l’improvisation, les solos des uns et des autres n’étant jamais envol solitaire, mais variations autour de boucles thématiques intimement tissées dans la texture orchestrale serrée des arrangements. Ariel Tessier et Bortone réinventent constamment les niveaux de fonctionnalité ou d’hyperactivité de leurs instruments. Diodati lance des boucles sur ses machines et sur sa guitare qui procède par cocottes, motifs plus développés, phrasés en accords ici et là déchirés de fulgurances. Antonin-Tri Hoang improvise parfois d’une main tout en jouant de l’autre sur son clavier ou joue même dans un morceau une double partie, non pas à partir de multiphoniques mais par l’insertion d’un riff en forme de “pêches” entre les notes de sa phrase. Saisissant !


Et pourtant, je ne peux m’empêcher de trouver à tout ça un manque de charisme et d’élan, comme si l’on était à l’atelier. Il est vrai que le groupe se retouve après une longue interruption. Que de nouveaux morceaux sont en chantier (mais est-ce le bon public pour tenter? Ne faudrait-il pas ici privilégier la conviction ?) Une perception probablement influencée par l’observation des réactions du public décrite plus haut. Aimeront ? Aimeront pas ? À en juger par les applaudissements nourris, ils ont aimé dans leur majorité. Parce qu’ils aiment être étonnés et surpris. Mais qu’ils sont vieux dans leur majorité ! Au moins autant que moi, sinon plus. Où sont les jeunes ? Effrayés par ce côté éducation populaire ? Par l’attention que demande cette musique ? Il y a une vraie question sur la surformation accélérée de tous ces jeunes musiciens de plus enplus nombreux alors qu
e dans le même temps on déforme les jeunes publics par la valorisation du fun, du format court et de l’immédiat. Bientôt la 4G sur la totalité du territoire, voilà la grande question du jour, alors que la 3G ne le couvre pas encore dans son intégralité. La 4G pour quoi faire s’interroge Que Choisir ? Pour plus de quoi ? Pour éviter quoi? Pour se distraire de quoi?  Si l’on se posait un peu…


Christian Darré lance la jam avec l’un des thèmes du jour, Juju. Ariel Tessier se fait aussitôt “elvinien”, Matteo Bortone corrige de la voix Antonin Tri-Hoang qui n’en connaît pas bien la mélodie mais qu’il la déduit dès le deuxième thème des accords de piano et qui improvise sur ces harmonies on improviserait sur I Got Rhythm.  Roger Mouchabac se joindra à eux, puis Matteo Bortone cédera sa basse à Hervé Czak et d’autres les rejoindront tandis que je reprends la A 15 qui est cette fois-ci brumeuse du côté Paris-Cergy et dégagée de mon côté. Mon carrosse se tranforme non pas en citrouille orange, mais en Twingo bleu, dont la vitre latérale gauche est passablement encrassée… Beau temps sur la A15 dans les deux sens.


Samedi soir 19 octobre, la Péniche L’Improviste où ils étaient initialement programmés n’étant pas encore opérationnelle dans son nouveau stationnement, les Travelers de Matteo Bortone retrouveront le public parisien, plus jeune, aux Disquaires en début de soirée (19h).


Franck Bergerot