ROMANE, Richard & Pierre MANETTI Guitar Family Connection à Cabreton
Mardi, 23h27, mon portable sonne, c’est Christian Nogaro, luthier en contrebasse et directeur artistique du festival Fugue en pays jazz. « Mon cher ami, pardon de te déranger à une heure aussi tardive, mais aurais-tu la possibilité de prêter tes amplis pour le concert de Romane et ses fils après-demain? ». Jeudi dernier, donc. Ça tombe bien, j’avais prévu d’y aller, ça sera l’occasion de rencontrer des artistes que je connaissais assez peu, en dehors de quelques vidéos sur YouTube et de l’excellent « passe à table » réalisé par Frank Bergerot dans le Jazz Magazine Jazzman du mois de juillet dernier (N° 651) .
ROMANE, Richard et Pierre MANETTI (g)
Salle municipale de Capbreton, Jeudi 31 octobre 2013
Jeudi 31 octobre, dans l’après-midi. Direction la gare de Bayonne pour réceptionner nos trois guitaristes. Pierre et Richard Manetti sont emmenés par Christian, et j’ai donc le plaisir de faire le trajet avec Romane, un prétexte fort agréable pour faire connaissance avec un monsieur fort sympathique. Nous abordons divers sujets : entre autres, les charmes de la région (notre belle côte basco-landaise), son tout récent Grand Prix Sacem du jazz 2013, ainsi qu’un point de vue assez perspicace et militant au sujet de l’appellation « jazz manouche ». Autant Romane est tombé petit dans la marmite musicale de Django Reinhardt et a toujours fréquenté des musiciens manouches, autant il déplore une sorte de récupération par cette communauté de la musique de Django, ainsi qu’un rapprochement fabriqué de toutes pièces avec les musiques d’Europe de l’Est, que Django ne connaissait assurément pas. Respectueux, oui mais certainement pas puriste, et surtout pas « gardien du temple » ! Romane laisse volontiers ce rôle à d’autres, dont certains le font très bien.
Arrive ensuite le moment de la balance, séquence de toute façon délicate et qui le devient encore plus lorsque, comme nos trois guitaristes, on a huit heures de trajet dans les pattes, qu’on joue sur un ampli qui n’est pas le sien et dans une salle où l’acoustique n’est pas des plus faciles. C’est loin d’être du tout cuit, et même avec toute leur expérience, il leur faudra un très long moment pour essayer toutes sortes de réglages de tonalité, de dispositions des amplis, de niveaux sonores des retours etc… avant d’arriver à un résultat satisfaisant. Il ne restait plus aux musiciens qu’à se poser autour d’un verre, se nettoyer les oreilles et refaire le plein d’énergie avant de monter sur scène.
Peu de temps avant le concert, je me retrouve à table avec eux. Avant le premier coup de fourchette, Bernard Labat, le responsable de la médiathèque de Capbreton réalise avec brio une interview pour son émission « Les cats se rebiffent » en direct le lundi de 19 à 20h sur Côte Sud FM 90.3. C’est que Bernard a bougrement bien potassé son sujet : la pertinence de ses questions et surtout la précision de la foule d’infos collectées en amont ne manqueront pas d’impressionner Romane et ses fistons. À la sortie de l’interview, ils avoueront que de tomber sur un interviewer aussi pointu ne leur arrive pas tous les jours ! On connait certes quelques journalistes spécialisés très influents et placés dans des médias beaucoup plus prestigieux, qui, sur le plan de la culture et de l’analyse, paraissent plus… comment dire… légers ! (suivez mon regard) Alors bravo Bernard, pour la qualité de ton travail !
21h et des poussières, le public est bien au rendez-vous et déjà attablé car c’est une formule dîner-concert qui lui est proposée, en collaboration avec l’hôtel restaurant La Pergola à Capbreton, dont nous saluons ici la qualité des produits confectionnés (à table, les musiciens avaient commenté la succulence du menu par quelques « Ça déchire ! » et autres « C‘est une tuerie ! ».
Sur un registre plus formel, le concert est présenté par Christian Nogaro et Serge Mackowiak, président de l’association Jazz Partners. Ce dernier ne cachera pas au public la difficulté de maintenir la programmation d’évènements de qualité en période de crise, et insistera sur la nécessité, pour continuer à le faire, de gagner de nouveaux adhérents.
Le concert peut alors démarrer : à gauche Pierre, le benjamin, au centre Romane, le papa, et à droite Richard, l’aîné, ouvrent ce premier set avec une adaptation très bien trouvée d’Over The Rainbow, suivie d’un chouette arrangement de Someday My Prince Will Come. Une belle entrée en matière qui permet d’apprécier l’entente et la complémentarité des trois guitaristes, chacun ayant une personnalité distincte (nous y reviendrons). La seule composition originale de cette première partie s’intitule Italian Prelude. Elle est signée de Richard, et la beauté lyrique de sa progression harmonique évoque bien un je-ne-sais-quoi d’italienneté, clin d’œil inspiré aux origines familiales. Suivront l’interprétation de deux monuments, chacun dans sa catégorie : le ‘Round Midnight de Monk, et le Teen Town de Jaco Pastorius, belle illustration de l’éclectisme du choix du répertoire. Lors de l’interview de Bernard Labat, Romane avait confié ressentir une certaine intimidation avant de s’attaquer à la balade jazz la plus jouée au monde (comment servir ce chef-d’œuvre si bien joué par tant d’autres, comment trouver quelque chose de personnel à raconter…), et ce sont finalement les encouragements décomplexés de ses enfants qui ont permis cet ajout à leur programme. Quand à Teen Town, son exécution reste toujours un tour de force (le groove et la mise en place ne pardonnent pas, surtout sans batteur pour rappeler de temps à autres où se situe le premier temps !) et les trois mousquetaires s’en sont superbement tirés. Muni d’un octaveur qui lui permet de simuler la basse, Richard a pu faire preuve de son amour pour Jaco et de sa connaissance des lignes de basses si caractéristiques du génial bassiste et compositeur.
Le deuxième set fera la part belle aux compositions originales des membres du trio. Les titres n’ayant pas toujours été annoncés, ce sont des ambiances dont je me souviens. Du swing, beaucoup, un titre basé sur le motif rythmique du charleston, un funk modal dans la tonalité de fa (F Funk ?), une belle balade, et à nouveau quelques standards dont une version très énergique de Take The A Train, et en rappel, une vielle chanson du répertoire New Orleans, After You’ve Gone. Carton bien mérité auprès d’un public enthousiaste !
Comme je le soulignai un peu plus haut, Romane, Richard et Pierre Manetti ont, malgré les liens du sang, trois personnalités complémentaires et assez distinctes. Ce qui les réunit incontestablement, c’est l’art de faire sonner « la pompe », cette manière énergique et ultra-précise d’accompagner sur tous les temps (vous savez, le fameux tchinc-tchinc-tchinc-tchinc) de manière à fournir un soutien aussi rythmique qu’harmonique. Mine de rien, cela requiert un savant dosage de pas mal de paramètres, et on entend très vite une pompe qui fonctionne, ou pas ! Chez les Manetti père & fils, c’est pas que ça fonctionne, c’est que « ça le fait grave !» , dans la terminologie un brin désuète des musiciens de jazz. Pour en revenir à la polémique citée précédemment au sujet
du jazz « manouche », il me semble que cette pompe, si bien jouée, aura été pour Romane et les fistons une arme à double tranchant : d’un côté, elle a certainement servi à rendre légitime leur démarche aux yeux (et aux oreilles) de la communauté manouche et à gagner son respect (ce qui n’est guère chose facile, soit dit en passant), mais en ce qui concerne le marketing et la couverture médiatique, elle les a enfermés dans cette même catégorie, ce qui finit par leur peser passablement sur les nerfs ! Certes, peut-être l’ont-ils un peu cherché aussi (!), toujours est-il que dans ce qui nous à été donné d’entendre lors de ce concert à Capbreton, la pompe est bien le seul élément que l’on puisse rattacher à la musique de Django. Par contre, le choix du répertoire en est carrément démarqué (point d’yeux noirs ni de nuages à l’horizon), enfin et surtout, le vocabulaire et le phrasé des guitaristes est nourri d’influences bien plus diverses. On est plutôt dans un domaine post-bop et du côté de chez George Benson que dans les « manoucheries ».
Romane, en vétéran expérimenté, n’a plus rien à prouver à la guitare, et ça s’entend dans son jeu. Il sait bien que d’autres jouent plus fort et plus vite, dit-il en souriant, mais ça lui convient tout à fait puisque ce n’est pas le sens de sa démarche. En revanche, la recherche de la phrase belle, la conviction rythmique et la logique harmonique sont des notions qui semblent lui parler davantage. Aucun effets de manche, donc, mais une attention constante à la musicalité du propos et à la cohésion du trio. On retrouve évidemment ces mêmes qualités chez les frères Manetti, mais avec aussi, une certaine envie d’en découdre et c’est bien compréhensible vu leur jeune âge (26 ans pour Richard et 20 ans pour Pierre). Les deux ont les moyens techniques de « débouler », même s’ils s’en défendent et même si on ne peut en aucun cas les résumer à ça. Le stéréotype du Guitar Hero virtuose mais froid, c’est pas pour eux. Disons que dans un milieu qui peut se révéler assez compétitif, la virtuosité ne saurait être une fin en soi, mais mieux vaut en avoir sous la pédale en cas de besoin. Tout le monde n’a pas la science conceptuelle ni les choix esthétiques d’un Jim Hall ou d’un Bill Frisell pour assumer un discours presque entièrement dépourvu de virtuosité (même si ça n’a pas toujours été le cas chez eux).
Pour en revenir aux jeunes Manetti, Richard est plus dans l’énergie, la danse, alors que Pierre semble plus introverti, mais il n’en pense pas moins ! Dans les deux cas, ça cherche, ça trouve, ça raconte une histoire, et c’est très expressif. Quelques notes un peu « vertes » aussi parfois, dans l’emballement, en particulier dans des virages où le jeu un peu out est recherché, mais globalement une belle maîtrise et une belle musicalité… Déjà ! Laissons-leur le temps de mûrir, leur potentiel, forcément non entièrement exploité, est déjà énorme.
En sortant de scène, Romane me confie n’être pas vraiment satisfait de lui, mais ses fils lui ont assuré l’inverse. Je le lui confirme. La vérité sort bien de la bouche des enfants…
Pascal Ségala
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Mardi, 23h27, mon portable sonne, c’est Christian Nogaro, luthier en contrebasse et directeur artistique du festival Fugue en pays jazz. « Mon cher ami, pardon de te déranger à une heure aussi tardive, mais aurais-tu la possibilité de prêter tes amplis pour le concert de Romane et ses fils après-demain? ». Jeudi dernier, donc. Ça tombe bien, j’avais prévu d’y aller, ça sera l’occasion de rencontrer des artistes que je connaissais assez peu, en dehors de quelques vidéos sur YouTube et de l’excellent « passe à table » réalisé par Frank Bergerot dans le Jazz Magazine Jazzman du mois de juillet dernier (N° 651) .
ROMANE, Richard et Pierre MANETTI (g)
Salle municipale de Capbreton, Jeudi 31 octobre 2013
Jeudi 31 octobre, dans l’après-midi. Direction la gare de Bayonne pour réceptionner nos trois guitaristes. Pierre et Richard Manetti sont emmenés par Christian, et j’ai donc le plaisir de faire le trajet avec Romane, un prétexte fort agréable pour faire connaissance avec un monsieur fort sympathique. Nous abordons divers sujets : entre autres, les charmes de la région (notre belle côte basco-landaise), son tout récent Grand Prix Sacem du jazz 2013, ainsi qu’un point de vue assez perspicace et militant au sujet de l’appellation « jazz manouche ». Autant Romane est tombé petit dans la marmite musicale de Django Reinhardt et a toujours fréquenté des musiciens manouches, autant il déplore une sorte de récupération par cette communauté de la musique de Django, ainsi qu’un rapprochement fabriqué de toutes pièces avec les musiques d’Europe de l’Est, que Django ne connaissait assurément pas. Respectueux, oui mais certainement pas puriste, et surtout pas « gardien du temple » ! Romane laisse volontiers ce rôle à d’autres, dont certains le font très bien.
Arrive ensuite le moment de la balance, séquence de toute façon délicate et qui le devient encore plus lorsque, comme nos trois guitaristes, on a huit heures de trajet dans les pattes, qu’on joue sur un ampli qui n’est pas le sien et dans une salle où l’acoustique n’est pas des plus faciles. C’est loin d’être du tout cuit, et même avec toute leur expérience, il leur faudra un très long moment pour essayer toutes sortes de réglages de tonalité, de dispositions des amplis, de niveaux sonores des retours etc… avant d’arriver à un résultat satisfaisant. Il ne restait plus aux musiciens qu’à se poser autour d’un verre, se nettoyer les oreilles et refaire le plein d’énergie avant de monter sur scène.
Peu de temps avant le concert, je me retrouve à table avec eux. Avant le premier coup de fourchette, Bernard Labat, le responsable de la médiathèque de Capbreton réalise avec brio une interview pour son émission « Les cats se rebiffent » en direct le lundi de 19 à 20h sur Côte Sud FM 90.3. C’est que Bernard a bougrement bien potassé son sujet : la pertinence de ses questions et surtout la précision de la foule d’infos collectées en amont ne manqueront pas d’impressionner Romane et ses fistons. À la sortie de l’interview, ils avoueront que de tomber sur un interviewer aussi pointu ne leur arrive pas tous les jours ! On connait certes quelques journalistes spécialisés très influents et placés dans des médias beaucoup plus prestigieux, qui, sur le plan de la culture et de l’analyse, paraissent plus… comment dire… légers ! (suivez mon regard) Alors bravo Bernard, pour la qualité de ton travail !
21h et des poussières, le public est bien au rendez-vous et déjà attablé car c’est une formule dîner-concert qui lui est proposée, en collaboration avec l’hôtel restaurant La Pergola à Capbreton, dont nous saluons ici la qualité des produits confectionnés (à table, les musiciens avaient commenté la succulence du menu par quelques « Ça déchire ! » et autres « C‘est une tuerie ! ».
Sur un registre plus formel, le concert est présenté par Christian Nogaro et Serge Mackowiak, président de l’association Jazz Partners. Ce dernier ne cachera pas au public la difficulté de maintenir la programmation d’évènements de qualité en période de crise, et insistera sur la nécessité, pour continuer à le faire, de gagner de nouveaux adhérents.
Le concert peut alors démarrer : à gauche Pierre, le benjamin, au centre Romane, le papa, et à droite Richard, l’aîné, ouvrent ce premier set avec une adaptation très bien trouvée d’Over The Rainbow, suivie d’un chouette arrangement de Someday My Prince Will Come. Une belle entrée en matière qui permet d’apprécier l’entente et la complémentarité des trois guitaristes, chacun ayant une personnalité distincte (nous y reviendrons). La seule composition originale de cette première partie s’intitule Italian Prelude. Elle est signée de Richard, et la beauté lyrique de sa progression harmonique évoque bien un je-ne-sais-quoi d’italienneté, clin d’œil inspiré aux origines familiales. Suivront l’interprétation de deux monuments, chacun dans sa catégorie : le ‘Round Midnight de Monk, et le Teen Town de Jaco Pastorius, belle illustration de l’éclectisme du choix du répertoire. Lors de l’interview de Bernard Labat, Romane avait confié ressentir une certaine intimidation avant de s’attaquer à la balade jazz la plus jouée au monde (comment servir ce chef-d’œuvre si bien joué par tant d’autres, comment trouver quelque chose de personnel à raconter…), et ce sont finalement les encouragements décomplexés de ses enfants qui ont permis cet ajout à leur programme. Quand à Teen Town, son exécution reste toujours un tour de force (le groove et la mise en place ne pardonnent pas, surtout sans batteur pour rappeler de temps à autres où se situe le premier temps !) et les trois mousquetaires s’en sont superbement tirés. Muni d’un octaveur qui lui permet de simuler la basse, Richard a pu faire preuve de son amour pour Jaco et de sa connaissance des lignes de basses si caractéristiques du génial bassiste et compositeur.
Le deuxième set fera la part belle aux compositions originales des membres du trio. Les titres n’ayant pas toujours été annoncés, ce sont des ambiances dont je me souviens. Du swing, beaucoup, un titre basé sur le motif rythmique du charleston, un funk modal dans la tonalité de fa (F Funk ?), une belle balade, et à nouveau quelques standards dont une version très énergique de Take The A Train, et en rappel, une vielle chanson du répertoire New Orleans, After You’ve Gone. Carton bien mérité auprès d’un public enthousiaste !
Comme je le soulignai un peu plus haut, Romane, Richard et Pierre Manetti ont, malgré les liens du sang, trois personnalités complémentaires et assez distinctes. Ce qui les réunit incontestablement, c’est l’art de faire sonner « la pompe », cette manière énergique et ultra-précise d’accompagner sur tous les temps (vous savez, le fameux tchinc-tchinc-tchinc-tchinc) de manière à fournir un soutien aussi rythmique qu’harmonique. Mine de rien, cela requiert un savant dosage de pas mal de paramètres, et on entend très vite une pompe qui fonctionne, ou pas ! Chez les Manetti père & fils, c’est pas que ça fonctionne, c’est que « ça le fait grave !» , dans la terminologie un brin désuète des musiciens de jazz. Pour en revenir à la polémique citée précédemment au sujet
du jazz « manouche », il me semble que cette pompe, si bien jouée, aura été pour Romane et les fistons une arme à double tranchant : d’un côté, elle a certainement servi à rendre légitime leur démarche aux yeux (et aux oreilles) de la communauté manouche et à gagner son respect (ce qui n’est guère chose facile, soit dit en passant), mais en ce qui concerne le marketing et la couverture médiatique, elle les a enfermés dans cette même catégorie, ce qui finit par leur peser passablement sur les nerfs ! Certes, peut-être l’ont-ils un peu cherché aussi (!), toujours est-il que dans ce qui nous à été donné d’entendre lors de ce concert à Capbreton, la pompe est bien le seul élément que l’on puisse rattacher à la musique de Django. Par contre, le choix du répertoire en est carrément démarqué (point d’yeux noirs ni de nuages à l’horizon), enfin et surtout, le vocabulaire et le phrasé des guitaristes est nourri d’influences bien plus diverses. On est plutôt dans un domaine post-bop et du côté de chez George Benson que dans les « manoucheries ».
Romane, en vétéran expérimenté, n’a plus rien à prouver à la guitare, et ça s’entend dans son jeu. Il sait bien que d’autres jouent plus fort et plus vite, dit-il en souriant, mais ça lui convient tout à fait puisque ce n’est pas le sens de sa démarche. En revanche, la recherche de la phrase belle, la conviction rythmique et la logique harmonique sont des notions qui semblent lui parler davantage. Aucun effets de manche, donc, mais une attention constante à la musicalité du propos et à la cohésion du trio. On retrouve évidemment ces mêmes qualités chez les frères Manetti, mais avec aussi, une certaine envie d’en découdre et c’est bien compréhensible vu leur jeune âge (26 ans pour Richard et 20 ans pour Pierre). Les deux ont les moyens techniques de « débouler », même s’ils s’en défendent et même si on ne peut en aucun cas les résumer à ça. Le stéréotype du Guitar Hero virtuose mais froid, c’est pas pour eux. Disons que dans un milieu qui peut se révéler assez compétitif, la virtuosité ne saurait être une fin en soi, mais mieux vaut en avoir sous la pédale en cas de besoin. Tout le monde n’a pas la science conceptuelle ni les choix esthétiques d’un Jim Hall ou d’un Bill Frisell pour assumer un discours presque entièrement dépourvu de virtuosité (même si ça n’a pas toujours été le cas chez eux).
Pour en revenir aux jeunes Manetti, Richard est plus dans l’énergie, la danse, alors que Pierre semble plus introverti, mais il n’en pense pas moins ! Dans les deux cas, ça cherche, ça trouve, ça raconte une histoire, et c’est très expressif. Quelques notes un peu « vertes » aussi parfois, dans l’emballement, en particulier dans des virages où le jeu un peu out est recherché, mais globalement une belle maîtrise et une belle musicalité… Déjà ! Laissons-leur le temps de mûrir, leur potentiel, forcément non entièrement exploité, est déjà énorme.
En sortant de scène, Romane me confie n’être pas vraiment satisfait de lui, mais ses fils lui ont assuré l’inverse. Je le lui confirme. La vérité sort bien de la bouche des enfants…
Pascal Ségala
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Mardi, 23h27, mon portable sonne, c’est Christian Nogaro, luthier en contrebasse et directeur artistique du festival Fugue en pays jazz. « Mon cher ami, pardon de te déranger à une heure aussi tardive, mais aurais-tu la possibilité de prêter tes amplis pour le concert de Romane et ses fils après-demain? ». Jeudi dernier, donc. Ça tombe bien, j’avais prévu d’y aller, ça sera l’occasion de rencontrer des artistes que je connaissais assez peu, en dehors de quelques vidéos sur YouTube et de l’excellent « passe à table » réalisé par Frank Bergerot dans le Jazz Magazine Jazzman du mois de juillet dernier (N° 651) .
ROMANE, Richard et Pierre MANETTI (g)
Salle municipale de Capbreton, Jeudi 31 octobre 2013
Jeudi 31 octobre, dans l’après-midi. Direction la gare de Bayonne pour réceptionner nos trois guitaristes. Pierre et Richard Manetti sont emmenés par Christian, et j’ai donc le plaisir de faire le trajet avec Romane, un prétexte fort agréable pour faire connaissance avec un monsieur fort sympathique. Nous abordons divers sujets : entre autres, les charmes de la région (notre belle côte basco-landaise), son tout récent Grand Prix Sacem du jazz 2013, ainsi qu’un point de vue assez perspicace et militant au sujet de l’appellation « jazz manouche ». Autant Romane est tombé petit dans la marmite musicale de Django Reinhardt et a toujours fréquenté des musiciens manouches, autant il déplore une sorte de récupération par cette communauté de la musique de Django, ainsi qu’un rapprochement fabriqué de toutes pièces avec les musiques d’Europe de l’Est, que Django ne connaissait assurément pas. Respectueux, oui mais certainement pas puriste, et surtout pas « gardien du temple » ! Romane laisse volontiers ce rôle à d’autres, dont certains le font très bien.
Arrive ensuite le moment de la balance, séquence de toute façon délicate et qui le devient encore plus lorsque, comme nos trois guitaristes, on a huit heures de trajet dans les pattes, qu’on joue sur un ampli qui n’est pas le sien et dans une salle où l’acoustique n’est pas des plus faciles. C’est loin d’être du tout cuit, et même avec toute leur expérience, il leur faudra un très long moment pour essayer toutes sortes de réglages de tonalité, de dispositions des amplis, de niveaux sonores des retours etc… avant d’arriver à un résultat satisfaisant. Il ne restait plus aux musiciens qu’à se poser autour d’un verre, se nettoyer les oreilles et refaire le plein d’énergie avant de monter sur scène.
Peu de temps avant le concert, je me retrouve à table avec eux. Avant le premier coup de fourchette, Bernard Labat, le responsable de la médiathèque de Capbreton réalise avec brio une interview pour son émission « Les cats se rebiffent » en direct le lundi de 19 à 20h sur Côte Sud FM 90.3. C’est que Bernard a bougrement bien potassé son sujet : la pertinence de ses questions et surtout la précision de la foule d’infos collectées en amont ne manqueront pas d’impressionner Romane et ses fistons. À la sortie de l’interview, ils avoueront que de tomber sur un interviewer aussi pointu ne leur arrive pas tous les jours ! On connait certes quelques journalistes spécialisés très influents et placés dans des médias beaucoup plus prestigieux, qui, sur le plan de la culture et de l’analyse, paraissent plus… comment dire… légers ! (suivez mon regard) Alors bravo Bernard, pour la qualité de ton travail !
21h et des poussières, le public est bien au rendez-vous et déjà attablé car c’est une formule dîner-concert qui lui est proposée, en collaboration avec l’hôtel restaurant La Pergola à Capbreton, dont nous saluons ici la qualité des produits confectionnés (à table, les musiciens avaient commenté la succulence du menu par quelques « Ça déchire ! » et autres « C‘est une tuerie ! ».
Sur un registre plus formel, le concert est présenté par Christian Nogaro et Serge Mackowiak, président de l’association Jazz Partners. Ce dernier ne cachera pas au public la difficulté de maintenir la programmation d’évènements de qualité en période de crise, et insistera sur la nécessité, pour continuer à le faire, de gagner de nouveaux adhérents.
Le concert peut alors démarrer : à gauche Pierre, le benjamin, au centre Romane, le papa, et à droite Richard, l’aîné, ouvrent ce premier set avec une adaptation très bien trouvée d’Over The Rainbow, suivie d’un chouette arrangement de Someday My Prince Will Come. Une belle entrée en matière qui permet d’apprécier l’entente et la complémentarité des trois guitaristes, chacun ayant une personnalité distincte (nous y reviendrons). La seule composition originale de cette première partie s’intitule Italian Prelude. Elle est signée de Richard, et la beauté lyrique de sa progression harmonique évoque bien un je-ne-sais-quoi d’italienneté, clin d’œil inspiré aux origines familiales. Suivront l’interprétation de deux monuments, chacun dans sa catégorie : le ‘Round Midnight de Monk, et le Teen Town de Jaco Pastorius, belle illustration de l’éclectisme du choix du répertoire. Lors de l’interview de Bernard Labat, Romane avait confié ressentir une certaine intimidation avant de s’attaquer à la balade jazz la plus jouée au monde (comment servir ce chef-d’œuvre si bien joué par tant d’autres, comment trouver quelque chose de personnel à raconter…), et ce sont finalement les encouragements décomplexés de ses enfants qui ont permis cet ajout à leur programme. Quand à Teen Town, son exécution reste toujours un tour de force (le groove et la mise en place ne pardonnent pas, surtout sans batteur pour rappeler de temps à autres où se situe le premier temps !) et les trois mousquetaires s’en sont superbement tirés. Muni d’un octaveur qui lui permet de simuler la basse, Richard a pu faire preuve de son amour pour Jaco et de sa connaissance des lignes de basses si caractéristiques du génial bassiste et compositeur.
Le deuxième set fera la part belle aux compositions originales des membres du trio. Les titres n’ayant pas toujours été annoncés, ce sont des ambiances dont je me souviens. Du swing, beaucoup, un titre basé sur le motif rythmique du charleston, un funk modal dans la tonalité de fa (F Funk ?), une belle balade, et à nouveau quelques standards dont une version très énergique de Take The A Train, et en rappel, une vielle chanson du répertoire New Orleans, After You’ve Gone. Carton bien mérité auprès d’un public enthousiaste !
Comme je le soulignai un peu plus haut, Romane, Richard et Pierre Manetti ont, malgré les liens du sang, trois personnalités complémentaires et assez distinctes. Ce qui les réunit incontestablement, c’est l’art de faire sonner « la pompe », cette manière énergique et ultra-précise d’accompagner sur tous les temps (vous savez, le fameux tchinc-tchinc-tchinc-tchinc) de manière à fournir un soutien aussi rythmique qu’harmonique. Mine de rien, cela requiert un savant dosage de pas mal de paramètres, et on entend très vite une pompe qui fonctionne, ou pas ! Chez les Manetti père & fils, c’est pas que ça fonctionne, c’est que « ça le fait grave !» , dans la terminologie un brin désuète des musiciens de jazz. Pour en revenir à la polémique citée précédemment au sujet
du jazz « manouche », il me semble que cette pompe, si bien jouée, aura été pour Romane et les fistons une arme à double tranchant : d’un côté, elle a certainement servi à rendre légitime leur démarche aux yeux (et aux oreilles) de la communauté manouche et à gagner son respect (ce qui n’est guère chose facile, soit dit en passant), mais en ce qui concerne le marketing et la couverture médiatique, elle les a enfermés dans cette même catégorie, ce qui finit par leur peser passablement sur les nerfs ! Certes, peut-être l’ont-ils un peu cherché aussi (!), toujours est-il que dans ce qui nous à été donné d’entendre lors de ce concert à Capbreton, la pompe est bien le seul élément que l’on puisse rattacher à la musique de Django. Par contre, le choix du répertoire en est carrément démarqué (point d’yeux noirs ni de nuages à l’horizon), enfin et surtout, le vocabulaire et le phrasé des guitaristes est nourri d’influences bien plus diverses. On est plutôt dans un domaine post-bop et du côté de chez George Benson que dans les « manoucheries ».
Romane, en vétéran expérimenté, n’a plus rien à prouver à la guitare, et ça s’entend dans son jeu. Il sait bien que d’autres jouent plus fort et plus vite, dit-il en souriant, mais ça lui convient tout à fait puisque ce n’est pas le sens de sa démarche. En revanche, la recherche de la phrase belle, la conviction rythmique et la logique harmonique sont des notions qui semblent lui parler davantage. Aucun effets de manche, donc, mais une attention constante à la musicalité du propos et à la cohésion du trio. On retrouve évidemment ces mêmes qualités chez les frères Manetti, mais avec aussi, une certaine envie d’en découdre et c’est bien compréhensible vu leur jeune âge (26 ans pour Richard et 20 ans pour Pierre). Les deux ont les moyens techniques de « débouler », même s’ils s’en défendent et même si on ne peut en aucun cas les résumer à ça. Le stéréotype du Guitar Hero virtuose mais froid, c’est pas pour eux. Disons que dans un milieu qui peut se révéler assez compétitif, la virtuosité ne saurait être une fin en soi, mais mieux vaut en avoir sous la pédale en cas de besoin. Tout le monde n’a pas la science conceptuelle ni les choix esthétiques d’un Jim Hall ou d’un Bill Frisell pour assumer un discours presque entièrement dépourvu de virtuosité (même si ça n’a pas toujours été le cas chez eux).
Pour en revenir aux jeunes Manetti, Richard est plus dans l’énergie, la danse, alors que Pierre semble plus introverti, mais il n’en pense pas moins ! Dans les deux cas, ça cherche, ça trouve, ça raconte une histoire, et c’est très expressif. Quelques notes un peu « vertes » aussi parfois, dans l’emballement, en particulier dans des virages où le jeu un peu out est recherché, mais globalement une belle maîtrise et une belle musicalité… Déjà ! Laissons-leur le temps de mûrir, leur potentiel, forcément non entièrement exploité, est déjà énorme.
En sortant de scène, Romane me confie n’être pas vraiment satisfait de lui, mais ses fils lui ont assuré l’inverse. Je le lui confirme. La vérité sort bien de la bouche des enfants…
Pascal Ségala
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Mardi, 23h27, mon portable sonne, c’est Christian Nogaro, luthier en contrebasse et directeur artistique du festival Fugue en pays jazz. « Mon cher ami, pardon de te déranger à une heure aussi tardive, mais aurais-tu la possibilité de prêter tes amplis pour le concert de Romane et ses fils après-demain? ». Jeudi dernier, donc. Ça tombe bien, j’avais prévu d’y aller, ça sera l’occasion de rencontrer des artistes que je connaissais assez peu, en dehors de quelques vidéos sur YouTube et de l’excellent « passe à table » réalisé par Frank Bergerot dans le Jazz Magazine Jazzman du mois de juillet dernier (N° 651) .
ROMANE, Richard et Pierre MANETTI (g)
Salle municipale de Capbreton, Jeudi 31 octobre 2013
Jeudi 31 octobre, dans l’après-midi. Direction la gare de Bayonne pour réceptionner nos trois guitaristes. Pierre et Richard Manetti sont emmenés par Christian, et j’ai donc le plaisir de faire le trajet avec Romane, un prétexte fort agréable pour faire connaissance avec un monsieur fort sympathique. Nous abordons divers sujets : entre autres, les charmes de la région (notre belle côte basco-landaise), son tout récent Grand Prix Sacem du jazz 2013, ainsi qu’un point de vue assez perspicace et militant au sujet de l’appellation « jazz manouche ». Autant Romane est tombé petit dans la marmite musicale de Django Reinhardt et a toujours fréquenté des musiciens manouches, autant il déplore une sorte de récupération par cette communauté de la musique de Django, ainsi qu’un rapprochement fabriqué de toutes pièces avec les musiques d’Europe de l’Est, que Django ne connaissait assurément pas. Respectueux, oui mais certainement pas puriste, et surtout pas « gardien du temple » ! Romane laisse volontiers ce rôle à d’autres, dont certains le font très bien.
Arrive ensuite le moment de la balance, séquence de toute façon délicate et qui le devient encore plus lorsque, comme nos trois guitaristes, on a huit heures de trajet dans les pattes, qu’on joue sur un ampli qui n’est pas le sien et dans une salle où l’acoustique n’est pas des plus faciles. C’est loin d’être du tout cuit, et même avec toute leur expérience, il leur faudra un très long moment pour essayer toutes sortes de réglages de tonalité, de dispositions des amplis, de niveaux sonores des retours etc… avant d’arriver à un résultat satisfaisant. Il ne restait plus aux musiciens qu’à se poser autour d’un verre, se nettoyer les oreilles et refaire le plein d’énergie avant de monter sur scène.
Peu de temps avant le concert, je me retrouve à table avec eux. Avant le premier coup de fourchette, Bernard Labat, le responsable de la médiathèque de Capbreton réalise avec brio une interview pour son émission « Les cats se rebiffent » en direct le lundi de 19 à 20h sur Côte Sud FM 90.3. C’est que Bernard a bougrement bien potassé son sujet : la pertinence de ses questions et surtout la précision de la foule d’infos collectées en amont ne manqueront pas d’impressionner Romane et ses fistons. À la sortie de l’interview, ils avoueront que de tomber sur un interviewer aussi pointu ne leur arrive pas tous les jours ! On connait certes quelques journalistes spécialisés très influents et placés dans des médias beaucoup plus prestigieux, qui, sur le plan de la culture et de l’analyse, paraissent plus… comment dire… légers ! (suivez mon regard) Alors bravo Bernard, pour la qualité de ton travail !
21h et des poussières, le public est bien au rendez-vous et déjà attablé car c’est une formule dîner-concert qui lui est proposée, en collaboration avec l’hôtel restaurant La Pergola à Capbreton, dont nous saluons ici la qualité des produits confectionnés (à table, les musiciens avaient commenté la succulence du menu par quelques « Ça déchire ! » et autres « C‘est une tuerie ! ».
Sur un registre plus formel, le concert est présenté par Christian Nogaro et Serge Mackowiak, président de l’association Jazz Partners. Ce dernier ne cachera pas au public la difficulté de maintenir la programmation d’évènements de qualité en période de crise, et insistera sur la nécessité, pour continuer à le faire, de gagner de nouveaux adhérents.
Le concert peut alors démarrer : à gauche Pierre, le benjamin, au centre Romane, le papa, et à droite Richard, l’aîné, ouvrent ce premier set avec une adaptation très bien trouvée d’Over The Rainbow, suivie d’un chouette arrangement de Someday My Prince Will Come. Une belle entrée en matière qui permet d’apprécier l’entente et la complémentarité des trois guitaristes, chacun ayant une personnalité distincte (nous y reviendrons). La seule composition originale de cette première partie s’intitule Italian Prelude. Elle est signée de Richard, et la beauté lyrique de sa progression harmonique évoque bien un je-ne-sais-quoi d’italienneté, clin d’œil inspiré aux origines familiales. Suivront l’interprétation de deux monuments, chacun dans sa catégorie : le ‘Round Midnight de Monk, et le Teen Town de Jaco Pastorius, belle illustration de l’éclectisme du choix du répertoire. Lors de l’interview de Bernard Labat, Romane avait confié ressentir une certaine intimidation avant de s’attaquer à la balade jazz la plus jouée au monde (comment servir ce chef-d’œuvre si bien joué par tant d’autres, comment trouver quelque chose de personnel à raconter…), et ce sont finalement les encouragements décomplexés de ses enfants qui ont permis cet ajout à leur programme. Quand à Teen Town, son exécution reste toujours un tour de force (le groove et la mise en place ne pardonnent pas, surtout sans batteur pour rappeler de temps à autres où se situe le premier temps !) et les trois mousquetaires s’en sont superbement tirés. Muni d’un octaveur qui lui permet de simuler la basse, Richard a pu faire preuve de son amour pour Jaco et de sa connaissance des lignes de basses si caractéristiques du génial bassiste et compositeur.
Le deuxième set fera la part belle aux compositions originales des membres du trio. Les titres n’ayant pas toujours été annoncés, ce sont des ambiances dont je me souviens. Du swing, beaucoup, un titre basé sur le motif rythmique du charleston, un funk modal dans la tonalité de fa (F Funk ?), une belle balade, et à nouveau quelques standards dont une version très énergique de Take The A Train, et en rappel, une vielle chanson du répertoire New Orleans, After You’ve Gone. Carton bien mérité auprès d’un public enthousiaste !
Comme je le soulignai un peu plus haut, Romane, Richard et Pierre Manetti ont, malgré les liens du sang, trois personnalités complémentaires et assez distinctes. Ce qui les réunit incontestablement, c’est l’art de faire sonner « la pompe », cette manière énergique et ultra-précise d’accompagner sur tous les temps (vous savez, le fameux tchinc-tchinc-tchinc-tchinc) de manière à fournir un soutien aussi rythmique qu’harmonique. Mine de rien, cela requiert un savant dosage de pas mal de paramètres, et on entend très vite une pompe qui fonctionne, ou pas ! Chez les Manetti père & fils, c’est pas que ça fonctionne, c’est que « ça le fait grave !» , dans la terminologie un brin désuète des musiciens de jazz. Pour en revenir à la polémique citée précédemment au sujet
du jazz « manouche », il me semble que cette pompe, si bien jouée, aura été pour Romane et les fistons une arme à double tranchant : d’un côté, elle a certainement servi à rendre légitime leur démarche aux yeux (et aux oreilles) de la communauté manouche et à gagner son respect (ce qui n’est guère chose facile, soit dit en passant), mais en ce qui concerne le marketing et la couverture médiatique, elle les a enfermés dans cette même catégorie, ce qui finit par leur peser passablement sur les nerfs ! Certes, peut-être l’ont-ils un peu cherché aussi (!), toujours est-il que dans ce qui nous à été donné d’entendre lors de ce concert à Capbreton, la pompe est bien le seul élément que l’on puisse rattacher à la musique de Django. Par contre, le choix du répertoire en est carrément démarqué (point d’yeux noirs ni de nuages à l’horizon), enfin et surtout, le vocabulaire et le phrasé des guitaristes est nourri d’influences bien plus diverses. On est plutôt dans un domaine post-bop et du côté de chez George Benson que dans les « manoucheries ».
Romane, en vétéran expérimenté, n’a plus rien à prouver à la guitare, et ça s’entend dans son jeu. Il sait bien que d’autres jouent plus fort et plus vite, dit-il en souriant, mais ça lui convient tout à fait puisque ce n’est pas le sens de sa démarche. En revanche, la recherche de la phrase belle, la conviction rythmique et la logique harmonique sont des notions qui semblent lui parler davantage. Aucun effets de manche, donc, mais une attention constante à la musicalité du propos et à la cohésion du trio. On retrouve évidemment ces mêmes qualités chez les frères Manetti, mais avec aussi, une certaine envie d’en découdre et c’est bien compréhensible vu leur jeune âge (26 ans pour Richard et 20 ans pour Pierre). Les deux ont les moyens techniques de « débouler », même s’ils s’en défendent et même si on ne peut en aucun cas les résumer à ça. Le stéréotype du Guitar Hero virtuose mais froid, c’est pas pour eux. Disons que dans un milieu qui peut se révéler assez compétitif, la virtuosité ne saurait être une fin en soi, mais mieux vaut en avoir sous la pédale en cas de besoin. Tout le monde n’a pas la science conceptuelle ni les choix esthétiques d’un Jim Hall ou d’un Bill Frisell pour assumer un discours presque entièrement dépourvu de virtuosité (même si ça n’a pas toujours été le cas chez eux).
Pour en revenir aux jeunes Manetti, Richard est plus dans l’énergie, la danse, alors que Pierre semble plus introverti, mais il n’en pense pas moins ! Dans les deux cas, ça cherche, ça trouve, ça raconte une histoire, et c’est très expressif. Quelques notes un peu « vertes » aussi parfois, dans l’emballement, en particulier dans des virages où le jeu un peu out est recherché, mais globalement une belle maîtrise et une belle musicalité… Déjà ! Laissons-leur le temps de mûrir, leur potentiel, forcément non entièrement exploité, est déjà énorme.
En sortant de scène, Romane me confie n’être pas vraiment satisfait de lui, mais ses fils lui ont assuré l’inverse. Je le lui confirme. La vérité sort bien de la bouche des enfants…
Pascal Ségala