La vie du jazz à Bordeaux : Philippe Dufrenoy, Fred Borey@Caillou, et quelques sujets d'actualité

Philippe Dufrenoy passe me voir. Ce n’est pas un ami, c’est mieux : quelqu’un qu’on ne voit pas pendant dix ans, et quand il se pointe, on reprend là où on en était. Donc il y a dix ans il venait tout juste de commencer une activité nouvelle : peindre avec du vin. Depuis, la chose a tourné un peu partout, Los Angeles, San Francisco, New York, Saint Emilion. Un succès formidable. Vous tapez : « Philippe Dufrenoy » et mettons « Robert Parker », et hop, vous voyez apparaître le portrait de Bob la menace aux côtés de Philippe le pinceau. Vous faites la même chose avec Herbie Hancock : ça marche. Il faut savoir faire ce genre de choses, ça ne s’invente pas. On bavarde de choses et d’autres, et puis soudain, après m’avoir confié quelques lourds secrets de la vie qui va et qui passe, il me lâche une histoire ahurissante. Je vous raconte.

Hommage à Joe Henderson : Frédéric Borey (ts), Leonardo Montana (p)

Le 17 juillet 1967, Philippe Dufrenoy a vingt ans. Il arrive enfin à New York, la cité qu’il convoite depuis des années. Amateur de jazz et de blues, il se précipite « downtown », avise le Village Vanguard (ou Village Gate, il ne sait plus), il est cinq heures de l’après-midi, mais il rentre quand même, il est seul, on le laisse boire un verre. Arrivent des musiciens : Miles Davis, Tony Williams, Ron Carter, Wayne Shorter, Herbie Hancock. Répétition. Il en profite. Vers le soir, le téléphone sonne, et ce qui en sort déchire l’atmosphère : l’annonce de la mort de John Coltrane. Les musiciens sont effondrés, l’un d’entre eux éclate en sanglots, ils décident de fermer le club au public et de jouer entre eux, pour eux. Philippe Dufrenoy est toujours là : d’un commun accord, ils décident de tolérer sa présence. Donc il reste, jusqu’à la fin. Près de lui dans le club, il se souvient d’une femme très belle, et que la section rythmique jouait sans arrêt, et que Miles et Wayne Shorter prenaient des solos dans une ambiance de totale liberté. Il se souvient de Miles jouant de la trompette assis sur une chaise à côté de lui. Et puis il ne se souvient plus de tout de façon très précise, parce qu’il boit pas mal de verres, jusqu’à deux heures du matin, ou plus. Il sait seulement qu’Herbie Hancock, récemment, s’est souvenu aussi de cette nuit, et que quelqu’un était resté avec eux. Bon, tout ça est tellement incroyable que je décide d’y croire. De toutes façons, quand il raconte ça, c’est totalement vrai, et ça colle avec le personnage.

Exit Philippe Dufrenoy, qui va reprendre la peinture au vin, mais aussi revenir à son amour du jazz et du blues et faire des portraits de jazzmen en bleu. Les bleus de l’âme (et du corps) ont donné les bleus du jazz. On en a vu des exemples : ça tient. Je décide alors que la journée ne peut se passer du jazz live. Frédéric Borey joue en duo avec Leonardo Montana au « Caillou du Jardin Botanique », un restaurant dont j’ai déjà parlé ici même, qui accueille des concerts très souvent. Y aller est simple, même si c’est rive droite. On peut y manger (bien) mais aussi y prendre un verre, écouter la musique. Hier soir c’était assez plein mais pas trop bruyant. Programmateur du lieu, Cédric Jeanneaud a également apporté l’un de ses pianos à queue, un Pleyel de 130 années d’âge, qui de toutes façons sonne mieux qu’un piano droit. L’hommage à Joe Henderson aura tourné autour de Four In One, My Man’s Gone Now, Isphahan, Blue In Green, quelques autres. Un film en noir et blanc est projeté sur les murs de la salle (en rotonde), curieux « effet Marciac » me glisse Alex Golino venu écouter son collègue saxophoniste. J’ai déjà parlé aussi d’Alex Golino, le grand italo-grec secret du sud-ouest, l’un des lestériens les plus assurément doués de sa génération et de quelques autres. L’effet Marciac, c’est qu’on croirait parfois que l’image projetée est celle des musiciens en train de jouer dans la salle. Miles Davis apparaît un instant, et j’essaye de photographier ça, et les musiciens en même temps.

Alors, le jazz à Bordeaux ? Au fait, vous savez que les élections municipales approchent. Et que, même si Alain Juppé ne craint rien ni personne, il met un point d’honneur à tenter de répondre aux critiques qui portent sur la gestion de la culture à Bordeaux. Critiques souvent fondées, il faut bien le dire. Et ça donne… des sous pour un certain nombre d’acteurs de la vie locale, dont l’association qui gère les programmes du restaurant « Le Caillou du Jardin Botanique » (10.000 euros), mais aussi pour « Einstein on The Beach », qui programme des musiques tangentielles passionnantes dans des lieux divers, dont le « Bootleg », et je renvoie à la fois à ce blog et à la parution sur « JazzMagazine/Jazzman » de ce mois-ci. 8000 euros pour Einstein. On espère que ce sera reconduit quand les élections seront passées. On espère, mais on est pas sûrs. En tous cas, vive le jazz !!! Swinging Juppé !!!

Bon, et après ? « Le Caillou » a des ambitions : outre le festival de rentrée à renouveler en septembre 2014, une programmation à l’année qui fait presque peur : en février des concerts deux à trois fois par semaine, des groupes locaux excellents (Guillaume Schmidt, Affinity 4tet, Elodie Alice) mais aussi Alain-Jean Marie en duo avec Yoann Loustalot, et en mars même rythme endiablé avec des « mercredis free » (Didier Lasserre et Yoann Loustalot), le groupe Aérophone, une véritable « carte blanche » à l’ancien trompettiste bordelais, devenu tourangeau. Interrogé sur le sens de son action, Cédric Jeanneaud est clair : il veut donner le maximum de chances aux groupes régionaux de qualité, mais aussi apporter l’air (et la chanson) qui vient de l’extérieur, donner de plus en plus envie au public de traverser la Garonne pour venir dans les jardins de Linné. On avait le Rocher (de Palmer), on a le Caillou (du jardin botanique).

Précisons : Yan Beigbeder et « Einstein On The Beach » occupent avec constance le terrain des musiques qui dérivent, ou dérangent, sans pour autant s’y réduire, comme le « Caillou » sait accueillir aussi des projets à la marge. Mais il y a aussi Antoine Reynaud qui programme « Jazz Au Trianon », Alain Piarou qui anime l’association « Action Jazz » (nombreuses manifestations centrées sur la découverte et la mise en avant des jeunes talents régionaux), Jean-Jacques Quesada et ses concerts de l’été dans les châteaux, Roger Biwandu qui fait entendre souvent ses excellentes formations dans des bars et autres lieux de la ville, très bien intégré au petit monde du jazz à Bordeaux. Olivier Gatto reste présent et précieux par son expérience, et son déménagement vers le Lubéron n’est pas encore effectué. Et ils ne sont jamais très loin les jeunes musiciens issus de la Cie Lubat. Si l’on regrette parfois le BJF (2001 – 2008) c’est uniquement parce que ce festival d’envergure, et ambitieux, tenait le pari de l’unité du « jazz » contre la tendance moderne et contemporaine à défendre des boutiques séparées et ouvertes à des publics ciblés. Mais sinon, il y a tout ce qu’il faut à Bordeaux. Et la plupart du temps sans aucune aide que qui que ce soit, ou presque. Alors pensez à ce que cela pourrait devenir. Pourrait ? Ce soir, après le merveilleux conte de Phi
lippe Dufrenoy passant la nuit de la mort de Coltrane avec le quintet de Miles, je pense que rien n’est impossible. Ça bouge.

Philippe Méziat

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Philippe Dufrenoy passe me voir. Ce n’est pas un ami, c’est mieux : quelqu’un qu’on ne voit pas pendant dix ans, et quand il se pointe, on reprend là où on en était. Donc il y a dix ans il venait tout juste de commencer une activité nouvelle : peindre avec du vin. Depuis, la chose a tourné un peu partout, Los Angeles, San Francisco, New York, Saint Emilion. Un succès formidable. Vous tapez : « Philippe Dufrenoy » et mettons « Robert Parker », et hop, vous voyez apparaître le portrait de Bob la menace aux côtés de Philippe le pinceau. Vous faites la même chose avec Herbie Hancock : ça marche. Il faut savoir faire ce genre de choses, ça ne s’invente pas. On bavarde de choses et d’autres, et puis soudain, après m’avoir confié quelques lourds secrets de la vie qui va et qui passe, il me lâche une histoire ahurissante. Je vous raconte.

Hommage à Joe Henderson : Frédéric Borey (ts), Leonardo Montana (p)

Le 17 juillet 1967, Philippe Dufrenoy a vingt ans. Il arrive enfin à New York, la cité qu’il convoite depuis des années. Amateur de jazz et de blues, il se précipite « downtown », avise le Village Vanguard (ou Village Gate, il ne sait plus), il est cinq heures de l’après-midi, mais il rentre quand même, il est seul, on le laisse boire un verre. Arrivent des musiciens : Miles Davis, Tony Williams, Ron Carter, Wayne Shorter, Herbie Hancock. Répétition. Il en profite. Vers le soir, le téléphone sonne, et ce qui en sort déchire l’atmosphère : l’annonce de la mort de John Coltrane. Les musiciens sont effondrés, l’un d’entre eux éclate en sanglots, ils décident de fermer le club au public et de jouer entre eux, pour eux. Philippe Dufrenoy est toujours là : d’un commun accord, ils décident de tolérer sa présence. Donc il reste, jusqu’à la fin. Près de lui dans le club, il se souvient d’une femme très belle, et que la section rythmique jouait sans arrêt, et que Miles et Wayne Shorter prenaient des solos dans une ambiance de totale liberté. Il se souvient de Miles jouant de la trompette assis sur une chaise à côté de lui. Et puis il ne se souvient plus de tout de façon très précise, parce qu’il boit pas mal de verres, jusqu’à deux heures du matin, ou plus. Il sait seulement qu’Herbie Hancock, récemment, s’est souvenu aussi de cette nuit, et que quelqu’un était resté avec eux. Bon, tout ça est tellement incroyable que je décide d’y croire. De toutes façons, quand il raconte ça, c’est totalement vrai, et ça colle avec le personnage.

Exit Philippe Dufrenoy, qui va reprendre la peinture au vin, mais aussi revenir à son amour du jazz et du blues et faire des portraits de jazzmen en bleu. Les bleus de l’âme (et du corps) ont donné les bleus du jazz. On en a vu des exemples : ça tient. Je décide alors que la journée ne peut se passer du jazz live. Frédéric Borey joue en duo avec Leonardo Montana au « Caillou du Jardin Botanique », un restaurant dont j’ai déjà parlé ici même, qui accueille des concerts très souvent. Y aller est simple, même si c’est rive droite. On peut y manger (bien) mais aussi y prendre un verre, écouter la musique. Hier soir c’était assez plein mais pas trop bruyant. Programmateur du lieu, Cédric Jeanneaud a également apporté l’un de ses pianos à queue, un Pleyel de 130 années d’âge, qui de toutes façons sonne mieux qu’un piano droit. L’hommage à Joe Henderson aura tourné autour de Four In One, My Man’s Gone Now, Isphahan, Blue In Green, quelques autres. Un film en noir et blanc est projeté sur les murs de la salle (en rotonde), curieux « effet Marciac » me glisse Alex Golino venu écouter son collègue saxophoniste. J’ai déjà parlé aussi d’Alex Golino, le grand italo-grec secret du sud-ouest, l’un des lestériens les plus assurément doués de sa génération et de quelques autres. L’effet Marciac, c’est qu’on croirait parfois que l’image projetée est celle des musiciens en train de jouer dans la salle. Miles Davis apparaît un instant, et j’essaye de photographier ça, et les musiciens en même temps.

Alors, le jazz à Bordeaux ? Au fait, vous savez que les élections municipales approchent. Et que, même si Alain Juppé ne craint rien ni personne, il met un point d’honneur à tenter de répondre aux critiques qui portent sur la gestion de la culture à Bordeaux. Critiques souvent fondées, il faut bien le dire. Et ça donne… des sous pour un certain nombre d’acteurs de la vie locale, dont l’association qui gère les programmes du restaurant « Le Caillou du Jardin Botanique » (10.000 euros), mais aussi pour « Einstein on The Beach », qui programme des musiques tangentielles passionnantes dans des lieux divers, dont le « Bootleg », et je renvoie à la fois à ce blog et à la parution sur « JazzMagazine/Jazzman » de ce mois-ci. 8000 euros pour Einstein. On espère que ce sera reconduit quand les élections seront passées. On espère, mais on est pas sûrs. En tous cas, vive le jazz !!! Swinging Juppé !!!

Bon, et après ? « Le Caillou » a des ambitions : outre le festival de rentrée à renouveler en septembre 2014, une programmation à l’année qui fait presque peur : en février des concerts deux à trois fois par semaine, des groupes locaux excellents (Guillaume Schmidt, Affinity 4tet, Elodie Alice) mais aussi Alain-Jean Marie en duo avec Yoann Loustalot, et en mars même rythme endiablé avec des « mercredis free » (Didier Lasserre et Yoann Loustalot), le groupe Aérophone, une véritable « carte blanche » à l’ancien trompettiste bordelais, devenu tourangeau. Interrogé sur le sens de son action, Cédric Jeanneaud est clair : il veut donner le maximum de chances aux groupes régionaux de qualité, mais aussi apporter l’air (et la chanson) qui vient de l’extérieur, donner de plus en plus envie au public de traverser la Garonne pour venir dans les jardins de Linné. On avait le Rocher (de Palmer), on a le Caillou (du jardin botanique).

Précisons : Yan Beigbeder et « Einstein On The Beach » occupent avec constance le terrain des musiques qui dérivent, ou dérangent, sans pour autant s’y réduire, comme le « Caillou » sait accueillir aussi des projets à la marge. Mais il y a aussi Antoine Reynaud qui programme « Jazz Au Trianon », Alain Piarou qui anime l’association « Action Jazz » (nombreuses manifestations centrées sur la découverte et la mise en avant des jeunes talents régionaux), Jean-Jacques Quesada et ses concerts de l’été dans les châteaux, Roger Biwandu qui fait entendre souvent ses excellentes formations dans des bars et autres lieux de la ville, très bien intégré au petit monde du jazz à Bordeaux. Olivier Gatto reste présent et précieux par son expérience, et son déménagement vers le Lubéron n’est pas encore effectué. Et ils ne sont jamais très loin les jeunes musiciens issus de la Cie Lubat. Si l’on regrette parfois le BJF (2001 – 2008) c’est uniquement parce que ce festival d’envergure, et ambitieux, tenait le pari de l’unité du « jazz » contre la tendance moderne et contemporaine à défendre des boutiques séparées et ouvertes à des publics ciblés. Mais sinon, il y a tout ce qu’il faut à Bordeaux. Et la plupart du temps sans aucune aide que qui que ce soit, ou presque. Alors pensez à ce que cela pourrait devenir. Pourrait ? Ce soir, après le merveilleux conte de Phi
lippe Dufrenoy passant la nuit de la mort de Coltrane avec le quintet de Miles, je pense que rien n’est impossible. Ça bouge.

Philippe Méziat

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Philippe Dufrenoy passe me voir. Ce n’est pas un ami, c’est mieux : quelqu’un qu’on ne voit pas pendant dix ans, et quand il se pointe, on reprend là où on en était. Donc il y a dix ans il venait tout juste de commencer une activité nouvelle : peindre avec du vin. Depuis, la chose a tourné un peu partout, Los Angeles, San Francisco, New York, Saint Emilion. Un succès formidable. Vous tapez : « Philippe Dufrenoy » et mettons « Robert Parker », et hop, vous voyez apparaître le portrait de Bob la menace aux côtés de Philippe le pinceau. Vous faites la même chose avec Herbie Hancock : ça marche. Il faut savoir faire ce genre de choses, ça ne s’invente pas. On bavarde de choses et d’autres, et puis soudain, après m’avoir confié quelques lourds secrets de la vie qui va et qui passe, il me lâche une histoire ahurissante. Je vous raconte.

Hommage à Joe Henderson : Frédéric Borey (ts), Leonardo Montana (p)

Le 17 juillet 1967, Philippe Dufrenoy a vingt ans. Il arrive enfin à New York, la cité qu’il convoite depuis des années. Amateur de jazz et de blues, il se précipite « downtown », avise le Village Vanguard (ou Village Gate, il ne sait plus), il est cinq heures de l’après-midi, mais il rentre quand même, il est seul, on le laisse boire un verre. Arrivent des musiciens : Miles Davis, Tony Williams, Ron Carter, Wayne Shorter, Herbie Hancock. Répétition. Il en profite. Vers le soir, le téléphone sonne, et ce qui en sort déchire l’atmosphère : l’annonce de la mort de John Coltrane. Les musiciens sont effondrés, l’un d’entre eux éclate en sanglots, ils décident de fermer le club au public et de jouer entre eux, pour eux. Philippe Dufrenoy est toujours là : d’un commun accord, ils décident de tolérer sa présence. Donc il reste, jusqu’à la fin. Près de lui dans le club, il se souvient d’une femme très belle, et que la section rythmique jouait sans arrêt, et que Miles et Wayne Shorter prenaient des solos dans une ambiance de totale liberté. Il se souvient de Miles jouant de la trompette assis sur une chaise à côté de lui. Et puis il ne se souvient plus de tout de façon très précise, parce qu’il boit pas mal de verres, jusqu’à deux heures du matin, ou plus. Il sait seulement qu’Herbie Hancock, récemment, s’est souvenu aussi de cette nuit, et que quelqu’un était resté avec eux. Bon, tout ça est tellement incroyable que je décide d’y croire. De toutes façons, quand il raconte ça, c’est totalement vrai, et ça colle avec le personnage.

Exit Philippe Dufrenoy, qui va reprendre la peinture au vin, mais aussi revenir à son amour du jazz et du blues et faire des portraits de jazzmen en bleu. Les bleus de l’âme (et du corps) ont donné les bleus du jazz. On en a vu des exemples : ça tient. Je décide alors que la journée ne peut se passer du jazz live. Frédéric Borey joue en duo avec Leonardo Montana au « Caillou du Jardin Botanique », un restaurant dont j’ai déjà parlé ici même, qui accueille des concerts très souvent. Y aller est simple, même si c’est rive droite. On peut y manger (bien) mais aussi y prendre un verre, écouter la musique. Hier soir c’était assez plein mais pas trop bruyant. Programmateur du lieu, Cédric Jeanneaud a également apporté l’un de ses pianos à queue, un Pleyel de 130 années d’âge, qui de toutes façons sonne mieux qu’un piano droit. L’hommage à Joe Henderson aura tourné autour de Four In One, My Man’s Gone Now, Isphahan, Blue In Green, quelques autres. Un film en noir et blanc est projeté sur les murs de la salle (en rotonde), curieux « effet Marciac » me glisse Alex Golino venu écouter son collègue saxophoniste. J’ai déjà parlé aussi d’Alex Golino, le grand italo-grec secret du sud-ouest, l’un des lestériens les plus assurément doués de sa génération et de quelques autres. L’effet Marciac, c’est qu’on croirait parfois que l’image projetée est celle des musiciens en train de jouer dans la salle. Miles Davis apparaît un instant, et j’essaye de photographier ça, et les musiciens en même temps.

Alors, le jazz à Bordeaux ? Au fait, vous savez que les élections municipales approchent. Et que, même si Alain Juppé ne craint rien ni personne, il met un point d’honneur à tenter de répondre aux critiques qui portent sur la gestion de la culture à Bordeaux. Critiques souvent fondées, il faut bien le dire. Et ça donne… des sous pour un certain nombre d’acteurs de la vie locale, dont l’association qui gère les programmes du restaurant « Le Caillou du Jardin Botanique » (10.000 euros), mais aussi pour « Einstein on The Beach », qui programme des musiques tangentielles passionnantes dans des lieux divers, dont le « Bootleg », et je renvoie à la fois à ce blog et à la parution sur « JazzMagazine/Jazzman » de ce mois-ci. 8000 euros pour Einstein. On espère que ce sera reconduit quand les élections seront passées. On espère, mais on est pas sûrs. En tous cas, vive le jazz !!! Swinging Juppé !!!

Bon, et après ? « Le Caillou » a des ambitions : outre le festival de rentrée à renouveler en septembre 2014, une programmation à l’année qui fait presque peur : en février des concerts deux à trois fois par semaine, des groupes locaux excellents (Guillaume Schmidt, Affinity 4tet, Elodie Alice) mais aussi Alain-Jean Marie en duo avec Yoann Loustalot, et en mars même rythme endiablé avec des « mercredis free » (Didier Lasserre et Yoann Loustalot), le groupe Aérophone, une véritable « carte blanche » à l’ancien trompettiste bordelais, devenu tourangeau. Interrogé sur le sens de son action, Cédric Jeanneaud est clair : il veut donner le maximum de chances aux groupes régionaux de qualité, mais aussi apporter l’air (et la chanson) qui vient de l’extérieur, donner de plus en plus envie au public de traverser la Garonne pour venir dans les jardins de Linné. On avait le Rocher (de Palmer), on a le Caillou (du jardin botanique).

Précisons : Yan Beigbeder et « Einstein On The Beach » occupent avec constance le terrain des musiques qui dérivent, ou dérangent, sans pour autant s’y réduire, comme le « Caillou » sait accueillir aussi des projets à la marge. Mais il y a aussi Antoine Reynaud qui programme « Jazz Au Trianon », Alain Piarou qui anime l’association « Action Jazz » (nombreuses manifestations centrées sur la découverte et la mise en avant des jeunes talents régionaux), Jean-Jacques Quesada et ses concerts de l’été dans les châteaux, Roger Biwandu qui fait entendre souvent ses excellentes formations dans des bars et autres lieux de la ville, très bien intégré au petit monde du jazz à Bordeaux. Olivier Gatto reste présent et précieux par son expérience, et son déménagement vers le Lubéron n’est pas encore effectué. Et ils ne sont jamais très loin les jeunes musiciens issus de la Cie Lubat. Si l’on regrette parfois le BJF (2001 – 2008) c’est uniquement parce que ce festival d’envergure, et ambitieux, tenait le pari de l’unité du « jazz » contre la tendance moderne et contemporaine à défendre des boutiques séparées et ouvertes à des publics ciblés. Mais sinon, il y a tout ce qu’il faut à Bordeaux. Et la plupart du temps sans aucune aide que qui que ce soit, ou presque. Alors pensez à ce que cela pourrait devenir. Pourrait ? Ce soir, après le merveilleux conte de Phi
lippe Dufrenoy passant la nuit de la mort de Coltrane avec le quintet de Miles, je pense que rien n’est impossible. Ça bouge.

Philippe Méziat

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Philippe Dufrenoy passe me voir. Ce n’est pas un ami, c’est mieux : quelqu’un qu’on ne voit pas pendant dix ans, et quand il se pointe, on reprend là où on en était. Donc il y a dix ans il venait tout juste de commencer une activité nouvelle : peindre avec du vin. Depuis, la chose a tourné un peu partout, Los Angeles, San Francisco, New York, Saint Emilion. Un succès formidable. Vous tapez : « Philippe Dufrenoy » et mettons « Robert Parker », et hop, vous voyez apparaître le portrait de Bob la menace aux côtés de Philippe le pinceau. Vous faites la même chose avec Herbie Hancock : ça marche. Il faut savoir faire ce genre de choses, ça ne s’invente pas. On bavarde de choses et d’autres, et puis soudain, après m’avoir confié quelques lourds secrets de la vie qui va et qui passe, il me lâche une histoire ahurissante. Je vous raconte.

Hommage à Joe Henderson : Frédéric Borey (ts), Leonardo Montana (p)

Le 17 juillet 1967, Philippe Dufrenoy a vingt ans. Il arrive enfin à New York, la cité qu’il convoite depuis des années. Amateur de jazz et de blues, il se précipite « downtown », avise le Village Vanguard (ou Village Gate, il ne sait plus), il est cinq heures de l’après-midi, mais il rentre quand même, il est seul, on le laisse boire un verre. Arrivent des musiciens : Miles Davis, Tony Williams, Ron Carter, Wayne Shorter, Herbie Hancock. Répétition. Il en profite. Vers le soir, le téléphone sonne, et ce qui en sort déchire l’atmosphère : l’annonce de la mort de John Coltrane. Les musiciens sont effondrés, l’un d’entre eux éclate en sanglots, ils décident de fermer le club au public et de jouer entre eux, pour eux. Philippe Dufrenoy est toujours là : d’un commun accord, ils décident de tolérer sa présence. Donc il reste, jusqu’à la fin. Près de lui dans le club, il se souvient d’une femme très belle, et que la section rythmique jouait sans arrêt, et que Miles et Wayne Shorter prenaient des solos dans une ambiance de totale liberté. Il se souvient de Miles jouant de la trompette assis sur une chaise à côté de lui. Et puis il ne se souvient plus de tout de façon très précise, parce qu’il boit pas mal de verres, jusqu’à deux heures du matin, ou plus. Il sait seulement qu’Herbie Hancock, récemment, s’est souvenu aussi de cette nuit, et que quelqu’un était resté avec eux. Bon, tout ça est tellement incroyable que je décide d’y croire. De toutes façons, quand il raconte ça, c’est totalement vrai, et ça colle avec le personnage.

Exit Philippe Dufrenoy, qui va reprendre la peinture au vin, mais aussi revenir à son amour du jazz et du blues et faire des portraits de jazzmen en bleu. Les bleus de l’âme (et du corps) ont donné les bleus du jazz. On en a vu des exemples : ça tient. Je décide alors que la journée ne peut se passer du jazz live. Frédéric Borey joue en duo avec Leonardo Montana au « Caillou du Jardin Botanique », un restaurant dont j’ai déjà parlé ici même, qui accueille des concerts très souvent. Y aller est simple, même si c’est rive droite. On peut y manger (bien) mais aussi y prendre un verre, écouter la musique. Hier soir c’était assez plein mais pas trop bruyant. Programmateur du lieu, Cédric Jeanneaud a également apporté l’un de ses pianos à queue, un Pleyel de 130 années d’âge, qui de toutes façons sonne mieux qu’un piano droit. L’hommage à Joe Henderson aura tourné autour de Four In One, My Man’s Gone Now, Isphahan, Blue In Green, quelques autres. Un film en noir et blanc est projeté sur les murs de la salle (en rotonde), curieux « effet Marciac » me glisse Alex Golino venu écouter son collègue saxophoniste. J’ai déjà parlé aussi d’Alex Golino, le grand italo-grec secret du sud-ouest, l’un des lestériens les plus assurément doués de sa génération et de quelques autres. L’effet Marciac, c’est qu’on croirait parfois que l’image projetée est celle des musiciens en train de jouer dans la salle. Miles Davis apparaît un instant, et j’essaye de photographier ça, et les musiciens en même temps.

Alors, le jazz à Bordeaux ? Au fait, vous savez que les élections municipales approchent. Et que, même si Alain Juppé ne craint rien ni personne, il met un point d’honneur à tenter de répondre aux critiques qui portent sur la gestion de la culture à Bordeaux. Critiques souvent fondées, il faut bien le dire. Et ça donne… des sous pour un certain nombre d’acteurs de la vie locale, dont l’association qui gère les programmes du restaurant « Le Caillou du Jardin Botanique » (10.000 euros), mais aussi pour « Einstein on The Beach », qui programme des musiques tangentielles passionnantes dans des lieux divers, dont le « Bootleg », et je renvoie à la fois à ce blog et à la parution sur « JazzMagazine/Jazzman » de ce mois-ci. 8000 euros pour Einstein. On espère que ce sera reconduit quand les élections seront passées. On espère, mais on est pas sûrs. En tous cas, vive le jazz !!! Swinging Juppé !!!

Bon, et après ? « Le Caillou » a des ambitions : outre le festival de rentrée à renouveler en septembre 2014, une programmation à l’année qui fait presque peur : en février des concerts deux à trois fois par semaine, des groupes locaux excellents (Guillaume Schmidt, Affinity 4tet, Elodie Alice) mais aussi Alain-Jean Marie en duo avec Yoann Loustalot, et en mars même rythme endiablé avec des « mercredis free » (Didier Lasserre et Yoann Loustalot), le groupe Aérophone, une véritable « carte blanche » à l’ancien trompettiste bordelais, devenu tourangeau. Interrogé sur le sens de son action, Cédric Jeanneaud est clair : il veut donner le maximum de chances aux groupes régionaux de qualité, mais aussi apporter l’air (et la chanson) qui vient de l’extérieur, donner de plus en plus envie au public de traverser la Garonne pour venir dans les jardins de Linné. On avait le Rocher (de Palmer), on a le Caillou (du jardin botanique).

Précisons : Yan Beigbeder et « Einstein On The Beach » occupent avec constance le terrain des musiques qui dérivent, ou dérangent, sans pour autant s’y réduire, comme le « Caillou » sait accueillir aussi des projets à la marge. Mais il y a aussi Antoine Reynaud qui programme « Jazz Au Trianon », Alain Piarou qui anime l’association « Action Jazz » (nombreuses manifestations centrées sur la découverte et la mise en avant des jeunes talents régionaux), Jean-Jacques Quesada et ses concerts de l’été dans les châteaux, Roger Biwandu qui fait entendre souvent ses excellentes formations dans des bars et autres lieux de la ville, très bien intégré au petit monde du jazz à Bordeaux. Olivier Gatto reste présent et précieux par son expérience, et son déménagement vers le Lubéron n’est pas encore effectué. Et ils ne sont jamais très loin les jeunes musiciens issus de la Cie Lubat. Si l’on regrette parfois le BJF (2001 – 2008) c’est uniquement parce que ce festival d’envergure, et ambitieux, tenait le pari de l’unité du « jazz » contre la tendance moderne et contemporaine à défendre des boutiques séparées et ouvertes à des publics ciblés. Mais sinon, il y a tout ce qu’il faut à Bordeaux. Et la plupart du temps sans aucune aide que qui que ce soit, ou presque. Alors pensez à ce que cela pourrait devenir. Pourrait ? Ce soir, après le merveilleux conte de Phi
lippe Dufrenoy passant la nuit de la mort de Coltrane avec le quintet de Miles, je pense que rien n’est impossible. Ça bouge.

Philippe Méziat