Urban Mood et La Scala au Triton
Le compte rendu de la double soirée le 16 janvier au Triton a disparu de ces pages. Y a-t-il jamais figuré? Mystère de l’informatique? Le voici. Ce soir-là, on passa d’une salle à l’autre, l’ancienne et la nouvelle (ouverte à l’automne dernier) pour entendre deux formations, l’une également historique, Urban Mood, que son leader Gilles Coronado vient de reformer, l’autre jeune et au cœur de l’actualité, La Scala (avec les désormais incontournables frères Ceccaldi et le pianiste Roberto Negro) qui recevait Louis Sclavis.
Le Triton (nouvelle salle), Les Lilas (93), le 15 janvier 2014
Urban Mood : Matthieu Metzger (sax alto), Jozef Dumoulin (piano électrique Fender-Rhodes, synthétiseur), Gilles Coronado (guitare électrique, direction, composition), Franck Vaillant (batterie).
Nouvelle salle donc. Si j’en crois les comptes rendus de jazzmagazine.com, nos journalistes parisiens ne lui ont jamais rendu visite. Jauge comparable à la salle historique noire et jaune, à ceci près que cette dernière se présente comme un cabaret (musiciens de plain-pied avec le public, chaises et tables, bar…), tandis que la nouvelle est une vraie salle de concert, dotée d’un plateau en estrade face à un parterre très peu profond et un balcon fort incliné, noir de rigueur, régie lumière avec laquelle l’éclairagiste aura tendance à en faire un peu trop – une manie de notre époque – provoquant la protestation du leader. L’une et l’autre salle rouvraient avant-hier au public après une trêve des confiseurs qui s’est prolongée par deux résidences simultanées dont le résultat nous était restitué.
On est là pour retrouver, après dix ans de silence, Urban Mood, le groupe que Gilles Coronado fonda vers 1994 du temps où une scène nouvelle émergeait aux Instants Chavirés de Montreuil autour de Benoît Delbecq et Guillaume Orti. Guillaume Orti était d’ailleurs à l’époque l’un des membres d’Urban Mood, avec le violoncelliste Vincent Ségal et le batteur Norbert Lucarain. Gilles Coronado en reste le guitariste (Gibson modèle SG en mains, ce qui informe un peu sur le son que l’on a en tête) et le compositeur. Beaucoup d’électronique embarquée sous les pieds du leader, sous la forme d’un autre rack d’effets à la main de Matthieu Metzger et d’un indescriptible arsenal disposé sur son Fender-Rhodes et son clavier Akai par Jozef Dumoulin.
Un set d’une heure qui frappe d’emblé au plexus par le caractère incisif de la musique et ce mélange de décontraction et d’intensité sonore et rythmique qui la caractérise. La décontraction, c’est d’abord Franck Vaillant (par sa façon de fluidifier le matériau métrique) et Jozef Dumoulin (par sa transposition de cette fluidité rythmique en son pur avec une palette qui ne tient pas qu’à ses machines, mais aussi à ses phrasés hallucinés). Gilles Coronado me renvoie décidément (je l’ai peut-être déjà écrit et je radote peut-être) à Marc Ducret. Je vois en lui, non pas un clone, pas même un disciple, mais une filiation, un héritage assimilé, ce qui fait qu’il en est digne non pas par la virtuosité ou le vocabulaire, mais par l’originalité, par l’attitude musicale, avec aussi ce côté danseur dans la présence scénique, même si l’on ne confond pas l’un et l’autre sur ce plan non plus. Plus brut, plus authentiquement bad boy, moins glamour, plus rêche, Coronado distribue les motifs de ses partitions qui consistent en jeux rythmiques haletants, en structures et éclats kaléidoscopiques, en climats crépusculaires, avec un mélange de précision chirurgicale et de fièvre qu’il partage avec Matthieu Metzger. La musique est serrée, organique, tournoyante, trépidante, obsédante, c’est-à-dire qu’elle n’a pas seulement pour projet de l’être comme il est dit dans les notes d’intention, mais qu’elle enivre réellement l’auditeur par ses tourneries qui n’en sont pas tout à fait et qui par leurs variations et constants dérèglements constituent du discours. Disque à venir à l’automne. On attend ça avec impatience.
Y aura-t-il eu un rappel ? Je quitte les applaudissements nourris du public sans attendre pour gagner l’autre salle où commence le concert de La Scala.
Le Triton (salle historique)
La Scala : Théo Ceccaldi (violon, violon alto), Valentin Ceccaldi (vioncelle), Roberto Negro (piano), Adrien Chennebault (batterie). Invité : Louis Sclavis (clarinette, clarinette basse).
Est-il raisonnable de passer ainsi de l’un à l’autre sans transition ? Quoi de commun entre le son très rock d’Urban Mood et la “musique de chambre” de La Scala ? Le caractère très organique du son et de l’écriture, d’où rarement un authentique soliste ne se dégage ? Le sens de l’architecture ? L’énergie à laquelle La Scala donne un côté épique que le rock et le classique ont en partage et que prend en charge tant l’écriture du groupe (où chacun apporte sa pierre à l’édifice) que le geste de Théo Ceccaldi (entre Paganini et les grands guitar heroes) ? Louis Sclavis se prête au jeu de la guest star en sideman discret, mais totalement investi, le doigt sur la couture du pantalon jusque dans les délires les plus fous où il oppose une droiture attentive à la gesticulation de Théo Ceccaldi à son côté, qui perd ses lunettes à tout moment, se laisse envahir le visage par sa mèche, disperse celle de son archet et fascine par sa présence scènique, tant que l’on peut, au bout de deux sets de concert, se demander si, de toute cette dépense, ne résulte pas quelques redites. Et pourtant, comme ce répertoire est riche en propositions de vocabulaire et en situations sonores de tous genres également assumés par les quatre membres du groupe ! Sur une large palette qui renvoie en partie à la musique classique, et pas seulement vingtièmiste (de Webern à Messiaen en passant par le Stravinsky du Sacre et le Ravel de la Sonate pour violon et piano) mais aussi des siècles passés, de Bach à Tchaïkovsky), le tout embrasé au feu de l’improvisation tel qu’il s’est développé jusque dans les formes les plus free du jazz.
Roberto Negro qui est en résidence au Triton pour l’année, m’a semblé assurer tout à la fois un rôle de garde de fou et de distributeur de cartes avec un vocabulaire également très large dont on aimerait pouvoir vous dire que l’on y a reconnu du Paul Bley ou je ne sais qui… mais justement, je ne sais qui. Il y a là un rapport au patrimoine, au piano, au son, à l’attaque que je ne sais pas encore qualifier. Le saurai-je un peu mieux dans un an ou mieux, dès le 7 février lorsque son trio invitera Christophe Monniot à le rejoindre au Triton ? Quant à Gilles Coronado, il reviendra au Triton les 28 février et 1er mars en compagnie de Benjamin Moussay au sein du Silk Quartet de Louis Sclavis, extension du trio Atlas auquel est venu s’ajouter le percussionniste Keyvan Chemirani. Dire qu’il y a tant de musiques à entendre que sur France Culture que j’ai encore le tort de considérer comme ma radio, on entend toujours les mêmes daubes.
Franck Bergerot
|
Le compte rendu de la double soirée le 16 janvier au Triton a disparu de ces pages. Y a-t-il jamais figuré? Mystère de l’informatique? Le voici. Ce soir-là, on passa d’une salle à l’autre, l’ancienne et la nouvelle (ouverte à l’automne dernier) pour entendre deux formations, l’une également historique, Urban Mood, que son leader Gilles Coronado vient de reformer, l’autre jeune et au cœur de l’actualité, La Scala (avec les désormais incontournables frères Ceccaldi et le pianiste Roberto Negro) qui recevait Louis Sclavis.
Le Triton (nouvelle salle), Les Lilas (93), le 15 janvier 2014
Urban Mood : Matthieu Metzger (sax alto), Jozef Dumoulin (piano électrique Fender-Rhodes, synthétiseur), Gilles Coronado (guitare électrique, direction, composition), Franck Vaillant (batterie).
Nouvelle salle donc. Si j’en crois les comptes rendus de jazzmagazine.com, nos journalistes parisiens ne lui ont jamais rendu visite. Jauge comparable à la salle historique noire et jaune, à ceci près que cette dernière se présente comme un cabaret (musiciens de plain-pied avec le public, chaises et tables, bar…), tandis que la nouvelle est une vraie salle de concert, dotée d’un plateau en estrade face à un parterre très peu profond et un balcon fort incliné, noir de rigueur, régie lumière avec laquelle l’éclairagiste aura tendance à en faire un peu trop – une manie de notre époque – provoquant la protestation du leader. L’une et l’autre salle rouvraient avant-hier au public après une trêve des confiseurs qui s’est prolongée par deux résidences simultanées dont le résultat nous était restitué.
On est là pour retrouver, après dix ans de silence, Urban Mood, le groupe que Gilles Coronado fonda vers 1994 du temps où une scène nouvelle émergeait aux Instants Chavirés de Montreuil autour de Benoît Delbecq et Guillaume Orti. Guillaume Orti était d’ailleurs à l’époque l’un des membres d’Urban Mood, avec le violoncelliste Vincent Ségal et le batteur Norbert Lucarain. Gilles Coronado en reste le guitariste (Gibson modèle SG en mains, ce qui informe un peu sur le son que l’on a en tête) et le compositeur. Beaucoup d’électronique embarquée sous les pieds du leader, sous la forme d’un autre rack d’effets à la main de Matthieu Metzger et d’un indescriptible arsenal disposé sur son Fender-Rhodes et son clavier Akai par Jozef Dumoulin.
Un set d’une heure qui frappe d’emblé au plexus par le caractère incisif de la musique et ce mélange de décontraction et d’intensité sonore et rythmique qui la caractérise. La décontraction, c’est d’abord Franck Vaillant (par sa façon de fluidifier le matériau métrique) et Jozef Dumoulin (par sa transposition de cette fluidité rythmique en son pur avec une palette qui ne tient pas qu’à ses machines, mais aussi à ses phrasés hallucinés). Gilles Coronado me renvoie décidément (je l’ai peut-être déjà écrit et je radote peut-être) à Marc Ducret. Je vois en lui, non pas un clone, pas même un disciple, mais une filiation, un héritage assimilé, ce qui fait qu’il en est digne non pas par la virtuosité ou le vocabulaire, mais par l’originalité, par l’attitude musicale, avec aussi ce côté danseur dans la présence scénique, même si l’on ne confond pas l’un et l’autre sur ce plan non plus. Plus brut, plus authentiquement bad boy, moins glamour, plus rêche, Coronado distribue les motifs de ses partitions qui consistent en jeux rythmiques haletants, en structures et éclats kaléidoscopiques, en climats crépusculaires, avec un mélange de précision chirurgicale et de fièvre qu’il partage avec Matthieu Metzger. La musique est serrée, organique, tournoyante, trépidante, obsédante, c’est-à-dire qu’elle n’a pas seulement pour projet de l’être comme il est dit dans les notes d’intention, mais qu’elle enivre réellement l’auditeur par ses tourneries qui n’en sont pas tout à fait et qui par leurs variations et constants dérèglements constituent du discours. Disque à venir à l’automne. On attend ça avec impatience.
Y aura-t-il eu un rappel ? Je quitte les applaudissements nourris du public sans attendre pour gagner l’autre salle où commence le concert de La Scala.
Le Triton (salle historique)
La Scala : Théo Ceccaldi (violon, violon alto), Valentin Ceccaldi (vioncelle), Roberto Negro (piano), Adrien Chennebault (batterie). Invité : Louis Sclavis (clarinette, clarinette basse).
Est-il raisonnable de passer ainsi de l’un à l’autre sans transition ? Quoi de commun entre le son très rock d’Urban Mood et la “musique de chambre” de La Scala ? Le caractère très organique du son et de l’écriture, d’où rarement un authentique soliste ne se dégage ? Le sens de l’architecture ? L’énergie à laquelle La Scala donne un côté épique que le rock et le classique ont en partage et que prend en charge tant l’écriture du groupe (où chacun apporte sa pierre à l’édifice) que le geste de Théo Ceccaldi (entre Paganini et les grands guitar heroes) ? Louis Sclavis se prête au jeu de la guest star en sideman discret, mais totalement investi, le doigt sur la couture du pantalon jusque dans les délires les plus fous où il oppose une droiture attentive à la gesticulation de Théo Ceccaldi à son côté, qui perd ses lunettes à tout moment, se laisse envahir le visage par sa mèche, disperse celle de son archet et fascine par sa présence scènique, tant que l’on peut, au bout de deux sets de concert, se demander si, de toute cette dépense, ne résulte pas quelques redites. Et pourtant, comme ce répertoire est riche en propositions de vocabulaire et en situations sonores de tous genres également assumés par les quatre membres du groupe ! Sur une large palette qui renvoie en partie à la musique classique, et pas seulement vingtièmiste (de Webern à Messiaen en passant par le Stravinsky du Sacre et le Ravel de la Sonate pour violon et piano) mais aussi des siècles passés, de Bach à Tchaïkovsky), le tout embrasé au feu de l’improvisation tel qu’il s’est développé jusque dans les formes les plus free du jazz.
Roberto Negro qui est en résidence au Triton pour l’année, m’a semblé assurer tout à la fois un rôle de garde de fou et de distributeur de cartes avec un vocabulaire également très large dont on aimerait pouvoir vous dire que l’on y a reconnu du Paul Bley ou je ne sais qui… mais justement, je ne sais qui. Il y a là un rapport au patrimoine, au piano, au son, à l’attaque que je ne sais pas encore qualifier. Le saurai-je un peu mieux dans un an ou mieux, dès le 7 février lorsque son trio invitera Christophe Monniot à le rejoindre au Triton ? Quant à Gilles Coronado, il reviendra au Triton les 28 février et 1er mars en compagnie de Benjamin Moussay au sein du Silk Quartet de Louis Sclavis, extension du trio Atlas auquel est venu s’ajouter le percussionniste Keyvan Chemirani. Dire qu’il y a tant de musiques à entendre que sur France Culture que j’ai encore le tort de considérer comme ma radio, on entend toujours les mêmes daubes.
Franck Bergerot
|
Le compte rendu de la double soirée le 16 janvier au Triton a disparu de ces pages. Y a-t-il jamais figuré? Mystère de l’informatique? Le voici. Ce soir-là, on passa d’une salle à l’autre, l’ancienne et la nouvelle (ouverte à l’automne dernier) pour entendre deux formations, l’une également historique, Urban Mood, que son leader Gilles Coronado vient de reformer, l’autre jeune et au cœur de l’actualité, La Scala (avec les désormais incontournables frères Ceccaldi et le pianiste Roberto Negro) qui recevait Louis Sclavis.
Le Triton (nouvelle salle), Les Lilas (93), le 15 janvier 2014
Urban Mood : Matthieu Metzger (sax alto), Jozef Dumoulin (piano électrique Fender-Rhodes, synthétiseur), Gilles Coronado (guitare électrique, direction, composition), Franck Vaillant (batterie).
Nouvelle salle donc. Si j’en crois les comptes rendus de jazzmagazine.com, nos journalistes parisiens ne lui ont jamais rendu visite. Jauge comparable à la salle historique noire et jaune, à ceci près que cette dernière se présente comme un cabaret (musiciens de plain-pied avec le public, chaises et tables, bar…), tandis que la nouvelle est une vraie salle de concert, dotée d’un plateau en estrade face à un parterre très peu profond et un balcon fort incliné, noir de rigueur, régie lumière avec laquelle l’éclairagiste aura tendance à en faire un peu trop – une manie de notre époque – provoquant la protestation du leader. L’une et l’autre salle rouvraient avant-hier au public après une trêve des confiseurs qui s’est prolongée par deux résidences simultanées dont le résultat nous était restitué.
On est là pour retrouver, après dix ans de silence, Urban Mood, le groupe que Gilles Coronado fonda vers 1994 du temps où une scène nouvelle émergeait aux Instants Chavirés de Montreuil autour de Benoît Delbecq et Guillaume Orti. Guillaume Orti était d’ailleurs à l’époque l’un des membres d’Urban Mood, avec le violoncelliste Vincent Ségal et le batteur Norbert Lucarain. Gilles Coronado en reste le guitariste (Gibson modèle SG en mains, ce qui informe un peu sur le son que l’on a en tête) et le compositeur. Beaucoup d’électronique embarquée sous les pieds du leader, sous la forme d’un autre rack d’effets à la main de Matthieu Metzger et d’un indescriptible arsenal disposé sur son Fender-Rhodes et son clavier Akai par Jozef Dumoulin.
Un set d’une heure qui frappe d’emblé au plexus par le caractère incisif de la musique et ce mélange de décontraction et d’intensité sonore et rythmique qui la caractérise. La décontraction, c’est d’abord Franck Vaillant (par sa façon de fluidifier le matériau métrique) et Jozef Dumoulin (par sa transposition de cette fluidité rythmique en son pur avec une palette qui ne tient pas qu’à ses machines, mais aussi à ses phrasés hallucinés). Gilles Coronado me renvoie décidément (je l’ai peut-être déjà écrit et je radote peut-être) à Marc Ducret. Je vois en lui, non pas un clone, pas même un disciple, mais une filiation, un héritage assimilé, ce qui fait qu’il en est digne non pas par la virtuosité ou le vocabulaire, mais par l’originalité, par l’attitude musicale, avec aussi ce côté danseur dans la présence scénique, même si l’on ne confond pas l’un et l’autre sur ce plan non plus. Plus brut, plus authentiquement bad boy, moins glamour, plus rêche, Coronado distribue les motifs de ses partitions qui consistent en jeux rythmiques haletants, en structures et éclats kaléidoscopiques, en climats crépusculaires, avec un mélange de précision chirurgicale et de fièvre qu’il partage avec Matthieu Metzger. La musique est serrée, organique, tournoyante, trépidante, obsédante, c’est-à-dire qu’elle n’a pas seulement pour projet de l’être comme il est dit dans les notes d’intention, mais qu’elle enivre réellement l’auditeur par ses tourneries qui n’en sont pas tout à fait et qui par leurs variations et constants dérèglements constituent du discours. Disque à venir à l’automne. On attend ça avec impatience.
Y aura-t-il eu un rappel ? Je quitte les applaudissements nourris du public sans attendre pour gagner l’autre salle où commence le concert de La Scala.
Le Triton (salle historique)
La Scala : Théo Ceccaldi (violon, violon alto), Valentin Ceccaldi (vioncelle), Roberto Negro (piano), Adrien Chennebault (batterie). Invité : Louis Sclavis (clarinette, clarinette basse).
Est-il raisonnable de passer ainsi de l’un à l’autre sans transition ? Quoi de commun entre le son très rock d’Urban Mood et la “musique de chambre” de La Scala ? Le caractère très organique du son et de l’écriture, d’où rarement un authentique soliste ne se dégage ? Le sens de l’architecture ? L’énergie à laquelle La Scala donne un côté épique que le rock et le classique ont en partage et que prend en charge tant l’écriture du groupe (où chacun apporte sa pierre à l’édifice) que le geste de Théo Ceccaldi (entre Paganini et les grands guitar heroes) ? Louis Sclavis se prête au jeu de la guest star en sideman discret, mais totalement investi, le doigt sur la couture du pantalon jusque dans les délires les plus fous où il oppose une droiture attentive à la gesticulation de Théo Ceccaldi à son côté, qui perd ses lunettes à tout moment, se laisse envahir le visage par sa mèche, disperse celle de son archet et fascine par sa présence scènique, tant que l’on peut, au bout de deux sets de concert, se demander si, de toute cette dépense, ne résulte pas quelques redites. Et pourtant, comme ce répertoire est riche en propositions de vocabulaire et en situations sonores de tous genres également assumés par les quatre membres du groupe ! Sur une large palette qui renvoie en partie à la musique classique, et pas seulement vingtièmiste (de Webern à Messiaen en passant par le Stravinsky du Sacre et le Ravel de la Sonate pour violon et piano) mais aussi des siècles passés, de Bach à Tchaïkovsky), le tout embrasé au feu de l’improvisation tel qu’il s’est développé jusque dans les formes les plus free du jazz.
Roberto Negro qui est en résidence au Triton pour l’année, m’a semblé assurer tout à la fois un rôle de garde de fou et de distributeur de cartes avec un vocabulaire également très large dont on aimerait pouvoir vous dire que l’on y a reconnu du Paul Bley ou je ne sais qui… mais justement, je ne sais qui. Il y a là un rapport au patrimoine, au piano, au son, à l’attaque que je ne sais pas encore qualifier. Le saurai-je un peu mieux dans un an ou mieux, dès le 7 février lorsque son trio invitera Christophe Monniot à le rejoindre au Triton ? Quant à Gilles Coronado, il reviendra au Triton les 28 février et 1er mars en compagnie de Benjamin Moussay au sein du Silk Quartet de Louis Sclavis, extension du trio Atlas auquel est venu s’ajouter le percussionniste Keyvan Chemirani. Dire qu’il y a tant de musiques à entendre que sur France Culture que j’ai encore le tort de considérer comme ma radio, on entend toujours les mêmes daubes.
Franck Bergerot
|
Le compte rendu de la double soirée le 16 janvier au Triton a disparu de ces pages. Y a-t-il jamais figuré? Mystère de l’informatique? Le voici. Ce soir-là, on passa d’une salle à l’autre, l’ancienne et la nouvelle (ouverte à l’automne dernier) pour entendre deux formations, l’une également historique, Urban Mood, que son leader Gilles Coronado vient de reformer, l’autre jeune et au cœur de l’actualité, La Scala (avec les désormais incontournables frères Ceccaldi et le pianiste Roberto Negro) qui recevait Louis Sclavis.
Le Triton (nouvelle salle), Les Lilas (93), le 15 janvier 2014
Urban Mood : Matthieu Metzger (sax alto), Jozef Dumoulin (piano électrique Fender-Rhodes, synthétiseur), Gilles Coronado (guitare électrique, direction, composition), Franck Vaillant (batterie).
Nouvelle salle donc. Si j’en crois les comptes rendus de jazzmagazine.com, nos journalistes parisiens ne lui ont jamais rendu visite. Jauge comparable à la salle historique noire et jaune, à ceci près que cette dernière se présente comme un cabaret (musiciens de plain-pied avec le public, chaises et tables, bar…), tandis que la nouvelle est une vraie salle de concert, dotée d’un plateau en estrade face à un parterre très peu profond et un balcon fort incliné, noir de rigueur, régie lumière avec laquelle l’éclairagiste aura tendance à en faire un peu trop – une manie de notre époque – provoquant la protestation du leader. L’une et l’autre salle rouvraient avant-hier au public après une trêve des confiseurs qui s’est prolongée par deux résidences simultanées dont le résultat nous était restitué.
On est là pour retrouver, après dix ans de silence, Urban Mood, le groupe que Gilles Coronado fonda vers 1994 du temps où une scène nouvelle émergeait aux Instants Chavirés de Montreuil autour de Benoît Delbecq et Guillaume Orti. Guillaume Orti était d’ailleurs à l’époque l’un des membres d’Urban Mood, avec le violoncelliste Vincent Ségal et le batteur Norbert Lucarain. Gilles Coronado en reste le guitariste (Gibson modèle SG en mains, ce qui informe un peu sur le son que l’on a en tête) et le compositeur. Beaucoup d’électronique embarquée sous les pieds du leader, sous la forme d’un autre rack d’effets à la main de Matthieu Metzger et d’un indescriptible arsenal disposé sur son Fender-Rhodes et son clavier Akai par Jozef Dumoulin.
Un set d’une heure qui frappe d’emblé au plexus par le caractère incisif de la musique et ce mélange de décontraction et d’intensité sonore et rythmique qui la caractérise. La décontraction, c’est d’abord Franck Vaillant (par sa façon de fluidifier le matériau métrique) et Jozef Dumoulin (par sa transposition de cette fluidité rythmique en son pur avec une palette qui ne tient pas qu’à ses machines, mais aussi à ses phrasés hallucinés). Gilles Coronado me renvoie décidément (je l’ai peut-être déjà écrit et je radote peut-être) à Marc Ducret. Je vois en lui, non pas un clone, pas même un disciple, mais une filiation, un héritage assimilé, ce qui fait qu’il en est digne non pas par la virtuosité ou le vocabulaire, mais par l’originalité, par l’attitude musicale, avec aussi ce côté danseur dans la présence scénique, même si l’on ne confond pas l’un et l’autre sur ce plan non plus. Plus brut, plus authentiquement bad boy, moins glamour, plus rêche, Coronado distribue les motifs de ses partitions qui consistent en jeux rythmiques haletants, en structures et éclats kaléidoscopiques, en climats crépusculaires, avec un mélange de précision chirurgicale et de fièvre qu’il partage avec Matthieu Metzger. La musique est serrée, organique, tournoyante, trépidante, obsédante, c’est-à-dire qu’elle n’a pas seulement pour projet de l’être comme il est dit dans les notes d’intention, mais qu’elle enivre réellement l’auditeur par ses tourneries qui n’en sont pas tout à fait et qui par leurs variations et constants dérèglements constituent du discours. Disque à venir à l’automne. On attend ça avec impatience.
Y aura-t-il eu un rappel ? Je quitte les applaudissements nourris du public sans attendre pour gagner l’autre salle où commence le concert de La Scala.
Le Triton (salle historique)
La Scala : Théo Ceccaldi (violon, violon alto), Valentin Ceccaldi (vioncelle), Roberto Negro (piano), Adrien Chennebault (batterie). Invité : Louis Sclavis (clarinette, clarinette basse).
Est-il raisonnable de passer ainsi de l’un à l’autre sans transition ? Quoi de commun entre le son très rock d’Urban Mood et la “musique de chambre” de La Scala ? Le caractère très organique du son et de l’écriture, d’où rarement un authentique soliste ne se dégage ? Le sens de l’architecture ? L’énergie à laquelle La Scala donne un côté épique que le rock et le classique ont en partage et que prend en charge tant l’écriture du groupe (où chacun apporte sa pierre à l’édifice) que le geste de Théo Ceccaldi (entre Paganini et les grands guitar heroes) ? Louis Sclavis se prête au jeu de la guest star en sideman discret, mais totalement investi, le doigt sur la couture du pantalon jusque dans les délires les plus fous où il oppose une droiture attentive à la gesticulation de Théo Ceccaldi à son côté, qui perd ses lunettes à tout moment, se laisse envahir le visage par sa mèche, disperse celle de son archet et fascine par sa présence scènique, tant que l’on peut, au bout de deux sets de concert, se demander si, de toute cette dépense, ne résulte pas quelques redites. Et pourtant, comme ce répertoire est riche en propositions de vocabulaire et en situations sonores de tous genres également assumés par les quatre membres du groupe ! Sur une large palette qui renvoie en partie à la musique classique, et pas seulement vingtièmiste (de Webern à Messiaen en passant par le Stravinsky du Sacre et le Ravel de la Sonate pour violon et piano) mais aussi des siècles passés, de Bach à Tchaïkovsky), le tout embrasé au feu de l’improvisation tel qu’il s’est développé jusque dans les formes les plus free du jazz.
Roberto Negro qui est en résidence au Triton pour l’année, m’a semblé assurer tout à la fois un rôle de garde de fou et de distributeur de cartes avec un vocabulaire également très large dont on aimerait pouvoir vous dire que l’on y a reconnu du Paul Bley ou je ne sais qui… mais justement, je ne sais qui. Il y a là un rapport au patrimoine, au piano, au son, à l’attaque que je ne sais pas encore qualifier. Le saurai-je un peu mieux dans un an ou mieux, dès le 7 février lorsque son trio invitera Christophe Monniot à le rejoindre au Triton ? Quant à Gilles Coronado, il reviendra au Triton les 28 février et 1er mars en compagnie de Benjamin Moussay au sein du Silk Quartet de Louis Sclavis, extension du trio Atlas auquel est venu s’ajouter le percussionniste Keyvan Chemirani. Dire qu’il y a tant de musiques à entendre que sur France Culture que j’ai encore le tort de considérer comme ma radio, on entend toujours les mêmes daubes.
Franck Bergerot