Banlieues Bleues 2014, c'est parti !
En première partie du duo Randy Weston-Billy Harper, et après un morceau inaugural assez peu convaincant avec saxophone ténor et contrebasse, Kahil El’Zabar – qui joue du djembé – introduit son invité Dwight Trible, et c’est aussitôt une sorte de magie qui s’installe.
Banlieues Bleues 2014. Kahil El’Zabar’s Ritual Trio + Dwight Trible ; Randy Weston & Billy Harper. Saint-Ouen, Espace 1789, 14 mars.
Car le timbre de Dwight Trible évoque immanquablement celui d’Andy Bey : la profondeur, la tessiture, le phrasé… Entre-temps un nouveau trio s’est constitué derrière le vocaliste : El’Zabar à la batterie, Junius Paul toujours à la basse et Ari Brown au piano — dont il joue de façon très convaincante, égrenant des accords proches de la trame de A Love Supreme. Pour le morceau suivant le quartet se reformera : exit batterie et piano remplacés par djembé et ténor pour une mélopée scandée à deux voix par Dwight Trible et El’Zabar — dont l’organe n’est clairement pas à la hauteur, en comparaison, mais là n’est pas l’objet car le but est la transe. Elle s’exprime via un schéma rythmique simple et répétitif, accompagné chez Trible d’un balancement du corps qui suscite chez le public des velléités de claquements de mains malheureusement encouragées par le chanteur. Zabar convoque ensuite encore plus nettement l’Afrique : sonnailles aux chevilles et mbira en mains tandis que Brown déploie des arpèges qu’on dirait liquides sur son clavier. Tout ça pour scander en boucle et sur tous les tons : « Great Black Music ». Le public adore, mais votre serviteur commence sérieusement à flairer l’arnaque. Car après tout on a déjà vu et entendu ça dans les années 1970 et encore après : ce genre de concerts décousus, faits de bric et de broc, qu’on n’accepterait d’aucun musicien européen ; ce genre de recours aux clichés de la “Blackitude” où la musique — de qualité assez moyenne — est assaisonnée de discours militants, de gesticulations, de couvre-chefs et de lunettes de soleil… qui la font certes mieux passer aux yeux et aux oreilles de certains mais qui, pour d’autres, contribuent à ce qu’elle leur reste en travers de la gorge.
Rien de tout cela, bien évidemment, avec Randy Weston qui débute la seconde partie en solo, plaquant quelques accords retentissants dans les graves avant d’entamer une somptueuse méditation pianistique en hommage à l’Afrique. Ici, aucun besoin de mélopée incantatoire entonnée d’une voix à la justesse approximative pour évoquer le Continent Noir. Weston y a vécu, appris et son approche de cet héritage intègre une reconnaissance et une humilité manifestes envers ce qu’il sait lui devoir. Quand Billy Harper rejoint le pianiste, on est d’abord surpris par la jeunesse de la silhouette de ce septuagénaire, puis par une sonorité de ténor à laquelle on n’est plus habitué. Combien de temps, en effet, que le souffleur n’a plus arpenté les scènes françaises ? Puis on retrouve ses marques par rapport à ce phrasé volontiers rageur, à ce timbre à la fois rauque et chaleureux qui se promène avec une aisance de plus en plus marquée sur la grille harmonique bluesy que déroule son partenaire. « Et si on jouait High Fly, Billy ? », propose Weston à son ami avant de se lancer dans une intro en solo où le thème de son « tube » affleure à plusieurs reprises au milieu du magma harmonique avant que le ténor ne le reprenne, ne le triture et malaxe, secondé par les ponctuations rythmiques dans l’aigu ou le grave dont le pianiste martèle son clavier avec une rudesse toute monkienne. On atteint là l’essence d’un art que Randy Weston a perfectionné toute sa vie dans le sillage d’Ellington et de Monk, et en faisant en chemin ce détour par l’Afrique que ni l’un ni l’autre de ses aînés n’a réellement accompli. Billy Harper est le partenaire idéal pour creuser ce sillon. Un disque l’a montré cet automne. Ce concert inaugural de Banlieues Bleues le confirme pleinement. Thierry Quénum
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En première partie du duo Randy Weston-Billy Harper, et après un morceau inaugural assez peu convaincant avec saxophone ténor et contrebasse, Kahil El’Zabar – qui joue du djembé – introduit son invité Dwight Trible, et c’est aussitôt une sorte de magie qui s’installe.
Banlieues Bleues 2014. Kahil El’Zabar’s Ritual Trio + Dwight Trible ; Randy Weston & Billy Harper. Saint-Ouen, Espace 1789, 14 mars.
Car le timbre de Dwight Trible évoque immanquablement celui d’Andy Bey : la profondeur, la tessiture, le phrasé… Entre-temps un nouveau trio s’est constitué derrière le vocaliste : El’Zabar à la batterie, Junius Paul toujours à la basse et Ari Brown au piano — dont il joue de façon très convaincante, égrenant des accords proches de la trame de A Love Supreme. Pour le morceau suivant le quartet se reformera : exit batterie et piano remplacés par djembé et ténor pour une mélopée scandée à deux voix par Dwight Trible et El’Zabar — dont l’organe n’est clairement pas à la hauteur, en comparaison, mais là n’est pas l’objet car le but est la transe. Elle s’exprime via un schéma rythmique simple et répétitif, accompagné chez Trible d’un balancement du corps qui suscite chez le public des velléités de claquements de mains malheureusement encouragées par le chanteur. Zabar convoque ensuite encore plus nettement l’Afrique : sonnailles aux chevilles et mbira en mains tandis que Brown déploie des arpèges qu’on dirait liquides sur son clavier. Tout ça pour scander en boucle et sur tous les tons : « Great Black Music ». Le public adore, mais votre serviteur commence sérieusement à flairer l’arnaque. Car après tout on a déjà vu et entendu ça dans les années 1970 et encore après : ce genre de concerts décousus, faits de bric et de broc, qu’on n’accepterait d’aucun musicien européen ; ce genre de recours aux clichés de la “Blackitude” où la musique — de qualité assez moyenne — est assaisonnée de discours militants, de gesticulations, de couvre-chefs et de lunettes de soleil… qui la font certes mieux passer aux yeux et aux oreilles de certains mais qui, pour d’autres, contribuent à ce qu’elle leur reste en travers de la gorge.
Rien de tout cela, bien évidemment, avec Randy Weston qui débute la seconde partie en solo, plaquant quelques accords retentissants dans les graves avant d’entamer une somptueuse méditation pianistique en hommage à l’Afrique. Ici, aucun besoin de mélopée incantatoire entonnée d’une voix à la justesse approximative pour évoquer le Continent Noir. Weston y a vécu, appris et son approche de cet héritage intègre une reconnaissance et une humilité manifestes envers ce qu’il sait lui devoir. Quand Billy Harper rejoint le pianiste, on est d’abord surpris par la jeunesse de la silhouette de ce septuagénaire, puis par une sonorité de ténor à laquelle on n’est plus habitué. Combien de temps, en effet, que le souffleur n’a plus arpenté les scènes françaises ? Puis on retrouve ses marques par rapport à ce phrasé volontiers rageur, à ce timbre à la fois rauque et chaleureux qui se promène avec une aisance de plus en plus marquée sur la grille harmonique bluesy que déroule son partenaire. « Et si on jouait High Fly, Billy ? », propose Weston à son ami avant de se lancer dans une intro en solo où le thème de son « tube » affleure à plusieurs reprises au milieu du magma harmonique avant que le ténor ne le reprenne, ne le triture et malaxe, secondé par les ponctuations rythmiques dans l’aigu ou le grave dont le pianiste martèle son clavier avec une rudesse toute monkienne. On atteint là l’essence d’un art que Randy Weston a perfectionné toute sa vie dans le sillage d’Ellington et de Monk, et en faisant en chemin ce détour par l’Afrique que ni l’un ni l’autre de ses aînés n’a réellement accompli. Billy Harper est le partenaire idéal pour creuser ce sillon. Un disque l’a montré cet automne. Ce concert inaugural de Banlieues Bleues le confirme pleinement. Thierry Quénum
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En première partie du duo Randy Weston-Billy Harper, et après un morceau inaugural assez peu convaincant avec saxophone ténor et contrebasse, Kahil El’Zabar – qui joue du djembé – introduit son invité Dwight Trible, et c’est aussitôt une sorte de magie qui s’installe.
Banlieues Bleues 2014. Kahil El’Zabar’s Ritual Trio + Dwight Trible ; Randy Weston & Billy Harper. Saint-Ouen, Espace 1789, 14 mars.
Car le timbre de Dwight Trible évoque immanquablement celui d’Andy Bey : la profondeur, la tessiture, le phrasé… Entre-temps un nouveau trio s’est constitué derrière le vocaliste : El’Zabar à la batterie, Junius Paul toujours à la basse et Ari Brown au piano — dont il joue de façon très convaincante, égrenant des accords proches de la trame de A Love Supreme. Pour le morceau suivant le quartet se reformera : exit batterie et piano remplacés par djembé et ténor pour une mélopée scandée à deux voix par Dwight Trible et El’Zabar — dont l’organe n’est clairement pas à la hauteur, en comparaison, mais là n’est pas l’objet car le but est la transe. Elle s’exprime via un schéma rythmique simple et répétitif, accompagné chez Trible d’un balancement du corps qui suscite chez le public des velléités de claquements de mains malheureusement encouragées par le chanteur. Zabar convoque ensuite encore plus nettement l’Afrique : sonnailles aux chevilles et mbira en mains tandis que Brown déploie des arpèges qu’on dirait liquides sur son clavier. Tout ça pour scander en boucle et sur tous les tons : « Great Black Music ». Le public adore, mais votre serviteur commence sérieusement à flairer l’arnaque. Car après tout on a déjà vu et entendu ça dans les années 1970 et encore après : ce genre de concerts décousus, faits de bric et de broc, qu’on n’accepterait d’aucun musicien européen ; ce genre de recours aux clichés de la “Blackitude” où la musique — de qualité assez moyenne — est assaisonnée de discours militants, de gesticulations, de couvre-chefs et de lunettes de soleil… qui la font certes mieux passer aux yeux et aux oreilles de certains mais qui, pour d’autres, contribuent à ce qu’elle leur reste en travers de la gorge.
Rien de tout cela, bien évidemment, avec Randy Weston qui débute la seconde partie en solo, plaquant quelques accords retentissants dans les graves avant d’entamer une somptueuse méditation pianistique en hommage à l’Afrique. Ici, aucun besoin de mélopée incantatoire entonnée d’une voix à la justesse approximative pour évoquer le Continent Noir. Weston y a vécu, appris et son approche de cet héritage intègre une reconnaissance et une humilité manifestes envers ce qu’il sait lui devoir. Quand Billy Harper rejoint le pianiste, on est d’abord surpris par la jeunesse de la silhouette de ce septuagénaire, puis par une sonorité de ténor à laquelle on n’est plus habitué. Combien de temps, en effet, que le souffleur n’a plus arpenté les scènes françaises ? Puis on retrouve ses marques par rapport à ce phrasé volontiers rageur, à ce timbre à la fois rauque et chaleureux qui se promène avec une aisance de plus en plus marquée sur la grille harmonique bluesy que déroule son partenaire. « Et si on jouait High Fly, Billy ? », propose Weston à son ami avant de se lancer dans une intro en solo où le thème de son « tube » affleure à plusieurs reprises au milieu du magma harmonique avant que le ténor ne le reprenne, ne le triture et malaxe, secondé par les ponctuations rythmiques dans l’aigu ou le grave dont le pianiste martèle son clavier avec une rudesse toute monkienne. On atteint là l’essence d’un art que Randy Weston a perfectionné toute sa vie dans le sillage d’Ellington et de Monk, et en faisant en chemin ce détour par l’Afrique que ni l’un ni l’autre de ses aînés n’a réellement accompli. Billy Harper est le partenaire idéal pour creuser ce sillon. Un disque l’a montré cet automne. Ce concert inaugural de Banlieues Bleues le confirme pleinement. Thierry Quénum
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En première partie du duo Randy Weston-Billy Harper, et après un morceau inaugural assez peu convaincant avec saxophone ténor et contrebasse, Kahil El’Zabar – qui joue du djembé – introduit son invité Dwight Trible, et c’est aussitôt une sorte de magie qui s’installe.
Banlieues Bleues 2014. Kahil El’Zabar’s Ritual Trio + Dwight Trible ; Randy Weston & Billy Harper. Saint-Ouen, Espace 1789, 14 mars.
Car le timbre de Dwight Trible évoque immanquablement celui d’Andy Bey : la profondeur, la tessiture, le phrasé… Entre-temps un nouveau trio s’est constitué derrière le vocaliste : El’Zabar à la batterie, Junius Paul toujours à la basse et Ari Brown au piano — dont il joue de façon très convaincante, égrenant des accords proches de la trame de A Love Supreme. Pour le morceau suivant le quartet se reformera : exit batterie et piano remplacés par djembé et ténor pour une mélopée scandée à deux voix par Dwight Trible et El’Zabar — dont l’organe n’est clairement pas à la hauteur, en comparaison, mais là n’est pas l’objet car le but est la transe. Elle s’exprime via un schéma rythmique simple et répétitif, accompagné chez Trible d’un balancement du corps qui suscite chez le public des velléités de claquements de mains malheureusement encouragées par le chanteur. Zabar convoque ensuite encore plus nettement l’Afrique : sonnailles aux chevilles et mbira en mains tandis que Brown déploie des arpèges qu’on dirait liquides sur son clavier. Tout ça pour scander en boucle et sur tous les tons : « Great Black Music ». Le public adore, mais votre serviteur commence sérieusement à flairer l’arnaque. Car après tout on a déjà vu et entendu ça dans les années 1970 et encore après : ce genre de concerts décousus, faits de bric et de broc, qu’on n’accepterait d’aucun musicien européen ; ce genre de recours aux clichés de la “Blackitude” où la musique — de qualité assez moyenne — est assaisonnée de discours militants, de gesticulations, de couvre-chefs et de lunettes de soleil… qui la font certes mieux passer aux yeux et aux oreilles de certains mais qui, pour d’autres, contribuent à ce qu’elle leur reste en travers de la gorge.
Rien de tout cela, bien évidemment, avec Randy Weston qui débute la seconde partie en solo, plaquant quelques accords retentissants dans les graves avant d’entamer une somptueuse méditation pianistique en hommage à l’Afrique. Ici, aucun besoin de mélopée incantatoire entonnée d’une voix à la justesse approximative pour évoquer le Continent Noir. Weston y a vécu, appris et son approche de cet héritage intègre une reconnaissance et une humilité manifestes envers ce qu’il sait lui devoir. Quand Billy Harper rejoint le pianiste, on est d’abord surpris par la jeunesse de la silhouette de ce septuagénaire, puis par une sonorité de ténor à laquelle on n’est plus habitué. Combien de temps, en effet, que le souffleur n’a plus arpenté les scènes françaises ? Puis on retrouve ses marques par rapport à ce phrasé volontiers rageur, à ce timbre à la fois rauque et chaleureux qui se promène avec une aisance de plus en plus marquée sur la grille harmonique bluesy que déroule son partenaire. « Et si on jouait High Fly, Billy ? », propose Weston à son ami avant de se lancer dans une intro en solo où le thème de son « tube » affleure à plusieurs reprises au milieu du magma harmonique avant que le ténor ne le reprenne, ne le triture et malaxe, secondé par les ponctuations rythmiques dans l’aigu ou le grave dont le pianiste martèle son clavier avec une rudesse toute monkienne. On atteint là l’essence d’un art que Randy Weston a perfectionné toute sa vie dans le sillage d’Ellington et de Monk, et en faisant en chemin ce détour par l’Afrique que ni l’un ni l’autre de ses aînés n’a réellement accompli. Billy Harper est le partenaire idéal pour creuser ce sillon. Un disque l’a montré cet automne. Ce concert inaugural de Banlieues Bleues le confirme pleinement. Thierry Quénum