Respire Jazz 2 : Ellinoa, Olivier Bogé 4tet, Victor Michaud 7tet
Pour sa deuxième soirée, afin d’éviter l’averse de la veille sur le DPZ 5tet, le Respire Jazz festival a déménagé dans une grange qui fit l’une des plus belles salles de concert qui soient, les concerts de l’après-midi ayant eu lieu sous de petits abris de toile avec lesquels le public qui s’y était cramponné failli à plusieurs reprises s’envoler dans une bourrasque qui tordait les grands arbres alentours comme aucun poète romantique n’aurait su les tordre. Du coup, le ciel balayé par Eole, il n’a pas plu…
Ellinoa : Camille Durand (chant, composition), Richard Poher (piano électrique Fender Rhodes), Arthur Hennebique (contrebasse), Tiss Rodriguez (batterie).
« Quartette du Centre des musiques Didier Lockwood » précise le programme du festival, ce qui nous rappelle que Pierre Perchaud est l’une des “clés” pédagogiques du “CMDL” devenu depuis quelques années l’un des principaux foyer de formation au jazz de l’Hexagone. Ellinoa est un vrai groupe, plus qu’un atelier d’école et plus qu’un chanteuse accompagnée. La voix de Camille Durand n’impressionne ni par son ampleur ni par son amplitude, mais tout y est musical sur un répertoire original (textes et musiques) qui valorise tant sa prestation de “diseuse” que son art de chanteuse et d’improvisatrice au sein d’un groupe dont elle écrit jusqu’aux arrangements (habituellement pour une sextette avec sax et guitare), rompu au jouage interactif. En dépit de quelques longueurs du répertoire, on se laisse faire par la faconde de Richard Poher, par la souplesse de Tiss Rodriguez (que je ne suis pas déçu d’entendre enfin en direct, après avoir tant lu son nom à la relecture des programmes du Baiser salé dans nos pages agenda, les veilles de bouclage) et par je ne sais quoi d’Arthur Hennebique que l’on ne va pas tarder à s’arracher (c’est d’ailleurs probablement déjà le cas) pour sa virtuosité, sa musicalité, la profondeur de sa sonorité, sa réactivité et toutes sortes d’autres vertus en “é”.
Oliviert Bogé Quartet : Olivier Bogé (sax alto, composition), Thomas Enhco (piano), Nicolas Moreaux (contrebasse), Karl Jannuska (batterie).
Pour l’équipe technique, le travail de la journée aura consisté à débâcher le matériel de la veille et de faire migrer piano et dispositifs scéniques vers une magnifique grange d’une belle hauteur de plafond sous lequel, des voliges aux poutres maîtresses, on s’attend à voir, à tout instant, les troncs et les branches dont elles ont été débitées reprendre vie et se couvrir d’un nouveau feuillage, à moins que, nouvelle arche de Noé, la grange elle-même ne largue les amarres pour voguer sur la musique. Cet accès d’onirisme trahit l’état dans lequel j’ai traversé ce concert à une heure où je cède fréquemment à une somnolence qui dure rarement plus de dix minutes. Mais hier soir, ma conférence donnée en début d’après-midi ayant été la dernière grosse échéance de l’année avant le relatif relâchement de la période estivale, le sommeil s’est littéralement abattu sur moi et j’ai entendu, plus qu’écouté, la musique du saxophoniste et compositeur Olivier Bogé à travers une épaisse brume mentale d’où quelques rares souvenirs émergent, comme l’analogie à la musique de David Binney, pour le son et phrasé de l’alto, pour l’ élégance de la phrase et quelque chose de magique auquel j’associe, tard dans le concert, une intro toute silences, suspens et mystère de Thomas Enhco. Parfois aussi, une impression de trop plein qui aurait été l’envers d’une jouage collectif par ailleurs fort excitant. En rappel, au cours d’une belle version de All or Nothing at All, je reprends mes esprits lors d’un bref mais intense solo de Nicolas Moreaux. Bref, rien qui autorise le compte rendu, mais une incitation à aller y voir de plus près dès que possible.
Wunderbar Orchestra : Yoann Loustalot (trompette, bugle), Victor Michaud (cor, compositions, arrangements), Olivier Zanot (saxes alto et soprano), Etienne de la Sayette (sax baryton, flûte traversière traditionnelle), François Chesnel (piano), Blaise Chevallier (contrebasse), Arnaud Lechantre (batterie).
Le nom de ce septette emmené par Victor Michaud et le ton avec lequel il présente ses créations en disent long sur une certaine cocasserie du répertoire. Bien plus que de la cocasserie, il y a là un art de l’orchestration, un sens de la couleur, un goût de la formule, de l’agencement des parties, le tout avec quelque chose qui serait “la légèreté” chère à Stravinsky telle que cette vertu transparaît à la lecture de sa Poètique musicale et reformulée par Milan Kundera dans Les Testaments trahis. Si je retrouve certaines des réserves qui étaient les miennes dans ma chronique du disque pour notre numéro 654 d’octobre dernier (la paresse m’invite à me citer « ça marche sur des œufs », « partitions corsetées », « bonnes intentions »), le concert finit par décoller (mais n’est-ce pas moi qui décolle enfin…) et cette musique me semblait manquer de grandeur et de jaillissement, hé bien… ça y est la grange fout le camp, cap sur le grand large. Or, cela survient sur ces mêmes morceaux que j’avais cité pour argumenter mes réserves : Night in Tunisia qui me semblait s’épuiser sur le disque et dont la magnificence orchestrale trouve son prolongement dans un conte des mille et une nuits que récite la flûte traversière traditionnelle tirée de sa besace par Etienne de la Sayette, Time Remembered que j’entendais « Boitiller sur des hauts talons » devenu digne du génie harmonique de Bill Evans grâce notamment au solo qu’y prend Yoann Loustalot en étroit partenariat avec Blaise Chevallier. Je me souviens particulièrement d’un intense dernier morceau, au cours duquel j’ai emprunté un stylo à mon voisin pour noter (dans le noir, appuyant mon bloc notes dans le vide) quelque chose que je relis ainsi, dans être bien certain de mes intentions : « solo de ss » (oui, ça me revient, le soprano d’Olivier Zanot avait des ailes à cet instant, faute d’être plus précis) et « pétard final »… Qu’ai-je bien pu vouloir dire ? Peut-être que cette prestation qui, en son début, manquait d’accidents, de points d’exclamation, de gros mots, de gestes obcènes, ce quelque chose que Charles Mingus finit par apprendre à ses musiciens en leur confisquant ses admirables partitions… afin qu’elles ne soient plus lues mais projetées (Monk faisait de même)… hé bien, hier, en fin de concert, ça y était. La poudre parlait. La musique de Victor Michaud tonnait, crépitait, pétaradait. Bouquet final ! Le stylo de mon voisin aurait-il fourché?
Dehors, sous le préau, à côté du bar, les ta
uliers de la jam session – le guitariste Mathis Pascaud, le batteur Gabriel Westphall et le contrebassiste Arthur Hennebique (ah ! le revoilà ! Quel talent !) – accueillent le public en compagnie de Thomas Enhco qui tire du Fender Rhodes de belles inventions. Puis Pierre Perchaud s’empare de la guitare pour lancer le riff des Meters qui vient sous les paroles du fameux I feel like a king, when I kiss kiss my baby !, aussitôt repris par Hennebique et décliné en connaissance de cause par Tiss Rodriguez. Olivier Bogé se met à picorer le clavier comme s’il jouait du clavinet. C’est alors au tour de Richard Poher de faire roucouler le Rhodes sur les harmonies Softly, as in the Morning Sunrise que Camille Durand entonne avec une belle assurance avant de se lancer dans un scat qui, plus qu’il m’avait semblé dans l’après-midi (peut-être parce que le jaillissement du bœuf nocturne et le challenge de la confrontation impromptue lui valent un surcroît d’énergie) rend hommage à son sens de l’articulation et de la négociation harmonique. La jam continue et je me retire terminer la nuit commencée de désobligeante manière durant le concert d’Olivier Bogé.
Cet après-midi, à 15h30, on réentendra Ellinoa (donc Camille Durand, Richard Poher, Arthur Hennebique et Tiss Rodriguez) avant le concert de fin de festival qui verra se succéder l’Open Gate Trio d’Emmanuel Bex, Francesco Bearzatti et Simon Goubert, et le Triolio de Leon Parker, Lynn Cassiers et Pierre Perchaud, une formation née ici même.
Franck Bergerot
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Pour sa deuxième soirée, afin d’éviter l’averse de la veille sur le DPZ 5tet, le Respire Jazz festival a déménagé dans une grange qui fit l’une des plus belles salles de concert qui soient, les concerts de l’après-midi ayant eu lieu sous de petits abris de toile avec lesquels le public qui s’y était cramponné failli à plusieurs reprises s’envoler dans une bourrasque qui tordait les grands arbres alentours comme aucun poète romantique n’aurait su les tordre. Du coup, le ciel balayé par Eole, il n’a pas plu…
Ellinoa : Camille Durand (chant, composition), Richard Poher (piano électrique Fender Rhodes), Arthur Hennebique (contrebasse), Tiss Rodriguez (batterie).
« Quartette du Centre des musiques Didier Lockwood » précise le programme du festival, ce qui nous rappelle que Pierre Perchaud est l’une des “clés” pédagogiques du “CMDL” devenu depuis quelques années l’un des principaux foyer de formation au jazz de l’Hexagone. Ellinoa est un vrai groupe, plus qu’un atelier d’école et plus qu’un chanteuse accompagnée. La voix de Camille Durand n’impressionne ni par son ampleur ni par son amplitude, mais tout y est musical sur un répertoire original (textes et musiques) qui valorise tant sa prestation de “diseuse” que son art de chanteuse et d’improvisatrice au sein d’un groupe dont elle écrit jusqu’aux arrangements (habituellement pour une sextette avec sax et guitare), rompu au jouage interactif. En dépit de quelques longueurs du répertoire, on se laisse faire par la faconde de Richard Poher, par la souplesse de Tiss Rodriguez (que je ne suis pas déçu d’entendre enfin en direct, après avoir tant lu son nom à la relecture des programmes du Baiser salé dans nos pages agenda, les veilles de bouclage) et par je ne sais quoi d’Arthur Hennebique que l’on ne va pas tarder à s’arracher (c’est d’ailleurs probablement déjà le cas) pour sa virtuosité, sa musicalité, la profondeur de sa sonorité, sa réactivité et toutes sortes d’autres vertus en “é”.
Oliviert Bogé Quartet : Olivier Bogé (sax alto, composition), Thomas Enhco (piano), Nicolas Moreaux (contrebasse), Karl Jannuska (batterie).
Pour l’équipe technique, le travail de la journée aura consisté à débâcher le matériel de la veille et de faire migrer piano et dispositifs scéniques vers une magnifique grange d’une belle hauteur de plafond sous lequel, des voliges aux poutres maîtresses, on s’attend à voir, à tout instant, les troncs et les branches dont elles ont été débitées reprendre vie et se couvrir d’un nouveau feuillage, à moins que, nouvelle arche de Noé, la grange elle-même ne largue les amarres pour voguer sur la musique. Cet accès d’onirisme trahit l’état dans lequel j’ai traversé ce concert à une heure où je cède fréquemment à une somnolence qui dure rarement plus de dix minutes. Mais hier soir, ma conférence donnée en début d’après-midi ayant été la dernière grosse échéance de l’année avant le relatif relâchement de la période estivale, le sommeil s’est littéralement abattu sur moi et j’ai entendu, plus qu’écouté, la musique du saxophoniste et compositeur Olivier Bogé à travers une épaisse brume mentale d’où quelques rares souvenirs émergent, comme l’analogie à la musique de David Binney, pour le son et phrasé de l’alto, pour l’ élégance de la phrase et quelque chose de magique auquel j’associe, tard dans le concert, une intro toute silences, suspens et mystère de Thomas Enhco. Parfois aussi, une impression de trop plein qui aurait été l’envers d’une jouage collectif par ailleurs fort excitant. En rappel, au cours d’une belle version de All or Nothing at All, je reprends mes esprits lors d’un bref mais intense solo de Nicolas Moreaux. Bref, rien qui autorise le compte rendu, mais une incitation à aller y voir de plus près dès que possible.
Wunderbar Orchestra : Yoann Loustalot (trompette, bugle), Victor Michaud (cor, compositions, arrangements), Olivier Zanot (saxes alto et soprano), Etienne de la Sayette (sax baryton, flûte traversière traditionnelle), François Chesnel (piano), Blaise Chevallier (contrebasse), Arnaud Lechantre (batterie).
Le nom de ce septette emmené par Victor Michaud et le ton avec lequel il présente ses créations en disent long sur une certaine cocasserie du répertoire. Bien plus que de la cocasserie, il y a là un art de l’orchestration, un sens de la couleur, un goût de la formule, de l’agencement des parties, le tout avec quelque chose qui serait “la légèreté” chère à Stravinsky telle que cette vertu transparaît à la lecture de sa Poètique musicale et reformulée par Milan Kundera dans Les Testaments trahis. Si je retrouve certaines des réserves qui étaient les miennes dans ma chronique du disque pour notre numéro 654 d’octobre dernier (la paresse m’invite à me citer « ça marche sur des œufs », « partitions corsetées », « bonnes intentions »), le concert finit par décoller (mais n’est-ce pas moi qui décolle enfin…) et cette musique me semblait manquer de grandeur et de jaillissement, hé bien… ça y est la grange fout le camp, cap sur le grand large. Or, cela survient sur ces mêmes morceaux que j’avais cité pour argumenter mes réserves : Night in Tunisia qui me semblait s’épuiser sur le disque et dont la magnificence orchestrale trouve son prolongement dans un conte des mille et une nuits que récite la flûte traversière traditionnelle tirée de sa besace par Etienne de la Sayette, Time Remembered que j’entendais « Boitiller sur des hauts talons » devenu digne du génie harmonique de Bill Evans grâce notamment au solo qu’y prend Yoann Loustalot en étroit partenariat avec Blaise Chevallier. Je me souviens particulièrement d’un intense dernier morceau, au cours duquel j’ai emprunté un stylo à mon voisin pour noter (dans le noir, appuyant mon bloc notes dans le vide) quelque chose que je relis ainsi, dans être bien certain de mes intentions : « solo de ss » (oui, ça me revient, le soprano d’Olivier Zanot avait des ailes à cet instant, faute d’être plus précis) et « pétard final »… Qu’ai-je bien pu vouloir dire ? Peut-être que cette prestation qui, en son début, manquait d’accidents, de points d’exclamation, de gros mots, de gestes obcènes, ce quelque chose que Charles Mingus finit par apprendre à ses musiciens en leur confisquant ses admirables partitions… afin qu’elles ne soient plus lues mais projetées (Monk faisait de même)… hé bien, hier, en fin de concert, ça y était. La poudre parlait. La musique de Victor Michaud tonnait, crépitait, pétaradait. Bouquet final ! Le stylo de mon voisin aurait-il fourché?
Dehors, sous le préau, à côté du bar, les ta
uliers de la jam session – le guitariste Mathis Pascaud, le batteur Gabriel Westphall et le contrebassiste Arthur Hennebique (ah ! le revoilà ! Quel talent !) – accueillent le public en compagnie de Thomas Enhco qui tire du Fender Rhodes de belles inventions. Puis Pierre Perchaud s’empare de la guitare pour lancer le riff des Meters qui vient sous les paroles du fameux I feel like a king, when I kiss kiss my baby !, aussitôt repris par Hennebique et décliné en connaissance de cause par Tiss Rodriguez. Olivier Bogé se met à picorer le clavier comme s’il jouait du clavinet. C’est alors au tour de Richard Poher de faire roucouler le Rhodes sur les harmonies Softly, as in the Morning Sunrise que Camille Durand entonne avec une belle assurance avant de se lancer dans un scat qui, plus qu’il m’avait semblé dans l’après-midi (peut-être parce que le jaillissement du bœuf nocturne et le challenge de la confrontation impromptue lui valent un surcroît d’énergie) rend hommage à son sens de l’articulation et de la négociation harmonique. La jam continue et je me retire terminer la nuit commencée de désobligeante manière durant le concert d’Olivier Bogé.
Cet après-midi, à 15h30, on réentendra Ellinoa (donc Camille Durand, Richard Poher, Arthur Hennebique et Tiss Rodriguez) avant le concert de fin de festival qui verra se succéder l’Open Gate Trio d’Emmanuel Bex, Francesco Bearzatti et Simon Goubert, et le Triolio de Leon Parker, Lynn Cassiers et Pierre Perchaud, une formation née ici même.
Franck Bergerot
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Pour sa deuxième soirée, afin d’éviter l’averse de la veille sur le DPZ 5tet, le Respire Jazz festival a déménagé dans une grange qui fit l’une des plus belles salles de concert qui soient, les concerts de l’après-midi ayant eu lieu sous de petits abris de toile avec lesquels le public qui s’y était cramponné failli à plusieurs reprises s’envoler dans une bourrasque qui tordait les grands arbres alentours comme aucun poète romantique n’aurait su les tordre. Du coup, le ciel balayé par Eole, il n’a pas plu…
Ellinoa : Camille Durand (chant, composition), Richard Poher (piano électrique Fender Rhodes), Arthur Hennebique (contrebasse), Tiss Rodriguez (batterie).
« Quartette du Centre des musiques Didier Lockwood » précise le programme du festival, ce qui nous rappelle que Pierre Perchaud est l’une des “clés” pédagogiques du “CMDL” devenu depuis quelques années l’un des principaux foyer de formation au jazz de l’Hexagone. Ellinoa est un vrai groupe, plus qu’un atelier d’école et plus qu’un chanteuse accompagnée. La voix de Camille Durand n’impressionne ni par son ampleur ni par son amplitude, mais tout y est musical sur un répertoire original (textes et musiques) qui valorise tant sa prestation de “diseuse” que son art de chanteuse et d’improvisatrice au sein d’un groupe dont elle écrit jusqu’aux arrangements (habituellement pour une sextette avec sax et guitare), rompu au jouage interactif. En dépit de quelques longueurs du répertoire, on se laisse faire par la faconde de Richard Poher, par la souplesse de Tiss Rodriguez (que je ne suis pas déçu d’entendre enfin en direct, après avoir tant lu son nom à la relecture des programmes du Baiser salé dans nos pages agenda, les veilles de bouclage) et par je ne sais quoi d’Arthur Hennebique que l’on ne va pas tarder à s’arracher (c’est d’ailleurs probablement déjà le cas) pour sa virtuosité, sa musicalité, la profondeur de sa sonorité, sa réactivité et toutes sortes d’autres vertus en “é”.
Oliviert Bogé Quartet : Olivier Bogé (sax alto, composition), Thomas Enhco (piano), Nicolas Moreaux (contrebasse), Karl Jannuska (batterie).
Pour l’équipe technique, le travail de la journée aura consisté à débâcher le matériel de la veille et de faire migrer piano et dispositifs scéniques vers une magnifique grange d’une belle hauteur de plafond sous lequel, des voliges aux poutres maîtresses, on s’attend à voir, à tout instant, les troncs et les branches dont elles ont été débitées reprendre vie et se couvrir d’un nouveau feuillage, à moins que, nouvelle arche de Noé, la grange elle-même ne largue les amarres pour voguer sur la musique. Cet accès d’onirisme trahit l’état dans lequel j’ai traversé ce concert à une heure où je cède fréquemment à une somnolence qui dure rarement plus de dix minutes. Mais hier soir, ma conférence donnée en début d’après-midi ayant été la dernière grosse échéance de l’année avant le relatif relâchement de la période estivale, le sommeil s’est littéralement abattu sur moi et j’ai entendu, plus qu’écouté, la musique du saxophoniste et compositeur Olivier Bogé à travers une épaisse brume mentale d’où quelques rares souvenirs émergent, comme l’analogie à la musique de David Binney, pour le son et phrasé de l’alto, pour l’ élégance de la phrase et quelque chose de magique auquel j’associe, tard dans le concert, une intro toute silences, suspens et mystère de Thomas Enhco. Parfois aussi, une impression de trop plein qui aurait été l’envers d’une jouage collectif par ailleurs fort excitant. En rappel, au cours d’une belle version de All or Nothing at All, je reprends mes esprits lors d’un bref mais intense solo de Nicolas Moreaux. Bref, rien qui autorise le compte rendu, mais une incitation à aller y voir de plus près dès que possible.
Wunderbar Orchestra : Yoann Loustalot (trompette, bugle), Victor Michaud (cor, compositions, arrangements), Olivier Zanot (saxes alto et soprano), Etienne de la Sayette (sax baryton, flûte traversière traditionnelle), François Chesnel (piano), Blaise Chevallier (contrebasse), Arnaud Lechantre (batterie).
Le nom de ce septette emmené par Victor Michaud et le ton avec lequel il présente ses créations en disent long sur une certaine cocasserie du répertoire. Bien plus que de la cocasserie, il y a là un art de l’orchestration, un sens de la couleur, un goût de la formule, de l’agencement des parties, le tout avec quelque chose qui serait “la légèreté” chère à Stravinsky telle que cette vertu transparaît à la lecture de sa Poètique musicale et reformulée par Milan Kundera dans Les Testaments trahis. Si je retrouve certaines des réserves qui étaient les miennes dans ma chronique du disque pour notre numéro 654 d’octobre dernier (la paresse m’invite à me citer « ça marche sur des œufs », « partitions corsetées », « bonnes intentions »), le concert finit par décoller (mais n’est-ce pas moi qui décolle enfin…) et cette musique me semblait manquer de grandeur et de jaillissement, hé bien… ça y est la grange fout le camp, cap sur le grand large. Or, cela survient sur ces mêmes morceaux que j’avais cité pour argumenter mes réserves : Night in Tunisia qui me semblait s’épuiser sur le disque et dont la magnificence orchestrale trouve son prolongement dans un conte des mille et une nuits que récite la flûte traversière traditionnelle tirée de sa besace par Etienne de la Sayette, Time Remembered que j’entendais « Boitiller sur des hauts talons » devenu digne du génie harmonique de Bill Evans grâce notamment au solo qu’y prend Yoann Loustalot en étroit partenariat avec Blaise Chevallier. Je me souviens particulièrement d’un intense dernier morceau, au cours duquel j’ai emprunté un stylo à mon voisin pour noter (dans le noir, appuyant mon bloc notes dans le vide) quelque chose que je relis ainsi, dans être bien certain de mes intentions : « solo de ss » (oui, ça me revient, le soprano d’Olivier Zanot avait des ailes à cet instant, faute d’être plus précis) et « pétard final »… Qu’ai-je bien pu vouloir dire ? Peut-être que cette prestation qui, en son début, manquait d’accidents, de points d’exclamation, de gros mots, de gestes obcènes, ce quelque chose que Charles Mingus finit par apprendre à ses musiciens en leur confisquant ses admirables partitions… afin qu’elles ne soient plus lues mais projetées (Monk faisait de même)… hé bien, hier, en fin de concert, ça y était. La poudre parlait. La musique de Victor Michaud tonnait, crépitait, pétaradait. Bouquet final ! Le stylo de mon voisin aurait-il fourché?
Dehors, sous le préau, à côté du bar, les ta
uliers de la jam session – le guitariste Mathis Pascaud, le batteur Gabriel Westphall et le contrebassiste Arthur Hennebique (ah ! le revoilà ! Quel talent !) – accueillent le public en compagnie de Thomas Enhco qui tire du Fender Rhodes de belles inventions. Puis Pierre Perchaud s’empare de la guitare pour lancer le riff des Meters qui vient sous les paroles du fameux I feel like a king, when I kiss kiss my baby !, aussitôt repris par Hennebique et décliné en connaissance de cause par Tiss Rodriguez. Olivier Bogé se met à picorer le clavier comme s’il jouait du clavinet. C’est alors au tour de Richard Poher de faire roucouler le Rhodes sur les harmonies Softly, as in the Morning Sunrise que Camille Durand entonne avec une belle assurance avant de se lancer dans un scat qui, plus qu’il m’avait semblé dans l’après-midi (peut-être parce que le jaillissement du bœuf nocturne et le challenge de la confrontation impromptue lui valent un surcroît d’énergie) rend hommage à son sens de l’articulation et de la négociation harmonique. La jam continue et je me retire terminer la nuit commencée de désobligeante manière durant le concert d’Olivier Bogé.
Cet après-midi, à 15h30, on réentendra Ellinoa (donc Camille Durand, Richard Poher, Arthur Hennebique et Tiss Rodriguez) avant le concert de fin de festival qui verra se succéder l’Open Gate Trio d’Emmanuel Bex, Francesco Bearzatti et Simon Goubert, et le Triolio de Leon Parker, Lynn Cassiers et Pierre Perchaud, une formation née ici même.
Franck Bergerot
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Pour sa deuxième soirée, afin d’éviter l’averse de la veille sur le DPZ 5tet, le Respire Jazz festival a déménagé dans une grange qui fit l’une des plus belles salles de concert qui soient, les concerts de l’après-midi ayant eu lieu sous de petits abris de toile avec lesquels le public qui s’y était cramponné failli à plusieurs reprises s’envoler dans une bourrasque qui tordait les grands arbres alentours comme aucun poète romantique n’aurait su les tordre. Du coup, le ciel balayé par Eole, il n’a pas plu…
Ellinoa : Camille Durand (chant, composition), Richard Poher (piano électrique Fender Rhodes), Arthur Hennebique (contrebasse), Tiss Rodriguez (batterie).
« Quartette du Centre des musiques Didier Lockwood » précise le programme du festival, ce qui nous rappelle que Pierre Perchaud est l’une des “clés” pédagogiques du “CMDL” devenu depuis quelques années l’un des principaux foyer de formation au jazz de l’Hexagone. Ellinoa est un vrai groupe, plus qu’un atelier d’école et plus qu’un chanteuse accompagnée. La voix de Camille Durand n’impressionne ni par son ampleur ni par son amplitude, mais tout y est musical sur un répertoire original (textes et musiques) qui valorise tant sa prestation de “diseuse” que son art de chanteuse et d’improvisatrice au sein d’un groupe dont elle écrit jusqu’aux arrangements (habituellement pour une sextette avec sax et guitare), rompu au jouage interactif. En dépit de quelques longueurs du répertoire, on se laisse faire par la faconde de Richard Poher, par la souplesse de Tiss Rodriguez (que je ne suis pas déçu d’entendre enfin en direct, après avoir tant lu son nom à la relecture des programmes du Baiser salé dans nos pages agenda, les veilles de bouclage) et par je ne sais quoi d’Arthur Hennebique que l’on ne va pas tarder à s’arracher (c’est d’ailleurs probablement déjà le cas) pour sa virtuosité, sa musicalité, la profondeur de sa sonorité, sa réactivité et toutes sortes d’autres vertus en “é”.
Oliviert Bogé Quartet : Olivier Bogé (sax alto, composition), Thomas Enhco (piano), Nicolas Moreaux (contrebasse), Karl Jannuska (batterie).
Pour l’équipe technique, le travail de la journée aura consisté à débâcher le matériel de la veille et de faire migrer piano et dispositifs scéniques vers une magnifique grange d’une belle hauteur de plafond sous lequel, des voliges aux poutres maîtresses, on s’attend à voir, à tout instant, les troncs et les branches dont elles ont été débitées reprendre vie et se couvrir d’un nouveau feuillage, à moins que, nouvelle arche de Noé, la grange elle-même ne largue les amarres pour voguer sur la musique. Cet accès d’onirisme trahit l’état dans lequel j’ai traversé ce concert à une heure où je cède fréquemment à une somnolence qui dure rarement plus de dix minutes. Mais hier soir, ma conférence donnée en début d’après-midi ayant été la dernière grosse échéance de l’année avant le relatif relâchement de la période estivale, le sommeil s’est littéralement abattu sur moi et j’ai entendu, plus qu’écouté, la musique du saxophoniste et compositeur Olivier Bogé à travers une épaisse brume mentale d’où quelques rares souvenirs émergent, comme l’analogie à la musique de David Binney, pour le son et phrasé de l’alto, pour l’ élégance de la phrase et quelque chose de magique auquel j’associe, tard dans le concert, une intro toute silences, suspens et mystère de Thomas Enhco. Parfois aussi, une impression de trop plein qui aurait été l’envers d’une jouage collectif par ailleurs fort excitant. En rappel, au cours d’une belle version de All or Nothing at All, je reprends mes esprits lors d’un bref mais intense solo de Nicolas Moreaux. Bref, rien qui autorise le compte rendu, mais une incitation à aller y voir de plus près dès que possible.
Wunderbar Orchestra : Yoann Loustalot (trompette, bugle), Victor Michaud (cor, compositions, arrangements), Olivier Zanot (saxes alto et soprano), Etienne de la Sayette (sax baryton, flûte traversière traditionnelle), François Chesnel (piano), Blaise Chevallier (contrebasse), Arnaud Lechantre (batterie).
Le nom de ce septette emmené par Victor Michaud et le ton avec lequel il présente ses créations en disent long sur une certaine cocasserie du répertoire. Bien plus que de la cocasserie, il y a là un art de l’orchestration, un sens de la couleur, un goût de la formule, de l’agencement des parties, le tout avec quelque chose qui serait “la légèreté” chère à Stravinsky telle que cette vertu transparaît à la lecture de sa Poètique musicale et reformulée par Milan Kundera dans Les Testaments trahis. Si je retrouve certaines des réserves qui étaient les miennes dans ma chronique du disque pour notre numéro 654 d’octobre dernier (la paresse m’invite à me citer « ça marche sur des œufs », « partitions corsetées », « bonnes intentions »), le concert finit par décoller (mais n’est-ce pas moi qui décolle enfin…) et cette musique me semblait manquer de grandeur et de jaillissement, hé bien… ça y est la grange fout le camp, cap sur le grand large. Or, cela survient sur ces mêmes morceaux que j’avais cité pour argumenter mes réserves : Night in Tunisia qui me semblait s’épuiser sur le disque et dont la magnificence orchestrale trouve son prolongement dans un conte des mille et une nuits que récite la flûte traversière traditionnelle tirée de sa besace par Etienne de la Sayette, Time Remembered que j’entendais « Boitiller sur des hauts talons » devenu digne du génie harmonique de Bill Evans grâce notamment au solo qu’y prend Yoann Loustalot en étroit partenariat avec Blaise Chevallier. Je me souviens particulièrement d’un intense dernier morceau, au cours duquel j’ai emprunté un stylo à mon voisin pour noter (dans le noir, appuyant mon bloc notes dans le vide) quelque chose que je relis ainsi, dans être bien certain de mes intentions : « solo de ss » (oui, ça me revient, le soprano d’Olivier Zanot avait des ailes à cet instant, faute d’être plus précis) et « pétard final »… Qu’ai-je bien pu vouloir dire ? Peut-être que cette prestation qui, en son début, manquait d’accidents, de points d’exclamation, de gros mots, de gestes obcènes, ce quelque chose que Charles Mingus finit par apprendre à ses musiciens en leur confisquant ses admirables partitions… afin qu’elles ne soient plus lues mais projetées (Monk faisait de même)… hé bien, hier, en fin de concert, ça y était. La poudre parlait. La musique de Victor Michaud tonnait, crépitait, pétaradait. Bouquet final ! Le stylo de mon voisin aurait-il fourché?
Dehors, sous le préau, à côté du bar, les ta
uliers de la jam session – le guitariste Mathis Pascaud, le batteur Gabriel Westphall et le contrebassiste Arthur Hennebique (ah ! le revoilà ! Quel talent !) – accueillent le public en compagnie de Thomas Enhco qui tire du Fender Rhodes de belles inventions. Puis Pierre Perchaud s’empare de la guitare pour lancer le riff des Meters qui vient sous les paroles du fameux I feel like a king, when I kiss kiss my baby !, aussitôt repris par Hennebique et décliné en connaissance de cause par Tiss Rodriguez. Olivier Bogé se met à picorer le clavier comme s’il jouait du clavinet. C’est alors au tour de Richard Poher de faire roucouler le Rhodes sur les harmonies Softly, as in the Morning Sunrise que Camille Durand entonne avec une belle assurance avant de se lancer dans un scat qui, plus qu’il m’avait semblé dans l’après-midi (peut-être parce que le jaillissement du bœuf nocturne et le challenge de la confrontation impromptue lui valent un surcroît d’énergie) rend hommage à son sens de l’articulation et de la négociation harmonique. La jam continue et je me retire terminer la nuit commencée de désobligeante manière durant le concert d’Olivier Bogé.
Cet après-midi, à 15h30, on réentendra Ellinoa (donc Camille Durand, Richard Poher, Arthur Hennebique et Tiss Rodriguez) avant le concert de fin de festival qui verra se succéder l’Open Gate Trio d’Emmanuel Bex, Francesco Bearzatti et Simon Goubert, et le Triolio de Leon Parker, Lynn Cassiers et Pierre Perchaud, une formation née ici même.
Franck Bergerot