Oloron : le jazz dans son biotope
Tel le coup de vent fou jailli de l’œil d’une tempête tropicale, comme la décharge d’un arc électrique. Le saxophoniste cambré à l’extrême se balance d’avant en arrière tandis que son alto n’a de cesse de cracher des phrases répétitives incandescentes. Les coups pleuvent sur les caisses et cymbales de la batterie d’une force, d’une fréquence inouïes tandis que l’expression du batteur passe par des rictus qui lui déforment le visage. Je n’avais plus vu de duo d’une telle violence d’expression depuis le temps des chocs démonstratifs du free militant au siècle dernier ! Oloron ne s’en rend pas forcément compte mais voilà Kenny Garrett et l’invraisemblable drummer McClenty Hunter lancés face à face dans un terrible défi…
Renaud Garcia-Fons (b, elec)
Richard Bona & Mandekan Cubano : Richard Bona (el b, voc), Denis Hernandez (tp), A Fernadez Ordoñez (tb), Osmany Paredes (p), Luisito Quintero, Roberto Quintero (perc)
Marialy Pacheco (p), Juan Camillo Villa (b), Miguel Altamar de la Torre (dm, perc)
Kenny Garrett Quintet: Kenny Garrett (as, sis), Vernal Brown Jar (p), Corcoran Holt (b), McClenty Hunter Jar (dm), Rudy Bird (perk)
Festival Des Rives et des Notes, Oloron Ste Marie, 5, 6 juillet
Il y a cubains et cubains. Il y a musique cubaine et musique cubaine. Il y a jazz afro-cubain et jazz tout court. D’ailleurs il existe mille couleurs de musiques issues de cette ile prodigue autant que prolixe en la matière…Prenez les cinq musiciens du quintet de Richard Bona. Techniquement, individuellement, dans la lecture comme dans l’improvisation ils possèdent leur langage à fond. Et ne risque pas de bégayer grammaire ou syntaxe de leur musique natale, native, naturelle. Fut-elle matinée de jazz et gorgée de polyrythmie sous les assauts d’une basse toute de souplesse et sensualité. A cet égard écouter se nouer et dénouer les croisements et entrelacs rythmiques des « hermanos » Quintero est un pur régal pour l’oreille. Reste que tout musicien cubain n’a pas forcément les ressources (l’inspiration) d’un Chucho Valdes, d’un Gonzalo Rubalcaba ou même d’un Paquito D’Rivera. Y compris en s’accouplant avec les couplets reconnus du jazz. Dès lors Richard Bona qui sait y faire s’affiche dans la peau d’un entertainer. Puiser dans la galaxie de Cuba pour en capter les parfums rythmiques (surtout) ou harmoniques, Marc Ribot, David Murray ou même certains « flamencos » l’ont fait avant lui. L’art de la mise en place, la lettre restituée ne vaut pas pour autant garantie de l’esprit de cette musique. Même si l’on peut le temps d’une soirée (et le public pyrénéen l’a fait sans retenue) y prendre du plaisir en passant.
Marialy Pacheco, pianiste possède pour sa part en mode de viatique une part de cet héritage afro cubain. Il suffit d’écouter sa relecture de Ay ! Mama Ines ou El Manisero, deux standards des standards de toujours à La Havane pour s’en persuader illico. Un toucher délicat, un allant et beaucoup de sensibilité portés en symbiose sur le clavier : la jeune pianiste se plait aussi à chercher pour relance et confrontation rythmique ses deux partenaires de nationalité colombienne. Trente et un ans, belle, élancée et d’une allure folle (les photos de la pochette de son disque Introducing –www. neuklangrecords.de- n’en font aucun mystère, au contraire) elle puise naturellement dans le terreau du « son » ou du « danzon » pour mieux enrichir les parties d’improvisation. Quelques facilités encore à gommer et un choix à faire, sans doute, entre une carrière de concertiste et une passion pour le jazz, et l’on reparler sans nul doute de cette pianiste à conjuguer , chose plutôt rare jusqu’ici à Cuba, au féminin.
Renaud Garcia-Fons lui échappe à ce type de dilemme, de comparaison. Comme aux étiages à maîtriser en matière de schémas de surchauffe et d’énergies brutes difficiles à canaliser. Ses racines, il le dit et l’assume, puisent directement dans la latinité, celle de la péninsule ibérique et de la Catalogne en particulier. Dans l’exercice du solo (le magnifique CD/DVD Beyond the double bass –ENJA- en fait foi si besoin était) il fait le pari du son donc de la qualité intrinsèque. Les lignes mélodiques naissent de ses cordes comme autant de générations qu’on dirait –n’étaient les nécessités du travail et de la recherche- spontanées. Pour autant, afin d’élargir l’horizon de ses compositions il a recours aux effets numériques de delay, échos et autres machine à séquencer. L’occasion de porter des inflexions de rythmes ou couleurs orientalistes, d’échos de l’univers arabo-andalou -« le flamenco est une de mes passions de toujours et je ne renonce pas à y tracer une trajectoire pour mon instrument même s’il n’entre pas initialement dans les gènes de cette musique » Avec pour clore son chapitre oloronais solo une incursion brève mais riche d’apport artistique à partir d’une composition du violoncelliste catalan Pablo Casals El cant de los Ocells, chant des oiseaux qui inspira également un troisième catalan, génie des couleurs, le peintre Miro.
Il revenait donc à Kenny Garrett de conclure. Celui que l’on présente quelquefois comme dernier sax de Miles Davis s’y est employé sans compter, avec une générosité, un punch sans retenue. Du classique question répertoire (version étirée de Body and Soul), du servi chaud (Chucho’s Mambo : lui aussi, décidément, se plait à établir un pont avec les racines afro cubaines du jazz avec un égard particulier pour l’immense stature du pianiste de La Havane) et un référenciel à deux de ses maîtres. L’univers coltranien dabord, dans l’abord de climats sur des thème très longs, explorés jusqu’à épuisement du sujet. Au total une musique modale très profonde, toujours en limite de ligne de flottaison. Référence aussi à Sonny Rollins –il a d’ailleurs composé un morceau intitulé Like Sonny– malgré la différence de nature de l’instrument pratiqué, sur fonds de lyrisme exacerbé et d’une frénésie de breaks pour donner du relief aux thèmes abordés.
Au fin
al de la soirée de cloture de ce festival intitulé Des Rives et des Notes, Kenny Garrett, sur un riff de sax répété à satiété finit par mettre le feu à la salle. Au point de faire monter sur la scène de la Jéliotte cinquante personnes au beau milieu de ses musiciens, invités à danser, battre des mains et chanter le gimmick entonné avec batteur et percussionniste…« Cela doit se terminer comme ça un festival de jazz aujourd’hui constatait mi ironique mi fataliste l’ami Pierry Ardonceau membre du jury du tremplin Jazz. On retrouve ce côté acclamatoire qui traduit la réussite d’un festival lors de concerts. J’ai vu ça à Marciac également par exemple. Il faut que le public marque sa participation en mode d’approbation bruyante» Déjà la veille, Richard Bona et ses musiciens cubains avaient terminé le concert portant en couvre chef identitaire, un béret noir béarnais, élément de merchandising du festival. Serge Dumond, programmateur et Directeur Artistique de Jazz à Oloron ne se plaint pas de cette effervescence populaire. Bien au contraire. « Dans une ville comme Oloron, aux yeux des élus, des commerçants ou des partenaires des concerts sold out comme celui là ou celui de Richard Bona la veille ont une résonnance très favorable pour le devenir du festival et tous les bénévoles qui le portent» Le jazz en vallée d’Aspe ne peut donc rester invisible tels les ours pour leur survie après avoir été réintroduits dans cette partie agro-pastorale du massif pyrénéen. Oloron veut que l’on sache que, sous le béret ou pas, le jazz vit dans cette cité comme dans un biotope naturel. Qu’on le sache oui, désormais en-deça comme au-delà des Pyrénées.
Robert Latxague
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Tel le coup de vent fou jailli de l’œil d’une tempête tropicale, comme la décharge d’un arc électrique. Le saxophoniste cambré à l’extrême se balance d’avant en arrière tandis que son alto n’a de cesse de cracher des phrases répétitives incandescentes. Les coups pleuvent sur les caisses et cymbales de la batterie d’une force, d’une fréquence inouïes tandis que l’expression du batteur passe par des rictus qui lui déforment le visage. Je n’avais plus vu de duo d’une telle violence d’expression depuis le temps des chocs démonstratifs du free militant au siècle dernier ! Oloron ne s’en rend pas forcément compte mais voilà Kenny Garrett et l’invraisemblable drummer McClenty Hunter lancés face à face dans un terrible défi…
Renaud Garcia-Fons (b, elec)
Richard Bona & Mandekan Cubano : Richard Bona (el b, voc), Denis Hernandez (tp), A Fernadez Ordoñez (tb), Osmany Paredes (p), Luisito Quintero, Roberto Quintero (perc)
Marialy Pacheco (p), Juan Camillo Villa (b), Miguel Altamar de la Torre (dm, perc)
Kenny Garrett Quintet: Kenny Garrett (as, sis), Vernal Brown Jar (p), Corcoran Holt (b), McClenty Hunter Jar (dm), Rudy Bird (perk)
Festival Des Rives et des Notes, Oloron Ste Marie, 5, 6 juillet
Il y a cubains et cubains. Il y a musique cubaine et musique cubaine. Il y a jazz afro-cubain et jazz tout court. D’ailleurs il existe mille couleurs de musiques issues de cette ile prodigue autant que prolixe en la matière…Prenez les cinq musiciens du quintet de Richard Bona. Techniquement, individuellement, dans la lecture comme dans l’improvisation ils possèdent leur langage à fond. Et ne risque pas de bégayer grammaire ou syntaxe de leur musique natale, native, naturelle. Fut-elle matinée de jazz et gorgée de polyrythmie sous les assauts d’une basse toute de souplesse et sensualité. A cet égard écouter se nouer et dénouer les croisements et entrelacs rythmiques des « hermanos » Quintero est un pur régal pour l’oreille. Reste que tout musicien cubain n’a pas forcément les ressources (l’inspiration) d’un Chucho Valdes, d’un Gonzalo Rubalcaba ou même d’un Paquito D’Rivera. Y compris en s’accouplant avec les couplets reconnus du jazz. Dès lors Richard Bona qui sait y faire s’affiche dans la peau d’un entertainer. Puiser dans la galaxie de Cuba pour en capter les parfums rythmiques (surtout) ou harmoniques, Marc Ribot, David Murray ou même certains « flamencos » l’ont fait avant lui. L’art de la mise en place, la lettre restituée ne vaut pas pour autant garantie de l’esprit de cette musique. Même si l’on peut le temps d’une soirée (et le public pyrénéen l’a fait sans retenue) y prendre du plaisir en passant.
Marialy Pacheco, pianiste possède pour sa part en mode de viatique une part de cet héritage afro cubain. Il suffit d’écouter sa relecture de Ay ! Mama Ines ou El Manisero, deux standards des standards de toujours à La Havane pour s’en persuader illico. Un toucher délicat, un allant et beaucoup de sensibilité portés en symbiose sur le clavier : la jeune pianiste se plait aussi à chercher pour relance et confrontation rythmique ses deux partenaires de nationalité colombienne. Trente et un ans, belle, élancée et d’une allure folle (les photos de la pochette de son disque Introducing –www. neuklangrecords.de- n’en font aucun mystère, au contraire) elle puise naturellement dans le terreau du « son » ou du « danzon » pour mieux enrichir les parties d’improvisation. Quelques facilités encore à gommer et un choix à faire, sans doute, entre une carrière de concertiste et une passion pour le jazz, et l’on reparler sans nul doute de cette pianiste à conjuguer , chose plutôt rare jusqu’ici à Cuba, au féminin.
Renaud Garcia-Fons lui échappe à ce type de dilemme, de comparaison. Comme aux étiages à maîtriser en matière de schémas de surchauffe et d’énergies brutes difficiles à canaliser. Ses racines, il le dit et l’assume, puisent directement dans la latinité, celle de la péninsule ibérique et de la Catalogne en particulier. Dans l’exercice du solo (le magnifique CD/DVD Beyond the double bass –ENJA- en fait foi si besoin était) il fait le pari du son donc de la qualité intrinsèque. Les lignes mélodiques naissent de ses cordes comme autant de générations qu’on dirait –n’étaient les nécessités du travail et de la recherche- spontanées. Pour autant, afin d’élargir l’horizon de ses compositions il a recours aux effets numériques de delay, échos et autres machine à séquencer. L’occasion de porter des inflexions de rythmes ou couleurs orientalistes, d’échos de l’univers arabo-andalou -« le flamenco est une de mes passions de toujours et je ne renonce pas à y tracer une trajectoire pour mon instrument même s’il n’entre pas initialement dans les gènes de cette musique » Avec pour clore son chapitre oloronais solo une incursion brève mais riche d’apport artistique à partir d’une composition du violoncelliste catalan Pablo Casals El cant de los Ocells, chant des oiseaux qui inspira également un troisième catalan, génie des couleurs, le peintre Miro.
Il revenait donc à Kenny Garrett de conclure. Celui que l’on présente quelquefois comme dernier sax de Miles Davis s’y est employé sans compter, avec une générosité, un punch sans retenue. Du classique question répertoire (version étirée de Body and Soul), du servi chaud (Chucho’s Mambo : lui aussi, décidément, se plait à établir un pont avec les racines afro cubaines du jazz avec un égard particulier pour l’immense stature du pianiste de La Havane) et un référenciel à deux de ses maîtres. L’univers coltranien dabord, dans l’abord de climats sur des thème très longs, explorés jusqu’à épuisement du sujet. Au total une musique modale très profonde, toujours en limite de ligne de flottaison. Référence aussi à Sonny Rollins –il a d’ailleurs composé un morceau intitulé Like Sonny– malgré la différence de nature de l’instrument pratiqué, sur fonds de lyrisme exacerbé et d’une frénésie de breaks pour donner du relief aux thèmes abordés.
Au fin
al de la soirée de cloture de ce festival intitulé Des Rives et des Notes, Kenny Garrett, sur un riff de sax répété à satiété finit par mettre le feu à la salle. Au point de faire monter sur la scène de la Jéliotte cinquante personnes au beau milieu de ses musiciens, invités à danser, battre des mains et chanter le gimmick entonné avec batteur et percussionniste…« Cela doit se terminer comme ça un festival de jazz aujourd’hui constatait mi ironique mi fataliste l’ami Pierry Ardonceau membre du jury du tremplin Jazz. On retrouve ce côté acclamatoire qui traduit la réussite d’un festival lors de concerts. J’ai vu ça à Marciac également par exemple. Il faut que le public marque sa participation en mode d’approbation bruyante» Déjà la veille, Richard Bona et ses musiciens cubains avaient terminé le concert portant en couvre chef identitaire, un béret noir béarnais, élément de merchandising du festival. Serge Dumond, programmateur et Directeur Artistique de Jazz à Oloron ne se plaint pas de cette effervescence populaire. Bien au contraire. « Dans une ville comme Oloron, aux yeux des élus, des commerçants ou des partenaires des concerts sold out comme celui là ou celui de Richard Bona la veille ont une résonnance très favorable pour le devenir du festival et tous les bénévoles qui le portent» Le jazz en vallée d’Aspe ne peut donc rester invisible tels les ours pour leur survie après avoir été réintroduits dans cette partie agro-pastorale du massif pyrénéen. Oloron veut que l’on sache que, sous le béret ou pas, le jazz vit dans cette cité comme dans un biotope naturel. Qu’on le sache oui, désormais en-deça comme au-delà des Pyrénées.
Robert Latxague
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Tel le coup de vent fou jailli de l’œil d’une tempête tropicale, comme la décharge d’un arc électrique. Le saxophoniste cambré à l’extrême se balance d’avant en arrière tandis que son alto n’a de cesse de cracher des phrases répétitives incandescentes. Les coups pleuvent sur les caisses et cymbales de la batterie d’une force, d’une fréquence inouïes tandis que l’expression du batteur passe par des rictus qui lui déforment le visage. Je n’avais plus vu de duo d’une telle violence d’expression depuis le temps des chocs démonstratifs du free militant au siècle dernier ! Oloron ne s’en rend pas forcément compte mais voilà Kenny Garrett et l’invraisemblable drummer McClenty Hunter lancés face à face dans un terrible défi…
Renaud Garcia-Fons (b, elec)
Richard Bona & Mandekan Cubano : Richard Bona (el b, voc), Denis Hernandez (tp), A Fernadez Ordoñez (tb), Osmany Paredes (p), Luisito Quintero, Roberto Quintero (perc)
Marialy Pacheco (p), Juan Camillo Villa (b), Miguel Altamar de la Torre (dm, perc)
Kenny Garrett Quintet: Kenny Garrett (as, sis), Vernal Brown Jar (p), Corcoran Holt (b), McClenty Hunter Jar (dm), Rudy Bird (perk)
Festival Des Rives et des Notes, Oloron Ste Marie, 5, 6 juillet
Il y a cubains et cubains. Il y a musique cubaine et musique cubaine. Il y a jazz afro-cubain et jazz tout court. D’ailleurs il existe mille couleurs de musiques issues de cette ile prodigue autant que prolixe en la matière…Prenez les cinq musiciens du quintet de Richard Bona. Techniquement, individuellement, dans la lecture comme dans l’improvisation ils possèdent leur langage à fond. Et ne risque pas de bégayer grammaire ou syntaxe de leur musique natale, native, naturelle. Fut-elle matinée de jazz et gorgée de polyrythmie sous les assauts d’une basse toute de souplesse et sensualité. A cet égard écouter se nouer et dénouer les croisements et entrelacs rythmiques des « hermanos » Quintero est un pur régal pour l’oreille. Reste que tout musicien cubain n’a pas forcément les ressources (l’inspiration) d’un Chucho Valdes, d’un Gonzalo Rubalcaba ou même d’un Paquito D’Rivera. Y compris en s’accouplant avec les couplets reconnus du jazz. Dès lors Richard Bona qui sait y faire s’affiche dans la peau d’un entertainer. Puiser dans la galaxie de Cuba pour en capter les parfums rythmiques (surtout) ou harmoniques, Marc Ribot, David Murray ou même certains « flamencos » l’ont fait avant lui. L’art de la mise en place, la lettre restituée ne vaut pas pour autant garantie de l’esprit de cette musique. Même si l’on peut le temps d’une soirée (et le public pyrénéen l’a fait sans retenue) y prendre du plaisir en passant.
Marialy Pacheco, pianiste possède pour sa part en mode de viatique une part de cet héritage afro cubain. Il suffit d’écouter sa relecture de Ay ! Mama Ines ou El Manisero, deux standards des standards de toujours à La Havane pour s’en persuader illico. Un toucher délicat, un allant et beaucoup de sensibilité portés en symbiose sur le clavier : la jeune pianiste se plait aussi à chercher pour relance et confrontation rythmique ses deux partenaires de nationalité colombienne. Trente et un ans, belle, élancée et d’une allure folle (les photos de la pochette de son disque Introducing –www. neuklangrecords.de- n’en font aucun mystère, au contraire) elle puise naturellement dans le terreau du « son » ou du « danzon » pour mieux enrichir les parties d’improvisation. Quelques facilités encore à gommer et un choix à faire, sans doute, entre une carrière de concertiste et une passion pour le jazz, et l’on reparler sans nul doute de cette pianiste à conjuguer , chose plutôt rare jusqu’ici à Cuba, au féminin.
Renaud Garcia-Fons lui échappe à ce type de dilemme, de comparaison. Comme aux étiages à maîtriser en matière de schémas de surchauffe et d’énergies brutes difficiles à canaliser. Ses racines, il le dit et l’assume, puisent directement dans la latinité, celle de la péninsule ibérique et de la Catalogne en particulier. Dans l’exercice du solo (le magnifique CD/DVD Beyond the double bass –ENJA- en fait foi si besoin était) il fait le pari du son donc de la qualité intrinsèque. Les lignes mélodiques naissent de ses cordes comme autant de générations qu’on dirait –n’étaient les nécessités du travail et de la recherche- spontanées. Pour autant, afin d’élargir l’horizon de ses compositions il a recours aux effets numériques de delay, échos et autres machine à séquencer. L’occasion de porter des inflexions de rythmes ou couleurs orientalistes, d’échos de l’univers arabo-andalou -« le flamenco est une de mes passions de toujours et je ne renonce pas à y tracer une trajectoire pour mon instrument même s’il n’entre pas initialement dans les gènes de cette musique » Avec pour clore son chapitre oloronais solo une incursion brève mais riche d’apport artistique à partir d’une composition du violoncelliste catalan Pablo Casals El cant de los Ocells, chant des oiseaux qui inspira également un troisième catalan, génie des couleurs, le peintre Miro.
Il revenait donc à Kenny Garrett de conclure. Celui que l’on présente quelquefois comme dernier sax de Miles Davis s’y est employé sans compter, avec une générosité, un punch sans retenue. Du classique question répertoire (version étirée de Body and Soul), du servi chaud (Chucho’s Mambo : lui aussi, décidément, se plait à établir un pont avec les racines afro cubaines du jazz avec un égard particulier pour l’immense stature du pianiste de La Havane) et un référenciel à deux de ses maîtres. L’univers coltranien dabord, dans l’abord de climats sur des thème très longs, explorés jusqu’à épuisement du sujet. Au total une musique modale très profonde, toujours en limite de ligne de flottaison. Référence aussi à Sonny Rollins –il a d’ailleurs composé un morceau intitulé Like Sonny– malgré la différence de nature de l’instrument pratiqué, sur fonds de lyrisme exacerbé et d’une frénésie de breaks pour donner du relief aux thèmes abordés.
Au fin
al de la soirée de cloture de ce festival intitulé Des Rives et des Notes, Kenny Garrett, sur un riff de sax répété à satiété finit par mettre le feu à la salle. Au point de faire monter sur la scène de la Jéliotte cinquante personnes au beau milieu de ses musiciens, invités à danser, battre des mains et chanter le gimmick entonné avec batteur et percussionniste…« Cela doit se terminer comme ça un festival de jazz aujourd’hui constatait mi ironique mi fataliste l’ami Pierry Ardonceau membre du jury du tremplin Jazz. On retrouve ce côté acclamatoire qui traduit la réussite d’un festival lors de concerts. J’ai vu ça à Marciac également par exemple. Il faut que le public marque sa participation en mode d’approbation bruyante» Déjà la veille, Richard Bona et ses musiciens cubains avaient terminé le concert portant en couvre chef identitaire, un béret noir béarnais, élément de merchandising du festival. Serge Dumond, programmateur et Directeur Artistique de Jazz à Oloron ne se plaint pas de cette effervescence populaire. Bien au contraire. « Dans une ville comme Oloron, aux yeux des élus, des commerçants ou des partenaires des concerts sold out comme celui là ou celui de Richard Bona la veille ont une résonnance très favorable pour le devenir du festival et tous les bénévoles qui le portent» Le jazz en vallée d’Aspe ne peut donc rester invisible tels les ours pour leur survie après avoir été réintroduits dans cette partie agro-pastorale du massif pyrénéen. Oloron veut que l’on sache que, sous le béret ou pas, le jazz vit dans cette cité comme dans un biotope naturel. Qu’on le sache oui, désormais en-deça comme au-delà des Pyrénées.
Robert Latxague
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Tel le coup de vent fou jailli de l’œil d’une tempête tropicale, comme la décharge d’un arc électrique. Le saxophoniste cambré à l’extrême se balance d’avant en arrière tandis que son alto n’a de cesse de cracher des phrases répétitives incandescentes. Les coups pleuvent sur les caisses et cymbales de la batterie d’une force, d’une fréquence inouïes tandis que l’expression du batteur passe par des rictus qui lui déforment le visage. Je n’avais plus vu de duo d’une telle violence d’expression depuis le temps des chocs démonstratifs du free militant au siècle dernier ! Oloron ne s’en rend pas forcément compte mais voilà Kenny Garrett et l’invraisemblable drummer McClenty Hunter lancés face à face dans un terrible défi…
Renaud Garcia-Fons (b, elec)
Richard Bona & Mandekan Cubano : Richard Bona (el b, voc), Denis Hernandez (tp), A Fernadez Ordoñez (tb), Osmany Paredes (p), Luisito Quintero, Roberto Quintero (perc)
Marialy Pacheco (p), Juan Camillo Villa (b), Miguel Altamar de la Torre (dm, perc)
Kenny Garrett Quintet: Kenny Garrett (as, sis), Vernal Brown Jar (p), Corcoran Holt (b), McClenty Hunter Jar (dm), Rudy Bird (perk)
Festival Des Rives et des Notes, Oloron Ste Marie, 5, 6 juillet
Il y a cubains et cubains. Il y a musique cubaine et musique cubaine. Il y a jazz afro-cubain et jazz tout court. D’ailleurs il existe mille couleurs de musiques issues de cette ile prodigue autant que prolixe en la matière…Prenez les cinq musiciens du quintet de Richard Bona. Techniquement, individuellement, dans la lecture comme dans l’improvisation ils possèdent leur langage à fond. Et ne risque pas de bégayer grammaire ou syntaxe de leur musique natale, native, naturelle. Fut-elle matinée de jazz et gorgée de polyrythmie sous les assauts d’une basse toute de souplesse et sensualité. A cet égard écouter se nouer et dénouer les croisements et entrelacs rythmiques des « hermanos » Quintero est un pur régal pour l’oreille. Reste que tout musicien cubain n’a pas forcément les ressources (l’inspiration) d’un Chucho Valdes, d’un Gonzalo Rubalcaba ou même d’un Paquito D’Rivera. Y compris en s’accouplant avec les couplets reconnus du jazz. Dès lors Richard Bona qui sait y faire s’affiche dans la peau d’un entertainer. Puiser dans la galaxie de Cuba pour en capter les parfums rythmiques (surtout) ou harmoniques, Marc Ribot, David Murray ou même certains « flamencos » l’ont fait avant lui. L’art de la mise en place, la lettre restituée ne vaut pas pour autant garantie de l’esprit de cette musique. Même si l’on peut le temps d’une soirée (et le public pyrénéen l’a fait sans retenue) y prendre du plaisir en passant.
Marialy Pacheco, pianiste possède pour sa part en mode de viatique une part de cet héritage afro cubain. Il suffit d’écouter sa relecture de Ay ! Mama Ines ou El Manisero, deux standards des standards de toujours à La Havane pour s’en persuader illico. Un toucher délicat, un allant et beaucoup de sensibilité portés en symbiose sur le clavier : la jeune pianiste se plait aussi à chercher pour relance et confrontation rythmique ses deux partenaires de nationalité colombienne. Trente et un ans, belle, élancée et d’une allure folle (les photos de la pochette de son disque Introducing –www. neuklangrecords.de- n’en font aucun mystère, au contraire) elle puise naturellement dans le terreau du « son » ou du « danzon » pour mieux enrichir les parties d’improvisation. Quelques facilités encore à gommer et un choix à faire, sans doute, entre une carrière de concertiste et une passion pour le jazz, et l’on reparler sans nul doute de cette pianiste à conjuguer , chose plutôt rare jusqu’ici à Cuba, au féminin.
Renaud Garcia-Fons lui échappe à ce type de dilemme, de comparaison. Comme aux étiages à maîtriser en matière de schémas de surchauffe et d’énergies brutes difficiles à canaliser. Ses racines, il le dit et l’assume, puisent directement dans la latinité, celle de la péninsule ibérique et de la Catalogne en particulier. Dans l’exercice du solo (le magnifique CD/DVD Beyond the double bass –ENJA- en fait foi si besoin était) il fait le pari du son donc de la qualité intrinsèque. Les lignes mélodiques naissent de ses cordes comme autant de générations qu’on dirait –n’étaient les nécessités du travail et de la recherche- spontanées. Pour autant, afin d’élargir l’horizon de ses compositions il a recours aux effets numériques de delay, échos et autres machine à séquencer. L’occasion de porter des inflexions de rythmes ou couleurs orientalistes, d’échos de l’univers arabo-andalou -« le flamenco est une de mes passions de toujours et je ne renonce pas à y tracer une trajectoire pour mon instrument même s’il n’entre pas initialement dans les gènes de cette musique » Avec pour clore son chapitre oloronais solo une incursion brève mais riche d’apport artistique à partir d’une composition du violoncelliste catalan Pablo Casals El cant de los Ocells, chant des oiseaux qui inspira également un troisième catalan, génie des couleurs, le peintre Miro.
Il revenait donc à Kenny Garrett de conclure. Celui que l’on présente quelquefois comme dernier sax de Miles Davis s’y est employé sans compter, avec une générosité, un punch sans retenue. Du classique question répertoire (version étirée de Body and Soul), du servi chaud (Chucho’s Mambo : lui aussi, décidément, se plait à établir un pont avec les racines afro cubaines du jazz avec un égard particulier pour l’immense stature du pianiste de La Havane) et un référenciel à deux de ses maîtres. L’univers coltranien dabord, dans l’abord de climats sur des thème très longs, explorés jusqu’à épuisement du sujet. Au total une musique modale très profonde, toujours en limite de ligne de flottaison. Référence aussi à Sonny Rollins –il a d’ailleurs composé un morceau intitulé Like Sonny– malgré la différence de nature de l’instrument pratiqué, sur fonds de lyrisme exacerbé et d’une frénésie de breaks pour donner du relief aux thèmes abordés.
Au fin
al de la soirée de cloture de ce festival intitulé Des Rives et des Notes, Kenny Garrett, sur un riff de sax répété à satiété finit par mettre le feu à la salle. Au point de faire monter sur la scène de la Jéliotte cinquante personnes au beau milieu de ses musiciens, invités à danser, battre des mains et chanter le gimmick entonné avec batteur et percussionniste…« Cela doit se terminer comme ça un festival de jazz aujourd’hui constatait mi ironique mi fataliste l’ami Pierry Ardonceau membre du jury du tremplin Jazz. On retrouve ce côté acclamatoire qui traduit la réussite d’un festival lors de concerts. J’ai vu ça à Marciac également par exemple. Il faut que le public marque sa participation en mode d’approbation bruyante» Déjà la veille, Richard Bona et ses musiciens cubains avaient terminé le concert portant en couvre chef identitaire, un béret noir béarnais, élément de merchandising du festival. Serge Dumond, programmateur et Directeur Artistique de Jazz à Oloron ne se plaint pas de cette effervescence populaire. Bien au contraire. « Dans une ville comme Oloron, aux yeux des élus, des commerçants ou des partenaires des concerts sold out comme celui là ou celui de Richard Bona la veille ont une résonnance très favorable pour le devenir du festival et tous les bénévoles qui le portent» Le jazz en vallée d’Aspe ne peut donc rester invisible tels les ours pour leur survie après avoir été réintroduits dans cette partie agro-pastorale du massif pyrénéen. Oloron veut que l’on sache que, sous le béret ou pas, le jazz vit dans cette cité comme dans un biotope naturel. Qu’on le sache oui, désormais en-deça comme au-delà des Pyrénées.
Robert Latxague