Jazz à Luz 2014 (2)
Une journée bien chargée pour le troisième jour du festival Jazz à Luz. On monte d’abord en altitude pour un acte de communion musical avec la nature avant de revenir au verger plus bas pour l’un des moments les plus attendus du festival : l’ONJ d’Olivier Benoit qui, avec sa très grande formation La Pieuvre, avait marqué les esprits ici même deux ans plus tôt.
Festival « Jazz à Luz », Luz-Saint Sauveur (65), 13 juillet 2014
Luz Saint-Sauveur, colline Solferino, 11h
Lie Mineure
Manoell Bouillet (écriture), Laure Carrier (prise de son, montage), Denis Cointe (réalisation), David Coutures (mixage), Marion Débats (collecteure de mémoire), Didier Lasserre (création musicale).
Il faut prendre un petit chemin pentu pour atteindre, quinze minutes après avoir quitté le village, la Chapelle de Solferino, rustique et dépouillée, posée au sommet de la colline du même nom. Quelques mètres à l’écart de l’édifice, dans un creux faisant face à quelques sommets encore enneigés, trois haut-parleurs sont disposés en cercle pour la diffusion de Lie Mineure, un documentaire de création sonore. Des mémoires s’y croisent, celle d’un prêtre d’Arbéost, un village des Pyrénées – évocations notamment du départ des hommes sur le front de la Grande guerre – avec les captations de témoignages d’anciens du village, en 1964, par un autre prêtre, Roger Larrouy. Au départ de ce travail, deux idées : que faire de ces archives au XXIe siècle ? ; créer un pur objet sonore à partir d’elles. Une belle réussite qui nous plonge dans le son des vallées aux bergers, nous immisce au cœur de discussions en occitan, le tout souligné par les commentaires sonores de Didier Lasserre. Merveilleux moment au milieu de la nature, face au Pic du Midi – perturbé toutefois par le fléau contemporain des campagnes : la tondeuse (ou son frère le rotofil), heureusement pas trop longtemps !
Luz Saint-Sauveur, colline Solferino, 12h
Didier Lasserre « La Mémoire »
Didier Lasserre (dm).
En prolongement de sa participation au documentaire sonore, Didier Lasserre se présente seul avec sa batterie sous un arbre, tel Saint-Louis-les-baguettes. Son idée ? Se mettre en symbiose avec l’environnement sonore, avec le calme du lieu (le fléau mécanique s’est arrêté), capter l’esprit du moment (le spirit diraient des gens plus new age que moi) et s’en faire le porte-voix. Quelques touches là, beaucoup de silence ici, un pic dynamique, beaucoup de couleurs pastelles. Didier Lasserre accompagne les sons ambiants, prolonge l’espace.
Luz Saint-Sauveur, Chapelle Solferino, 14h30
La Ruche à sons
Sébastien Cirotteau (tp, effets), Benjamin Bondonneau (cl, effets), Benjamin Maumus (créateur sonore)
Avec la Ruche à sons, on retrouve les trois thématiques qui articulent le cru 2014 du festival : la trompette, l’apiculture et, dans une certaine mesure, le cinéma. Dix-huit diffuseurs en alvéoles sont positionnés devant les trois musiciens situés sous la voûte d’entrée. À gauche, un hexagone suspendu, badigeonné de cire d’abeilles, diffuse des sons depuis une installation en bois de Benjamin Bondonneau, écho sculpté aux alvéoles des ruches.
Bien évidemment, la musique improvisée par le trio se rapproche des sons émis par l’insecte pollinisateur : la trompette vrombie tandis que la clarinette émet les partiels que le vol de l’abeille peut générer ; les sons enlacent les auditeurs grâce à un dispositif électro-acoutisque d’une dizaine de petits haut-parleurs. Une place importante est de nouveau donnée au silence, l’idée étant d’inviter les festivaliers à écouter ces Variations pour un essaim, sous-titre possible au projet de la Ruche à sons. Ou pourquoi pas, comme les inserts d’entretien avec un apiculteur le suggère, Le long cri d’agonie d’Apis mellifera, puisque la disparition des abeilles augmente de façon exponentielle depuis cinq ans sans que l’on sache l’endiguer, nous informe-t-on. La tonalité générale plutôt pessimiste de tels propos a été remarquablement rendue par les artistes.
Dans l’échange avec les musiciens qui a suivi le concert, animé par Anne Montaron, les protagonistes Ruche à sons précisent qu’ils s’inscrivent bien sûr dans la désormais importante tradition du paysage sonore, mais surtout qu’ils ont envisagé ce projet sous la forme d’une cartographie sonore des divers habitus de l’insecte (en groupe, en vol, butinant, excitée, au repos…), le tout se superposant en perspectives transversales. Invité lui aussi pour cette discussion, le Conservateur du Parc National des Pyrénées, tient des propos surprenants, heureusement étonnant : pour que la population prenne conscience des liens inextricables qui nous lient à la nature et agisse en conséquence, il soutient que l’argumentation scientifique doit être à présent accompagné d’un choc esthétique tel que celui généré par La Ruche à sons. Je me pince : non je ne rêve pas ! J’ai bien entendu !
Luz Saint-Sauveur, Place des templiers, 17h30
Kristof Hiriart & Christian Pruvost
Christian Pruvost (tp), Kristof Hiriart (vx, perc)
Pour toucher le public des touristes et des habitants du village, Jazz à Luz organise aussi des concerts gratuits en plein air. Hier c’était rock’n’roll, aujourd’hui c’est duo d’improvisation libre. Des badauds écoutent d’une oreille discrète, quelques-uns osent se frotter à cette musique étrange, d’autres s’agacent, beaucoup se figent et suivent les inflexions imprévues des deux musiciens. Pendant ce temps, un épervier perpétue son ballet aérien sous des nuages de plus en plus menaçants.
Entre Benat Achiary et André Minvielle, Kristof Hiriart réalise bruitages vocaux, lectures en basque, chante à pleine voix, se fait beatbox et sifflote un petit air, le tout agrémenté de quelques percussions. La trompette atypique de Christian Pruvost se déforme tant acoustiquement que physiquement : note pédale sans embouchure, ajout d’une sorte de ressort qui allonge l’instrument, jeux de pistons… En tant que soliste, chacun est convaincant, impressionne. L’association en duo n’a toutefois pas encore trouvé son équilibre optimum. À un moment de groove vocal éclairé d’effets de scratch à la trompette augmentée succède un passage imitatif (transhumance musicale ?) ; du bruitisme pur débouche sur une envolée lyrique.
Luz Saint-Sauveur, Chapiteau du verger, 19h
Orchestre National de Jazz – Programme Europa « Paris »
Fabrice Martinez (tp), Fidel Fourneyron (tb, tu), Jean Doustessier (cl), Hugues Mayot (as), Alexandra Grimal (ss, ts), Théo Ceccaldi (vl), Sophie Agnel (p), Paul Brousseau (kb), Olivier Benoit (elg), Bruno Chevillon (cb, elb), Eric Echampard (dm)
Arrive enfin le concert que tout le monde attend. Pour cause de Coupe du monde de football, il se donne à 19h, le comité du festival ayant envisagé que la France se retrouve en finale au moment du bouclage de la programmation. Le chapiteau a fait le plein : pas une seule place des cinq cents places assises n’est libre, de nombreux spectateurs ayant fait un long déplacement pour venir entendre ce nouvel ONJ qui fait jaser.
Avant de jouer, l’intégralité des musiciens se présentent au bas de la scène, au niveau de l’auditoire : Sophie Agnel lit un texte de Deleuze ; au nom de toute son équipe, Olivier Benoit déclare soutenir le combat des intermittents contre le récent protocole – auparavant, Jean-Pierre Layrac avait indiqué comment signer la pétition pour le maintien du Bureau du jazz à Radio France. Les messages passent bien. Les musiciens montent sur scène.
Pour nourrir l’imaginaire de « son » ONJ, Olivier Benoit a décidé d’évoquer les grandes capitales européennes. À tout seigneur, tout honneur, c’est avec la ville de Paris qu’il inaugure son mandat à la tête de la grande formation nationale. Avec ce genre d’approche, ce qui n’est le plus souvent qu’un simple prétexte à la production musicale tend à conditionner l’écoute. Pour ma part, à cause de tel rythme je me suis retrouvé du côté de la rue de la Roquette (Bastille), avant d’être propulsé sur une moto zigzaguant en plein périphérique, une improvisation plus abstraite (duo violon-contrebasse) m’amenant finalement sur la place Stravinsky. D’un autre côté, j’ai beaucoup pensé à New York tant le procédé répétitif a été employé, en une sorte de minimalisme soutenu par une rythmique très rock.
À la fin du concert, les commentaires vont bon train, et je me remémore ce passage des Essais de Montaigne : « Il y a prou loi [beaucoup d’occasions] de parler partout, et pour et contre. » Après les critiques des tenants d’un jazz mieux à même de prolonger l’histoire qui le fonde, Olivier Benoit a provoqué l’ire des aficionados d’une pratique musicale libérée de tout carcan, et ils sont un certain nombre à Luz. Allant même jusqu’à parler de « trahison » parce que le nouveau chef de l’ONJ ne poursuit pas le type de travail qu’il a développé avec La Pieuvre, les voilà plus que déçus : dégoûtés ! Il me semble cependant que, en bien des endroits, le grand ensemble se divise en sous-petits ensembles autogérés par l’un des musiciens. Cette technique d’aléatoire contrôlé, Olivier Benoit n’y avait-il pas justement eu recourt avec La Pieuvre ? On reproche par ailleurs l’aspect trop structuré, presque rigide du répertoire, la place accordée à Sophie Agnel étant par exemple trop restreinte. Pourtant, plusieurs moments sont dédiés à de l’improvisation totale. Et s’il ne fallait citer que deux moments très forts de la soirée, ce serait alors justement les improvisations de la pianiste. Animés de mille dynamiques, elles furent d’une force expressive étourdissante, portés par une expression dramatique de la plus haute cohérence, avec quelque chose de Webern et de Ligeti par endroits.
On trouve toujours ce que l’on vient chercher : au lieu de chercher le pourquoi de ce « nouveau » positionnement musical d’Olivier Benoit, tel l’aspiration au rassemblement des divers familles du jazz par exemple (le chef allant d’ailleurs jusqu’à inviter les techniciens à venir rejoindre les musiciens au moment du salut final), certains n’y voient que concessions, indignes politiquement. Que pour tel ou tel aspect cela ait été trop ou trop peu, cet ONJ a tout de même du souffle, possède un sens aigu de la tension dramatique, donne la part belle à chacun de ses dignes musiciens, et développe des ambiances sonores bien en accord avec son temps, tourbillon de sonorités citadines au sein duquel l’individu se trouve embourbé.
Pendant ce temps-là, l’Allemagne, le pays aux mille big bands « institutionnalisés », devient championne du monde…
Luz Saint-Sauveur, Salle du conseil de la mairie, 23h
Antoine Mermet
Antoine Mermet (bouche amplifiée)
Le saxophoniste de Chromb! possède un bel organe. « Entre le concert et la performance », comme le précise le programme du festival, Antoine Mermet aura donné de son corps, terminant complètement trempé de sueur. Il faut dire qu’il ne ménage pas sa monture : susurrements amplifiés, chant dans l’extrême aigu loin du micro, bruits divers… Les auditeurs habitués aux caresses de Diana Krall – ils étaient peu dans la salle… – n’ont pas vraiment apprécié cette fessée. Incapable de goûter à sa juste valeur tout ce qui relève de la voix, je ne sais trop quoi en penser.
Luz Saint-Sauveur, Club Maison de la vallée, 0h30
Electric Vocuhila
Maxime Bobo (as), Boris Rosenfeld (elg), François Rosenfeld (elb, perc), Etienne Ziemniak (dm).
La journée se termine sous les voûtes de la Maison de la vallée avec un groupe survolté. On le serait à moins lorsque, comme Electric Vocuhila, on s’exprime dans un idiome free funk dont les grooves sont parfois empruntés à l’ethio-jazz, à d’autres moments issus des second lines de La Nouvelle Orléans. Sans ambiguïté, Electric Vocuhila se place sous les auspices du Prime Time d’Ornette Coleman. Une bonne dose d’harmolodie, de l’improvisation libre au-dessus de beat quasi techno, des boucles asymétriques jouées à deux saxophones façon Roland Kirk, autant d’ingrédients qui rendent leur musique éminemment festive. Le public ne se prive d’ailleurs pas pour danser jusqu’à en perdre haleine, show devant.
Pour les plus résistants, une free jazz session permettait de conclure la nuit en beauté. Un peu honteux, votre rapporteur avoue ne pas avoir résisté à l’envie d’aller réfléchir (sic) à cette journée très chargée.
|
Une journée bien chargée pour le troisième jour du festival Jazz à Luz. On monte d’abord en altitude pour un acte de communion musical avec la nature avant de revenir au verger plus bas pour l’un des moments les plus attendus du festival : l’ONJ d’Olivier Benoit qui, avec sa très grande formation La Pieuvre, avait marqué les esprits ici même deux ans plus tôt.
Festival « Jazz à Luz », Luz-Saint Sauveur (65), 13 juillet 2014
Luz Saint-Sauveur, colline Solferino, 11h
Lie Mineure
Manoell Bouillet (écriture), Laure Carrier (prise de son, montage), Denis Cointe (réalisation), David Coutures (mixage), Marion Débats (collecteure de mémoire), Didier Lasserre (création musicale).
Il faut prendre un petit chemin pentu pour atteindre, quinze minutes après avoir quitté le village, la Chapelle de Solferino, rustique et dépouillée, posée au sommet de la colline du même nom. Quelques mètres à l’écart de l’édifice, dans un creux faisant face à quelques sommets encore enneigés, trois haut-parleurs sont disposés en cercle pour la diffusion de Lie Mineure, un documentaire de création sonore. Des mémoires s’y croisent, celle d’un prêtre d’Arbéost, un village des Pyrénées – évocations notamment du départ des hommes sur le front de la Grande guerre – avec les captations de témoignages d’anciens du village, en 1964, par un autre prêtre, Roger Larrouy. Au départ de ce travail, deux idées : que faire de ces archives au XXIe siècle ? ; créer un pur objet sonore à partir d’elles. Une belle réussite qui nous plonge dans le son des vallées aux bergers, nous immisce au cœur de discussions en occitan, le tout souligné par les commentaires sonores de Didier Lasserre. Merveilleux moment au milieu de la nature, face au Pic du Midi – perturbé toutefois par le fléau contemporain des campagnes : la tondeuse (ou son frère le rotofil), heureusement pas trop longtemps !
Luz Saint-Sauveur, colline Solferino, 12h
Didier Lasserre « La Mémoire »
Didier Lasserre (dm).
En prolongement de sa participation au documentaire sonore, Didier Lasserre se présente seul avec sa batterie sous un arbre, tel Saint-Louis-les-baguettes. Son idée ? Se mettre en symbiose avec l’environnement sonore, avec le calme du lieu (le fléau mécanique s’est arrêté), capter l’esprit du moment (le spirit diraient des gens plus new age que moi) et s’en faire le porte-voix. Quelques touches là, beaucoup de silence ici, un pic dynamique, beaucoup de couleurs pastelles. Didier Lasserre accompagne les sons ambiants, prolonge l’espace.
Luz Saint-Sauveur, Chapelle Solferino, 14h30
La Ruche à sons
Sébastien Cirotteau (tp, effets), Benjamin Bondonneau (cl, effets), Benjamin Maumus (créateur sonore)
Avec la Ruche à sons, on retrouve les trois thématiques qui articulent le cru 2014 du festival : la trompette, l’apiculture et, dans une certaine mesure, le cinéma. Dix-huit diffuseurs en alvéoles sont positionnés devant les trois musiciens situés sous la voûte d’entrée. À gauche, un hexagone suspendu, badigeonné de cire d’abeilles, diffuse des sons depuis une installation en bois de Benjamin Bondonneau, écho sculpté aux alvéoles des ruches.
Bien évidemment, la musique improvisée par le trio se rapproche des sons émis par l’insecte pollinisateur : la trompette vrombie tandis que la clarinette émet les partiels que le vol de l’abeille peut générer ; les sons enlacent les auditeurs grâce à un dispositif électro-acoutisque d’une dizaine de petits haut-parleurs. Une place importante est de nouveau donnée au silence, l’idée étant d’inviter les festivaliers à écouter ces Variations pour un essaim, sous-titre possible au projet de la Ruche à sons. Ou pourquoi pas, comme les inserts d’entretien avec un apiculteur le suggère, Le long cri d’agonie d’Apis mellifera, puisque la disparition des abeilles augmente de façon exponentielle depuis cinq ans sans que l’on sache l’endiguer, nous informe-t-on. La tonalité générale plutôt pessimiste de tels propos a été remarquablement rendue par les artistes.
Dans l’échange avec les musiciens qui a suivi le concert, animé par Anne Montaron, les protagonistes Ruche à sons précisent qu’ils s’inscrivent bien sûr dans la désormais importante tradition du paysage sonore, mais surtout qu’ils ont envisagé ce projet sous la forme d’une cartographie sonore des divers habitus de l’insecte (en groupe, en vol, butinant, excitée, au repos…), le tout se superposant en perspectives transversales. Invité lui aussi pour cette discussion, le Conservateur du Parc National des Pyrénées, tient des propos surprenants, heureusement étonnant : pour que la population prenne conscience des liens inextricables qui nous lient à la nature et agisse en conséquence, il soutient que l’argumentation scientifique doit être à présent accompagné d’un choc esthétique tel que celui généré par La Ruche à sons. Je me pince : non je ne rêve pas ! J’ai bien entendu !
Luz Saint-Sauveur, Place des templiers, 17h30
Kristof Hiriart & Christian Pruvost
Christian Pruvost (tp), Kristof Hiriart (vx, perc)
Pour toucher le public des touristes et des habitants du village, Jazz à Luz organise aussi des concerts gratuits en plein air. Hier c’était rock’n’roll, aujourd’hui c’est duo d’improvisation libre. Des badauds écoutent d’une oreille discrète, quelques-uns osent se frotter à cette musique étrange, d’autres s’agacent, beaucoup se figent et suivent les inflexions imprévues des deux musiciens. Pendant ce temps, un épervier perpétue son ballet aérien sous des nuages de plus en plus menaçants.
Entre Benat Achiary et André Minvielle, Kristof Hiriart réalise bruitages vocaux, lectures en basque, chante à pleine voix, se fait beatbox et sifflote un petit air, le tout agrémenté de quelques percussions. La trompette atypique de Christian Pruvost se déforme tant acoustiquement que physiquement : note pédale sans embouchure, ajout d’une sorte de ressort qui allonge l’instrument, jeux de pistons… En tant que soliste, chacun est convaincant, impressionne. L’association en duo n’a toutefois pas encore trouvé son équilibre optimum. À un moment de groove vocal éclairé d’effets de scratch à la trompette augmentée succède un passage imitatif (transhumance musicale ?) ; du bruitisme pur débouche sur une envolée lyrique.
Luz Saint-Sauveur, Chapiteau du verger, 19h
Orchestre National de Jazz – Programme Europa « Paris »
Fabrice Martinez (tp), Fidel Fourneyron (tb, tu), Jean Doustessier (cl), Hugues Mayot (as), Alexandra Grimal (ss, ts), Théo Ceccaldi (vl), Sophie Agnel (p), Paul Brousseau (kb), Olivier Benoit (elg), Bruno Chevillon (cb, elb), Eric Echampard (dm)
Arrive enfin le concert que tout le monde attend. Pour cause de Coupe du monde de football, il se donne à 19h, le comité du festival ayant envisagé que la France se retrouve en finale au moment du bouclage de la programmation. Le chapiteau a fait le plein : pas une seule place des cinq cents places assises n’est libre, de nombreux spectateurs ayant fait un long déplacement pour venir entendre ce nouvel ONJ qui fait jaser.
Avant de jouer, l’intégralité des musiciens se présentent au bas de la scène, au niveau de l’auditoire : Sophie Agnel lit un texte de Deleuze ; au nom de toute son équipe, Olivier Benoit déclare soutenir le combat des intermittents contre le récent protocole – auparavant, Jean-Pierre Layrac avait indiqué comment signer la pétition pour le maintien du Bureau du jazz à Radio France. Les messages passent bien. Les musiciens montent sur scène.
Pour nourrir l’imaginaire de « son » ONJ, Olivier Benoit a décidé d’évoquer les grandes capitales européennes. À tout seigneur, tout honneur, c’est avec la ville de Paris qu’il inaugure son mandat à la tête de la grande formation nationale. Avec ce genre d’approche, ce qui n’est le plus souvent qu’un simple prétexte à la production musicale tend à conditionner l’écoute. Pour ma part, à cause de tel rythme je me suis retrouvé du côté de la rue de la Roquette (Bastille), avant d’être propulsé sur une moto zigzaguant en plein périphérique, une improvisation plus abstraite (duo violon-contrebasse) m’amenant finalement sur la place Stravinsky. D’un autre côté, j’ai beaucoup pensé à New York tant le procédé répétitif a été employé, en une sorte de minimalisme soutenu par une rythmique très rock.
À la fin du concert, les commentaires vont bon train, et je me remémore ce passage des Essais de Montaigne : « Il y a prou loi [beaucoup d’occasions] de parler partout, et pour et contre. » Après les critiques des tenants d’un jazz mieux à même de prolonger l’histoire qui le fonde, Olivier Benoit a provoqué l’ire des aficionados d’une pratique musicale libérée de tout carcan, et ils sont un certain nombre à Luz. Allant même jusqu’à parler de « trahison » parce que le nouveau chef de l’ONJ ne poursuit pas le type de travail qu’il a développé avec La Pieuvre, les voilà plus que déçus : dégoûtés ! Il me semble cependant que, en bien des endroits, le grand ensemble se divise en sous-petits ensembles autogérés par l’un des musiciens. Cette technique d’aléatoire contrôlé, Olivier Benoit n’y avait-il pas justement eu recourt avec La Pieuvre ? On reproche par ailleurs l’aspect trop structuré, presque rigide du répertoire, la place accordée à Sophie Agnel étant par exemple trop restreinte. Pourtant, plusieurs moments sont dédiés à de l’improvisation totale. Et s’il ne fallait citer que deux moments très forts de la soirée, ce serait alors justement les improvisations de la pianiste. Animés de mille dynamiques, elles furent d’une force expressive étourdissante, portés par une expression dramatique de la plus haute cohérence, avec quelque chose de Webern et de Ligeti par endroits.
On trouve toujours ce que l’on vient chercher : au lieu de chercher le pourquoi de ce « nouveau » positionnement musical d’Olivier Benoit, tel l’aspiration au rassemblement des divers familles du jazz par exemple (le chef allant d’ailleurs jusqu’à inviter les techniciens à venir rejoindre les musiciens au moment du salut final), certains n’y voient que concessions, indignes politiquement. Que pour tel ou tel aspect cela ait été trop ou trop peu, cet ONJ a tout de même du souffle, possède un sens aigu de la tension dramatique, donne la part belle à chacun de ses dignes musiciens, et développe des ambiances sonores bien en accord avec son temps, tourbillon de sonorités citadines au sein duquel l’individu se trouve embourbé.
Pendant ce temps-là, l’Allemagne, le pays aux mille big bands « institutionnalisés », devient championne du monde…
Luz Saint-Sauveur, Salle du conseil de la mairie, 23h
Antoine Mermet
Antoine Mermet (bouche amplifiée)
Le saxophoniste de Chromb! possède un bel organe. « Entre le concert et la performance », comme le précise le programme du festival, Antoine Mermet aura donné de son corps, terminant complètement trempé de sueur. Il faut dire qu’il ne ménage pas sa monture : susurrements amplifiés, chant dans l’extrême aigu loin du micro, bruits divers… Les auditeurs habitués aux caresses de Diana Krall – ils étaient peu dans la salle… – n’ont pas vraiment apprécié cette fessée. Incapable de goûter à sa juste valeur tout ce qui relève de la voix, je ne sais trop quoi en penser.
Luz Saint-Sauveur, Club Maison de la vallée, 0h30
Electric Vocuhila
Maxime Bobo (as), Boris Rosenfeld (elg), François Rosenfeld (elb, perc), Etienne Ziemniak (dm).
La journée se termine sous les voûtes de la Maison de la vallée avec un groupe survolté. On le serait à moins lorsque, comme Electric Vocuhila, on s’exprime dans un idiome free funk dont les grooves sont parfois empruntés à l’ethio-jazz, à d’autres moments issus des second lines de La Nouvelle Orléans. Sans ambiguïté, Electric Vocuhila se place sous les auspices du Prime Time d’Ornette Coleman. Une bonne dose d’harmolodie, de l’improvisation libre au-dessus de beat quasi techno, des boucles asymétriques jouées à deux saxophones façon Roland Kirk, autant d’ingrédients qui rendent leur musique éminemment festive. Le public ne se prive d’ailleurs pas pour danser jusqu’à en perdre haleine, show devant.
Pour les plus résistants, une free jazz session permettait de conclure la nuit en beauté. Un peu honteux, votre rapporteur avoue ne pas avoir résisté à l’envie d’aller réfléchir (sic) à cette journée très chargée.
|
Une journée bien chargée pour le troisième jour du festival Jazz à Luz. On monte d’abord en altitude pour un acte de communion musical avec la nature avant de revenir au verger plus bas pour l’un des moments les plus attendus du festival : l’ONJ d’Olivier Benoit qui, avec sa très grande formation La Pieuvre, avait marqué les esprits ici même deux ans plus tôt.
Festival « Jazz à Luz », Luz-Saint Sauveur (65), 13 juillet 2014
Luz Saint-Sauveur, colline Solferino, 11h
Lie Mineure
Manoell Bouillet (écriture), Laure Carrier (prise de son, montage), Denis Cointe (réalisation), David Coutures (mixage), Marion Débats (collecteure de mémoire), Didier Lasserre (création musicale).
Il faut prendre un petit chemin pentu pour atteindre, quinze minutes après avoir quitté le village, la Chapelle de Solferino, rustique et dépouillée, posée au sommet de la colline du même nom. Quelques mètres à l’écart de l’édifice, dans un creux faisant face à quelques sommets encore enneigés, trois haut-parleurs sont disposés en cercle pour la diffusion de Lie Mineure, un documentaire de création sonore. Des mémoires s’y croisent, celle d’un prêtre d’Arbéost, un village des Pyrénées – évocations notamment du départ des hommes sur le front de la Grande guerre – avec les captations de témoignages d’anciens du village, en 1964, par un autre prêtre, Roger Larrouy. Au départ de ce travail, deux idées : que faire de ces archives au XXIe siècle ? ; créer un pur objet sonore à partir d’elles. Une belle réussite qui nous plonge dans le son des vallées aux bergers, nous immisce au cœur de discussions en occitan, le tout souligné par les commentaires sonores de Didier Lasserre. Merveilleux moment au milieu de la nature, face au Pic du Midi – perturbé toutefois par le fléau contemporain des campagnes : la tondeuse (ou son frère le rotofil), heureusement pas trop longtemps !
Luz Saint-Sauveur, colline Solferino, 12h
Didier Lasserre « La Mémoire »
Didier Lasserre (dm).
En prolongement de sa participation au documentaire sonore, Didier Lasserre se présente seul avec sa batterie sous un arbre, tel Saint-Louis-les-baguettes. Son idée ? Se mettre en symbiose avec l’environnement sonore, avec le calme du lieu (le fléau mécanique s’est arrêté), capter l’esprit du moment (le spirit diraient des gens plus new age que moi) et s’en faire le porte-voix. Quelques touches là, beaucoup de silence ici, un pic dynamique, beaucoup de couleurs pastelles. Didier Lasserre accompagne les sons ambiants, prolonge l’espace.
Luz Saint-Sauveur, Chapelle Solferino, 14h30
La Ruche à sons
Sébastien Cirotteau (tp, effets), Benjamin Bondonneau (cl, effets), Benjamin Maumus (créateur sonore)
Avec la Ruche à sons, on retrouve les trois thématiques qui articulent le cru 2014 du festival : la trompette, l’apiculture et, dans une certaine mesure, le cinéma. Dix-huit diffuseurs en alvéoles sont positionnés devant les trois musiciens situés sous la voûte d’entrée. À gauche, un hexagone suspendu, badigeonné de cire d’abeilles, diffuse des sons depuis une installation en bois de Benjamin Bondonneau, écho sculpté aux alvéoles des ruches.
Bien évidemment, la musique improvisée par le trio se rapproche des sons émis par l’insecte pollinisateur : la trompette vrombie tandis que la clarinette émet les partiels que le vol de l’abeille peut générer ; les sons enlacent les auditeurs grâce à un dispositif électro-acoutisque d’une dizaine de petits haut-parleurs. Une place importante est de nouveau donnée au silence, l’idée étant d’inviter les festivaliers à écouter ces Variations pour un essaim, sous-titre possible au projet de la Ruche à sons. Ou pourquoi pas, comme les inserts d’entretien avec un apiculteur le suggère, Le long cri d’agonie d’Apis mellifera, puisque la disparition des abeilles augmente de façon exponentielle depuis cinq ans sans que l’on sache l’endiguer, nous informe-t-on. La tonalité générale plutôt pessimiste de tels propos a été remarquablement rendue par les artistes.
Dans l’échange avec les musiciens qui a suivi le concert, animé par Anne Montaron, les protagonistes Ruche à sons précisent qu’ils s’inscrivent bien sûr dans la désormais importante tradition du paysage sonore, mais surtout qu’ils ont envisagé ce projet sous la forme d’une cartographie sonore des divers habitus de l’insecte (en groupe, en vol, butinant, excitée, au repos…), le tout se superposant en perspectives transversales. Invité lui aussi pour cette discussion, le Conservateur du Parc National des Pyrénées, tient des propos surprenants, heureusement étonnant : pour que la population prenne conscience des liens inextricables qui nous lient à la nature et agisse en conséquence, il soutient que l’argumentation scientifique doit être à présent accompagné d’un choc esthétique tel que celui généré par La Ruche à sons. Je me pince : non je ne rêve pas ! J’ai bien entendu !
Luz Saint-Sauveur, Place des templiers, 17h30
Kristof Hiriart & Christian Pruvost
Christian Pruvost (tp), Kristof Hiriart (vx, perc)
Pour toucher le public des touristes et des habitants du village, Jazz à Luz organise aussi des concerts gratuits en plein air. Hier c’était rock’n’roll, aujourd’hui c’est duo d’improvisation libre. Des badauds écoutent d’une oreille discrète, quelques-uns osent se frotter à cette musique étrange, d’autres s’agacent, beaucoup se figent et suivent les inflexions imprévues des deux musiciens. Pendant ce temps, un épervier perpétue son ballet aérien sous des nuages de plus en plus menaçants.
Entre Benat Achiary et André Minvielle, Kristof Hiriart réalise bruitages vocaux, lectures en basque, chante à pleine voix, se fait beatbox et sifflote un petit air, le tout agrémenté de quelques percussions. La trompette atypique de Christian Pruvost se déforme tant acoustiquement que physiquement : note pédale sans embouchure, ajout d’une sorte de ressort qui allonge l’instrument, jeux de pistons… En tant que soliste, chacun est convaincant, impressionne. L’association en duo n’a toutefois pas encore trouvé son équilibre optimum. À un moment de groove vocal éclairé d’effets de scratch à la trompette augmentée succède un passage imitatif (transhumance musicale ?) ; du bruitisme pur débouche sur une envolée lyrique.
Luz Saint-Sauveur, Chapiteau du verger, 19h
Orchestre National de Jazz – Programme Europa « Paris »
Fabrice Martinez (tp), Fidel Fourneyron (tb, tu), Jean Doustessier (cl), Hugues Mayot (as), Alexandra Grimal (ss, ts), Théo Ceccaldi (vl), Sophie Agnel (p), Paul Brousseau (kb), Olivier Benoit (elg), Bruno Chevillon (cb, elb), Eric Echampard (dm)
Arrive enfin le concert que tout le monde attend. Pour cause de Coupe du monde de football, il se donne à 19h, le comité du festival ayant envisagé que la France se retrouve en finale au moment du bouclage de la programmation. Le chapiteau a fait le plein : pas une seule place des cinq cents places assises n’est libre, de nombreux spectateurs ayant fait un long déplacement pour venir entendre ce nouvel ONJ qui fait jaser.
Avant de jouer, l’intégralité des musiciens se présentent au bas de la scène, au niveau de l’auditoire : Sophie Agnel lit un texte de Deleuze ; au nom de toute son équipe, Olivier Benoit déclare soutenir le combat des intermittents contre le récent protocole – auparavant, Jean-Pierre Layrac avait indiqué comment signer la pétition pour le maintien du Bureau du jazz à Radio France. Les messages passent bien. Les musiciens montent sur scène.
Pour nourrir l’imaginaire de « son » ONJ, Olivier Benoit a décidé d’évoquer les grandes capitales européennes. À tout seigneur, tout honneur, c’est avec la ville de Paris qu’il inaugure son mandat à la tête de la grande formation nationale. Avec ce genre d’approche, ce qui n’est le plus souvent qu’un simple prétexte à la production musicale tend à conditionner l’écoute. Pour ma part, à cause de tel rythme je me suis retrouvé du côté de la rue de la Roquette (Bastille), avant d’être propulsé sur une moto zigzaguant en plein périphérique, une improvisation plus abstraite (duo violon-contrebasse) m’amenant finalement sur la place Stravinsky. D’un autre côté, j’ai beaucoup pensé à New York tant le procédé répétitif a été employé, en une sorte de minimalisme soutenu par une rythmique très rock.
À la fin du concert, les commentaires vont bon train, et je me remémore ce passage des Essais de Montaigne : « Il y a prou loi [beaucoup d’occasions] de parler partout, et pour et contre. » Après les critiques des tenants d’un jazz mieux à même de prolonger l’histoire qui le fonde, Olivier Benoit a provoqué l’ire des aficionados d’une pratique musicale libérée de tout carcan, et ils sont un certain nombre à Luz. Allant même jusqu’à parler de « trahison » parce que le nouveau chef de l’ONJ ne poursuit pas le type de travail qu’il a développé avec La Pieuvre, les voilà plus que déçus : dégoûtés ! Il me semble cependant que, en bien des endroits, le grand ensemble se divise en sous-petits ensembles autogérés par l’un des musiciens. Cette technique d’aléatoire contrôlé, Olivier Benoit n’y avait-il pas justement eu recourt avec La Pieuvre ? On reproche par ailleurs l’aspect trop structuré, presque rigide du répertoire, la place accordée à Sophie Agnel étant par exemple trop restreinte. Pourtant, plusieurs moments sont dédiés à de l’improvisation totale. Et s’il ne fallait citer que deux moments très forts de la soirée, ce serait alors justement les improvisations de la pianiste. Animés de mille dynamiques, elles furent d’une force expressive étourdissante, portés par une expression dramatique de la plus haute cohérence, avec quelque chose de Webern et de Ligeti par endroits.
On trouve toujours ce que l’on vient chercher : au lieu de chercher le pourquoi de ce « nouveau » positionnement musical d’Olivier Benoit, tel l’aspiration au rassemblement des divers familles du jazz par exemple (le chef allant d’ailleurs jusqu’à inviter les techniciens à venir rejoindre les musiciens au moment du salut final), certains n’y voient que concessions, indignes politiquement. Que pour tel ou tel aspect cela ait été trop ou trop peu, cet ONJ a tout de même du souffle, possède un sens aigu de la tension dramatique, donne la part belle à chacun de ses dignes musiciens, et développe des ambiances sonores bien en accord avec son temps, tourbillon de sonorités citadines au sein duquel l’individu se trouve embourbé.
Pendant ce temps-là, l’Allemagne, le pays aux mille big bands « institutionnalisés », devient championne du monde…
Luz Saint-Sauveur, Salle du conseil de la mairie, 23h
Antoine Mermet
Antoine Mermet (bouche amplifiée)
Le saxophoniste de Chromb! possède un bel organe. « Entre le concert et la performance », comme le précise le programme du festival, Antoine Mermet aura donné de son corps, terminant complètement trempé de sueur. Il faut dire qu’il ne ménage pas sa monture : susurrements amplifiés, chant dans l’extrême aigu loin du micro, bruits divers… Les auditeurs habitués aux caresses de Diana Krall – ils étaient peu dans la salle… – n’ont pas vraiment apprécié cette fessée. Incapable de goûter à sa juste valeur tout ce qui relève de la voix, je ne sais trop quoi en penser.
Luz Saint-Sauveur, Club Maison de la vallée, 0h30
Electric Vocuhila
Maxime Bobo (as), Boris Rosenfeld (elg), François Rosenfeld (elb, perc), Etienne Ziemniak (dm).
La journée se termine sous les voûtes de la Maison de la vallée avec un groupe survolté. On le serait à moins lorsque, comme Electric Vocuhila, on s’exprime dans un idiome free funk dont les grooves sont parfois empruntés à l’ethio-jazz, à d’autres moments issus des second lines de La Nouvelle Orléans. Sans ambiguïté, Electric Vocuhila se place sous les auspices du Prime Time d’Ornette Coleman. Une bonne dose d’harmolodie, de l’improvisation libre au-dessus de beat quasi techno, des boucles asymétriques jouées à deux saxophones façon Roland Kirk, autant d’ingrédients qui rendent leur musique éminemment festive. Le public ne se prive d’ailleurs pas pour danser jusqu’à en perdre haleine, show devant.
Pour les plus résistants, une free jazz session permettait de conclure la nuit en beauté. Un peu honteux, votre rapporteur avoue ne pas avoir résisté à l’envie d’aller réfléchir (sic) à cette journée très chargée.
|
Une journée bien chargée pour le troisième jour du festival Jazz à Luz. On monte d’abord en altitude pour un acte de communion musical avec la nature avant de revenir au verger plus bas pour l’un des moments les plus attendus du festival : l’ONJ d’Olivier Benoit qui, avec sa très grande formation La Pieuvre, avait marqué les esprits ici même deux ans plus tôt.
Festival « Jazz à Luz », Luz-Saint Sauveur (65), 13 juillet 2014
Luz Saint-Sauveur, colline Solferino, 11h
Lie Mineure
Manoell Bouillet (écriture), Laure Carrier (prise de son, montage), Denis Cointe (réalisation), David Coutures (mixage), Marion Débats (collecteure de mémoire), Didier Lasserre (création musicale).
Il faut prendre un petit chemin pentu pour atteindre, quinze minutes après avoir quitté le village, la Chapelle de Solferino, rustique et dépouillée, posée au sommet de la colline du même nom. Quelques mètres à l’écart de l’édifice, dans un creux faisant face à quelques sommets encore enneigés, trois haut-parleurs sont disposés en cercle pour la diffusion de Lie Mineure, un documentaire de création sonore. Des mémoires s’y croisent, celle d’un prêtre d’Arbéost, un village des Pyrénées – évocations notamment du départ des hommes sur le front de la Grande guerre – avec les captations de témoignages d’anciens du village, en 1964, par un autre prêtre, Roger Larrouy. Au départ de ce travail, deux idées : que faire de ces archives au XXIe siècle ? ; créer un pur objet sonore à partir d’elles. Une belle réussite qui nous plonge dans le son des vallées aux bergers, nous immisce au cœur de discussions en occitan, le tout souligné par les commentaires sonores de Didier Lasserre. Merveilleux moment au milieu de la nature, face au Pic du Midi – perturbé toutefois par le fléau contemporain des campagnes : la tondeuse (ou son frère le rotofil), heureusement pas trop longtemps !
Luz Saint-Sauveur, colline Solferino, 12h
Didier Lasserre « La Mémoire »
Didier Lasserre (dm).
En prolongement de sa participation au documentaire sonore, Didier Lasserre se présente seul avec sa batterie sous un arbre, tel Saint-Louis-les-baguettes. Son idée ? Se mettre en symbiose avec l’environnement sonore, avec le calme du lieu (le fléau mécanique s’est arrêté), capter l’esprit du moment (le spirit diraient des gens plus new age que moi) et s’en faire le porte-voix. Quelques touches là, beaucoup de silence ici, un pic dynamique, beaucoup de couleurs pastelles. Didier Lasserre accompagne les sons ambiants, prolonge l’espace.
Luz Saint-Sauveur, Chapelle Solferino, 14h30
La Ruche à sons
Sébastien Cirotteau (tp, effets), Benjamin Bondonneau (cl, effets), Benjamin Maumus (créateur sonore)
Avec la Ruche à sons, on retrouve les trois thématiques qui articulent le cru 2014 du festival : la trompette, l’apiculture et, dans une certaine mesure, le cinéma. Dix-huit diffuseurs en alvéoles sont positionnés devant les trois musiciens situés sous la voûte d’entrée. À gauche, un hexagone suspendu, badigeonné de cire d’abeilles, diffuse des sons depuis une installation en bois de Benjamin Bondonneau, écho sculpté aux alvéoles des ruches.
Bien évidemment, la musique improvisée par le trio se rapproche des sons émis par l’insecte pollinisateur : la trompette vrombie tandis que la clarinette émet les partiels que le vol de l’abeille peut générer ; les sons enlacent les auditeurs grâce à un dispositif électro-acoutisque d’une dizaine de petits haut-parleurs. Une place importante est de nouveau donnée au silence, l’idée étant d’inviter les festivaliers à écouter ces Variations pour un essaim, sous-titre possible au projet de la Ruche à sons. Ou pourquoi pas, comme les inserts d’entretien avec un apiculteur le suggère, Le long cri d’agonie d’Apis mellifera, puisque la disparition des abeilles augmente de façon exponentielle depuis cinq ans sans que l’on sache l’endiguer, nous informe-t-on. La tonalité générale plutôt pessimiste de tels propos a été remarquablement rendue par les artistes.
Dans l’échange avec les musiciens qui a suivi le concert, animé par Anne Montaron, les protagonistes Ruche à sons précisent qu’ils s’inscrivent bien sûr dans la désormais importante tradition du paysage sonore, mais surtout qu’ils ont envisagé ce projet sous la forme d’une cartographie sonore des divers habitus de l’insecte (en groupe, en vol, butinant, excitée, au repos…), le tout se superposant en perspectives transversales. Invité lui aussi pour cette discussion, le Conservateur du Parc National des Pyrénées, tient des propos surprenants, heureusement étonnant : pour que la population prenne conscience des liens inextricables qui nous lient à la nature et agisse en conséquence, il soutient que l’argumentation scientifique doit être à présent accompagné d’un choc esthétique tel que celui généré par La Ruche à sons. Je me pince : non je ne rêve pas ! J’ai bien entendu !
Luz Saint-Sauveur, Place des templiers, 17h30
Kristof Hiriart & Christian Pruvost
Christian Pruvost (tp), Kristof Hiriart (vx, perc)
Pour toucher le public des touristes et des habitants du village, Jazz à Luz organise aussi des concerts gratuits en plein air. Hier c’était rock’n’roll, aujourd’hui c’est duo d’improvisation libre. Des badauds écoutent d’une oreille discrète, quelques-uns osent se frotter à cette musique étrange, d’autres s’agacent, beaucoup se figent et suivent les inflexions imprévues des deux musiciens. Pendant ce temps, un épervier perpétue son ballet aérien sous des nuages de plus en plus menaçants.
Entre Benat Achiary et André Minvielle, Kristof Hiriart réalise bruitages vocaux, lectures en basque, chante à pleine voix, se fait beatbox et sifflote un petit air, le tout agrémenté de quelques percussions. La trompette atypique de Christian Pruvost se déforme tant acoustiquement que physiquement : note pédale sans embouchure, ajout d’une sorte de ressort qui allonge l’instrument, jeux de pistons… En tant que soliste, chacun est convaincant, impressionne. L’association en duo n’a toutefois pas encore trouvé son équilibre optimum. À un moment de groove vocal éclairé d’effets de scratch à la trompette augmentée succède un passage imitatif (transhumance musicale ?) ; du bruitisme pur débouche sur une envolée lyrique.
Luz Saint-Sauveur, Chapiteau du verger, 19h
Orchestre National de Jazz – Programme Europa « Paris »
Fabrice Martinez (tp), Fidel Fourneyron (tb, tu), Jean Doustessier (cl), Hugues Mayot (as), Alexandra Grimal (ss, ts), Théo Ceccaldi (vl), Sophie Agnel (p), Paul Brousseau (kb), Olivier Benoit (elg), Bruno Chevillon (cb, elb), Eric Echampard (dm)
Arrive enfin le concert que tout le monde attend. Pour cause de Coupe du monde de football, il se donne à 19h, le comité du festival ayant envisagé que la France se retrouve en finale au moment du bouclage de la programmation. Le chapiteau a fait le plein : pas une seule place des cinq cents places assises n’est libre, de nombreux spectateurs ayant fait un long déplacement pour venir entendre ce nouvel ONJ qui fait jaser.
Avant de jouer, l’intégralité des musiciens se présentent au bas de la scène, au niveau de l’auditoire : Sophie Agnel lit un texte de Deleuze ; au nom de toute son équipe, Olivier Benoit déclare soutenir le combat des intermittents contre le récent protocole – auparavant, Jean-Pierre Layrac avait indiqué comment signer la pétition pour le maintien du Bureau du jazz à Radio France. Les messages passent bien. Les musiciens montent sur scène.
Pour nourrir l’imaginaire de « son » ONJ, Olivier Benoit a décidé d’évoquer les grandes capitales européennes. À tout seigneur, tout honneur, c’est avec la ville de Paris qu’il inaugure son mandat à la tête de la grande formation nationale. Avec ce genre d’approche, ce qui n’est le plus souvent qu’un simple prétexte à la production musicale tend à conditionner l’écoute. Pour ma part, à cause de tel rythme je me suis retrouvé du côté de la rue de la Roquette (Bastille), avant d’être propulsé sur une moto zigzaguant en plein périphérique, une improvisation plus abstraite (duo violon-contrebasse) m’amenant finalement sur la place Stravinsky. D’un autre côté, j’ai beaucoup pensé à New York tant le procédé répétitif a été employé, en une sorte de minimalisme soutenu par une rythmique très rock.
À la fin du concert, les commentaires vont bon train, et je me remémore ce passage des Essais de Montaigne : « Il y a prou loi [beaucoup d’occasions] de parler partout, et pour et contre. » Après les critiques des tenants d’un jazz mieux à même de prolonger l’histoire qui le fonde, Olivier Benoit a provoqué l’ire des aficionados d’une pratique musicale libérée de tout carcan, et ils sont un certain nombre à Luz. Allant même jusqu’à parler de « trahison » parce que le nouveau chef de l’ONJ ne poursuit pas le type de travail qu’il a développé avec La Pieuvre, les voilà plus que déçus : dégoûtés ! Il me semble cependant que, en bien des endroits, le grand ensemble se divise en sous-petits ensembles autogérés par l’un des musiciens. Cette technique d’aléatoire contrôlé, Olivier Benoit n’y avait-il pas justement eu recourt avec La Pieuvre ? On reproche par ailleurs l’aspect trop structuré, presque rigide du répertoire, la place accordée à Sophie Agnel étant par exemple trop restreinte. Pourtant, plusieurs moments sont dédiés à de l’improvisation totale. Et s’il ne fallait citer que deux moments très forts de la soirée, ce serait alors justement les improvisations de la pianiste. Animés de mille dynamiques, elles furent d’une force expressive étourdissante, portés par une expression dramatique de la plus haute cohérence, avec quelque chose de Webern et de Ligeti par endroits.
On trouve toujours ce que l’on vient chercher : au lieu de chercher le pourquoi de ce « nouveau » positionnement musical d’Olivier Benoit, tel l’aspiration au rassemblement des divers familles du jazz par exemple (le chef allant d’ailleurs jusqu’à inviter les techniciens à venir rejoindre les musiciens au moment du salut final), certains n’y voient que concessions, indignes politiquement. Que pour tel ou tel aspect cela ait été trop ou trop peu, cet ONJ a tout de même du souffle, possède un sens aigu de la tension dramatique, donne la part belle à chacun de ses dignes musiciens, et développe des ambiances sonores bien en accord avec son temps, tourbillon de sonorités citadines au sein duquel l’individu se trouve embourbé.
Pendant ce temps-là, l’Allemagne, le pays aux mille big bands « institutionnalisés », devient championne du monde…
Luz Saint-Sauveur, Salle du conseil de la mairie, 23h
Antoine Mermet
Antoine Mermet (bouche amplifiée)
Le saxophoniste de Chromb! possède un bel organe. « Entre le concert et la performance », comme le précise le programme du festival, Antoine Mermet aura donné de son corps, terminant complètement trempé de sueur. Il faut dire qu’il ne ménage pas sa monture : susurrements amplifiés, chant dans l’extrême aigu loin du micro, bruits divers… Les auditeurs habitués aux caresses de Diana Krall – ils étaient peu dans la salle… – n’ont pas vraiment apprécié cette fessée. Incapable de goûter à sa juste valeur tout ce qui relève de la voix, je ne sais trop quoi en penser.
Luz Saint-Sauveur, Club Maison de la vallée, 0h30
Electric Vocuhila
Maxime Bobo (as), Boris Rosenfeld (elg), François Rosenfeld (elb, perc), Etienne Ziemniak (dm).
La journée se termine sous les voûtes de la Maison de la vallée avec un groupe survolté. On le serait à moins lorsque, comme Electric Vocuhila, on s’exprime dans un idiome free funk dont les grooves sont parfois empruntés à l’ethio-jazz, à d’autres moments issus des second lines de La Nouvelle Orléans. Sans ambiguïté, Electric Vocuhila se place sous les auspices du Prime Time d’Ornette Coleman. Une bonne dose d’harmolodie, de l’improvisation libre au-dessus de beat quasi techno, des boucles asymétriques jouées à deux saxophones façon Roland Kirk, autant d’ingrédients qui rendent leur musique éminemment festive. Le public ne se prive d’ailleurs pas pour danser jusqu’à en perdre haleine, show devant.
Pour les plus résistants, une free jazz session permettait de conclure la nuit en beauté. Un peu honteux, votre rapporteur avoue ne pas avoir résisté à l’envie d’aller réfléchir (sic) à cette journée très chargée.