Darcy James Argue
Le 15 juillet dernier, l’un des plus passionnants compositeurs pour big band du moment, Darcy James Argue, enfin programmé sur notre Vieux Continent, présentait sa Secret Society au festival de jazz de Vitoria-Gasteiz. Notre lecteur Stéphane Barbier nous a adressé ce compte rendu ébouriffé d’enthousiasme.
Darcy James Argue’s Secret Society
15 juillet 2014, Polideportivo de Mendizorrotza, Vitoria-Gasteiz (Espagne)
Seconde partie d’un concert flamenco, en duo, hommage à Paco de Lucia, récemment disparu (voir le compte rendu de Robert Latxague du 17 juillet), le Darcy James Argue avec sa physionomie de “gros band” comme on dit, semblait n’étonner personne dans le public un peu clairsemé du Polideportivo de Mendizorrotza. Passer après un vibrant hommage à un des maitres du flamenco, en terrain conquis avec succès et deux rappels à la clé semblait peine perdue pour cette formation. Mais voilà : avec un big band comme celui là, l’anachronisme et le décalage musical servent à eux seuls de dynamite, de spootnik stylistique, de réveil-soirée pour un quidam encore envouté par l’exotisme hispanique du superbe duo précédent
Dès les premières notes, c’est une piqure de rappel de leur premier album “Infernal Machines” (un des chefs d’œuvre de cette décennie à mon sens). La première impression reste la meilleure. Quelle claque dès la mise en place du thème, une petite mélodie très entêtante. La patte du chef se fait sentir, avec cette impression impeccable de mélange de timbres, de dynamiques et de chamboulements rythmiques très contrôlés, une patte que l’on reconnaitrait entre mille. Il faut dire que le grand instigateur de tout ce fatras musical (dans le bon sens du terme) maitrise à la perfection l’art d’arranger, mais avec encore plus de talent l’art d’orchestrer. Si arranger peut s’apparenter à une technique, orchestrer sollicite l’oreille bien plus que de simplement mélanger du jaune et du bleu pour obtenir du vert. On se laisse happer par l’amoncellement de motifs mélodiques et rythmiques…
Quatre morceaux plus loin, dont l’étrenne Obsidian Flow, deuxième piqure de rappel de l’album “Babylon Brooklyn”, avec sa pièce centrale, construite avec d’autres motifs décalés, sur environ vingt minutes, qui laissera tout l’auditoire ébahi. Personne n’ayant vraiment compris le développement de cette musique, ni même son sujet (très poétique), les applaudissements seront à la hauteur de la surprise, la moitié n’ayant pas réagi. Je vous laisse deviner l’ambiance à couper au couteau ! Public exsangue, pièce à rallonge, citations en tout genre entremêlées d’une marche militaire, suivie d’un intense débordement de cuivres, le tout avec une maitrise orchestral de l’ensemble sans défaut. Tout un univers qui déboussole littéralement l’auditeur. Mr Argue nous emmène exactement là où il souhaite, les mélanges de timbres vous séduisent autant qu’ils vous dérangent. Une formule comme clarinette basse-clarinette-flûte-flûte ténor-piccolo avec un lead à la guitare donnent à peu près la teneur “timbrale” de l’ensemble. Bref, une musique sans cesse en mouvement, sans répit, dense, très imagée, très théâtrale, pleine de rebondissements, des surprises à chaque coin de pages ! Le chef s’agite comme un trublion avec les tics de Mr Bean ! Jubilatoire, excitant, très remuant.
Les solistes sont aussi là pour nous rappeler, tant le matériau est dense, qu’il s’agit aussi ou d’abord (je ne sais plus), de jazz (ou assimilé comme tel par la critique) et d’improvisation. Outre un chef hors norme, cet orchestre est doté d’un personnel à tomber à la renverse : tous ces musiciens sont d’une réelle et entière dévotion à la musique de leur leader ce qui fait que l’ensemble sonne réellement comme aucun autre. Modèle d’intégrité artistique, certains sont là depuis des années, et une certaine parité semble être de mise. Jugez plutôt : une femme au moins à chaque pupitres de cuivres et de d’anches, certaines jouant de plus de trois instruments (les deux sax women jouent de l’alto, de la flûte, de la clarinette et du piccolo !), avec une mention spéciale à Erica Von Kleist, Sharel Cassity et à la trompettiste Nadje Noordhuis. Elles nous rappellent que nous sommes au XXIème siècle, ces femmes là sachant vraiment jouer, avec un vocabulaire plutôt éclectique de musique balkanique, klezmer, certains de leurs solos, plus axés sur des jeux d’intervalles, semblant réincarner Warne Marsh ou Ted Brown. Evitant les clichés bop, leurs solos sont remarquablement construits, lyriques et surprenant de beauté, très inspirés….. La présence aux anches de John Ellis (incendiaire dans “Brooklyn Babylon”) et de Sam Sadigursky renforce encore la cohésion des anches, tout le pupitre étant multi-instrumentiste. Matt Clohesy, imperturbable bassiste et contrebassiste à la carrière exemplaire, rend humblement le son cet orchestre “rond”. Associé au pupitre des trombones, voilà un son d’ensemble unique, généreux, précis, pleins.
Comme un certain nombre d’orchestres actuels, tels John Hollenbeck, Mike Hollober, Jason Lindner, Maria Schneider entre autres, le Darcy James Argue nous démontre qu’il reste encore un vrai champ des possibles, une immense variétés de combinaisons de timbres à nous faire découvrir, faisant mentir ceux qui annoncent la fin programmée ou à l’essoufflement des grands orchestres.
Darcy James Argue est par ailleurs sans doute l’un des plus éclectiques, assumant ses influences. Citons pêle-mêle : Steve Reich, Gil Evans, les recherches les plus poussées de George Russell, la folie de Mingus, l’humanité de Duke Ellington, Kurt Weil pour le côté théâtral (ce dont témoigne “Brooklyn Babylon”), Stravinsky, Ravel, Debussy pourraient en être les pères spirituels – normal, pour un élève de Bob Brookmeyer –, mais encore le son post-rock seventies via Tortoise ou Explosions in the sky, et même… Verdi ! Je crois qu’il y a de tout cela chez ce grand bonhomme, un grammy et des prix divers, des commandes (notamment celle du Newport Jazz Festival, une pièce en rapport avec Diminuendo and Crescendo in Blue dans un système à douze tons avec des citations du maître) sont là pour nous prouver, si toutefois besoin était, qu’il y a beaucoup de Darcy James Argue chez Darcy James Argue…
Il était difficile de rester de marbre. Ceux qui étaient là ont eu raison de prendre la peine (dans son sens plein) d’écouter cette formation, de faire cette démarche plutôt que de bouder (j’ai des noms connus !) l’aventure musicale proposée ce soir-là. Et pourtant, j’ai perçu dans l’auditoire un ennui certain, une écoute distraite, ou une discrète incompréhension. Il est vrai qu’avec certaines oreilles aussi ouvertes que des bigorneaux de Concarneau, il n’est jamais aisé de saisir la dimension d’un tel travail. Amis lecteurs, désertez les territoires arides du marasme culturel ambiant pour un nouveau monde auditif plus qu’attrayant ! Parcourez sans retenue le monde de ce compositeur fantasque et déroutant. Errez, arpentez-le ! Son propos et son orchestre témoignent d’une des très belles voix de cette décennie !
Stéphane Barbier
A signaler : version de “Brooklyn Babylon” avec le plasticien Daniel Žeželj, vidéo projection et jeux de scènes devant renforcer la part de théâtralité de ce super-superbe Big Band.
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Le 15 juillet dernier, l’un des plus passionnants compositeurs pour big band du moment, Darcy James Argue, enfin programmé sur notre Vieux Continent, présentait sa Secret Society au festival de jazz de Vitoria-Gasteiz. Notre lecteur Stéphane Barbier nous a adressé ce compte rendu ébouriffé d’enthousiasme.
Darcy James Argue’s Secret Society
15 juillet 2014, Polideportivo de Mendizorrotza, Vitoria-Gasteiz (Espagne)
Seconde partie d’un concert flamenco, en duo, hommage à Paco de Lucia, récemment disparu (voir le compte rendu de Robert Latxague du 17 juillet), le Darcy James Argue avec sa physionomie de “gros band” comme on dit, semblait n’étonner personne dans le public un peu clairsemé du Polideportivo de Mendizorrotza. Passer après un vibrant hommage à un des maitres du flamenco, en terrain conquis avec succès et deux rappels à la clé semblait peine perdue pour cette formation. Mais voilà : avec un big band comme celui là, l’anachronisme et le décalage musical servent à eux seuls de dynamite, de spootnik stylistique, de réveil-soirée pour un quidam encore envouté par l’exotisme hispanique du superbe duo précédent
Dès les premières notes, c’est une piqure de rappel de leur premier album “Infernal Machines” (un des chefs d’œuvre de cette décennie à mon sens). La première impression reste la meilleure. Quelle claque dès la mise en place du thème, une petite mélodie très entêtante. La patte du chef se fait sentir, avec cette impression impeccable de mélange de timbres, de dynamiques et de chamboulements rythmiques très contrôlés, une patte que l’on reconnaitrait entre mille. Il faut dire que le grand instigateur de tout ce fatras musical (dans le bon sens du terme) maitrise à la perfection l’art d’arranger, mais avec encore plus de talent l’art d’orchestrer. Si arranger peut s’apparenter à une technique, orchestrer sollicite l’oreille bien plus que de simplement mélanger du jaune et du bleu pour obtenir du vert. On se laisse happer par l’amoncellement de motifs mélodiques et rythmiques…
Quatre morceaux plus loin, dont l’étrenne Obsidian Flow, deuxième piqure de rappel de l’album “Babylon Brooklyn”, avec sa pièce centrale, construite avec d’autres motifs décalés, sur environ vingt minutes, qui laissera tout l’auditoire ébahi. Personne n’ayant vraiment compris le développement de cette musique, ni même son sujet (très poétique), les applaudissements seront à la hauteur de la surprise, la moitié n’ayant pas réagi. Je vous laisse deviner l’ambiance à couper au couteau ! Public exsangue, pièce à rallonge, citations en tout genre entremêlées d’une marche militaire, suivie d’un intense débordement de cuivres, le tout avec une maitrise orchestral de l’ensemble sans défaut. Tout un univers qui déboussole littéralement l’auditeur. Mr Argue nous emmène exactement là où il souhaite, les mélanges de timbres vous séduisent autant qu’ils vous dérangent. Une formule comme clarinette basse-clarinette-flûte-flûte ténor-piccolo avec un lead à la guitare donnent à peu près la teneur “timbrale” de l’ensemble. Bref, une musique sans cesse en mouvement, sans répit, dense, très imagée, très théâtrale, pleine de rebondissements, des surprises à chaque coin de pages ! Le chef s’agite comme un trublion avec les tics de Mr Bean ! Jubilatoire, excitant, très remuant.
Les solistes sont aussi là pour nous rappeler, tant le matériau est dense, qu’il s’agit aussi ou d’abord (je ne sais plus), de jazz (ou assimilé comme tel par la critique) et d’improvisation. Outre un chef hors norme, cet orchestre est doté d’un personnel à tomber à la renverse : tous ces musiciens sont d’une réelle et entière dévotion à la musique de leur leader ce qui fait que l’ensemble sonne réellement comme aucun autre. Modèle d’intégrité artistique, certains sont là depuis des années, et une certaine parité semble être de mise. Jugez plutôt : une femme au moins à chaque pupitres de cuivres et de d’anches, certaines jouant de plus de trois instruments (les deux sax women jouent de l’alto, de la flûte, de la clarinette et du piccolo !), avec une mention spéciale à Erica Von Kleist, Sharel Cassity et à la trompettiste Nadje Noordhuis. Elles nous rappellent que nous sommes au XXIème siècle, ces femmes là sachant vraiment jouer, avec un vocabulaire plutôt éclectique de musique balkanique, klezmer, certains de leurs solos, plus axés sur des jeux d’intervalles, semblant réincarner Warne Marsh ou Ted Brown. Evitant les clichés bop, leurs solos sont remarquablement construits, lyriques et surprenant de beauté, très inspirés….. La présence aux anches de John Ellis (incendiaire dans “Brooklyn Babylon”) et de Sam Sadigursky renforce encore la cohésion des anches, tout le pupitre étant multi-instrumentiste. Matt Clohesy, imperturbable bassiste et contrebassiste à la carrière exemplaire, rend humblement le son cet orchestre “rond”. Associé au pupitre des trombones, voilà un son d’ensemble unique, généreux, précis, pleins.
Comme un certain nombre d’orchestres actuels, tels John Hollenbeck, Mike Hollober, Jason Lindner, Maria Schneider entre autres, le Darcy James Argue nous démontre qu’il reste encore un vrai champ des possibles, une immense variétés de combinaisons de timbres à nous faire découvrir, faisant mentir ceux qui annoncent la fin programmée ou à l’essoufflement des grands orchestres.
Darcy James Argue est par ailleurs sans doute l’un des plus éclectiques, assumant ses influences. Citons pêle-mêle : Steve Reich, Gil Evans, les recherches les plus poussées de George Russell, la folie de Mingus, l’humanité de Duke Ellington, Kurt Weil pour le côté théâtral (ce dont témoigne “Brooklyn Babylon”), Stravinsky, Ravel, Debussy pourraient en être les pères spirituels – normal, pour un élève de Bob Brookmeyer –, mais encore le son post-rock seventies via Tortoise ou Explosions in the sky, et même… Verdi ! Je crois qu’il y a de tout cela chez ce grand bonhomme, un grammy et des prix divers, des commandes (notamment celle du Newport Jazz Festival, une pièce en rapport avec Diminuendo and Crescendo in Blue dans un système à douze tons avec des citations du maître) sont là pour nous prouver, si toutefois besoin était, qu’il y a beaucoup de Darcy James Argue chez Darcy James Argue…
Il était difficile de rester de marbre. Ceux qui étaient là ont eu raison de prendre la peine (dans son sens plein) d’écouter cette formation, de faire cette démarche plutôt que de bouder (j’ai des noms connus !) l’aventure musicale proposée ce soir-là. Et pourtant, j’ai perçu dans l’auditoire un ennui certain, une écoute distraite, ou une discrète incompréhension. Il est vrai qu’avec certaines oreilles aussi ouvertes que des bigorneaux de Concarneau, il n’est jamais aisé de saisir la dimension d’un tel travail. Amis lecteurs, désertez les territoires arides du marasme culturel ambiant pour un nouveau monde auditif plus qu’attrayant ! Parcourez sans retenue le monde de ce compositeur fantasque et déroutant. Errez, arpentez-le ! Son propos et son orchestre témoignent d’une des très belles voix de cette décennie !
Stéphane Barbier
A signaler : version de “Brooklyn Babylon” avec le plasticien Daniel Žeželj, vidéo projection et jeux de scènes devant renforcer la part de théâtralité de ce super-superbe Big Band.
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Le 15 juillet dernier, l’un des plus passionnants compositeurs pour big band du moment, Darcy James Argue, enfin programmé sur notre Vieux Continent, présentait sa Secret Society au festival de jazz de Vitoria-Gasteiz. Notre lecteur Stéphane Barbier nous a adressé ce compte rendu ébouriffé d’enthousiasme.
Darcy James Argue’s Secret Society
15 juillet 2014, Polideportivo de Mendizorrotza, Vitoria-Gasteiz (Espagne)
Seconde partie d’un concert flamenco, en duo, hommage à Paco de Lucia, récemment disparu (voir le compte rendu de Robert Latxague du 17 juillet), le Darcy James Argue avec sa physionomie de “gros band” comme on dit, semblait n’étonner personne dans le public un peu clairsemé du Polideportivo de Mendizorrotza. Passer après un vibrant hommage à un des maitres du flamenco, en terrain conquis avec succès et deux rappels à la clé semblait peine perdue pour cette formation. Mais voilà : avec un big band comme celui là, l’anachronisme et le décalage musical servent à eux seuls de dynamite, de spootnik stylistique, de réveil-soirée pour un quidam encore envouté par l’exotisme hispanique du superbe duo précédent
Dès les premières notes, c’est une piqure de rappel de leur premier album “Infernal Machines” (un des chefs d’œuvre de cette décennie à mon sens). La première impression reste la meilleure. Quelle claque dès la mise en place du thème, une petite mélodie très entêtante. La patte du chef se fait sentir, avec cette impression impeccable de mélange de timbres, de dynamiques et de chamboulements rythmiques très contrôlés, une patte que l’on reconnaitrait entre mille. Il faut dire que le grand instigateur de tout ce fatras musical (dans le bon sens du terme) maitrise à la perfection l’art d’arranger, mais avec encore plus de talent l’art d’orchestrer. Si arranger peut s’apparenter à une technique, orchestrer sollicite l’oreille bien plus que de simplement mélanger du jaune et du bleu pour obtenir du vert. On se laisse happer par l’amoncellement de motifs mélodiques et rythmiques…
Quatre morceaux plus loin, dont l’étrenne Obsidian Flow, deuxième piqure de rappel de l’album “Babylon Brooklyn”, avec sa pièce centrale, construite avec d’autres motifs décalés, sur environ vingt minutes, qui laissera tout l’auditoire ébahi. Personne n’ayant vraiment compris le développement de cette musique, ni même son sujet (très poétique), les applaudissements seront à la hauteur de la surprise, la moitié n’ayant pas réagi. Je vous laisse deviner l’ambiance à couper au couteau ! Public exsangue, pièce à rallonge, citations en tout genre entremêlées d’une marche militaire, suivie d’un intense débordement de cuivres, le tout avec une maitrise orchestral de l’ensemble sans défaut. Tout un univers qui déboussole littéralement l’auditeur. Mr Argue nous emmène exactement là où il souhaite, les mélanges de timbres vous séduisent autant qu’ils vous dérangent. Une formule comme clarinette basse-clarinette-flûte-flûte ténor-piccolo avec un lead à la guitare donnent à peu près la teneur “timbrale” de l’ensemble. Bref, une musique sans cesse en mouvement, sans répit, dense, très imagée, très théâtrale, pleine de rebondissements, des surprises à chaque coin de pages ! Le chef s’agite comme un trublion avec les tics de Mr Bean ! Jubilatoire, excitant, très remuant.
Les solistes sont aussi là pour nous rappeler, tant le matériau est dense, qu’il s’agit aussi ou d’abord (je ne sais plus), de jazz (ou assimilé comme tel par la critique) et d’improvisation. Outre un chef hors norme, cet orchestre est doté d’un personnel à tomber à la renverse : tous ces musiciens sont d’une réelle et entière dévotion à la musique de leur leader ce qui fait que l’ensemble sonne réellement comme aucun autre. Modèle d’intégrité artistique, certains sont là depuis des années, et une certaine parité semble être de mise. Jugez plutôt : une femme au moins à chaque pupitres de cuivres et de d’anches, certaines jouant de plus de trois instruments (les deux sax women jouent de l’alto, de la flûte, de la clarinette et du piccolo !), avec une mention spéciale à Erica Von Kleist, Sharel Cassity et à la trompettiste Nadje Noordhuis. Elles nous rappellent que nous sommes au XXIème siècle, ces femmes là sachant vraiment jouer, avec un vocabulaire plutôt éclectique de musique balkanique, klezmer, certains de leurs solos, plus axés sur des jeux d’intervalles, semblant réincarner Warne Marsh ou Ted Brown. Evitant les clichés bop, leurs solos sont remarquablement construits, lyriques et surprenant de beauté, très inspirés….. La présence aux anches de John Ellis (incendiaire dans “Brooklyn Babylon”) et de Sam Sadigursky renforce encore la cohésion des anches, tout le pupitre étant multi-instrumentiste. Matt Clohesy, imperturbable bassiste et contrebassiste à la carrière exemplaire, rend humblement le son cet orchestre “rond”. Associé au pupitre des trombones, voilà un son d’ensemble unique, généreux, précis, pleins.
Comme un certain nombre d’orchestres actuels, tels John Hollenbeck, Mike Hollober, Jason Lindner, Maria Schneider entre autres, le Darcy James Argue nous démontre qu’il reste encore un vrai champ des possibles, une immense variétés de combinaisons de timbres à nous faire découvrir, faisant mentir ceux qui annoncent la fin programmée ou à l’essoufflement des grands orchestres.
Darcy James Argue est par ailleurs sans doute l’un des plus éclectiques, assumant ses influences. Citons pêle-mêle : Steve Reich, Gil Evans, les recherches les plus poussées de George Russell, la folie de Mingus, l’humanité de Duke Ellington, Kurt Weil pour le côté théâtral (ce dont témoigne “Brooklyn Babylon”), Stravinsky, Ravel, Debussy pourraient en être les pères spirituels – normal, pour un élève de Bob Brookmeyer –, mais encore le son post-rock seventies via Tortoise ou Explosions in the sky, et même… Verdi ! Je crois qu’il y a de tout cela chez ce grand bonhomme, un grammy et des prix divers, des commandes (notamment celle du Newport Jazz Festival, une pièce en rapport avec Diminuendo and Crescendo in Blue dans un système à douze tons avec des citations du maître) sont là pour nous prouver, si toutefois besoin était, qu’il y a beaucoup de Darcy James Argue chez Darcy James Argue…
Il était difficile de rester de marbre. Ceux qui étaient là ont eu raison de prendre la peine (dans son sens plein) d’écouter cette formation, de faire cette démarche plutôt que de bouder (j’ai des noms connus !) l’aventure musicale proposée ce soir-là. Et pourtant, j’ai perçu dans l’auditoire un ennui certain, une écoute distraite, ou une discrète incompréhension. Il est vrai qu’avec certaines oreilles aussi ouvertes que des bigorneaux de Concarneau, il n’est jamais aisé de saisir la dimension d’un tel travail. Amis lecteurs, désertez les territoires arides du marasme culturel ambiant pour un nouveau monde auditif plus qu’attrayant ! Parcourez sans retenue le monde de ce compositeur fantasque et déroutant. Errez, arpentez-le ! Son propos et son orchestre témoignent d’une des très belles voix de cette décennie !
Stéphane Barbier
A signaler : version de “Brooklyn Babylon” avec le plasticien Daniel Žeželj, vidéo projection et jeux de scènes devant renforcer la part de théâtralité de ce super-superbe Big Band.
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Le 15 juillet dernier, l’un des plus passionnants compositeurs pour big band du moment, Darcy James Argue, enfin programmé sur notre Vieux Continent, présentait sa Secret Society au festival de jazz de Vitoria-Gasteiz. Notre lecteur Stéphane Barbier nous a adressé ce compte rendu ébouriffé d’enthousiasme.
Darcy James Argue’s Secret Society
15 juillet 2014, Polideportivo de Mendizorrotza, Vitoria-Gasteiz (Espagne)
Seconde partie d’un concert flamenco, en duo, hommage à Paco de Lucia, récemment disparu (voir le compte rendu de Robert Latxague du 17 juillet), le Darcy James Argue avec sa physionomie de “gros band” comme on dit, semblait n’étonner personne dans le public un peu clairsemé du Polideportivo de Mendizorrotza. Passer après un vibrant hommage à un des maitres du flamenco, en terrain conquis avec succès et deux rappels à la clé semblait peine perdue pour cette formation. Mais voilà : avec un big band comme celui là, l’anachronisme et le décalage musical servent à eux seuls de dynamite, de spootnik stylistique, de réveil-soirée pour un quidam encore envouté par l’exotisme hispanique du superbe duo précédent
Dès les premières notes, c’est une piqure de rappel de leur premier album “Infernal Machines” (un des chefs d’œuvre de cette décennie à mon sens). La première impression reste la meilleure. Quelle claque dès la mise en place du thème, une petite mélodie très entêtante. La patte du chef se fait sentir, avec cette impression impeccable de mélange de timbres, de dynamiques et de chamboulements rythmiques très contrôlés, une patte que l’on reconnaitrait entre mille. Il faut dire que le grand instigateur de tout ce fatras musical (dans le bon sens du terme) maitrise à la perfection l’art d’arranger, mais avec encore plus de talent l’art d’orchestrer. Si arranger peut s’apparenter à une technique, orchestrer sollicite l’oreille bien plus que de simplement mélanger du jaune et du bleu pour obtenir du vert. On se laisse happer par l’amoncellement de motifs mélodiques et rythmiques…
Quatre morceaux plus loin, dont l’étrenne Obsidian Flow, deuxième piqure de rappel de l’album “Babylon Brooklyn”, avec sa pièce centrale, construite avec d’autres motifs décalés, sur environ vingt minutes, qui laissera tout l’auditoire ébahi. Personne n’ayant vraiment compris le développement de cette musique, ni même son sujet (très poétique), les applaudissements seront à la hauteur de la surprise, la moitié n’ayant pas réagi. Je vous laisse deviner l’ambiance à couper au couteau ! Public exsangue, pièce à rallonge, citations en tout genre entremêlées d’une marche militaire, suivie d’un intense débordement de cuivres, le tout avec une maitrise orchestral de l’ensemble sans défaut. Tout un univers qui déboussole littéralement l’auditeur. Mr Argue nous emmène exactement là où il souhaite, les mélanges de timbres vous séduisent autant qu’ils vous dérangent. Une formule comme clarinette basse-clarinette-flûte-flûte ténor-piccolo avec un lead à la guitare donnent à peu près la teneur “timbrale” de l’ensemble. Bref, une musique sans cesse en mouvement, sans répit, dense, très imagée, très théâtrale, pleine de rebondissements, des surprises à chaque coin de pages ! Le chef s’agite comme un trublion avec les tics de Mr Bean ! Jubilatoire, excitant, très remuant.
Les solistes sont aussi là pour nous rappeler, tant le matériau est dense, qu’il s’agit aussi ou d’abord (je ne sais plus), de jazz (ou assimilé comme tel par la critique) et d’improvisation. Outre un chef hors norme, cet orchestre est doté d’un personnel à tomber à la renverse : tous ces musiciens sont d’une réelle et entière dévotion à la musique de leur leader ce qui fait que l’ensemble sonne réellement comme aucun autre. Modèle d’intégrité artistique, certains sont là depuis des années, et une certaine parité semble être de mise. Jugez plutôt : une femme au moins à chaque pupitres de cuivres et de d’anches, certaines jouant de plus de trois instruments (les deux sax women jouent de l’alto, de la flûte, de la clarinette et du piccolo !), avec une mention spéciale à Erica Von Kleist, Sharel Cassity et à la trompettiste Nadje Noordhuis. Elles nous rappellent que nous sommes au XXIème siècle, ces femmes là sachant vraiment jouer, avec un vocabulaire plutôt éclectique de musique balkanique, klezmer, certains de leurs solos, plus axés sur des jeux d’intervalles, semblant réincarner Warne Marsh ou Ted Brown. Evitant les clichés bop, leurs solos sont remarquablement construits, lyriques et surprenant de beauté, très inspirés….. La présence aux anches de John Ellis (incendiaire dans “Brooklyn Babylon”) et de Sam Sadigursky renforce encore la cohésion des anches, tout le pupitre étant multi-instrumentiste. Matt Clohesy, imperturbable bassiste et contrebassiste à la carrière exemplaire, rend humblement le son cet orchestre “rond”. Associé au pupitre des trombones, voilà un son d’ensemble unique, généreux, précis, pleins.
Comme un certain nombre d’orchestres actuels, tels John Hollenbeck, Mike Hollober, Jason Lindner, Maria Schneider entre autres, le Darcy James Argue nous démontre qu’il reste encore un vrai champ des possibles, une immense variétés de combinaisons de timbres à nous faire découvrir, faisant mentir ceux qui annoncent la fin programmée ou à l’essoufflement des grands orchestres.
Darcy James Argue est par ailleurs sans doute l’un des plus éclectiques, assumant ses influences. Citons pêle-mêle : Steve Reich, Gil Evans, les recherches les plus poussées de George Russell, la folie de Mingus, l’humanité de Duke Ellington, Kurt Weil pour le côté théâtral (ce dont témoigne “Brooklyn Babylon”), Stravinsky, Ravel, Debussy pourraient en être les pères spirituels – normal, pour un élève de Bob Brookmeyer –, mais encore le son post-rock seventies via Tortoise ou Explosions in the sky, et même… Verdi ! Je crois qu’il y a de tout cela chez ce grand bonhomme, un grammy et des prix divers, des commandes (notamment celle du Newport Jazz Festival, une pièce en rapport avec Diminuendo and Crescendo in Blue dans un système à douze tons avec des citations du maître) sont là pour nous prouver, si toutefois besoin était, qu’il y a beaucoup de Darcy James Argue chez Darcy James Argue…
Il était difficile de rester de marbre. Ceux qui étaient là ont eu raison de prendre la peine (dans son sens plein) d’écouter cette formation, de faire cette démarche plutôt que de bouder (j’ai des noms connus !) l’aventure musicale proposée ce soir-là. Et pourtant, j’ai perçu dans l’auditoire un ennui certain, une écoute distraite, ou une discrète incompréhension. Il est vrai qu’avec certaines oreilles aussi ouvertes que des bigorneaux de Concarneau, il n’est jamais aisé de saisir la dimension d’un tel travail. Amis lecteurs, désertez les territoires arides du marasme culturel ambiant pour un nouveau monde auditif plus qu’attrayant ! Parcourez sans retenue le monde de ce compositeur fantasque et déroutant. Errez, arpentez-le ! Son propos et son orchestre témoignent d’une des très belles voix de cette décennie !
Stéphane Barbier
A signaler : version de “Brooklyn Babylon” avec le plasticien Daniel Žeželj, vidéo projection et jeux de scènes devant renforcer la part de théâtralité de ce super-superbe Big Band.