Jazz em Agosto : James Blood Ulmer Memphis Blood Blues Band feat. Vernon Reid
Jazz em Agosto, ce sont pendant une dizaine de jours dix concerts et six projections de longs-métrages documentaires, sous la tutelle de la Fondation Calouste Gulbenkian, et se déroulant sur le site du musée du même nom.
Rui Neves, directeur de la programmation et authentique passionné de free music (selon le terme proposé par le guitariste Joe Morris), a invité plusieurs figures-clé de ce domaine artistique : les Etats-Uniens Hamid Drake, Bill Laswell et Marc Ribot, les Britanniques Fred Frith et Evan Parker, les Français Joëlle Léandre et Marc Ducret, le Japonais Keiji Haino, l’Autrichien Frantz Hautzinger, le Suisse Urs Leimgruber, sans oublier les lumières locales en la matière. Mais c’est avec un jazzman quasi-repenti que s’ouvre cette 31e édition puisqu’il s’agit de James Blood Ulmer, lequel se voue exclusivement au blues le plus orthodoxe depuis une quinzaine années.
Vendredi 1er Août 2014, Amphithéâtre du Musée Gulbenkian, Lisbonne
James Blood Ulmer (elg, voc), Vernon Reid (elg), Charles Burnham (vln), Leon Gruenbaum (p, org, cla), David Barnes (hca), Mark Peterson (elb), Aubrey Dayle (dm).
James « Blood » Ulmer, natif de la Caroline du Sud, a débuté sur son instrument à l’âge de quatre ans, et grandi au contact des chants de l’Eglise Baptiste, à laquelle appartenaient ses parents. Après des débuts professionnels dans le gospel et le doo-wop (dont on retrouve des effluves ce soir via les chœurs assurés par les membres du groupe sur quelques titres), ses premiers pas en territoires jazz et soul se firent au contact des organistes Richard « Groove » Holmes, Jimmy Smith et Hank Marr. Mais c’est chez un autre organiste, John Patton, que l’on commence vraiment à le remarquer au mitan des années 60 sur une poignée d’albums Blue Note. On le retrouve dans la foulée auprès de musiciens aux visées progressistes, tels le saxophoniste Joe Henderson ou l’organiste Larry Young, sa palette trouvant à s’enrichir dans ces différents contextes. Il développe surtout la sonorité qu’on lui connaît aujourd’hui au contact d’Ornette Coleman dans la deuxième moitié des années 70. Fort de cette expérience, « Blood » forme alors les groupes Odyssey the Band, Music Revelation Ensemble, Phalanx (il les ressuscite depuis au gré de ses envies), et prend part à des projets ponctuels tels que Third Rail, New Art Jazz Quartet, The 52nd Street Blues Project… Ces formations sont l’occasion d’enregistrer avec Sam Rivers, James Carter, Jamaaladeen Tacuma, Amina Claudine Myers, Bill Laswell, Pharoah Sanders, Ronald Shannon Jackson, Sirone, George Adams, David Murray, John Zorn… Il se produit aussi en solo. Enfin, ce géant débonnaire de 72 ans entame à l’orée du siècle une collaboration fructueuse avec le guitariste Vernon Reid (membre fondateur de Living Colour et producteur très actif). Quelques partenaires de longue date les entourent dans le projet « Memphis Blood Blues Band ».
Ça commence à la manière d’un show de James Brown : le groupe chauffe la salle avec un instrumental ayant pour fonction d’installer une atmosphère, celle d’un blues enjoué et funky qui occupera en effet le cœur de la soirée. Des solos d’harmonica, de violon et de guitare (Vernon Reid sous les projecteurs avant que de céder la place au leader) se succèdent prestement, la section rythmique bande ses muscles, le claviériste recourt à des synthés que l’on est en droit de trouver étonnants dans ce contexte – mais la décoction fonctionne du feu de dieu et la suite ne démentira pas l’impression initiale. Reid présente le groupe façon aboyeur et annonce l’arrivée du leader : « Mr. James Blood Ulmer, boss of the harmolodic house ! »
Sans un mot, ce dernier attaque directement par un solo non accompagné, régalant le public de sa sonorité flamboyante, qu’il emmènera dans tous les recoins du blues durant une prestation de près de deux heures. Evocatrice de celle d’un John Lee Hooker dans le timbre comme dans les inflexions, sa voix profonde et résonante est parfaite pour le genre. Selon Matthew Shipp, et bien que leurs musiques n’entretiennent pas le moindre rapport, « Blood is the real thing, the real McCoy! »… Reid et « Blood » intervertissent parfois les rôles, mais quelle que soit la voie choisie, les sonorités de métal fondu que « Captain Black » tire de son instrument s’insèrent dans tous les interstices de la musique. Hormis son jeu déjeté, la structure et le traitement des morceaux sont étonnamment straight, se gardant de toute excentricité. La pâte sonore est riche, pétrie d’une notion de plénitude, et les tempos galopants sont majoritaires, avec plusieurs boogie-woogie endiablés, tels Dead Presidents, ou Baby I Want to be Loved (composé par Willie Dixon). Les seize chansons interprétées ce soir ne dévient jamais de l’idiome du blues, un blues paradoxalement proactif donc. Le groupe, dont chaque membre est digne d’éloges, affiche une belle cohésion, résultat des années de travail passées ensemble. L’harmoniciste fait l’unanimité, et livre un solo dantesque qui fait de lui le musicien le plus applaudi de la soirée. Leon Gruenbaum n’est pas en reste, qui passe avec gourmandise du Clavinet au Fender Rhodes, de l’orgue Hammond au piano, variant les textures et adoptant des modes de jeu différents selon l’instrument choisi. Reste à signaler un coup de sang franchement country hillbilly, sur lequel le violoniste s’en donne à cœur joie, et deux plages tranchant avec le reste du programme puisqu’il s’y agit de blues dépouillés, d’une extrême lenteur, dont on aurait bien repris une tranche. Le violon électrique y ponctue les ruminations du leader alors centré sur le chant. Mais le final renouera avec l’esprit festif qui domine le set (« It’s a party! » me souffle le critique Daniel Spicer du magazine The Wire), Ulmer laissant au groupe le soin de conclure la soirée façon feu d’artifice. The Blues Had a Baby and they Called it Rock’n roll !
Désormais chantre d’un blues à la fois orthodoxe et groovy en diable, Ulmer ne dépareillerait pas dans les festivals consacrés au genre. Ce concert inaugural a le mérite d’être accessible au plus grand nombre et constitue une excellente entrée en matière à la manifestation, qui se poursuit de manière contrastée avec le duo transatlantique Evan Parker / Matthew Shipp .
David Cristol
Post Scriptum. Après le concert, les festivaliers trouvent sur leur chemin un stand de disques, proposant des productions Clean Feed, Intakt, Tzadik, RogueArt, Not Two, Victo…, neuf et d’occasion. Une foule euphorique se fraye un passage auprès des CD, s’en emparant, consultant les pochettes, discutant avec ses voisins au sujet de la musique, prenant avis et conseils, faisant des choix et repartant avec des piles de galettes achetées de bon cœur. Consulté sur cet engouement, Pedro Costa, alias Mister Clean Feed, confirme, « C’est toujours comme ça, ici les gens s’enthousiasment pour la musique et lorsqu’un concert leur plaît, ils veulent repartir avec un souvenir et dans l’élan sont également prêts à découvrir des choses qu’ils ne connaissent pas. » Autant dire qu’il ne reste plus un seul disque de James Blood Ulmer au bout de quelques minutes. La machine à carte bleue passe de main en main avec célérité, les CD exposés disparaissent à un rythme stupéfiant et de nouveaux exemplaires sont aussitôt mis à disposition par une dizaine de mains agiles…|Jazz em Agosto, ce sont pendant une dizaine de jours dix concerts et six projections de longs-métrages documentaires, sous la tutelle de la Fondation Calouste Gulbenkian, et se déroulant sur le site du musée du même nom.
Rui Neves, directeur de la programmation et authentique passionné de free music (selon le terme proposé par le guitariste Joe Morris), a invité plusieurs figures-clé de ce domaine artistique : les Etats-Uniens Hamid Drake, Bill Laswell et Marc Ribot, les Britanniques Fred Frith et Evan Parker, les Français Joëlle Léandre et Marc Ducret, le Japonais Keiji Haino, l’Autrichien Frantz Hautzinger, le Suisse Urs Leimgruber, sans oublier les lumières locales en la matière. Mais c’est avec un jazzman quasi-repenti que s’ouvre cette 31e édition puisqu’il s’agit de James Blood Ulmer, lequel se voue exclusivement au blues le plus orthodoxe depuis une quinzaine années.
Vendredi 1er Août 2014, Amphithéâtre du Musée Gulbenkian, Lisbonne
James Blood Ulmer (elg, voc), Vernon Reid (elg), Charles Burnham (vln), Leon Gruenbaum (p, org, cla), David Barnes (hca), Mark Peterson (elb), Aubrey Dayle (dm).
James « Blood » Ulmer, natif de la Caroline du Sud, a débuté sur son instrument à l’âge de quatre ans, et grandi au contact des chants de l’Eglise Baptiste, à laquelle appartenaient ses parents. Après des débuts professionnels dans le gospel et le doo-wop (dont on retrouve des effluves ce soir via les chœurs assurés par les membres du groupe sur quelques titres), ses premiers pas en territoires jazz et soul se firent au contact des organistes Richard « Groove » Holmes, Jimmy Smith et Hank Marr. Mais c’est chez un autre organiste, John Patton, que l’on commence vraiment à le remarquer au mitan des années 60 sur une poignée d’albums Blue Note. On le retrouve dans la foulée auprès de musiciens aux visées progressistes, tels le saxophoniste Joe Henderson ou l’organiste Larry Young, sa palette trouvant à s’enrichir dans ces différents contextes. Il développe surtout la sonorité qu’on lui connaît aujourd’hui au contact d’Ornette Coleman dans la deuxième moitié des années 70. Fort de cette expérience, « Blood » forme alors les groupes Odyssey the Band, Music Revelation Ensemble, Phalanx (il les ressuscite depuis au gré de ses envies), et prend part à des projets ponctuels tels que Third Rail, New Art Jazz Quartet, The 52nd Street Blues Project… Ces formations sont l’occasion d’enregistrer avec Sam Rivers, James Carter, Jamaaladeen Tacuma, Amina Claudine Myers, Bill Laswell, Pharoah Sanders, Ronald Shannon Jackson, Sirone, George Adams, David Murray, John Zorn… Il se produit aussi en solo. Enfin, ce géant débonnaire de 72 ans entame à l’orée du siècle une collaboration fructueuse avec le guitariste Vernon Reid (membre fondateur de Living Colour et producteur très actif). Quelques partenaires de longue date les entourent dans le projet « Memphis Blood Blues Band ».
Ça commence à la manière d’un show de James Brown : le groupe chauffe la salle avec un instrumental ayant pour fonction d’installer une atmosphère, celle d’un blues enjoué et funky qui occupera en effet le cœur de la soirée. Des solos d’harmonica, de violon et de guitare (Vernon Reid sous les projecteurs avant que de céder la place au leader) se succèdent prestement, la section rythmique bande ses muscles, le claviériste recourt à des synthés que l’on est en droit de trouver étonnants dans ce contexte – mais la décoction fonctionne du feu de dieu et la suite ne démentira pas l’impression initiale. Reid présente le groupe façon aboyeur et annonce l’arrivée du leader : « Mr. James Blood Ulmer, boss of the harmolodic house ! »
Sans un mot, ce dernier attaque directement par un solo non accompagné, régalant le public de sa sonorité flamboyante, qu’il emmènera dans tous les recoins du blues durant une prestation de près de deux heures. Evocatrice de celle d’un John Lee Hooker dans le timbre comme dans les inflexions, sa voix profonde et résonante est parfaite pour le genre. Selon Matthew Shipp, et bien que leurs musiques n’entretiennent pas le moindre rapport, « Blood is the real thing, the real McCoy! »… Reid et « Blood » intervertissent parfois les rôles, mais quelle que soit la voie choisie, les sonorités de métal fondu que « Captain Black » tire de son instrument s’insèrent dans tous les interstices de la musique. Hormis son jeu déjeté, la structure et le traitement des morceaux sont étonnamment straight, se gardant de toute excentricité. La pâte sonore est riche, pétrie d’une notion de plénitude, et les tempos galopants sont majoritaires, avec plusieurs boogie-woogie endiablés, tels Dead Presidents, ou Baby I Want to be Loved (composé par Willie Dixon). Les seize chansons interprétées ce soir ne dévient jamais de l’idiome du blues, un blues paradoxalement proactif donc. Le groupe, dont chaque membre est digne d’éloges, affiche une belle cohésion, résultat des années de travail passées ensemble. L’harmoniciste fait l’unanimité, et livre un solo dantesque qui fait de lui le musicien le plus applaudi de la soirée. Leon Gruenbaum n’est pas en reste, qui passe avec gourmandise du Clavinet au Fender Rhodes, de l’orgue Hammond au piano, variant les textures et adoptant des modes de jeu différents selon l’instrument choisi. Reste à signaler un coup de sang franchement country hillbilly, sur lequel le violoniste s’en donne à cœur joie, et deux plages tranchant avec le reste du programme puisqu’il s’y agit de blues dépouillés, d’une extrême lenteur, dont on aurait bien repris une tranche. Le violon électrique y ponctue les ruminations du leader alors centré sur le chant. Mais le final renouera avec l’esprit festif qui domine le set (« It’s a party! » me souffle le critique Daniel Spicer du magazine The Wire), Ulmer laissant au groupe le soin de conclure la soirée façon feu d’artifice. The Blues Had a Baby and they Called it Rock’n roll !
Désormais chantre d’un blues à la fois orthodoxe et groovy en diable, Ulmer ne dépareillerait pas dans les festivals consacrés au genre. Ce concert inaugural a le mérite d’être accessible au plus grand nombre et constitue une excellente entrée en matière à la manifestation, qui se poursuit de manière contrastée avec le duo transatlantique Evan Parker / Matthew Shipp .
David Cristol
Post Scriptum. Après le concert, les festivaliers trouvent sur leur chemin un stand de disques, proposant des productions Clean Feed, Intakt, Tzadik, RogueArt, Not Two, Victo…, neuf et d’occasion. Une foule euphorique se fraye un passage auprès des CD, s’en emparant, consultant les pochettes, discutant avec ses voisins au sujet de la musique, prenant avis et conseils, faisant des choix et repartant avec des piles de galettes achetées de bon cœur. Consulté sur cet engouement, Pedro Costa, alias Mister Clean Feed, confirme, « C’est toujours comme ça, ici les gens s’enthousiasment pour la musique et lorsqu’un concert leur plaît, ils veulent repartir avec un souvenir et dans l’élan sont également prêts à découvrir des choses qu’ils ne connaissent pas. » Autant dire qu’il ne reste plus un seul disque de James Blood Ulmer au bout de quelques minutes. La machine à carte bleue passe de main en main avec célérité, les CD exposés disparaissent à un rythme stupéfiant et de nouveaux exemplaires sont aussitôt mis à disposition par une dizaine de mains agiles…|Jazz em Agosto, ce sont pendant une dizaine de jours dix concerts et six projections de longs-métrages documentaires, sous la tutelle de la Fondation Calouste Gulbenkian, et se déroulant sur le site du musée du même nom.
Rui Neves, directeur de la programmation et authentique passionné de free music (selon le terme proposé par le guitariste Joe Morris), a invité plusieurs figures-clé de ce domaine artistique : les Etats-Uniens Hamid Drake, Bill Laswell et Marc Ribot, les Britanniques Fred Frith et Evan Parker, les Français Joëlle Léandre et Marc Ducret, le Japonais Keiji Haino, l’Autrichien Frantz Hautzinger, le Suisse Urs Leimgruber, sans oublier les lumières locales en la matière. Mais c’est avec un jazzman quasi-repenti que s’ouvre cette 31e édition puisqu’il s’agit de James Blood Ulmer, lequel se voue exclusivement au blues le plus orthodoxe depuis une quinzaine années.
Vendredi 1er Août 2014, Amphithéâtre du Musée Gulbenkian, Lisbonne
James Blood Ulmer (elg, voc), Vernon Reid (elg), Charles Burnham (vln), Leon Gruenbaum (p, org, cla), David Barnes (hca), Mark Peterson (elb), Aubrey Dayle (dm).
James « Blood » Ulmer, natif de la Caroline du Sud, a débuté sur son instrument à l’âge de quatre ans, et grandi au contact des chants de l’Eglise Baptiste, à laquelle appartenaient ses parents. Après des débuts professionnels dans le gospel et le doo-wop (dont on retrouve des effluves ce soir via les chœurs assurés par les membres du groupe sur quelques titres), ses premiers pas en territoires jazz et soul se firent au contact des organistes Richard « Groove » Holmes, Jimmy Smith et Hank Marr. Mais c’est chez un autre organiste, John Patton, que l’on commence vraiment à le remarquer au mitan des années 60 sur une poignée d’albums Blue Note. On le retrouve dans la foulée auprès de musiciens aux visées progressistes, tels le saxophoniste Joe Henderson ou l’organiste Larry Young, sa palette trouvant à s’enrichir dans ces différents contextes. Il développe surtout la sonorité qu’on lui connaît aujourd’hui au contact d’Ornette Coleman dans la deuxième moitié des années 70. Fort de cette expérience, « Blood » forme alors les groupes Odyssey the Band, Music Revelation Ensemble, Phalanx (il les ressuscite depuis au gré de ses envies), et prend part à des projets ponctuels tels que Third Rail, New Art Jazz Quartet, The 52nd Street Blues Project… Ces formations sont l’occasion d’enregistrer avec Sam Rivers, James Carter, Jamaaladeen Tacuma, Amina Claudine Myers, Bill Laswell, Pharoah Sanders, Ronald Shannon Jackson, Sirone, George Adams, David Murray, John Zorn… Il se produit aussi en solo. Enfin, ce géant débonnaire de 72 ans entame à l’orée du siècle une collaboration fructueuse avec le guitariste Vernon Reid (membre fondateur de Living Colour et producteur très actif). Quelques partenaires de longue date les entourent dans le projet « Memphis Blood Blues Band ».
Ça commence à la manière d’un show de James Brown : le groupe chauffe la salle avec un instrumental ayant pour fonction d’installer une atmosphère, celle d’un blues enjoué et funky qui occupera en effet le cœur de la soirée. Des solos d’harmonica, de violon et de guitare (Vernon Reid sous les projecteurs avant que de céder la place au leader) se succèdent prestement, la section rythmique bande ses muscles, le claviériste recourt à des synthés que l’on est en droit de trouver étonnants dans ce contexte – mais la décoction fonctionne du feu de dieu et la suite ne démentira pas l’impression initiale. Reid présente le groupe façon aboyeur et annonce l’arrivée du leader : « Mr. James Blood Ulmer, boss of the harmolodic house ! »
Sans un mot, ce dernier attaque directement par un solo non accompagné, régalant le public de sa sonorité flamboyante, qu’il emmènera dans tous les recoins du blues durant une prestation de près de deux heures. Evocatrice de celle d’un John Lee Hooker dans le timbre comme dans les inflexions, sa voix profonde et résonante est parfaite pour le genre. Selon Matthew Shipp, et bien que leurs musiques n’entretiennent pas le moindre rapport, « Blood is the real thing, the real McCoy! »… Reid et « Blood » intervertissent parfois les rôles, mais quelle que soit la voie choisie, les sonorités de métal fondu que « Captain Black » tire de son instrument s’insèrent dans tous les interstices de la musique. Hormis son jeu déjeté, la structure et le traitement des morceaux sont étonnamment straight, se gardant de toute excentricité. La pâte sonore est riche, pétrie d’une notion de plénitude, et les tempos galopants sont majoritaires, avec plusieurs boogie-woogie endiablés, tels Dead Presidents, ou Baby I Want to be Loved (composé par Willie Dixon). Les seize chansons interprétées ce soir ne dévient jamais de l’idiome du blues, un blues paradoxalement proactif donc. Le groupe, dont chaque membre est digne d’éloges, affiche une belle cohésion, résultat des années de travail passées ensemble. L’harmoniciste fait l’unanimité, et livre un solo dantesque qui fait de lui le musicien le plus applaudi de la soirée. Leon Gruenbaum n’est pas en reste, qui passe avec gourmandise du Clavinet au Fender Rhodes, de l’orgue Hammond au piano, variant les textures et adoptant des modes de jeu différents selon l’instrument choisi. Reste à signaler un coup de sang franchement country hillbilly, sur lequel le violoniste s’en donne à cœur joie, et deux plages tranchant avec le reste du programme puisqu’il s’y agit de blues dépouillés, d’une extrême lenteur, dont on aurait bien repris une tranche. Le violon électrique y ponctue les ruminations du leader alors centré sur le chant. Mais le final renouera avec l’esprit festif qui domine le set (« It’s a party! » me souffle le critique Daniel Spicer du magazine The Wire), Ulmer laissant au groupe le soin de conclure la soirée façon feu d’artifice. The Blues Had a Baby and they Called it Rock’n roll !
Désormais chantre d’un blues à la fois orthodoxe et groovy en diable, Ulmer ne dépareillerait pas dans les festivals consacrés au genre. Ce concert inaugural a le mérite d’être accessible au plus grand nombre et constitue une excellente entrée en matière à la manifestation, qui se poursuit de manière contrastée avec le duo transatlantique Evan Parker / Matthew Shipp .
David Cristol
Post Scriptum. Après le concert, les festivaliers trouvent sur leur chemin un stand de disques, proposant des productions Clean Feed, Intakt, Tzadik, RogueArt, Not Two, Victo…, neuf et d’occasion. Une foule euphorique se fraye un passage auprès des CD, s’en emparant, consultant les pochettes, discutant avec ses voisins au sujet de la musique, prenant avis et conseils, faisant des choix et repartant avec des piles de galettes achetées de bon cœur. Consulté sur cet engouement, Pedro Costa, alias Mister Clean Feed, confirme, « C’est toujours comme ça, ici les gens s’enthousiasment pour la musique et lorsqu’un concert leur plaît, ils veulent repartir avec un souvenir et dans l’élan sont également prêts à découvrir des choses qu’ils ne connaissent pas. » Autant dire qu’il ne reste plus un seul disque de James Blood Ulmer au bout de quelques minutes. La machine à carte bleue passe de main en main avec célérité, les CD exposés disparaissent à un rythme stupéfiant et de nouveaux exemplaires sont aussitôt mis à disposition par une dizaine de mains agiles…|Jazz em Agosto, ce sont pendant une dizaine de jours dix concerts et six projections de longs-métrages documentaires, sous la tutelle de la Fondation Calouste Gulbenkian, et se déroulant sur le site du musée du même nom.
Rui Neves, directeur de la programmation et authentique passionné de free music (selon le terme proposé par le guitariste Joe Morris), a invité plusieurs figures-clé de ce domaine artistique : les Etats-Uniens Hamid Drake, Bill Laswell et Marc Ribot, les Britanniques Fred Frith et Evan Parker, les Français Joëlle Léandre et Marc Ducret, le Japonais Keiji Haino, l’Autrichien Frantz Hautzinger, le Suisse Urs Leimgruber, sans oublier les lumières locales en la matière. Mais c’est avec un jazzman quasi-repenti que s’ouvre cette 31e édition puisqu’il s’agit de James Blood Ulmer, lequel se voue exclusivement au blues le plus orthodoxe depuis une quinzaine années.
Vendredi 1er Août 2014, Amphithéâtre du Musée Gulbenkian, Lisbonne
James Blood Ulmer (elg, voc), Vernon Reid (elg), Charles Burnham (vln), Leon Gruenbaum (p, org, cla), David Barnes (hca), Mark Peterson (elb), Aubrey Dayle (dm).
James « Blood » Ulmer, natif de la Caroline du Sud, a débuté sur son instrument à l’âge de quatre ans, et grandi au contact des chants de l’Eglise Baptiste, à laquelle appartenaient ses parents. Après des débuts professionnels dans le gospel et le doo-wop (dont on retrouve des effluves ce soir via les chœurs assurés par les membres du groupe sur quelques titres), ses premiers pas en territoires jazz et soul se firent au contact des organistes Richard « Groove » Holmes, Jimmy Smith et Hank Marr. Mais c’est chez un autre organiste, John Patton, que l’on commence vraiment à le remarquer au mitan des années 60 sur une poignée d’albums Blue Note. On le retrouve dans la foulée auprès de musiciens aux visées progressistes, tels le saxophoniste Joe Henderson ou l’organiste Larry Young, sa palette trouvant à s’enrichir dans ces différents contextes. Il développe surtout la sonorité qu’on lui connaît aujourd’hui au contact d’Ornette Coleman dans la deuxième moitié des années 70. Fort de cette expérience, « Blood » forme alors les groupes Odyssey the Band, Music Revelation Ensemble, Phalanx (il les ressuscite depuis au gré de ses envies), et prend part à des projets ponctuels tels que Third Rail, New Art Jazz Quartet, The 52nd Street Blues Project… Ces formations sont l’occasion d’enregistrer avec Sam Rivers, James Carter, Jamaaladeen Tacuma, Amina Claudine Myers, Bill Laswell, Pharoah Sanders, Ronald Shannon Jackson, Sirone, George Adams, David Murray, John Zorn… Il se produit aussi en solo. Enfin, ce géant débonnaire de 72 ans entame à l’orée du siècle une collaboration fructueuse avec le guitariste Vernon Reid (membre fondateur de Living Colour et producteur très actif). Quelques partenaires de longue date les entourent dans le projet « Memphis Blood Blues Band ».
Ça commence à la manière d’un show de James Brown : le groupe chauffe la salle avec un instrumental ayant pour fonction d’installer une atmosphère, celle d’un blues enjoué et funky qui occupera en effet le cœur de la soirée. Des solos d’harmonica, de violon et de guitare (Vernon Reid sous les projecteurs avant que de céder la place au leader) se succèdent prestement, la section rythmique bande ses muscles, le claviériste recourt à des synthés que l’on est en droit de trouver étonnants dans ce contexte – mais la décoction fonctionne du feu de dieu et la suite ne démentira pas l’impression initiale. Reid présente le groupe façon aboyeur et annonce l’arrivée du leader : « Mr. James Blood Ulmer, boss of the harmolodic house ! »
Sans un mot, ce dernier attaque directement par un solo non accompagné, régalant le public de sa sonorité flamboyante, qu’il emmènera dans tous les recoins du blues durant une prestation de près de deux heures. Evocatrice de celle d’un John Lee Hooker dans le timbre comme dans les inflexions, sa voix profonde et résonante est parfaite pour le genre. Selon Matthew Shipp, et bien que leurs musiques n’entretiennent pas le moindre rapport, « Blood is the real thing, the real McCoy! »… Reid et « Blood » intervertissent parfois les rôles, mais quelle que soit la voie choisie, les sonorités de métal fondu que « Captain Black » tire de son instrument s’insèrent dans tous les interstices de la musique. Hormis son jeu déjeté, la structure et le traitement des morceaux sont étonnamment straight, se gardant de toute excentricité. La pâte sonore est riche, pétrie d’une notion de plénitude, et les tempos galopants sont majoritaires, avec plusieurs boogie-woogie endiablés, tels Dead Presidents, ou Baby I Want to be Loved (composé par Willie Dixon). Les seize chansons interprétées ce soir ne dévient jamais de l’idiome du blues, un blues paradoxalement proactif donc. Le groupe, dont chaque membre est digne d’éloges, affiche une belle cohésion, résultat des années de travail passées ensemble. L’harmoniciste fait l’unanimité, et livre un solo dantesque qui fait de lui le musicien le plus applaudi de la soirée. Leon Gruenbaum n’est pas en reste, qui passe avec gourmandise du Clavinet au Fender Rhodes, de l’orgue Hammond au piano, variant les textures et adoptant des modes de jeu différents selon l’instrument choisi. Reste à signaler un coup de sang franchement country hillbilly, sur lequel le violoniste s’en donne à cœur joie, et deux plages tranchant avec le reste du programme puisqu’il s’y agit de blues dépouillés, d’une extrême lenteur, dont on aurait bien repris une tranche. Le violon électrique y ponctue les ruminations du leader alors centré sur le chant. Mais le final renouera avec l’esprit festif qui domine le set (« It’s a party! » me souffle le critique Daniel Spicer du magazine The Wire), Ulmer laissant au groupe le soin de conclure la soirée façon feu d’artifice. The Blues Had a Baby and they Called it Rock’n roll !
Désormais chantre d’un blues à la fois orthodoxe et groovy en diable, Ulmer ne dépareillerait pas dans les festivals consacrés au genre. Ce concert inaugural a le mérite d’être accessible au plus grand nombre et constitue une excellente entrée en matière à la manifestation, qui se poursuit de manière contrastée avec le duo transatlantique Evan Parker / Matthew Shipp .
David Cristol
Post Scriptum. Après le concert, les festivaliers trouvent sur leur chemin un stand de disques, proposant des productions Clean Feed, Intakt, Tzadik, RogueArt, Not Two, Victo…, neuf et d’occasion. Une foule euphorique se fraye un passage auprès des CD, s’en emparant, consultant les pochettes, discutant avec ses voisins au sujet de la musique, prenant avis et conseils, faisant des choix et repartant avec des piles de galettes achetées de bon cœur. Consulté sur cet engouement, Pedro Costa, alias Mister Clean Feed, confirme, « C’est toujours comme ça, ici les gens s’enthousiasment pour la musique et lorsqu’un concert leur plaît, ils veulent repartir avec un souvenir et dans l’élan sont également prêts à découvrir des choses qu’ils ne connaissent pas. » Autant dire qu’il ne reste plus un seul disque de James Blood Ulmer au bout de quelques minutes. La machine à carte bleue passe de main en main avec célérité, les CD exposés disparaissent à un rythme stupéfiant et de nouveaux exemplaires sont aussitôt mis à disposition par une dizaine de mains agiles…