Où l’on voit Hélène Labarrière danser la gavotte…
Est-ce bien raisonnable ? Le rédacteur en chef de Jazz Magazine a passé son week-end à écouter des musiques folkloriques qui ne lui donnent même l’excuse du métissé (quoique), du tropical, du sub-méditerranéen. Il en a trouvé d’autres…
L’alibi Labarrière
C’était donc les 9 et 10 août, à La Villette, dans le cadre des Scènes d’été édition 2014. Au programme : stages d’initiation au violon et à l’accordéon diatonique animés respectivement par Jacky Molard et Janick Martin, initiation à la danse bretonne, fest-noz, et le lendemain atelier de cuisine celte, jam session irlandaise autour de l’accordéoniste Martin O’Connor qui clôturait le week-end par un concert précédé d’un autre par le quartette de Jacky Molard… Ah ! Voilà bien un alibi. Les jazzfans qui ne connaissent pas le violoniste me considèreront avec perplexité. Alors, signalons leur que la contrebassiste du groupe est Hélène Labarrière qui fréquenta le Petit Opportun et autres clubs parisiens aux côtés du guitariste Pierre Brunel (pour ceux qui se souviennent de ce merveilleux héritier de Jimmy Raney et René Thomas), Slide Hampton, Johnny Griffin, Art Farmer, Alain Jean-Marie, André Villéger. On l’a croisé ensuite au sein du quartette d’Eric Barret avec Marc Ducret et Peter Gritz. Elle a été la partenaire musicale de Daniel Humair, au sein du collectif Incidences de François Corneloup, Sylvain Kassap et Franck Tortiller. Puis elle a commencé à monter ses propres projets, le dernier en date avec François Corneloup, Hasse Poulsen et Christophe Marguet. Et…
Dourcam
Ben tenez, la voilà justement qui monte sur scène pour le fest-noz. Au centre de la scène, couple de chanteurs de kan ha diskan (le chant breton à répons et à danser) formé par Annie Ebrel (qui fut la complice de Riccardo del Fra et que l’on croise régulièrement avec Olivier Ker Ourio et quelques autres) et Lors Jouin (que certains parents connaissent parce qu’il est l’une des deux voix des Ours du Scorff). De part et d’autre s’installent Hélène Labarrière, le violoniste Jacky Molard, le joueur de cistre Ronan Pellen (grosse mandoline ténor à cinq chœurs de doubles cordes) et… mais là j’ai peur que ma mémoire ne me trahisse, l’accordéoniste Janick Martin, qu’on entendra bien au cours du Fest Noz, mais je ne sais plus bien dans quelle combinaison… sachant qu’en temps normal, il ne fait pas partie de ce groupe régulier appelé Dourcam. Peu importe. Car tout ce petit monde va se mélanger, se combiner (le mot combo, ça vient de là), se recombiner, et l’on retrouvera de toute façon Jannick Martin le lendemain au sein du quartette de Jacky Molard. Bref, autour de notre couple à voix – droiture, énergie, tendresse d’Annie Ebrel, bravoure, faconde, espièglerie de Lors Join avec une once de comedia dell’arte visitant la tradition bretonne, les deux s’échauffant l’un l’autre –, ça irlandise, ça balkanise, ça chromatise, ça harmonise et substitue, ça syncope et ça swingue, ça groove, bref ça barde.
J’ai la mémoire qui flanche
J’ai le tort de suivre le groupe en coulisses pour congratulations et de déserter le parterre alors que s’installe l’un des plus beaux couples de sonneurs qui soient : Patrick Molard au biniou (que l’on entendit au uilleann pipe irlandais avec son frère Jacky au sein de la Celtic Procession de Jacques Pellen, avec Kenny Wheeler ou Paolo Fresu, Riccardo Del Fra, Eric Barret…) et Yves Berthou à la bombarde (en d’autres contexters, il joue également du uilleann pipe et des small pipes écossais) que, quittant les coulisses, je retrouve dans la chaîne d’une gavotte, d’un plinn ou d’un laridé à 6 temps, donnant le bras à Hélène Labarrière. Mais alors qui joue à ce moment là. Peut-être Jannick Martin porté poussé par le cistre-locomotive de Ronan Pellen ? C’est là que ma mémoire se brouille.
Kan ha diskan et beatbox
Dans les coulisses, je retrouve le chanteur traditionnel breton Erik Marchand (qui joua de la clarinette au sein du Quintette de clarinettes avec Louis Sclavis et chanta en trio avec Paolo Fresu et Jacques Pellen, Henri Texier venant même donner la main). À la veille d’un nouveau voyage à Carancebes (sud ouest de Timisoara) où il m’entraîna à la fin des années 1990, il évoque quelques souvenirs puis vante les qualités de Christophe Le Menn, chanteur traditionnel et beat-boxer, qui rejoint la scène pour un duo avec Lors Jouin. Chanteur, il l’est dans la plus grande tradition, et à son contact Lors Jouin s’enflamme et fait monter d’un cran la transe atteinte par la version orchestrale de tout à l’heure, avec quelque chose qui, dans la variation sur les paroles traditionnelles, évoque les joutes orales du dirty dozen ou du repente brésilien, puis Le Menn donne la réplique à son maître Erik Marchand : c’est plus droit, tendu à l’extrême, jusqu’à ce que la corde lâche… et voici que Le Menn déchante (Kan ha diskan : chant et déchant) en beat-boxant. L’effet est saisissant. D’un saisissement qui menace vite de s’épuiser, mais l’idée est intéressante, d’autant plus que le beat-boxer est excellent. Le public est en tout cas au comble de l’enthousiasme et là… Lors Jouin se fâche tout rouge et fait monter Dourcam sur scène pour un dernier set endiablé. Annie Ebrel à ses côtés semblent se souvenir que tous deux ont à leur répertoire un programme de disputes (et oui, la Bretagne a aussi ses joutes verbales) et se déchaîne face à Jouin qui en plus de l’espièglerie de Scapin ajoute puissance, grandeur, hauteur, une ferveur qui évoque Nusrat Fateh Ali Khan, analogie qui venait déjà l’esprit lorsqu’il chantait au sein de Toud Sames, un groupe dont je n’ai jamais compris qu’il n’ait jamais trouvé sa place sur la scène française. À leurs côtés, les instrumentistes de Dourcam grondent, brament, rugissent…
Parenthèse littéraire
Dans les coulisses, je salue Patrick Molard que je sais spécialiste du pibroch (grande tradition de cornemuse écossaise qui, à partir de motifs minimalistes, fait l’objet de longues variations selon un découpage très codé en plusieurs mouvements. La encore les amateurs de transe sont servis). J’en profite pour lui demander s’il connaît La Grande Musique de la romancière Kirsty Gunn, dont j’ai entamé la lecture, une lecture difficile, malaisée, mais qui me tient en haleine depuis le début de l’été. Il vient de s’y mettre et parle déjà d’acquérir l’édition anglaise et, en dépit de l’obstacle de la langue, je lui avoue que j’y songe aussi. Car dans cette élégie – « Non pas un roman, dit-elle, mais une élégie, comme Virginia Woolf décrivait toute son œuvre. » –, si les méandres de l’histoire – qui s’apparente à la littérature du flux de conscience et qui entremêle l’archive à la fiction – sont d’une complexité inouïe, cette histoire « sonne autant qu’elle raconte… », car telle est le pari déclaré de l’auteure et nous ne saurons si elle l’a remporté qu’en remontant à la langue originale. Par bonheur, hormis le jargon musical et historique qui fait l’objet d’importantes annexes (l’une des difficultés de l’ouvrage, auquel il faut savoir se soumettre dans un esprit de gai savoir), le vocabulaire est simple : écoutez l’acteur Brian Cox dire les premières lignes, et relisons à haute voix ce premier motif – I Don’t Mind – d’où, comme en un pibroch (le découpage du roman reprenant les mouvements traditionnels du pibroch), va découler tout le reste : « The Hills only come back the s
ame : I don’t mind, and all the flat moorland and the sky. I don’t mind they says, and the water says it too, those black falls are rimmed with pet, and the mountains in the distance to the west says it, and to the north… » Par sûr d’avoir rencontré cette musicalité dans la traduction française qui pourtant me tient en haleine depuis plusieurs semaines par la tradition, la vie et les paysages qu’elle évoque malgré tout.
Jacky Molard Quartet
Le lendemain, avec le quartette de Jacky Molard, on retrouvera l’énergie de la veille transposée dans le seul mode instrumental. Le leader est à la manœuvre, avec un violon qui s’est dégourdi dans les fest-noz, s’est affiné en Irlande et s’est encanaillé dans les Balkans, plus l’utopie improvisée du jazz, voire de l’Inde, et les images mentales que supposent tous ces voyages. Elles irriguent l’écriture du répertoire qui, passée elle aussi par la Bretagne, l’Irlande, les Balkans et même l’Espagne du 15ème siècle, trouve son climax dans une longue suite finale inspirée de l’Ecosse justement et de ses pibrochs. Le saxophoniste Yannick Jory (soprano et alto) associe des compétences d’improvisateur à une maîtrise de l’ornementation instrumentale traditionnelle dont la mécanique du saxophone ne permet pas aisément de reproduire la nervosité et la légèreté. Janick Martin fait des prodiges sur sa petite boîte à frissons, un diatonique, presque un jouet, qu’il fait bouillir comme une marmite, dont il tire les improvisations les plus folles, les rythmes les plus entêtants, les mélodies les plus poignantes et des longs bourdons qui portent les moments d’accalmie, pendant qu’Hélène Labarrière ramène de ce qu’elle appris dans le jazz moderne ce qu’il faut pour mettre en valeur le groove de cette musique, développant – le sait-elle – quelque chose qui naquit il y a une quarantaine d’année dans le folk rock anglais avec le bassiste Ashley Hutchings au sein de Fairport Convention et surtout du premier Steeleye Span, avec le guitariste Martin Carthy.
Martin O’Connor
Pour finir ce week-end, je retrouve Martin O’Connor, dont l’accordéon m’avait tellement saisi au début des années 90, qu’apprenant qu’il lui arrivait de jouer des valses musette, je l’avais invité en studio pour enregistrer sur le volume 3 de “Paris Musette” (collection que j’avais initié sous la houlette de Patrick Tandin du label La Lichère et avec les conseils avisés de Didier Roussin). O’Connor avait enregistré pour l’occasion, l’une des plus belles versions de Mystérieuse, le chef d’œuvre valsé de Jo Privat, que j’ai jamais entendues. Cette fois-ci, pas de valses, quelques écarts swings du violoniste et banjoiste Cathal Hayden , quelques chansons “projetées” par le guitariste Seamie O’Dowd comme on harangue du haut d’une montagne, avec accent de Sligo à couper au couteau, quelques originaux pittoresques, mais surtout de la pure musique irlandaise comme je l’aime, avec son tempo de trotteur les jours de grand prix, qu’O’Connor joue sur sa petite boîte à musique avec une virtuosité, une décontraction, une ferveur qui soulève le public dans cette suite finale de reels empruntés au “père” de l’accordéon irlandais, Joe Cooley.
Coda avec Django
On se retrouve en coulisses. On évoque les souvenirs de “Paris Musette”, de ses disparus : Didier Roussin, Patrick Tandin, mais aussi Jo Privat et Didi Duprat. On se souvient que Didi Duprat avait toujours dans son porte-monnaie un médiator que lui avait offert Django Reinhardt, on commence à raconter des histoires de Django, des histoires de musiciens voyageurs, des histoires de route, de trains, de douaniers… et ça n’en finirait pas s’il ne fallait se quitter. Franck Bergerot
Prochaines dates:
Le 14 Fest-noz d’Annie Ebrel en duo avec Nolùen Le Buhé à la ferme du Cosquer à
Carnoët
Le 15 août concert de Jacky Molard en duo ave le flûtiste Jean-Michel Veillon au Poullan-sur-Mer (Liviou Festival)
Le 16 août concert de Jannick Martin en duo avec Erwan Hamon (flûte, bombarde) à Cleden-Cap-Sizun (Liviou Festival) et le 30 août en fest-noz à Malestroit.
Le 16 août concert d’Hélène Labarrière en duo avec le clarinettiste Syvlain Kassap à la chapelle Saint They à la Pointe du Van (Liviou Festival)
Le 16 Fest-noz en duo avec Nolùen Le Buhé à l’Ile d’Arz
Le 22 août avec TEIR, formidable trio vocal avec Marthe Vassalo et Noluen Le Buhé, à Bourges
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Est-ce bien raisonnable ? Le rédacteur en chef de Jazz Magazine a passé son week-end à écouter des musiques folkloriques qui ne lui donnent même l’excuse du métissé (quoique), du tropical, du sub-méditerranéen. Il en a trouvé d’autres…
L’alibi Labarrière
C’était donc les 9 et 10 août, à La Villette, dans le cadre des Scènes d’été édition 2014. Au programme : stages d’initiation au violon et à l’accordéon diatonique animés respectivement par Jacky Molard et Janick Martin, initiation à la danse bretonne, fest-noz, et le lendemain atelier de cuisine celte, jam session irlandaise autour de l’accordéoniste Martin O’Connor qui clôturait le week-end par un concert précédé d’un autre par le quartette de Jacky Molard… Ah ! Voilà bien un alibi. Les jazzfans qui ne connaissent pas le violoniste me considèreront avec perplexité. Alors, signalons leur que la contrebassiste du groupe est Hélène Labarrière qui fréquenta le Petit Opportun et autres clubs parisiens aux côtés du guitariste Pierre Brunel (pour ceux qui se souviennent de ce merveilleux héritier de Jimmy Raney et René Thomas), Slide Hampton, Johnny Griffin, Art Farmer, Alain Jean-Marie, André Villéger. On l’a croisé ensuite au sein du quartette d’Eric Barret avec Marc Ducret et Peter Gritz. Elle a été la partenaire musicale de Daniel Humair, au sein du collectif Incidences de François Corneloup, Sylvain Kassap et Franck Tortiller. Puis elle a commencé à monter ses propres projets, le dernier en date avec François Corneloup, Hasse Poulsen et Christophe Marguet. Et…
Dourcam
Ben tenez, la voilà justement qui monte sur scène pour le fest-noz. Au centre de la scène, couple de chanteurs de kan ha diskan (le chant breton à répons et à danser) formé par Annie Ebrel (qui fut la complice de Riccardo del Fra et que l’on croise régulièrement avec Olivier Ker Ourio et quelques autres) et Lors Jouin (que certains parents connaissent parce qu’il est l’une des deux voix des Ours du Scorff). De part et d’autre s’installent Hélène Labarrière, le violoniste Jacky Molard, le joueur de cistre Ronan Pellen (grosse mandoline ténor à cinq chœurs de doubles cordes) et… mais là j’ai peur que ma mémoire ne me trahisse, l’accordéoniste Janick Martin, qu’on entendra bien au cours du Fest Noz, mais je ne sais plus bien dans quelle combinaison… sachant qu’en temps normal, il ne fait pas partie de ce groupe régulier appelé Dourcam. Peu importe. Car tout ce petit monde va se mélanger, se combiner (le mot combo, ça vient de là), se recombiner, et l’on retrouvera de toute façon Jannick Martin le lendemain au sein du quartette de Jacky Molard. Bref, autour de notre couple à voix – droiture, énergie, tendresse d’Annie Ebrel, bravoure, faconde, espièglerie de Lors Join avec une once de comedia dell’arte visitant la tradition bretonne, les deux s’échauffant l’un l’autre –, ça irlandise, ça balkanise, ça chromatise, ça harmonise et substitue, ça syncope et ça swingue, ça groove, bref ça barde.
J’ai la mémoire qui flanche
J’ai le tort de suivre le groupe en coulisses pour congratulations et de déserter le parterre alors que s’installe l’un des plus beaux couples de sonneurs qui soient : Patrick Molard au biniou (que l’on entendit au uilleann pipe irlandais avec son frère Jacky au sein de la Celtic Procession de Jacques Pellen, avec Kenny Wheeler ou Paolo Fresu, Riccardo Del Fra, Eric Barret…) et Yves Berthou à la bombarde (en d’autres contexters, il joue également du uilleann pipe et des small pipes écossais) que, quittant les coulisses, je retrouve dans la chaîne d’une gavotte, d’un plinn ou d’un laridé à 6 temps, donnant le bras à Hélène Labarrière. Mais alors qui joue à ce moment là. Peut-être Jannick Martin porté poussé par le cistre-locomotive de Ronan Pellen ? C’est là que ma mémoire se brouille.
Kan ha diskan et beatbox
Dans les coulisses, je retrouve le chanteur traditionnel breton Erik Marchand (qui joua de la clarinette au sein du Quintette de clarinettes avec Louis Sclavis et chanta en trio avec Paolo Fresu et Jacques Pellen, Henri Texier venant même donner la main). À la veille d’un nouveau voyage à Carancebes (sud ouest de Timisoara) où il m’entraîna à la fin des années 1990, il évoque quelques souvenirs puis vante les qualités de Christophe Le Menn, chanteur traditionnel et beat-boxer, qui rejoint la scène pour un duo avec Lors Jouin. Chanteur, il l’est dans la plus grande tradition, et à son contact Lors Jouin s’enflamme et fait monter d’un cran la transe atteinte par la version orchestrale de tout à l’heure, avec quelque chose qui, dans la variation sur les paroles traditionnelles, évoque les joutes orales du dirty dozen ou du repente brésilien, puis Le Menn donne la réplique à son maître Erik Marchand : c’est plus droit, tendu à l’extrême, jusqu’à ce que la corde lâche… et voici que Le Menn déchante (Kan ha diskan : chant et déchant) en beat-boxant. L’effet est saisissant. D’un saisissement qui menace vite de s’épuiser, mais l’idée est intéressante, d’autant plus que le beat-boxer est excellent. Le public est en tout cas au comble de l’enthousiasme et là… Lors Jouin se fâche tout rouge et fait monter Dourcam sur scène pour un dernier set endiablé. Annie Ebrel à ses côtés semblent se souvenir que tous deux ont à leur répertoire un programme de disputes (et oui, la Bretagne a aussi ses joutes verbales) et se déchaîne face à Jouin qui en plus de l’espièglerie de Scapin ajoute puissance, grandeur, hauteur, une ferveur qui évoque Nusrat Fateh Ali Khan, analogie qui venait déjà l’esprit lorsqu’il chantait au sein de Toud Sames, un groupe dont je n’ai jamais compris qu’il n’ait jamais trouvé sa place sur la scène française. À leurs côtés, les instrumentistes de Dourcam grondent, brament, rugissent…
Parenthèse littéraire
Dans les coulisses, je salue Patrick Molard que je sais spécialiste du pibroch (grande tradition de cornemuse écossaise qui, à partir de motifs minimalistes, fait l’objet de longues variations selon un découpage très codé en plusieurs mouvements. La encore les amateurs de transe sont servis). J’en profite pour lui demander s’il connaît La Grande Musique de la romancière Kirsty Gunn, dont j’ai entamé la lecture, une lecture difficile, malaisée, mais qui me tient en haleine depuis le début de l’été. Il vient de s’y mettre et parle déjà d’acquérir l’édition anglaise et, en dépit de l’obstacle de la langue, je lui avoue que j’y songe aussi. Car dans cette élégie – « Non pas un roman, dit-elle, mais une élégie, comme Virginia Woolf décrivait toute son œuvre. » –, si les méandres de l’histoire – qui s’apparente à la littérature du flux de conscience et qui entremêle l’archive à la fiction – sont d’une complexité inouïe, cette histoire « sonne autant qu’elle raconte… », car telle est le pari déclaré de l’auteure et nous ne saurons si elle l’a remporté qu’en remontant à la langue originale. Par bonheur, hormis le jargon musical et historique qui fait l’objet d’importantes annexes (l’une des difficultés de l’ouvrage, auquel il faut savoir se soumettre dans un esprit de gai savoir), le vocabulaire est simple : écoutez l’acteur Brian Cox dire les premières lignes, et relisons à haute voix ce premier motif – I Don’t Mind – d’où, comme en un pibroch (le découpage du roman reprenant les mouvements traditionnels du pibroch), va découler tout le reste : « The Hills only come back the s
ame : I don’t mind, and all the flat moorland and the sky. I don’t mind they says, and the water says it too, those black falls are rimmed with pet, and the mountains in the distance to the west says it, and to the north… » Par sûr d’avoir rencontré cette musicalité dans la traduction française qui pourtant me tient en haleine depuis plusieurs semaines par la tradition, la vie et les paysages qu’elle évoque malgré tout.
Jacky Molard Quartet
Le lendemain, avec le quartette de Jacky Molard, on retrouvera l’énergie de la veille transposée dans le seul mode instrumental. Le leader est à la manœuvre, avec un violon qui s’est dégourdi dans les fest-noz, s’est affiné en Irlande et s’est encanaillé dans les Balkans, plus l’utopie improvisée du jazz, voire de l’Inde, et les images mentales que supposent tous ces voyages. Elles irriguent l’écriture du répertoire qui, passée elle aussi par la Bretagne, l’Irlande, les Balkans et même l’Espagne du 15ème siècle, trouve son climax dans une longue suite finale inspirée de l’Ecosse justement et de ses pibrochs. Le saxophoniste Yannick Jory (soprano et alto) associe des compétences d’improvisateur à une maîtrise de l’ornementation instrumentale traditionnelle dont la mécanique du saxophone ne permet pas aisément de reproduire la nervosité et la légèreté. Janick Martin fait des prodiges sur sa petite boîte à frissons, un diatonique, presque un jouet, qu’il fait bouillir comme une marmite, dont il tire les improvisations les plus folles, les rythmes les plus entêtants, les mélodies les plus poignantes et des longs bourdons qui portent les moments d’accalmie, pendant qu’Hélène Labarrière ramène de ce qu’elle appris dans le jazz moderne ce qu’il faut pour mettre en valeur le groove de cette musique, développant – le sait-elle – quelque chose qui naquit il y a une quarantaine d’année dans le folk rock anglais avec le bassiste Ashley Hutchings au sein de Fairport Convention et surtout du premier Steeleye Span, avec le guitariste Martin Carthy.
Martin O’Connor
Pour finir ce week-end, je retrouve Martin O’Connor, dont l’accordéon m’avait tellement saisi au début des années 90, qu’apprenant qu’il lui arrivait de jouer des valses musette, je l’avais invité en studio pour enregistrer sur le volume 3 de “Paris Musette” (collection que j’avais initié sous la houlette de Patrick Tandin du label La Lichère et avec les conseils avisés de Didier Roussin). O’Connor avait enregistré pour l’occasion, l’une des plus belles versions de Mystérieuse, le chef d’œuvre valsé de Jo Privat, que j’ai jamais entendues. Cette fois-ci, pas de valses, quelques écarts swings du violoniste et banjoiste Cathal Hayden , quelques chansons “projetées” par le guitariste Seamie O’Dowd comme on harangue du haut d’une montagne, avec accent de Sligo à couper au couteau, quelques originaux pittoresques, mais surtout de la pure musique irlandaise comme je l’aime, avec son tempo de trotteur les jours de grand prix, qu’O’Connor joue sur sa petite boîte à musique avec une virtuosité, une décontraction, une ferveur qui soulève le public dans cette suite finale de reels empruntés au “père” de l’accordéon irlandais, Joe Cooley.
Coda avec Django
On se retrouve en coulisses. On évoque les souvenirs de “Paris Musette”, de ses disparus : Didier Roussin, Patrick Tandin, mais aussi Jo Privat et Didi Duprat. On se souvient que Didi Duprat avait toujours dans son porte-monnaie un médiator que lui avait offert Django Reinhardt, on commence à raconter des histoires de Django, des histoires de musiciens voyageurs, des histoires de route, de trains, de douaniers… et ça n’en finirait pas s’il ne fallait se quitter. Franck Bergerot
Prochaines dates:
Le 14 Fest-noz d’Annie Ebrel en duo avec Nolùen Le Buhé à la ferme du Cosquer à
Carnoët
Le 15 août concert de Jacky Molard en duo ave le flûtiste Jean-Michel Veillon au Poullan-sur-Mer (Liviou Festival)
Le 16 août concert de Jannick Martin en duo avec Erwan Hamon (flûte, bombarde) à Cleden-Cap-Sizun (Liviou Festival) et le 30 août en fest-noz à Malestroit.
Le 16 août concert d’Hélène Labarrière en duo avec le clarinettiste Syvlain Kassap à la chapelle Saint They à la Pointe du Van (Liviou Festival)
Le 16 Fest-noz en duo avec Nolùen Le Buhé à l’Ile d’Arz
Le 22 août avec TEIR, formidable trio vocal avec Marthe Vassalo et Noluen Le Buhé, à Bourges
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Est-ce bien raisonnable ? Le rédacteur en chef de Jazz Magazine a passé son week-end à écouter des musiques folkloriques qui ne lui donnent même l’excuse du métissé (quoique), du tropical, du sub-méditerranéen. Il en a trouvé d’autres…
L’alibi Labarrière
C’était donc les 9 et 10 août, à La Villette, dans le cadre des Scènes d’été édition 2014. Au programme : stages d’initiation au violon et à l’accordéon diatonique animés respectivement par Jacky Molard et Janick Martin, initiation à la danse bretonne, fest-noz, et le lendemain atelier de cuisine celte, jam session irlandaise autour de l’accordéoniste Martin O’Connor qui clôturait le week-end par un concert précédé d’un autre par le quartette de Jacky Molard… Ah ! Voilà bien un alibi. Les jazzfans qui ne connaissent pas le violoniste me considèreront avec perplexité. Alors, signalons leur que la contrebassiste du groupe est Hélène Labarrière qui fréquenta le Petit Opportun et autres clubs parisiens aux côtés du guitariste Pierre Brunel (pour ceux qui se souviennent de ce merveilleux héritier de Jimmy Raney et René Thomas), Slide Hampton, Johnny Griffin, Art Farmer, Alain Jean-Marie, André Villéger. On l’a croisé ensuite au sein du quartette d’Eric Barret avec Marc Ducret et Peter Gritz. Elle a été la partenaire musicale de Daniel Humair, au sein du collectif Incidences de François Corneloup, Sylvain Kassap et Franck Tortiller. Puis elle a commencé à monter ses propres projets, le dernier en date avec François Corneloup, Hasse Poulsen et Christophe Marguet. Et…
Dourcam
Ben tenez, la voilà justement qui monte sur scène pour le fest-noz. Au centre de la scène, couple de chanteurs de kan ha diskan (le chant breton à répons et à danser) formé par Annie Ebrel (qui fut la complice de Riccardo del Fra et que l’on croise régulièrement avec Olivier Ker Ourio et quelques autres) et Lors Jouin (que certains parents connaissent parce qu’il est l’une des deux voix des Ours du Scorff). De part et d’autre s’installent Hélène Labarrière, le violoniste Jacky Molard, le joueur de cistre Ronan Pellen (grosse mandoline ténor à cinq chœurs de doubles cordes) et… mais là j’ai peur que ma mémoire ne me trahisse, l’accordéoniste Janick Martin, qu’on entendra bien au cours du Fest Noz, mais je ne sais plus bien dans quelle combinaison… sachant qu’en temps normal, il ne fait pas partie de ce groupe régulier appelé Dourcam. Peu importe. Car tout ce petit monde va se mélanger, se combiner (le mot combo, ça vient de là), se recombiner, et l’on retrouvera de toute façon Jannick Martin le lendemain au sein du quartette de Jacky Molard. Bref, autour de notre couple à voix – droiture, énergie, tendresse d’Annie Ebrel, bravoure, faconde, espièglerie de Lors Join avec une once de comedia dell’arte visitant la tradition bretonne, les deux s’échauffant l’un l’autre –, ça irlandise, ça balkanise, ça chromatise, ça harmonise et substitue, ça syncope et ça swingue, ça groove, bref ça barde.
J’ai la mémoire qui flanche
J’ai le tort de suivre le groupe en coulisses pour congratulations et de déserter le parterre alors que s’installe l’un des plus beaux couples de sonneurs qui soient : Patrick Molard au biniou (que l’on entendit au uilleann pipe irlandais avec son frère Jacky au sein de la Celtic Procession de Jacques Pellen, avec Kenny Wheeler ou Paolo Fresu, Riccardo Del Fra, Eric Barret…) et Yves Berthou à la bombarde (en d’autres contexters, il joue également du uilleann pipe et des small pipes écossais) que, quittant les coulisses, je retrouve dans la chaîne d’une gavotte, d’un plinn ou d’un laridé à 6 temps, donnant le bras à Hélène Labarrière. Mais alors qui joue à ce moment là. Peut-être Jannick Martin porté poussé par le cistre-locomotive de Ronan Pellen ? C’est là que ma mémoire se brouille.
Kan ha diskan et beatbox
Dans les coulisses, je retrouve le chanteur traditionnel breton Erik Marchand (qui joua de la clarinette au sein du Quintette de clarinettes avec Louis Sclavis et chanta en trio avec Paolo Fresu et Jacques Pellen, Henri Texier venant même donner la main). À la veille d’un nouveau voyage à Carancebes (sud ouest de Timisoara) où il m’entraîna à la fin des années 1990, il évoque quelques souvenirs puis vante les qualités de Christophe Le Menn, chanteur traditionnel et beat-boxer, qui rejoint la scène pour un duo avec Lors Jouin. Chanteur, il l’est dans la plus grande tradition, et à son contact Lors Jouin s’enflamme et fait monter d’un cran la transe atteinte par la version orchestrale de tout à l’heure, avec quelque chose qui, dans la variation sur les paroles traditionnelles, évoque les joutes orales du dirty dozen ou du repente brésilien, puis Le Menn donne la réplique à son maître Erik Marchand : c’est plus droit, tendu à l’extrême, jusqu’à ce que la corde lâche… et voici que Le Menn déchante (Kan ha diskan : chant et déchant) en beat-boxant. L’effet est saisissant. D’un saisissement qui menace vite de s’épuiser, mais l’idée est intéressante, d’autant plus que le beat-boxer est excellent. Le public est en tout cas au comble de l’enthousiasme et là… Lors Jouin se fâche tout rouge et fait monter Dourcam sur scène pour un dernier set endiablé. Annie Ebrel à ses côtés semblent se souvenir que tous deux ont à leur répertoire un programme de disputes (et oui, la Bretagne a aussi ses joutes verbales) et se déchaîne face à Jouin qui en plus de l’espièglerie de Scapin ajoute puissance, grandeur, hauteur, une ferveur qui évoque Nusrat Fateh Ali Khan, analogie qui venait déjà l’esprit lorsqu’il chantait au sein de Toud Sames, un groupe dont je n’ai jamais compris qu’il n’ait jamais trouvé sa place sur la scène française. À leurs côtés, les instrumentistes de Dourcam grondent, brament, rugissent…
Parenthèse littéraire
Dans les coulisses, je salue Patrick Molard que je sais spécialiste du pibroch (grande tradition de cornemuse écossaise qui, à partir de motifs minimalistes, fait l’objet de longues variations selon un découpage très codé en plusieurs mouvements. La encore les amateurs de transe sont servis). J’en profite pour lui demander s’il connaît La Grande Musique de la romancière Kirsty Gunn, dont j’ai entamé la lecture, une lecture difficile, malaisée, mais qui me tient en haleine depuis le début de l’été. Il vient de s’y mettre et parle déjà d’acquérir l’édition anglaise et, en dépit de l’obstacle de la langue, je lui avoue que j’y songe aussi. Car dans cette élégie – « Non pas un roman, dit-elle, mais une élégie, comme Virginia Woolf décrivait toute son œuvre. » –, si les méandres de l’histoire – qui s’apparente à la littérature du flux de conscience et qui entremêle l’archive à la fiction – sont d’une complexité inouïe, cette histoire « sonne autant qu’elle raconte… », car telle est le pari déclaré de l’auteure et nous ne saurons si elle l’a remporté qu’en remontant à la langue originale. Par bonheur, hormis le jargon musical et historique qui fait l’objet d’importantes annexes (l’une des difficultés de l’ouvrage, auquel il faut savoir se soumettre dans un esprit de gai savoir), le vocabulaire est simple : écoutez l’acteur Brian Cox dire les premières lignes, et relisons à haute voix ce premier motif – I Don’t Mind – d’où, comme en un pibroch (le découpage du roman reprenant les mouvements traditionnels du pibroch), va découler tout le reste : « The Hills only come back the s
ame : I don’t mind, and all the flat moorland and the sky. I don’t mind they says, and the water says it too, those black falls are rimmed with pet, and the mountains in the distance to the west says it, and to the north… » Par sûr d’avoir rencontré cette musicalité dans la traduction française qui pourtant me tient en haleine depuis plusieurs semaines par la tradition, la vie et les paysages qu’elle évoque malgré tout.
Jacky Molard Quartet
Le lendemain, avec le quartette de Jacky Molard, on retrouvera l’énergie de la veille transposée dans le seul mode instrumental. Le leader est à la manœuvre, avec un violon qui s’est dégourdi dans les fest-noz, s’est affiné en Irlande et s’est encanaillé dans les Balkans, plus l’utopie improvisée du jazz, voire de l’Inde, et les images mentales que supposent tous ces voyages. Elles irriguent l’écriture du répertoire qui, passée elle aussi par la Bretagne, l’Irlande, les Balkans et même l’Espagne du 15ème siècle, trouve son climax dans une longue suite finale inspirée de l’Ecosse justement et de ses pibrochs. Le saxophoniste Yannick Jory (soprano et alto) associe des compétences d’improvisateur à une maîtrise de l’ornementation instrumentale traditionnelle dont la mécanique du saxophone ne permet pas aisément de reproduire la nervosité et la légèreté. Janick Martin fait des prodiges sur sa petite boîte à frissons, un diatonique, presque un jouet, qu’il fait bouillir comme une marmite, dont il tire les improvisations les plus folles, les rythmes les plus entêtants, les mélodies les plus poignantes et des longs bourdons qui portent les moments d’accalmie, pendant qu’Hélène Labarrière ramène de ce qu’elle appris dans le jazz moderne ce qu’il faut pour mettre en valeur le groove de cette musique, développant – le sait-elle – quelque chose qui naquit il y a une quarantaine d’année dans le folk rock anglais avec le bassiste Ashley Hutchings au sein de Fairport Convention et surtout du premier Steeleye Span, avec le guitariste Martin Carthy.
Martin O’Connor
Pour finir ce week-end, je retrouve Martin O’Connor, dont l’accordéon m’avait tellement saisi au début des années 90, qu’apprenant qu’il lui arrivait de jouer des valses musette, je l’avais invité en studio pour enregistrer sur le volume 3 de “Paris Musette” (collection que j’avais initié sous la houlette de Patrick Tandin du label La Lichère et avec les conseils avisés de Didier Roussin). O’Connor avait enregistré pour l’occasion, l’une des plus belles versions de Mystérieuse, le chef d’œuvre valsé de Jo Privat, que j’ai jamais entendues. Cette fois-ci, pas de valses, quelques écarts swings du violoniste et banjoiste Cathal Hayden , quelques chansons “projetées” par le guitariste Seamie O’Dowd comme on harangue du haut d’une montagne, avec accent de Sligo à couper au couteau, quelques originaux pittoresques, mais surtout de la pure musique irlandaise comme je l’aime, avec son tempo de trotteur les jours de grand prix, qu’O’Connor joue sur sa petite boîte à musique avec une virtuosité, une décontraction, une ferveur qui soulève le public dans cette suite finale de reels empruntés au “père” de l’accordéon irlandais, Joe Cooley.
Coda avec Django
On se retrouve en coulisses. On évoque les souvenirs de “Paris Musette”, de ses disparus : Didier Roussin, Patrick Tandin, mais aussi Jo Privat et Didi Duprat. On se souvient que Didi Duprat avait toujours dans son porte-monnaie un médiator que lui avait offert Django Reinhardt, on commence à raconter des histoires de Django, des histoires de musiciens voyageurs, des histoires de route, de trains, de douaniers… et ça n’en finirait pas s’il ne fallait se quitter. Franck Bergerot
Prochaines dates:
Le 14 Fest-noz d’Annie Ebrel en duo avec Nolùen Le Buhé à la ferme du Cosquer à
Carnoët
Le 15 août concert de Jacky Molard en duo ave le flûtiste Jean-Michel Veillon au Poullan-sur-Mer (Liviou Festival)
Le 16 août concert de Jannick Martin en duo avec Erwan Hamon (flûte, bombarde) à Cleden-Cap-Sizun (Liviou Festival) et le 30 août en fest-noz à Malestroit.
Le 16 août concert d’Hélène Labarrière en duo avec le clarinettiste Syvlain Kassap à la chapelle Saint They à la Pointe du Van (Liviou Festival)
Le 16 Fest-noz en duo avec Nolùen Le Buhé à l’Ile d’Arz
Le 22 août avec TEIR, formidable trio vocal avec Marthe Vassalo et Noluen Le Buhé, à Bourges
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Est-ce bien raisonnable ? Le rédacteur en chef de Jazz Magazine a passé son week-end à écouter des musiques folkloriques qui ne lui donnent même l’excuse du métissé (quoique), du tropical, du sub-méditerranéen. Il en a trouvé d’autres…
L’alibi Labarrière
C’était donc les 9 et 10 août, à La Villette, dans le cadre des Scènes d’été édition 2014. Au programme : stages d’initiation au violon et à l’accordéon diatonique animés respectivement par Jacky Molard et Janick Martin, initiation à la danse bretonne, fest-noz, et le lendemain atelier de cuisine celte, jam session irlandaise autour de l’accordéoniste Martin O’Connor qui clôturait le week-end par un concert précédé d’un autre par le quartette de Jacky Molard… Ah ! Voilà bien un alibi. Les jazzfans qui ne connaissent pas le violoniste me considèreront avec perplexité. Alors, signalons leur que la contrebassiste du groupe est Hélène Labarrière qui fréquenta le Petit Opportun et autres clubs parisiens aux côtés du guitariste Pierre Brunel (pour ceux qui se souviennent de ce merveilleux héritier de Jimmy Raney et René Thomas), Slide Hampton, Johnny Griffin, Art Farmer, Alain Jean-Marie, André Villéger. On l’a croisé ensuite au sein du quartette d’Eric Barret avec Marc Ducret et Peter Gritz. Elle a été la partenaire musicale de Daniel Humair, au sein du collectif Incidences de François Corneloup, Sylvain Kassap et Franck Tortiller. Puis elle a commencé à monter ses propres projets, le dernier en date avec François Corneloup, Hasse Poulsen et Christophe Marguet. Et…
Dourcam
Ben tenez, la voilà justement qui monte sur scène pour le fest-noz. Au centre de la scène, couple de chanteurs de kan ha diskan (le chant breton à répons et à danser) formé par Annie Ebrel (qui fut la complice de Riccardo del Fra et que l’on croise régulièrement avec Olivier Ker Ourio et quelques autres) et Lors Jouin (que certains parents connaissent parce qu’il est l’une des deux voix des Ours du Scorff). De part et d’autre s’installent Hélène Labarrière, le violoniste Jacky Molard, le joueur de cistre Ronan Pellen (grosse mandoline ténor à cinq chœurs de doubles cordes) et… mais là j’ai peur que ma mémoire ne me trahisse, l’accordéoniste Janick Martin, qu’on entendra bien au cours du Fest Noz, mais je ne sais plus bien dans quelle combinaison… sachant qu’en temps normal, il ne fait pas partie de ce groupe régulier appelé Dourcam. Peu importe. Car tout ce petit monde va se mélanger, se combiner (le mot combo, ça vient de là), se recombiner, et l’on retrouvera de toute façon Jannick Martin le lendemain au sein du quartette de Jacky Molard. Bref, autour de notre couple à voix – droiture, énergie, tendresse d’Annie Ebrel, bravoure, faconde, espièglerie de Lors Join avec une once de comedia dell’arte visitant la tradition bretonne, les deux s’échauffant l’un l’autre –, ça irlandise, ça balkanise, ça chromatise, ça harmonise et substitue, ça syncope et ça swingue, ça groove, bref ça barde.
J’ai la mémoire qui flanche
J’ai le tort de suivre le groupe en coulisses pour congratulations et de déserter le parterre alors que s’installe l’un des plus beaux couples de sonneurs qui soient : Patrick Molard au biniou (que l’on entendit au uilleann pipe irlandais avec son frère Jacky au sein de la Celtic Procession de Jacques Pellen, avec Kenny Wheeler ou Paolo Fresu, Riccardo Del Fra, Eric Barret…) et Yves Berthou à la bombarde (en d’autres contexters, il joue également du uilleann pipe et des small pipes écossais) que, quittant les coulisses, je retrouve dans la chaîne d’une gavotte, d’un plinn ou d’un laridé à 6 temps, donnant le bras à Hélène Labarrière. Mais alors qui joue à ce moment là. Peut-être Jannick Martin porté poussé par le cistre-locomotive de Ronan Pellen ? C’est là que ma mémoire se brouille.
Kan ha diskan et beatbox
Dans les coulisses, je retrouve le chanteur traditionnel breton Erik Marchand (qui joua de la clarinette au sein du Quintette de clarinettes avec Louis Sclavis et chanta en trio avec Paolo Fresu et Jacques Pellen, Henri Texier venant même donner la main). À la veille d’un nouveau voyage à Carancebes (sud ouest de Timisoara) où il m’entraîna à la fin des années 1990, il évoque quelques souvenirs puis vante les qualités de Christophe Le Menn, chanteur traditionnel et beat-boxer, qui rejoint la scène pour un duo avec Lors Jouin. Chanteur, il l’est dans la plus grande tradition, et à son contact Lors Jouin s’enflamme et fait monter d’un cran la transe atteinte par la version orchestrale de tout à l’heure, avec quelque chose qui, dans la variation sur les paroles traditionnelles, évoque les joutes orales du dirty dozen ou du repente brésilien, puis Le Menn donne la réplique à son maître Erik Marchand : c’est plus droit, tendu à l’extrême, jusqu’à ce que la corde lâche… et voici que Le Menn déchante (Kan ha diskan : chant et déchant) en beat-boxant. L’effet est saisissant. D’un saisissement qui menace vite de s’épuiser, mais l’idée est intéressante, d’autant plus que le beat-boxer est excellent. Le public est en tout cas au comble de l’enthousiasme et là… Lors Jouin se fâche tout rouge et fait monter Dourcam sur scène pour un dernier set endiablé. Annie Ebrel à ses côtés semblent se souvenir que tous deux ont à leur répertoire un programme de disputes (et oui, la Bretagne a aussi ses joutes verbales) et se déchaîne face à Jouin qui en plus de l’espièglerie de Scapin ajoute puissance, grandeur, hauteur, une ferveur qui évoque Nusrat Fateh Ali Khan, analogie qui venait déjà l’esprit lorsqu’il chantait au sein de Toud Sames, un groupe dont je n’ai jamais compris qu’il n’ait jamais trouvé sa place sur la scène française. À leurs côtés, les instrumentistes de Dourcam grondent, brament, rugissent…
Parenthèse littéraire
Dans les coulisses, je salue Patrick Molard que je sais spécialiste du pibroch (grande tradition de cornemuse écossaise qui, à partir de motifs minimalistes, fait l’objet de longues variations selon un découpage très codé en plusieurs mouvements. La encore les amateurs de transe sont servis). J’en profite pour lui demander s’il connaît La Grande Musique de la romancière Kirsty Gunn, dont j’ai entamé la lecture, une lecture difficile, malaisée, mais qui me tient en haleine depuis le début de l’été. Il vient de s’y mettre et parle déjà d’acquérir l’édition anglaise et, en dépit de l’obstacle de la langue, je lui avoue que j’y songe aussi. Car dans cette élégie – « Non pas un roman, dit-elle, mais une élégie, comme Virginia Woolf décrivait toute son œuvre. » –, si les méandres de l’histoire – qui s’apparente à la littérature du flux de conscience et qui entremêle l’archive à la fiction – sont d’une complexité inouïe, cette histoire « sonne autant qu’elle raconte… », car telle est le pari déclaré de l’auteure et nous ne saurons si elle l’a remporté qu’en remontant à la langue originale. Par bonheur, hormis le jargon musical et historique qui fait l’objet d’importantes annexes (l’une des difficultés de l’ouvrage, auquel il faut savoir se soumettre dans un esprit de gai savoir), le vocabulaire est simple : écoutez l’acteur Brian Cox dire les premières lignes, et relisons à haute voix ce premier motif – I Don’t Mind – d’où, comme en un pibroch (le découpage du roman reprenant les mouvements traditionnels du pibroch), va découler tout le reste : « The Hills only come back the s
ame : I don’t mind, and all the flat moorland and the sky. I don’t mind they says, and the water says it too, those black falls are rimmed with pet, and the mountains in the distance to the west says it, and to the north… » Par sûr d’avoir rencontré cette musicalité dans la traduction française qui pourtant me tient en haleine depuis plusieurs semaines par la tradition, la vie et les paysages qu’elle évoque malgré tout.
Jacky Molard Quartet
Le lendemain, avec le quartette de Jacky Molard, on retrouvera l’énergie de la veille transposée dans le seul mode instrumental. Le leader est à la manœuvre, avec un violon qui s’est dégourdi dans les fest-noz, s’est affiné en Irlande et s’est encanaillé dans les Balkans, plus l’utopie improvisée du jazz, voire de l’Inde, et les images mentales que supposent tous ces voyages. Elles irriguent l’écriture du répertoire qui, passée elle aussi par la Bretagne, l’Irlande, les Balkans et même l’Espagne du 15ème siècle, trouve son climax dans une longue suite finale inspirée de l’Ecosse justement et de ses pibrochs. Le saxophoniste Yannick Jory (soprano et alto) associe des compétences d’improvisateur à une maîtrise de l’ornementation instrumentale traditionnelle dont la mécanique du saxophone ne permet pas aisément de reproduire la nervosité et la légèreté. Janick Martin fait des prodiges sur sa petite boîte à frissons, un diatonique, presque un jouet, qu’il fait bouillir comme une marmite, dont il tire les improvisations les plus folles, les rythmes les plus entêtants, les mélodies les plus poignantes et des longs bourdons qui portent les moments d’accalmie, pendant qu’Hélène Labarrière ramène de ce qu’elle appris dans le jazz moderne ce qu’il faut pour mettre en valeur le groove de cette musique, développant – le sait-elle – quelque chose qui naquit il y a une quarantaine d’année dans le folk rock anglais avec le bassiste Ashley Hutchings au sein de Fairport Convention et surtout du premier Steeleye Span, avec le guitariste Martin Carthy.
Martin O’Connor
Pour finir ce week-end, je retrouve Martin O’Connor, dont l’accordéon m’avait tellement saisi au début des années 90, qu’apprenant qu’il lui arrivait de jouer des valses musette, je l’avais invité en studio pour enregistrer sur le volume 3 de “Paris Musette” (collection que j’avais initié sous la houlette de Patrick Tandin du label La Lichère et avec les conseils avisés de Didier Roussin). O’Connor avait enregistré pour l’occasion, l’une des plus belles versions de Mystérieuse, le chef d’œuvre valsé de Jo Privat, que j’ai jamais entendues. Cette fois-ci, pas de valses, quelques écarts swings du violoniste et banjoiste Cathal Hayden , quelques chansons “projetées” par le guitariste Seamie O’Dowd comme on harangue du haut d’une montagne, avec accent de Sligo à couper au couteau, quelques originaux pittoresques, mais surtout de la pure musique irlandaise comme je l’aime, avec son tempo de trotteur les jours de grand prix, qu’O’Connor joue sur sa petite boîte à musique avec une virtuosité, une décontraction, une ferveur qui soulève le public dans cette suite finale de reels empruntés au “père” de l’accordéon irlandais, Joe Cooley.
Coda avec Django
On se retrouve en coulisses. On évoque les souvenirs de “Paris Musette”, de ses disparus : Didier Roussin, Patrick Tandin, mais aussi Jo Privat et Didi Duprat. On se souvient que Didi Duprat avait toujours dans son porte-monnaie un médiator que lui avait offert Django Reinhardt, on commence à raconter des histoires de Django, des histoires de musiciens voyageurs, des histoires de route, de trains, de douaniers… et ça n’en finirait pas s’il ne fallait se quitter. Franck Bergerot
Prochaines dates:
Le 14 Fest-noz d’Annie Ebrel en duo avec Nolùen Le Buhé à la ferme du Cosquer à
Carnoët
Le 15 août concert de Jacky Molard en duo ave le flûtiste Jean-Michel Veillon au Poullan-sur-Mer (Liviou Festival)
Le 16 août concert de Jannick Martin en duo avec Erwan Hamon (flûte, bombarde) à Cleden-Cap-Sizun (Liviou Festival) et le 30 août en fest-noz à Malestroit.
Le 16 août concert d’Hélène Labarrière en duo avec le clarinettiste Syvlain Kassap à la chapelle Saint They à la Pointe du Van (Liviou Festival)
Le 16 Fest-noz en duo avec Nolùen Le Buhé à l’Ile d’Arz
Le 22 août avec TEIR, formidable trio vocal avec Marthe Vassalo et Noluen Le Buhé, à Bourges