Ouverture de l'Atlantique Jazz Festival (Brest): une création de Marc Ducret et deux rencontres ARCH
L’Atlantique Jazz Festival a commencé dès le 3 octobre, pour une première phase consistant en dix concerts « décentralisés » sur l’ensemble du Finistère : c’est ainsi que de Guidel à Carhaix, de Morlaix à Crozon ou de Landerneau à Lannion se sont produits Laurent de Wilde & Otisto 23, le quartette de Marion Thomas, le duo Pedro Soler/Gaspar Claus ou encore le trio de Craig Taborn, excusez du peu, à Landivisiau le 11. C’est à la seconde phase que votre serviteur a été convié, soit une semaine de rencontres, ateliers et concerts répartis sur une dizaine de lieux à Brest.
Le cœur de l’activité se déroule à l’Espace Vauban ainsi qu’à la salle universitaire du CLOUS, sans oublier deux concerts au Quartz et deux au Mac Orlan. L’occasion de mettre en valeur les partenariats nombreux noués entre l’association Penn Ar Jazz, qui pilote cet événement ainsi que beaucoup d’autres manifestations de jazz en Finistère entre octobre et mai de chaque année. Partenariat avec l’UBO (Université de Bretagne Occidentale), ou encore avec le Conservatoire de Brest qui présentera le travail de ses ateliers jazz à trois reprises lors de premières parties (les 15, 16 & 17). S’il n’était pas possible, hors vacances, de profiter de cette riche semaine, on donnera néanmoins ci-dessous un aperçu, et surtout un entendu, d’un festival non estival qui ne manque pas d’air, dans tous les sens du terme.
Mardi 14 octobre 12h, salle du CLOUS (Brest) :
Rencontre ARCH#1 : Alban Darche (ts), Grégoire Hennebelle (vl), Sébastien Boisseau (b), Nicolas Pointard (d).
Les rencontres ARCH, il faut en dire quelques mots avant de décrire celle qui a ouvert cette semaine. Le concept, développé depuis 3 ans environ, est aussi simple qu’original : une rencontre entre des musiciens locaux réunis au sein de l’Ensemble Nautilis (dirigé par Christophe Rocher) et des musiciens invités au festival, rencontre pas ou peu préparée pour rester gouvernée par l’improvisation et la spontanéité. Pour rester une rencontre, pourrait-on écrire. Une rencontre avec un public différent, essentiellement (mais pas exclusivement) étudiant puisque le lieu choisi en est la Salle d’animation du CLOUS, sur le campus universitaire, à deux pas du Vauban et du Quartz. L’entrée est libre, mais il y a mieux : les visiteurs sont accueillis par une soupe maison chaude et un café, le tout préparé par une épatante équipe de bénévoles. A en juger par le remplissage de la salle, même si certains doivent filer en cours avant la fin de la performance, ceux qui pensent que la soupe attire plus efficacement les étudiants que la musique sont obligés de constater que l’objectif est atteint, de la plus conviviale des façons.
Aux côtés des nantais Sébastien Boisseau (b) et Alban Darche (ts) pour cette première rencontre, s’alignent le violoniste Grégoire Hennebelle et le batteur Nicolas Pointard pour deux longues pièces. L’hésitation est palpable durant les premières minutes et le violoniste peine à trouver sa place dans le son collectif. L’éclairage survient quand le quartette se scinde en duos, puis en trios avant de se reconstituer. Un scénario s’installe alors, guidé par des choix clairs dans les modes de jeu : violon pizzicato et batterie jouant sur l’accentuation rythmique pendant que contrebasse arco et sax ténor élaborent un contrepoint mélodique dans le grave, pour ne donner qu’un exemple. La seconde pièce séduit par la finesse des nuances qui sont trouvées pour accompagner des gestes devenus plus virtuoses et concentrés sur la vitesse et le mouvement. La qualité de l’improvisation collective se mesure au fait qu’aucun geste soliste – même le plus affirmé – ne s’entend détaché d’une intention globale, cette dernière restant toujours perceptible. Une belle et dense énergie collective précède et prépare le decrescendo final. Avec ses hauts et ses (quelques) bas, la rencontre a bien eu lieu.
Mardi 14 octobre 21h, Espace Vauban (Brest) :
« Paysage, avec bruits », création de Marc Ducret avec Journal Intime : Marc Ducret (g), Sylvain Bardiau (tp), Frédéric Gastard (bs), Matthias Mahler (tb).
Cette création a fait l’objet d’une résidence offerte au guitariste et compositeur et au trio Journal Intime, en partenariat avec la ville de Landivisiau où s’est effectué en août dernier le travail de répétition. Auparavant, pour composer la musique de Paysage, avec bruits, Marc Ducret s’était isolé deux semaines à Carantec (Finistère), et la performance a été ponctuée par sa narration de quelques sensations et circonstances qui ont pu offrir un point de départ aux différentes pièces. Une façon de dissiper la tension qui au fil de chacune d’elles s’accumule en raison de la difficulté du répertoire, tension qui s’entend mais aussi se lit sur les visages. La part très importante d’écriture dans ce répertoire tend à accentuer, dans cette « création », le sens que revêt le terme du côté de la musique contemporaine, celui de première exécution. De ce point de vue-là, les difficultés sont trop nombreuses (unissons au cordeau, registres ou articulations rythmiques impossibles, scénarii imprévisibles et truffés de tête à queue…) et le temps de travail collectif a peut-être fait défaut pour que chacun ait suffisamment intégré le matériau de départ pour pouvoir le nourrir et le faire vivre en y apportant le sien propre. Et pour que l’ensemble respire pleinement le bon air marin, même si la tempête n’est jamais bien loin, annoncée ou suggérée par la texture grave de l’ensemble, que la trompette de Sylvain Bardiau et la facilité impressionnante de Fred Gastard dans le suraigu n’éclairent que ponctuellement en la déchirant ou en la striant. Marc Ducret s’est concentré sur le son propre au trio Journal Intime et sur la variété des couleurs qu’il pouvait en tirer, soit en blocs verticaux quasi granitiques, soit sur un mode linéaire et contrapuntique. C’est sous cette seconde forme que son écriture est peut-être la plus efficace, notamment par les associations changeantes des instruments deux à deux qu’elle prévoit. Ducret leur offre un soutien permanent à la guitare tantôt soulignant, tantôt accompagnant rythmiquement d’incessantes brisures, tantôt encore apportant une touche de chatoiement et d’écho à une texture d’ensemble souvent sèche et tranchante. Plus que jamais, s’entendent dans son écriture des influences puisées chez Bartok et Prokofiev – du premier, une Bagatelle sera même offerte note pour note en bis. En dépit de la tension que je décris plus haut, et qui se communique à l’auditeur, restent bien des occasions de se réjouir, et notamment la puissance et l’énergie dégagées par Fred Gastard au fil de plusieurs duos avec le guitariste, où il fait appel à toutes les ressources rythmiques et sonores du saxophone basse avec une extraordinaire virtuosité d’embouchure. Si je reste malgré tout sur une sensation mitigée, c’est certainement en raison de la place délibérément réduite que Marc Ducret s’est attribuée en tant que soliste dans ce Paysage. D’où l’absence de cet équilibre très particulier, que l’on trouve le plus souvent dans sa musique, entre une écriture volontiers cérébrale et sinueuse , et sa liquidat
ion, voire sa désintégration sonore et visuelle dans l’invention instrumentale et la puissance de l’instant. Quoi qu’il en soit et pour toutes ces raisons, ce Paysage avec bruits sera passionnant à réentendre, autant qu’il gagnera, en raison de sa complexité, à être joué et rejoué. Reste à souhaiter d’ores et déjà que cela soit rendu possible sur de nombreuses scènes après cette première brestoise.
Mercredi 15 octobre 12h, salle du CLOUS :
Rencontre ARCH#2 : Samuel Blaser (tb), Frédéric Briet (b), Vincent Raude (électronique), Peter Bruun (d).
Retour mardi midi sur le campus universitaire et à la salle d’animation du CLOUS, où cette fois la soupe chaude ne signale pas seulement la convivialité de l’accueil, elle réchauffe et console de l’humidité ambiante et d’une météo qu’on évitera soigneusement de qualifier de prévisible. Le tromboniste suisse et le batteur danois, qui sont programmés jeudi 16 en trio avec un certain Marc Ducret (18h au Mac Orlan), se présentent pour la deuxième des rencontres ARCH avec les deux « régionaux » de l’étape, Vincent Raude (électronique) et Frédéric Briet (b). Là encore, pour un moment d’improvisation sans préparation ni filet, avec pour seule contrainte de terminer à temps – les étudiants sont au rendez-vous mais la plupart doivent reprendre les cours à 13h. Comme on peut s’y attendre, l’échange débute sous le signe de la prudence et de l’observation mutuelle, guidé par la permanence d’un son collectif à peine perturbé par quelques rayures mélodiques ou bruitistes. Une seconde phase installe un climat d’attente plus régulièrement pulsé mais sombre, où s’ébauche un échange plus riche en gestes mélodiques. A partir de là, s’installe progressivement et dans un temps plus long (rendu tel par l’impression croissante que l’improvisation se déroulera d’un seul tenant jusqu’à son terme) une atmosphère d’incertitude traversée de belles trouvailles mais génératrice de frustration. Celle qu’on décèle chez Samuel Blaser, qui peine à trouver un interlocuteur à son invention mélodique, ou chez Peter Bruun qu’on sent impatient d’être suivi dans un travail rythmique plus soutenu. Parmi les trouvailles, l’accord un moment trouvé sur une pâte sonore feutrée (mailloches, archet et sourdine) ouvrant enfin sur un contrepoint mélodique. Mais, outre que les sons électroniques proposés sont peu inventifs et parviennent difficilement à s’extraire d’une démarche de paysage sonore, la spatialisation de leur diffusion semble s’opposer à en faire un interlocuteur bien localisé et donc bien vivant des instruments. Faute d’une véritable prise de risque venant d’un côté ou de l’autre, et au-delà de trop courts instants de grâce, on retiendra de cette heure d’échange prudent la difficulté bien réelle, pourtant imposée par l’exercice, à surprendre ou à déranger ses partenaires et son auditoire.
Il est bien dommage de devoir sauter dans le TGV du retour avant d’avoir pu entendre le quartet JASS formé par John Hollenbeck, Alban Darche, Samuel Blaser et Sébastien Boisseau programmé ce mercredi à 18h30 à l’Espace Vauban, ou encore le trio formé par le batteur américain avec Nicolas Peoc’h et Eve Risser (jeudi 12h au CLOUS), pour ne rien dire de la plus récente mouture du projet The Bridge (Sylvaine Hélary, Fred Lonberg-Holm, Eve Risser et Mike Reed) qui occupera à son tour la scène du Vauban (jeudi 21h). En fin de semaine, entre autres, le duo inédit et attendu de Don Moye avec Jean-Luc Cappozzo. Puisse cet éclairage introductif stimuler la curiosité et l’envie de venir y goûter sur place, tant pour la qualité de la proposition que pour la dynamique conviviale de sa mise en œuvre.
Atlantique Jazz Festival à Brest, jusqu’au 19 octobre.
Programme complet sur www.atlantiquejazzfestival.com
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L’Atlantique Jazz Festival a commencé dès le 3 octobre, pour une première phase consistant en dix concerts « décentralisés » sur l’ensemble du Finistère : c’est ainsi que de Guidel à Carhaix, de Morlaix à Crozon ou de Landerneau à Lannion se sont produits Laurent de Wilde & Otisto 23, le quartette de Marion Thomas, le duo Pedro Soler/Gaspar Claus ou encore le trio de Craig Taborn, excusez du peu, à Landivisiau le 11. C’est à la seconde phase que votre serviteur a été convié, soit une semaine de rencontres, ateliers et concerts répartis sur une dizaine de lieux à Brest.
Le cœur de l’activité se déroule à l’Espace Vauban ainsi qu’à la salle universitaire du CLOUS, sans oublier deux concerts au Quartz et deux au Mac Orlan. L’occasion de mettre en valeur les partenariats nombreux noués entre l’association Penn Ar Jazz, qui pilote cet événement ainsi que beaucoup d’autres manifestations de jazz en Finistère entre octobre et mai de chaque année. Partenariat avec l’UBO (Université de Bretagne Occidentale), ou encore avec le Conservatoire de Brest qui présentera le travail de ses ateliers jazz à trois reprises lors de premières parties (les 15, 16 & 17). S’il n’était pas possible, hors vacances, de profiter de cette riche semaine, on donnera néanmoins ci-dessous un aperçu, et surtout un entendu, d’un festival non estival qui ne manque pas d’air, dans tous les sens du terme.
Mardi 14 octobre 12h, salle du CLOUS (Brest) :
Rencontre ARCH#1 : Alban Darche (ts), Grégoire Hennebelle (vl), Sébastien Boisseau (b), Nicolas Pointard (d).
Les rencontres ARCH, il faut en dire quelques mots avant de décrire celle qui a ouvert cette semaine. Le concept, développé depuis 3 ans environ, est aussi simple qu’original : une rencontre entre des musiciens locaux réunis au sein de l’Ensemble Nautilis (dirigé par Christophe Rocher) et des musiciens invités au festival, rencontre pas ou peu préparée pour rester gouvernée par l’improvisation et la spontanéité. Pour rester une rencontre, pourrait-on écrire. Une rencontre avec un public différent, essentiellement (mais pas exclusivement) étudiant puisque le lieu choisi en est la Salle d’animation du CLOUS, sur le campus universitaire, à deux pas du Vauban et du Quartz. L’entrée est libre, mais il y a mieux : les visiteurs sont accueillis par une soupe maison chaude et un café, le tout préparé par une épatante équipe de bénévoles. A en juger par le remplissage de la salle, même si certains doivent filer en cours avant la fin de la performance, ceux qui pensent que la soupe attire plus efficacement les étudiants que la musique sont obligés de constater que l’objectif est atteint, de la plus conviviale des façons.
Aux côtés des nantais Sébastien Boisseau (b) et Alban Darche (ts) pour cette première rencontre, s’alignent le violoniste Grégoire Hennebelle et le batteur Nicolas Pointard pour deux longues pièces. L’hésitation est palpable durant les premières minutes et le violoniste peine à trouver sa place dans le son collectif. L’éclairage survient quand le quartette se scinde en duos, puis en trios avant de se reconstituer. Un scénario s’installe alors, guidé par des choix clairs dans les modes de jeu : violon pizzicato et batterie jouant sur l’accentuation rythmique pendant que contrebasse arco et sax ténor élaborent un contrepoint mélodique dans le grave, pour ne donner qu’un exemple. La seconde pièce séduit par la finesse des nuances qui sont trouvées pour accompagner des gestes devenus plus virtuoses et concentrés sur la vitesse et le mouvement. La qualité de l’improvisation collective se mesure au fait qu’aucun geste soliste – même le plus affirmé – ne s’entend détaché d’une intention globale, cette dernière restant toujours perceptible. Une belle et dense énergie collective précède et prépare le decrescendo final. Avec ses hauts et ses (quelques) bas, la rencontre a bien eu lieu.
Mardi 14 octobre 21h, Espace Vauban (Brest) :
« Paysage, avec bruits », création de Marc Ducret avec Journal Intime : Marc Ducret (g), Sylvain Bardiau (tp), Frédéric Gastard (bs), Matthias Mahler (tb).
Cette création a fait l’objet d’une résidence offerte au guitariste et compositeur et au trio Journal Intime, en partenariat avec la ville de Landivisiau où s’est effectué en août dernier le travail de répétition. Auparavant, pour composer la musique de Paysage, avec bruits, Marc Ducret s’était isolé deux semaines à Carantec (Finistère), et la performance a été ponctuée par sa narration de quelques sensations et circonstances qui ont pu offrir un point de départ aux différentes pièces. Une façon de dissiper la tension qui au fil de chacune d’elles s’accumule en raison de la difficulté du répertoire, tension qui s’entend mais aussi se lit sur les visages. La part très importante d’écriture dans ce répertoire tend à accentuer, dans cette « création », le sens que revêt le terme du côté de la musique contemporaine, celui de première exécution. De ce point de vue-là, les difficultés sont trop nombreuses (unissons au cordeau, registres ou articulations rythmiques impossibles, scénarii imprévisibles et truffés de tête à queue…) et le temps de travail collectif a peut-être fait défaut pour que chacun ait suffisamment intégré le matériau de départ pour pouvoir le nourrir et le faire vivre en y apportant le sien propre. Et pour que l’ensemble respire pleinement le bon air marin, même si la tempête n’est jamais bien loin, annoncée ou suggérée par la texture grave de l’ensemble, que la trompette de Sylvain Bardiau et la facilité impressionnante de Fred Gastard dans le suraigu n’éclairent que ponctuellement en la déchirant ou en la striant. Marc Ducret s’est concentré sur le son propre au trio Journal Intime et sur la variété des couleurs qu’il pouvait en tirer, soit en blocs verticaux quasi granitiques, soit sur un mode linéaire et contrapuntique. C’est sous cette seconde forme que son écriture est peut-être la plus efficace, notamment par les associations changeantes des instruments deux à deux qu’elle prévoit. Ducret leur offre un soutien permanent à la guitare tantôt soulignant, tantôt accompagnant rythmiquement d’incessantes brisures, tantôt encore apportant une touche de chatoiement et d’écho à une texture d’ensemble souvent sèche et tranchante. Plus que jamais, s’entendent dans son écriture des influences puisées chez Bartok et Prokofiev – du premier, une Bagatelle sera même offerte note pour note en bis. En dépit de la tension que je décris plus haut, et qui se communique à l’auditeur, restent bien des occasions de se réjouir, et notamment la puissance et l’énergie dégagées par Fred Gastard au fil de plusieurs duos avec le guitariste, où il fait appel à toutes les ressources rythmiques et sonores du saxophone basse avec une extraordinaire virtuosité d’embouchure. Si je reste malgré tout sur une sensation mitigée, c’est certainement en raison de la place délibérément réduite que Marc Ducret s’est attribuée en tant que soliste dans ce Paysage. D’où l’absence de cet équilibre très particulier, que l’on trouve le plus souvent dans sa musique, entre une écriture volontiers cérébrale et sinueuse , et sa liquidat
ion, voire sa désintégration sonore et visuelle dans l’invention instrumentale et la puissance de l’instant. Quoi qu’il en soit et pour toutes ces raisons, ce Paysage avec bruits sera passionnant à réentendre, autant qu’il gagnera, en raison de sa complexité, à être joué et rejoué. Reste à souhaiter d’ores et déjà que cela soit rendu possible sur de nombreuses scènes après cette première brestoise.
Mercredi 15 octobre 12h, salle du CLOUS :
Rencontre ARCH#2 : Samuel Blaser (tb), Frédéric Briet (b), Vincent Raude (électronique), Peter Bruun (d).
Retour mardi midi sur le campus universitaire et à la salle d’animation du CLOUS, où cette fois la soupe chaude ne signale pas seulement la convivialité de l’accueil, elle réchauffe et console de l’humidité ambiante et d’une météo qu’on évitera soigneusement de qualifier de prévisible. Le tromboniste suisse et le batteur danois, qui sont programmés jeudi 16 en trio avec un certain Marc Ducret (18h au Mac Orlan), se présentent pour la deuxième des rencontres ARCH avec les deux « régionaux » de l’étape, Vincent Raude (électronique) et Frédéric Briet (b). Là encore, pour un moment d’improvisation sans préparation ni filet, avec pour seule contrainte de terminer à temps – les étudiants sont au rendez-vous mais la plupart doivent reprendre les cours à 13h. Comme on peut s’y attendre, l’échange débute sous le signe de la prudence et de l’observation mutuelle, guidé par la permanence d’un son collectif à peine perturbé par quelques rayures mélodiques ou bruitistes. Une seconde phase installe un climat d’attente plus régulièrement pulsé mais sombre, où s’ébauche un échange plus riche en gestes mélodiques. A partir de là, s’installe progressivement et dans un temps plus long (rendu tel par l’impression croissante que l’improvisation se déroulera d’un seul tenant jusqu’à son terme) une atmosphère d’incertitude traversée de belles trouvailles mais génératrice de frustration. Celle qu’on décèle chez Samuel Blaser, qui peine à trouver un interlocuteur à son invention mélodique, ou chez Peter Bruun qu’on sent impatient d’être suivi dans un travail rythmique plus soutenu. Parmi les trouvailles, l’accord un moment trouvé sur une pâte sonore feutrée (mailloches, archet et sourdine) ouvrant enfin sur un contrepoint mélodique. Mais, outre que les sons électroniques proposés sont peu inventifs et parviennent difficilement à s’extraire d’une démarche de paysage sonore, la spatialisation de leur diffusion semble s’opposer à en faire un interlocuteur bien localisé et donc bien vivant des instruments. Faute d’une véritable prise de risque venant d’un côté ou de l’autre, et au-delà de trop courts instants de grâce, on retiendra de cette heure d’échange prudent la difficulté bien réelle, pourtant imposée par l’exercice, à surprendre ou à déranger ses partenaires et son auditoire.
Il est bien dommage de devoir sauter dans le TGV du retour avant d’avoir pu entendre le quartet JASS formé par John Hollenbeck, Alban Darche, Samuel Blaser et Sébastien Boisseau programmé ce mercredi à 18h30 à l’Espace Vauban, ou encore le trio formé par le batteur américain avec Nicolas Peoc’h et Eve Risser (jeudi 12h au CLOUS), pour ne rien dire de la plus récente mouture du projet The Bridge (Sylvaine Hélary, Fred Lonberg-Holm, Eve Risser et Mike Reed) qui occupera à son tour la scène du Vauban (jeudi 21h). En fin de semaine, entre autres, le duo inédit et attendu de Don Moye avec Jean-Luc Cappozzo. Puisse cet éclairage introductif stimuler la curiosité et l’envie de venir y goûter sur place, tant pour la qualité de la proposition que pour la dynamique conviviale de sa mise en œuvre.
Atlantique Jazz Festival à Brest, jusqu’au 19 octobre.
Programme complet sur www.atlantiquejazzfestival.com
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L’Atlantique Jazz Festival a commencé dès le 3 octobre, pour une première phase consistant en dix concerts « décentralisés » sur l’ensemble du Finistère : c’est ainsi que de Guidel à Carhaix, de Morlaix à Crozon ou de Landerneau à Lannion se sont produits Laurent de Wilde & Otisto 23, le quartette de Marion Thomas, le duo Pedro Soler/Gaspar Claus ou encore le trio de Craig Taborn, excusez du peu, à Landivisiau le 11. C’est à la seconde phase que votre serviteur a été convié, soit une semaine de rencontres, ateliers et concerts répartis sur une dizaine de lieux à Brest.
Le cœur de l’activité se déroule à l’Espace Vauban ainsi qu’à la salle universitaire du CLOUS, sans oublier deux concerts au Quartz et deux au Mac Orlan. L’occasion de mettre en valeur les partenariats nombreux noués entre l’association Penn Ar Jazz, qui pilote cet événement ainsi que beaucoup d’autres manifestations de jazz en Finistère entre octobre et mai de chaque année. Partenariat avec l’UBO (Université de Bretagne Occidentale), ou encore avec le Conservatoire de Brest qui présentera le travail de ses ateliers jazz à trois reprises lors de premières parties (les 15, 16 & 17). S’il n’était pas possible, hors vacances, de profiter de cette riche semaine, on donnera néanmoins ci-dessous un aperçu, et surtout un entendu, d’un festival non estival qui ne manque pas d’air, dans tous les sens du terme.
Mardi 14 octobre 12h, salle du CLOUS (Brest) :
Rencontre ARCH#1 : Alban Darche (ts), Grégoire Hennebelle (vl), Sébastien Boisseau (b), Nicolas Pointard (d).
Les rencontres ARCH, il faut en dire quelques mots avant de décrire celle qui a ouvert cette semaine. Le concept, développé depuis 3 ans environ, est aussi simple qu’original : une rencontre entre des musiciens locaux réunis au sein de l’Ensemble Nautilis (dirigé par Christophe Rocher) et des musiciens invités au festival, rencontre pas ou peu préparée pour rester gouvernée par l’improvisation et la spontanéité. Pour rester une rencontre, pourrait-on écrire. Une rencontre avec un public différent, essentiellement (mais pas exclusivement) étudiant puisque le lieu choisi en est la Salle d’animation du CLOUS, sur le campus universitaire, à deux pas du Vauban et du Quartz. L’entrée est libre, mais il y a mieux : les visiteurs sont accueillis par une soupe maison chaude et un café, le tout préparé par une épatante équipe de bénévoles. A en juger par le remplissage de la salle, même si certains doivent filer en cours avant la fin de la performance, ceux qui pensent que la soupe attire plus efficacement les étudiants que la musique sont obligés de constater que l’objectif est atteint, de la plus conviviale des façons.
Aux côtés des nantais Sébastien Boisseau (b) et Alban Darche (ts) pour cette première rencontre, s’alignent le violoniste Grégoire Hennebelle et le batteur Nicolas Pointard pour deux longues pièces. L’hésitation est palpable durant les premières minutes et le violoniste peine à trouver sa place dans le son collectif. L’éclairage survient quand le quartette se scinde en duos, puis en trios avant de se reconstituer. Un scénario s’installe alors, guidé par des choix clairs dans les modes de jeu : violon pizzicato et batterie jouant sur l’accentuation rythmique pendant que contrebasse arco et sax ténor élaborent un contrepoint mélodique dans le grave, pour ne donner qu’un exemple. La seconde pièce séduit par la finesse des nuances qui sont trouvées pour accompagner des gestes devenus plus virtuoses et concentrés sur la vitesse et le mouvement. La qualité de l’improvisation collective se mesure au fait qu’aucun geste soliste – même le plus affirmé – ne s’entend détaché d’une intention globale, cette dernière restant toujours perceptible. Une belle et dense énergie collective précède et prépare le decrescendo final. Avec ses hauts et ses (quelques) bas, la rencontre a bien eu lieu.
Mardi 14 octobre 21h, Espace Vauban (Brest) :
« Paysage, avec bruits », création de Marc Ducret avec Journal Intime : Marc Ducret (g), Sylvain Bardiau (tp), Frédéric Gastard (bs), Matthias Mahler (tb).
Cette création a fait l’objet d’une résidence offerte au guitariste et compositeur et au trio Journal Intime, en partenariat avec la ville de Landivisiau où s’est effectué en août dernier le travail de répétition. Auparavant, pour composer la musique de Paysage, avec bruits, Marc Ducret s’était isolé deux semaines à Carantec (Finistère), et la performance a été ponctuée par sa narration de quelques sensations et circonstances qui ont pu offrir un point de départ aux différentes pièces. Une façon de dissiper la tension qui au fil de chacune d’elles s’accumule en raison de la difficulté du répertoire, tension qui s’entend mais aussi se lit sur les visages. La part très importante d’écriture dans ce répertoire tend à accentuer, dans cette « création », le sens que revêt le terme du côté de la musique contemporaine, celui de première exécution. De ce point de vue-là, les difficultés sont trop nombreuses (unissons au cordeau, registres ou articulations rythmiques impossibles, scénarii imprévisibles et truffés de tête à queue…) et le temps de travail collectif a peut-être fait défaut pour que chacun ait suffisamment intégré le matériau de départ pour pouvoir le nourrir et le faire vivre en y apportant le sien propre. Et pour que l’ensemble respire pleinement le bon air marin, même si la tempête n’est jamais bien loin, annoncée ou suggérée par la texture grave de l’ensemble, que la trompette de Sylvain Bardiau et la facilité impressionnante de Fred Gastard dans le suraigu n’éclairent que ponctuellement en la déchirant ou en la striant. Marc Ducret s’est concentré sur le son propre au trio Journal Intime et sur la variété des couleurs qu’il pouvait en tirer, soit en blocs verticaux quasi granitiques, soit sur un mode linéaire et contrapuntique. C’est sous cette seconde forme que son écriture est peut-être la plus efficace, notamment par les associations changeantes des instruments deux à deux qu’elle prévoit. Ducret leur offre un soutien permanent à la guitare tantôt soulignant, tantôt accompagnant rythmiquement d’incessantes brisures, tantôt encore apportant une touche de chatoiement et d’écho à une texture d’ensemble souvent sèche et tranchante. Plus que jamais, s’entendent dans son écriture des influences puisées chez Bartok et Prokofiev – du premier, une Bagatelle sera même offerte note pour note en bis. En dépit de la tension que je décris plus haut, et qui se communique à l’auditeur, restent bien des occasions de se réjouir, et notamment la puissance et l’énergie dégagées par Fred Gastard au fil de plusieurs duos avec le guitariste, où il fait appel à toutes les ressources rythmiques et sonores du saxophone basse avec une extraordinaire virtuosité d’embouchure. Si je reste malgré tout sur une sensation mitigée, c’est certainement en raison de la place délibérément réduite que Marc Ducret s’est attribuée en tant que soliste dans ce Paysage. D’où l’absence de cet équilibre très particulier, que l’on trouve le plus souvent dans sa musique, entre une écriture volontiers cérébrale et sinueuse , et sa liquidat
ion, voire sa désintégration sonore et visuelle dans l’invention instrumentale et la puissance de l’instant. Quoi qu’il en soit et pour toutes ces raisons, ce Paysage avec bruits sera passionnant à réentendre, autant qu’il gagnera, en raison de sa complexité, à être joué et rejoué. Reste à souhaiter d’ores et déjà que cela soit rendu possible sur de nombreuses scènes après cette première brestoise.
Mercredi 15 octobre 12h, salle du CLOUS :
Rencontre ARCH#2 : Samuel Blaser (tb), Frédéric Briet (b), Vincent Raude (électronique), Peter Bruun (d).
Retour mardi midi sur le campus universitaire et à la salle d’animation du CLOUS, où cette fois la soupe chaude ne signale pas seulement la convivialité de l’accueil, elle réchauffe et console de l’humidité ambiante et d’une météo qu’on évitera soigneusement de qualifier de prévisible. Le tromboniste suisse et le batteur danois, qui sont programmés jeudi 16 en trio avec un certain Marc Ducret (18h au Mac Orlan), se présentent pour la deuxième des rencontres ARCH avec les deux « régionaux » de l’étape, Vincent Raude (électronique) et Frédéric Briet (b). Là encore, pour un moment d’improvisation sans préparation ni filet, avec pour seule contrainte de terminer à temps – les étudiants sont au rendez-vous mais la plupart doivent reprendre les cours à 13h. Comme on peut s’y attendre, l’échange débute sous le signe de la prudence et de l’observation mutuelle, guidé par la permanence d’un son collectif à peine perturbé par quelques rayures mélodiques ou bruitistes. Une seconde phase installe un climat d’attente plus régulièrement pulsé mais sombre, où s’ébauche un échange plus riche en gestes mélodiques. A partir de là, s’installe progressivement et dans un temps plus long (rendu tel par l’impression croissante que l’improvisation se déroulera d’un seul tenant jusqu’à son terme) une atmosphère d’incertitude traversée de belles trouvailles mais génératrice de frustration. Celle qu’on décèle chez Samuel Blaser, qui peine à trouver un interlocuteur à son invention mélodique, ou chez Peter Bruun qu’on sent impatient d’être suivi dans un travail rythmique plus soutenu. Parmi les trouvailles, l’accord un moment trouvé sur une pâte sonore feutrée (mailloches, archet et sourdine) ouvrant enfin sur un contrepoint mélodique. Mais, outre que les sons électroniques proposés sont peu inventifs et parviennent difficilement à s’extraire d’une démarche de paysage sonore, la spatialisation de leur diffusion semble s’opposer à en faire un interlocuteur bien localisé et donc bien vivant des instruments. Faute d’une véritable prise de risque venant d’un côté ou de l’autre, et au-delà de trop courts instants de grâce, on retiendra de cette heure d’échange prudent la difficulté bien réelle, pourtant imposée par l’exercice, à surprendre ou à déranger ses partenaires et son auditoire.
Il est bien dommage de devoir sauter dans le TGV du retour avant d’avoir pu entendre le quartet JASS formé par John Hollenbeck, Alban Darche, Samuel Blaser et Sébastien Boisseau programmé ce mercredi à 18h30 à l’Espace Vauban, ou encore le trio formé par le batteur américain avec Nicolas Peoc’h et Eve Risser (jeudi 12h au CLOUS), pour ne rien dire de la plus récente mouture du projet The Bridge (Sylvaine Hélary, Fred Lonberg-Holm, Eve Risser et Mike Reed) qui occupera à son tour la scène du Vauban (jeudi 21h). En fin de semaine, entre autres, le duo inédit et attendu de Don Moye avec Jean-Luc Cappozzo. Puisse cet éclairage introductif stimuler la curiosité et l’envie de venir y goûter sur place, tant pour la qualité de la proposition que pour la dynamique conviviale de sa mise en œuvre.
Atlantique Jazz Festival à Brest, jusqu’au 19 octobre.
Programme complet sur www.atlantiquejazzfestival.com
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L’Atlantique Jazz Festival a commencé dès le 3 octobre, pour une première phase consistant en dix concerts « décentralisés » sur l’ensemble du Finistère : c’est ainsi que de Guidel à Carhaix, de Morlaix à Crozon ou de Landerneau à Lannion se sont produits Laurent de Wilde & Otisto 23, le quartette de Marion Thomas, le duo Pedro Soler/Gaspar Claus ou encore le trio de Craig Taborn, excusez du peu, à Landivisiau le 11. C’est à la seconde phase que votre serviteur a été convié, soit une semaine de rencontres, ateliers et concerts répartis sur une dizaine de lieux à Brest.
Le cœur de l’activité se déroule à l’Espace Vauban ainsi qu’à la salle universitaire du CLOUS, sans oublier deux concerts au Quartz et deux au Mac Orlan. L’occasion de mettre en valeur les partenariats nombreux noués entre l’association Penn Ar Jazz, qui pilote cet événement ainsi que beaucoup d’autres manifestations de jazz en Finistère entre octobre et mai de chaque année. Partenariat avec l’UBO (Université de Bretagne Occidentale), ou encore avec le Conservatoire de Brest qui présentera le travail de ses ateliers jazz à trois reprises lors de premières parties (les 15, 16 & 17). S’il n’était pas possible, hors vacances, de profiter de cette riche semaine, on donnera néanmoins ci-dessous un aperçu, et surtout un entendu, d’un festival non estival qui ne manque pas d’air, dans tous les sens du terme.
Mardi 14 octobre 12h, salle du CLOUS (Brest) :
Rencontre ARCH#1 : Alban Darche (ts), Grégoire Hennebelle (vl), Sébastien Boisseau (b), Nicolas Pointard (d).
Les rencontres ARCH, il faut en dire quelques mots avant de décrire celle qui a ouvert cette semaine. Le concept, développé depuis 3 ans environ, est aussi simple qu’original : une rencontre entre des musiciens locaux réunis au sein de l’Ensemble Nautilis (dirigé par Christophe Rocher) et des musiciens invités au festival, rencontre pas ou peu préparée pour rester gouvernée par l’improvisation et la spontanéité. Pour rester une rencontre, pourrait-on écrire. Une rencontre avec un public différent, essentiellement (mais pas exclusivement) étudiant puisque le lieu choisi en est la Salle d’animation du CLOUS, sur le campus universitaire, à deux pas du Vauban et du Quartz. L’entrée est libre, mais il y a mieux : les visiteurs sont accueillis par une soupe maison chaude et un café, le tout préparé par une épatante équipe de bénévoles. A en juger par le remplissage de la salle, même si certains doivent filer en cours avant la fin de la performance, ceux qui pensent que la soupe attire plus efficacement les étudiants que la musique sont obligés de constater que l’objectif est atteint, de la plus conviviale des façons.
Aux côtés des nantais Sébastien Boisseau (b) et Alban Darche (ts) pour cette première rencontre, s’alignent le violoniste Grégoire Hennebelle et le batteur Nicolas Pointard pour deux longues pièces. L’hésitation est palpable durant les premières minutes et le violoniste peine à trouver sa place dans le son collectif. L’éclairage survient quand le quartette se scinde en duos, puis en trios avant de se reconstituer. Un scénario s’installe alors, guidé par des choix clairs dans les modes de jeu : violon pizzicato et batterie jouant sur l’accentuation rythmique pendant que contrebasse arco et sax ténor élaborent un contrepoint mélodique dans le grave, pour ne donner qu’un exemple. La seconde pièce séduit par la finesse des nuances qui sont trouvées pour accompagner des gestes devenus plus virtuoses et concentrés sur la vitesse et le mouvement. La qualité de l’improvisation collective se mesure au fait qu’aucun geste soliste – même le plus affirmé – ne s’entend détaché d’une intention globale, cette dernière restant toujours perceptible. Une belle et dense énergie collective précède et prépare le decrescendo final. Avec ses hauts et ses (quelques) bas, la rencontre a bien eu lieu.
Mardi 14 octobre 21h, Espace Vauban (Brest) :
« Paysage, avec bruits », création de Marc Ducret avec Journal Intime : Marc Ducret (g), Sylvain Bardiau (tp), Frédéric Gastard (bs), Matthias Mahler (tb).
Cette création a fait l’objet d’une résidence offerte au guitariste et compositeur et au trio Journal Intime, en partenariat avec la ville de Landivisiau où s’est effectué en août dernier le travail de répétition. Auparavant, pour composer la musique de Paysage, avec bruits, Marc Ducret s’était isolé deux semaines à Carantec (Finistère), et la performance a été ponctuée par sa narration de quelques sensations et circonstances qui ont pu offrir un point de départ aux différentes pièces. Une façon de dissiper la tension qui au fil de chacune d’elles s’accumule en raison de la difficulté du répertoire, tension qui s’entend mais aussi se lit sur les visages. La part très importante d’écriture dans ce répertoire tend à accentuer, dans cette « création », le sens que revêt le terme du côté de la musique contemporaine, celui de première exécution. De ce point de vue-là, les difficultés sont trop nombreuses (unissons au cordeau, registres ou articulations rythmiques impossibles, scénarii imprévisibles et truffés de tête à queue…) et le temps de travail collectif a peut-être fait défaut pour que chacun ait suffisamment intégré le matériau de départ pour pouvoir le nourrir et le faire vivre en y apportant le sien propre. Et pour que l’ensemble respire pleinement le bon air marin, même si la tempête n’est jamais bien loin, annoncée ou suggérée par la texture grave de l’ensemble, que la trompette de Sylvain Bardiau et la facilité impressionnante de Fred Gastard dans le suraigu n’éclairent que ponctuellement en la déchirant ou en la striant. Marc Ducret s’est concentré sur le son propre au trio Journal Intime et sur la variété des couleurs qu’il pouvait en tirer, soit en blocs verticaux quasi granitiques, soit sur un mode linéaire et contrapuntique. C’est sous cette seconde forme que son écriture est peut-être la plus efficace, notamment par les associations changeantes des instruments deux à deux qu’elle prévoit. Ducret leur offre un soutien permanent à la guitare tantôt soulignant, tantôt accompagnant rythmiquement d’incessantes brisures, tantôt encore apportant une touche de chatoiement et d’écho à une texture d’ensemble souvent sèche et tranchante. Plus que jamais, s’entendent dans son écriture des influences puisées chez Bartok et Prokofiev – du premier, une Bagatelle sera même offerte note pour note en bis. En dépit de la tension que je décris plus haut, et qui se communique à l’auditeur, restent bien des occasions de se réjouir, et notamment la puissance et l’énergie dégagées par Fred Gastard au fil de plusieurs duos avec le guitariste, où il fait appel à toutes les ressources rythmiques et sonores du saxophone basse avec une extraordinaire virtuosité d’embouchure. Si je reste malgré tout sur une sensation mitigée, c’est certainement en raison de la place délibérément réduite que Marc Ducret s’est attribuée en tant que soliste dans ce Paysage. D’où l’absence de cet équilibre très particulier, que l’on trouve le plus souvent dans sa musique, entre une écriture volontiers cérébrale et sinueuse , et sa liquidat
ion, voire sa désintégration sonore et visuelle dans l’invention instrumentale et la puissance de l’instant. Quoi qu’il en soit et pour toutes ces raisons, ce Paysage avec bruits sera passionnant à réentendre, autant qu’il gagnera, en raison de sa complexité, à être joué et rejoué. Reste à souhaiter d’ores et déjà que cela soit rendu possible sur de nombreuses scènes après cette première brestoise.
Mercredi 15 octobre 12h, salle du CLOUS :
Rencontre ARCH#2 : Samuel Blaser (tb), Frédéric Briet (b), Vincent Raude (électronique), Peter Bruun (d).
Retour mardi midi sur le campus universitaire et à la salle d’animation du CLOUS, où cette fois la soupe chaude ne signale pas seulement la convivialité de l’accueil, elle réchauffe et console de l’humidité ambiante et d’une météo qu’on évitera soigneusement de qualifier de prévisible. Le tromboniste suisse et le batteur danois, qui sont programmés jeudi 16 en trio avec un certain Marc Ducret (18h au Mac Orlan), se présentent pour la deuxième des rencontres ARCH avec les deux « régionaux » de l’étape, Vincent Raude (électronique) et Frédéric Briet (b). Là encore, pour un moment d’improvisation sans préparation ni filet, avec pour seule contrainte de terminer à temps – les étudiants sont au rendez-vous mais la plupart doivent reprendre les cours à 13h. Comme on peut s’y attendre, l’échange débute sous le signe de la prudence et de l’observation mutuelle, guidé par la permanence d’un son collectif à peine perturbé par quelques rayures mélodiques ou bruitistes. Une seconde phase installe un climat d’attente plus régulièrement pulsé mais sombre, où s’ébauche un échange plus riche en gestes mélodiques. A partir de là, s’installe progressivement et dans un temps plus long (rendu tel par l’impression croissante que l’improvisation se déroulera d’un seul tenant jusqu’à son terme) une atmosphère d’incertitude traversée de belles trouvailles mais génératrice de frustration. Celle qu’on décèle chez Samuel Blaser, qui peine à trouver un interlocuteur à son invention mélodique, ou chez Peter Bruun qu’on sent impatient d’être suivi dans un travail rythmique plus soutenu. Parmi les trouvailles, l’accord un moment trouvé sur une pâte sonore feutrée (mailloches, archet et sourdine) ouvrant enfin sur un contrepoint mélodique. Mais, outre que les sons électroniques proposés sont peu inventifs et parviennent difficilement à s’extraire d’une démarche de paysage sonore, la spatialisation de leur diffusion semble s’opposer à en faire un interlocuteur bien localisé et donc bien vivant des instruments. Faute d’une véritable prise de risque venant d’un côté ou de l’autre, et au-delà de trop courts instants de grâce, on retiendra de cette heure d’échange prudent la difficulté bien réelle, pourtant imposée par l’exercice, à surprendre ou à déranger ses partenaires et son auditoire.
Il est bien dommage de devoir sauter dans le TGV du retour avant d’avoir pu entendre le quartet JASS formé par John Hollenbeck, Alban Darche, Samuel Blaser et Sébastien Boisseau programmé ce mercredi à 18h30 à l’Espace Vauban, ou encore le trio formé par le batteur américain avec Nicolas Peoc’h et Eve Risser (jeudi 12h au CLOUS), pour ne rien dire de la plus récente mouture du projet The Bridge (Sylvaine Hélary, Fred Lonberg-Holm, Eve Risser et Mike Reed) qui occupera à son tour la scène du Vauban (jeudi 21h). En fin de semaine, entre autres, le duo inédit et attendu de Don Moye avec Jean-Luc Cappozzo. Puisse cet éclairage introductif stimuler la curiosité et l’envie de venir y goûter sur place, tant pour la qualité de la proposition que pour la dynamique conviviale de sa mise en œuvre.
Atlantique Jazz Festival à Brest, jusqu’au 19 octobre.
Programme complet sur www.atlantiquejazzfestival.com
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L’Atlantique Jazz Festival a commencé dès le 3 octobre, pour une première phase consistant en dix concerts « décentralisés » sur l’ensemble du Finistère : c’est ainsi que de Guidel à Carhaix, de Morlaix à Crozon ou de Landerneau à Lannion se sont produits Laurent de Wilde & Otisto 23, le quartette de Marion Thomas, le duo Pedro Soler/Gaspar Claus ou encore le trio de Craig Taborn, excusez du peu, à Landivisiau le 11. C’est à la seconde phase que votre serviteur a été convié, soit une semaine de rencontres, ateliers et concerts répartis sur une dizaine de lieux à Brest.
Le cœur de l’activité se déroule à l’Espace Vauban ainsi qu’à la salle universitaire du CLOUS, sans oublier deux concerts au Quartz et deux au Mac Orlan. L’occasion de mettre en valeur les partenariats nombreux noués entre l’association Penn Ar Jazz, qui pilote cet événement ainsi que beaucoup d’autres manifestations de jazz en Finistère entre octobre et mai de chaque année. Partenariat avec l’UBO (Université de Bretagne Occidentale), ou encore avec le Conservatoire de Brest qui présentera le travail de ses ateliers jazz à trois reprises lors de premières parties (les 15, 16 & 17). S’il n’était pas possible, hors vacances, de profiter de cette riche semaine, on donnera néanmoins ci-dessous un aperçu, et surtout un entendu, d’un festival non estival qui ne manque pas d’air, dans tous les sens du terme.
Mardi 14 octobre 12h, salle du CLOUS (Brest) :
Rencontre ARCH#1 : Alban Darche (ts), Grégoire Hennebelle (vl), Sébastien Boisseau (b), Nicolas Pointard (d).
Les rencontres ARCH, il faut en dire quelques mots avant de décrire celle qui a ouvert cette semaine. Le concept, développé depuis 3 ans environ, est aussi simple qu’original : une rencontre entre des musiciens locaux réunis au sein de l’Ensemble Nautilis (dirigé par Christophe Rocher) et des musiciens invités au festival, rencontre pas ou peu préparée pour rester gouvernée par l’improvisation et la spontanéité. Pour rester une rencontre, pourrait-on écrire. Une rencontre avec un public différent, essentiellement (mais pas exclusivement) étudiant puisque le lieu choisi en est la Salle d’animation du CLOUS, sur le campus universitaire, à deux pas du Vauban et du Quartz. L’entrée est libre, mais il y a mieux : les visiteurs sont accueillis par une soupe maison chaude et un café, le tout préparé par une épatante équipe de bénévoles. A en juger par le remplissage de la salle, même si certains doivent filer en cours avant la fin de la performance, ceux qui pensent que la soupe attire plus efficacement les étudiants que la musique sont obligés de constater que l’objectif est atteint, de la plus conviviale des façons.
Aux côtés des nantais Sébastien Boisseau (b) et Alban Darche (ts) pour cette première rencontre, s’alignent le violoniste Grégoire Hennebelle et le batteur Nicolas Pointard pour deux longues pièces. L’hésitation est palpable durant les premières minutes et le violoniste peine à trouver sa place dans le son collectif. L’éclairage survient quand le quartette se scinde en duos, puis en trios avant de se reconstituer. Un scénario s’installe alors, guidé par des choix clairs dans les modes de jeu : violon pizzicato et batterie jouant sur l’accentuation rythmique pendant que contrebasse arco et sax ténor élaborent un contrepoint mélodique dans le grave, pour ne donner qu’un exemple. La seconde pièce séduit par la finesse des nuances qui sont trouvées pour accompagner des gestes devenus plus virtuoses et concentrés sur la vitesse et le mouvement. La qualité de l’improvisation collective se mesure au fait qu’aucun geste soliste – même le plus affirmé – ne s’entend détaché d’une intention globale, cette dernière restant toujours perceptible. Une belle et dense énergie collective précède et prépare le decrescendo final. Avec ses hauts et ses (quelques) bas, la rencontre a bien eu lieu.
Mardi 14 octobre 21h, Espace Vauban (Brest) :
« Paysage, avec bruits », création de Marc Ducret avec Journal Intime : Marc Ducret (g), Sylvain Bardiau (tp), Frédéric Gastard (bs), Matthias Mahler (tb).
Cette création a fait l’objet d’une résidence offerte au guitariste et compositeur et au trio Journal Intime, en partenariat avec la ville de Landivisiau où s’est effectué en août dernier le travail de répétition. Auparavant, pour composer la musique de Paysage, avec bruits, Marc Ducret s’était isolé deux semaines à Carantec (Finistère), et la performance a été ponctuée par sa narration de quelques sensations et circonstances qui ont pu offrir un point de départ aux différentes pièces. Une façon de dissiper la tension qui au fil de chacune d’elles s’accumule en raison de la difficulté du répertoire, tension qui s’entend mais aussi se lit sur les visages. La part très importante d’écriture dans ce répertoire tend à accentuer, dans cette « création », le sens que revêt le terme du côté de la musique contemporaine, celui de première exécution. De ce point de vue-là, les difficultés sont trop nombreuses (unissons au cordeau, registres ou articulations rythmiques impossibles, scénarii imprévisibles et truffés de tête à queue…) et le temps de travail collectif a peut-être fait défaut pour que chacun ait suffisamment intégré le matériau de départ pour pouvoir le nourrir et le faire vivre en y apportant le sien propre. Et pour que l’ensemble respire pleinement le bon air marin, même si la tempête n’est jamais bien loin, annoncée ou suggérée par la texture grave de l’ensemble, que la trompette de Sylvain Bardiau et la facilité impressionnante de Fred Gastard dans le suraigu n’éclairent que ponctuellement en la déchirant ou en la striant. Marc Ducret s’est concentré sur le son propre au trio Journal Intime et sur la variété des couleurs qu’il pouvait en tirer, soit en blocs verticaux quasi granitiques, soit sur un mode linéaire et contrapuntique. C’est sous cette seconde forme que son écriture est peut-être la plus efficace, notamment par les associations changeantes des instruments deux à deux qu’elle prévoit. Ducret leur offre un soutien permanent à la guitare tantôt soulignant, tantôt accompagnant rythmiquement d’incessantes brisures, tantôt encore apportant une touche de chatoiement et d’écho à une texture d’ensemble souvent sèche et tranchante. Plus que jamais, s’entendent dans son écriture des influences puisées chez Bartok et Prokofiev – du premier, une Bagatelle sera même offerte note pour note en bis. En dépit de la tension que je décris plus haut, et qui se communique à l’auditeur, restent bien des occasions de se réjouir, et notamment la puissance et l’énergie dégagées par Fred Gastard au fil de plusieurs duos avec le guitariste, où il fait appel à toutes les ressources rythmiques et sonores du saxophone basse avec une extraordinaire virtuosité d’embouchure. Si je reste malgré tout sur une sensation mitigée, c’est certainement en raison de la place délibérément réduite que Marc Ducret s’est attribuée en tant que soliste dans ce Paysage. D’où l’absence de cet équilibre très particulier, que l’on trouve le plus souvent dans sa musique, entre une écriture volontiers cérébrale et sinueuse , et sa liquidat
ion, voire sa désintégration sonore et visuelle dans l’invention instrumentale et la puissance de l’instant. Quoi qu’il en soit et pour toutes ces raisons, ce Paysage avec bruits sera passionnant à réentendre, autant qu’il gagnera, en raison de sa complexité, à être joué et rejoué. Reste à souhaiter d’ores et déjà que cela soit rendu possible sur de nombreuses scènes après cette première brestoise.
Mercredi 15 octobre 12h, salle du CLOUS :
Rencontre ARCH#2 : Samuel Blaser (tb), Frédéric Briet (b), Vincent Raude (électronique), Peter Bruun (d).
Retour mardi midi sur le campus universitaire et à la salle d’animation du CLOUS, où cette fois la soupe chaude ne signale pas seulement la convivialité de l’accueil, elle réchauffe et console de l’humidité ambiante et d’une météo qu’on évitera soigneusement de qualifier de prévisible. Le tromboniste suisse et le batteur danois, qui sont programmés jeudi 16 en trio avec un certain Marc Ducret (18h au Mac Orlan), se présentent pour la deuxième des rencontres ARCH avec les deux « régionaux » de l’étape, Vincent Raude (électronique) et Frédéric Briet (b). Là encore, pour un moment d’improvisation sans préparation ni filet, avec pour seule contrainte de terminer à temps – les étudiants sont au rendez-vous mais la plupart doivent reprendre les cours à 13h. Comme on peut s’y attendre, l’échange débute sous le signe de la prudence et de l’observation mutuelle, guidé par la permanence d’un son collectif à peine perturbé par quelques rayures mélodiques ou bruitistes. Une seconde phase installe un climat d’attente plus régulièrement pulsé mais sombre, où s’ébauche un échange plus riche en gestes mélodiques. A partir de là, s’installe progressivement et dans un temps plus long (rendu tel par l’impression croissante que l’improvisation se déroulera d’un seul tenant jusqu’à son terme) une atmosphère d’incertitude traversée de belles trouvailles mais génératrice de frustration. Celle qu’on décèle chez Samuel Blaser, qui peine à trouver un interlocuteur à son invention mélodique, ou chez Peter Bruun qu’on sent impatient d’être suivi dans un travail rythmique plus soutenu. Parmi les trouvailles, l’accord un moment trouvé sur une pâte sonore feutrée (mailloches, archet et sourdine) ouvrant enfin sur un contrepoint mélodique. Mais, outre que les sons électroniques proposés sont peu inventifs et parviennent difficilement à s’extraire d’une démarche de paysage sonore, la spatialisation de leur diffusion semble s’opposer à en faire un interlocuteur bien localisé et donc bien vivant des instruments. Faute d’une véritable prise de risque venant d’un côté ou de l’autre, et au-delà de trop courts instants de grâce, on retiendra de cette heure d’échange prudent la difficulté bien réelle, pourtant imposée par l’exercice, à surprendre ou à déranger ses partenaires et son auditoire.
Il est bien dommage de devoir sauter dans le TGV du retour avant d’avoir pu entendre le quartet JASS formé par John Hollenbeck, Alban Darche, Samuel Blaser et Sébastien Boisseau programmé ce mercredi à 18h30 à l’Espace Vauban, ou encore le trio formé par le batteur américain avec Nicolas Peoc’h et Eve Risser (jeudi 12h au CLOUS), pour ne rien dire de la plus récente mouture du projet The Bridge (Sylvaine Hélary, Fred Lonberg-Holm, Eve Risser et Mike Reed) qui occupera à son tour la scène du Vauban (jeudi 21h). En fin de semaine, entre autres, le duo inédit et attendu de Don Moye avec Jean-Luc Cappozzo. Puisse cet éclairage introductif stimuler la curiosité et l’envie de venir y goûter sur place, tant pour la qualité de la proposition que pour la dynamique conviviale de sa mise en œuvre.
Atlantique Jazz Festival à Brest, jusqu’au 19 octobre.
Programme complet sur www.atlantiquejazzfestival.com
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L’Atlantique Jazz Festival a commencé dès le 3 octobre, pour une première phase consistant en dix concerts « décentralisés » sur l’ensemble du Finistère : c’est ainsi que de Guidel à Carhaix, de Morlaix à Crozon ou de Landerneau à Lannion se sont produits Laurent de Wilde & Otisto 23, le quartette de Marion Thomas, le duo Pedro Soler/Gaspar Claus ou encore le trio de Craig Taborn, excusez du peu, à Landivisiau le 11. C’est à la seconde phase que votre serviteur a été convié, soit une semaine de rencontres, ateliers et concerts répartis sur une dizaine de lieux à Brest.
Le cœur de l’activité se déroule à l’Espace Vauban ainsi qu’à la salle universitaire du CLOUS, sans oublier deux concerts au Quartz et deux au Mac Orlan. L’occasion de mettre en valeur les partenariats nombreux noués entre l’association Penn Ar Jazz, qui pilote cet événement ainsi que beaucoup d’autres manifestations de jazz en Finistère entre octobre et mai de chaque année. Partenariat avec l’UBO (Université de Bretagne Occidentale), ou encore avec le Conservatoire de Brest qui présentera le travail de ses ateliers jazz à trois reprises lors de premières parties (les 15, 16 & 17). S’il n’était pas possible, hors vacances, de profiter de cette riche semaine, on donnera néanmoins ci-dessous un aperçu, et surtout un entendu, d’un festival non estival qui ne manque pas d’air, dans tous les sens du terme.
Mardi 14 octobre 12h, salle du CLOUS (Brest) :
Rencontre ARCH#1 : Alban Darche (ts), Grégoire Hennebelle (vl), Sébastien Boisseau (b), Nicolas Pointard (d).
Les rencontres ARCH, il faut en dire quelques mots avant de décrire celle qui a ouvert cette semaine. Le concept, développé depuis 3 ans environ, est aussi simple qu’original : une rencontre entre des musiciens locaux réunis au sein de l’Ensemble Nautilis (dirigé par Christophe Rocher) et des musiciens invités au festival, rencontre pas ou peu préparée pour rester gouvernée par l’improvisation et la spontanéité. Pour rester une rencontre, pourrait-on écrire. Une rencontre avec un public différent, essentiellement (mais pas exclusivement) étudiant puisque le lieu choisi en est la Salle d’animation du CLOUS, sur le campus universitaire, à deux pas du Vauban et du Quartz. L’entrée est libre, mais il y a mieux : les visiteurs sont accueillis par une soupe maison chaude et un café, le tout préparé par une épatante équipe de bénévoles. A en juger par le remplissage de la salle, même si certains doivent filer en cours avant la fin de la performance, ceux qui pensent que la soupe attire plus efficacement les étudiants que la musique sont obligés de constater que l’objectif est atteint, de la plus conviviale des façons.
Aux côtés des nantais Sébastien Boisseau (b) et Alban Darche (ts) pour cette première rencontre, s’alignent le violoniste Grégoire Hennebelle et le batteur Nicolas Pointard pour deux longues pièces. L’hésitation est palpable durant les premières minutes et le violoniste peine à trouver sa place dans le son collectif. L’éclairage survient quand le quartette se scinde en duos, puis en trios avant de se reconstituer. Un scénario s’installe alors, guidé par des choix clairs dans les modes de jeu : violon pizzicato et batterie jouant sur l’accentuation rythmique pendant que contrebasse arco et sax ténor élaborent un contrepoint mélodique dans le grave, pour ne donner qu’un exemple. La seconde pièce séduit par la finesse des nuances qui sont trouvées pour accompagner des gestes devenus plus virtuoses et concentrés sur la vitesse et le mouvement. La qualité de l’improvisation collective se mesure au fait qu’aucun geste soliste – même le plus affirmé – ne s’entend détaché d’une intention globale, cette dernière restant toujours perceptible. Une belle et dense énergie collective précède et prépare le decrescendo final. Avec ses hauts et ses (quelques) bas, la rencontre a bien eu lieu.
Mardi 14 octobre 21h, Espace Vauban (Brest) :
« Paysage, avec bruits », création de Marc Ducret avec Journal Intime : Marc Ducret (g), Sylvain Bardiau (tp), Frédéric Gastard (bs), Matthias Mahler (tb).
Cette création a fait l’objet d’une résidence offerte au guitariste et compositeur et au trio Journal Intime, en partenariat avec la ville de Landivisiau où s’est effectué en août dernier le travail de répétition. Auparavant, pour composer la musique de Paysage, avec bruits, Marc Ducret s’était isolé deux semaines à Carantec (Finistère), et la performance a été ponctuée par sa narration de quelques sensations et circonstances qui ont pu offrir un point de départ aux différentes pièces. Une façon de dissiper la tension qui au fil de chacune d’elles s’accumule en raison de la difficulté du répertoire, tension qui s’entend mais aussi se lit sur les visages. La part très importante d’écriture dans ce répertoire tend à accentuer, dans cette « création », le sens que revêt le terme du côté de la musique contemporaine, celui de première exécution. De ce point de vue-là, les difficultés sont trop nombreuses (unissons au cordeau, registres ou articulations rythmiques impossibles, scénarii imprévisibles et truffés de tête à queue…) et le temps de travail collectif a peut-être fait défaut pour que chacun ait suffisamment intégré le matériau de départ pour pouvoir le nourrir et le faire vivre en y apportant le sien propre. Et pour que l’ensemble respire pleinement le bon air marin, même si la tempête n’est jamais bien loin, annoncée ou suggérée par la texture grave de l’ensemble, que la trompette de Sylvain Bardiau et la facilité impressionnante de Fred Gastard dans le suraigu n’éclairent que ponctuellement en la déchirant ou en la striant. Marc Ducret s’est concentré sur le son propre au trio Journal Intime et sur la variété des couleurs qu’il pouvait en tirer, soit en blocs verticaux quasi granitiques, soit sur un mode linéaire et contrapuntique. C’est sous cette seconde forme que son écriture est peut-être la plus efficace, notamment par les associations changeantes des instruments deux à deux qu’elle prévoit. Ducret leur offre un soutien permanent à la guitare tantôt soulignant, tantôt accompagnant rythmiquement d’incessantes brisures, tantôt encore apportant une touche de chatoiement et d’écho à une texture d’ensemble souvent sèche et tranchante. Plus que jamais, s’entendent dans son écriture des influences puisées chez Bartok et Prokofiev – du premier, une Bagatelle sera même offerte note pour note en bis. En dépit de la tension que je décris plus haut, et qui se communique à l’auditeur, restent bien des occasions de se réjouir, et notamment la puissance et l’énergie dégagées par Fred Gastard au fil de plusieurs duos avec le guitariste, où il fait appel à toutes les ressources rythmiques et sonores du saxophone basse avec une extraordinaire virtuosité d’embouchure. Si je reste malgré tout sur une sensation mitigée, c’est certainement en raison de la place délibérément réduite que Marc Ducret s’est attribuée en tant que soliste dans ce Paysage. D’où l’absence de cet équilibre très particulier, que l’on trouve le plus souvent dans sa musique, entre une écriture volontiers cérébrale et sinueuse , et sa liquidat
ion, voire sa désintégration sonore et visuelle dans l’invention instrumentale et la puissance de l’instant. Quoi qu’il en soit et pour toutes ces raisons, ce Paysage avec bruits sera passionnant à réentendre, autant qu’il gagnera, en raison de sa complexité, à être joué et rejoué. Reste à souhaiter d’ores et déjà que cela soit rendu possible sur de nombreuses scènes après cette première brestoise.
Mercredi 15 octobre 12h, salle du CLOUS :
Rencontre ARCH#2 : Samuel Blaser (tb), Frédéric Briet (b), Vincent Raude (électronique), Peter Bruun (d).
Retour mardi midi sur le campus universitaire et à la salle d’animation du CLOUS, où cette fois la soupe chaude ne signale pas seulement la convivialité de l’accueil, elle réchauffe et console de l’humidité ambiante et d’une météo qu’on évitera soigneusement de qualifier de prévisible. Le tromboniste suisse et le batteur danois, qui sont programmés jeudi 16 en trio avec un certain Marc Ducret (18h au Mac Orlan), se présentent pour la deuxième des rencontres ARCH avec les deux « régionaux » de l’étape, Vincent Raude (électronique) et Frédéric Briet (b). Là encore, pour un moment d’improvisation sans préparation ni filet, avec pour seule contrainte de terminer à temps – les étudiants sont au rendez-vous mais la plupart doivent reprendre les cours à 13h. Comme on peut s’y attendre, l’échange débute sous le signe de la prudence et de l’observation mutuelle, guidé par la permanence d’un son collectif à peine perturbé par quelques rayures mélodiques ou bruitistes. Une seconde phase installe un climat d’attente plus régulièrement pulsé mais sombre, où s’ébauche un échange plus riche en gestes mélodiques. A partir de là, s’installe progressivement et dans un temps plus long (rendu tel par l’impression croissante que l’improvisation se déroulera d’un seul tenant jusqu’à son terme) une atmosphère d’incertitude traversée de belles trouvailles mais génératrice de frustration. Celle qu’on décèle chez Samuel Blaser, qui peine à trouver un interlocuteur à son invention mélodique, ou chez Peter Bruun qu’on sent impatient d’être suivi dans un travail rythmique plus soutenu. Parmi les trouvailles, l’accord un moment trouvé sur une pâte sonore feutrée (mailloches, archet et sourdine) ouvrant enfin sur un contrepoint mélodique. Mais, outre que les sons électroniques proposés sont peu inventifs et parviennent difficilement à s’extraire d’une démarche de paysage sonore, la spatialisation de leur diffusion semble s’opposer à en faire un interlocuteur bien localisé et donc bien vivant des instruments. Faute d’une véritable prise de risque venant d’un côté ou de l’autre, et au-delà de trop courts instants de grâce, on retiendra de cette heure d’échange prudent la difficulté bien réelle, pourtant imposée par l’exercice, à surprendre ou à déranger ses partenaires et son auditoire.
Il est bien dommage de devoir sauter dans le TGV du retour avant d’avoir pu entendre le quartet JASS formé par John Hollenbeck, Alban Darche, Samuel Blaser et Sébastien Boisseau programmé ce mercredi à 18h30 à l’Espace Vauban, ou encore le trio formé par le batteur américain avec Nicolas Peoc’h et Eve Risser (jeudi 12h au CLOUS), pour ne rien dire de la plus récente mouture du projet The Bridge (Sylvaine Hélary, Fred Lonberg-Holm, Eve Risser et Mike Reed) qui occupera à son tour la scène du Vauban (jeudi 21h). En fin de semaine, entre autres, le duo inédit et attendu de Don Moye avec Jean-Luc Cappozzo. Puisse cet éclairage introductif stimuler la curiosité et l’envie de venir y goûter sur place, tant pour la qualité de la proposition que pour la dynamique conviviale de sa mise en œuvre.
Atlantique Jazz Festival à Brest, jusqu’au 19 octobre.
Programme complet sur www.atlantiquejazzfestival.com
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L’Atlantique Jazz Festival a commencé dès le 3 octobre, pour une première phase consistant en dix concerts « décentralisés » sur l’ensemble du Finistère : c’est ainsi que de Guidel à Carhaix, de Morlaix à Crozon ou de Landerneau à Lannion se sont produits Laurent de Wilde & Otisto 23, le quartette de Marion Thomas, le duo Pedro Soler/Gaspar Claus ou encore le trio de Craig Taborn, excusez du peu, à Landivisiau le 11. C’est à la seconde phase que votre serviteur a été convié, soit une semaine de rencontres, ateliers et concerts répartis sur une dizaine de lieux à Brest.
Le cœur de l’activité se déroule à l’Espace Vauban ainsi qu’à la salle universitaire du CLOUS, sans oublier deux concerts au Quartz et deux au Mac Orlan. L’occasion de mettre en valeur les partenariats nombreux noués entre l’association Penn Ar Jazz, qui pilote cet événement ainsi que beaucoup d’autres manifestations de jazz en Finistère entre octobre et mai de chaque année. Partenariat avec l’UBO (Université de Bretagne Occidentale), ou encore avec le Conservatoire de Brest qui présentera le travail de ses ateliers jazz à trois reprises lors de premières parties (les 15, 16 & 17). S’il n’était pas possible, hors vacances, de profiter de cette riche semaine, on donnera néanmoins ci-dessous un aperçu, et surtout un entendu, d’un festival non estival qui ne manque pas d’air, dans tous les sens du terme.
Mardi 14 octobre 12h, salle du CLOUS (Brest) :
Rencontre ARCH#1 : Alban Darche (ts), Grégoire Hennebelle (vl), Sébastien Boisseau (b), Nicolas Pointard (d).
Les rencontres ARCH, il faut en dire quelques mots avant de décrire celle qui a ouvert cette semaine. Le concept, développé depuis 3 ans environ, est aussi simple qu’original : une rencontre entre des musiciens locaux réunis au sein de l’Ensemble Nautilis (dirigé par Christophe Rocher) et des musiciens invités au festival, rencontre pas ou peu préparée pour rester gouvernée par l’improvisation et la spontanéité. Pour rester une rencontre, pourrait-on écrire. Une rencontre avec un public différent, essentiellement (mais pas exclusivement) étudiant puisque le lieu choisi en est la Salle d’animation du CLOUS, sur le campus universitaire, à deux pas du Vauban et du Quartz. L’entrée est libre, mais il y a mieux : les visiteurs sont accueillis par une soupe maison chaude et un café, le tout préparé par une épatante équipe de bénévoles. A en juger par le remplissage de la salle, même si certains doivent filer en cours avant la fin de la performance, ceux qui pensent que la soupe attire plus efficacement les étudiants que la musique sont obligés de constater que l’objectif est atteint, de la plus conviviale des façons.
Aux côtés des nantais Sébastien Boisseau (b) et Alban Darche (ts) pour cette première rencontre, s’alignent le violoniste Grégoire Hennebelle et le batteur Nicolas Pointard pour deux longues pièces. L’hésitation est palpable durant les premières minutes et le violoniste peine à trouver sa place dans le son collectif. L’éclairage survient quand le quartette se scinde en duos, puis en trios avant de se reconstituer. Un scénario s’installe alors, guidé par des choix clairs dans les modes de jeu : violon pizzicato et batterie jouant sur l’accentuation rythmique pendant que contrebasse arco et sax ténor élaborent un contrepoint mélodique dans le grave, pour ne donner qu’un exemple. La seconde pièce séduit par la finesse des nuances qui sont trouvées pour accompagner des gestes devenus plus virtuoses et concentrés sur la vitesse et le mouvement. La qualité de l’improvisation collective se mesure au fait qu’aucun geste soliste – même le plus affirmé – ne s’entend détaché d’une intention globale, cette dernière restant toujours perceptible. Une belle et dense énergie collective précède et prépare le decrescendo final. Avec ses hauts et ses (quelques) bas, la rencontre a bien eu lieu.
Mardi 14 octobre 21h, Espace Vauban (Brest) :
« Paysage, avec bruits », création de Marc Ducret avec Journal Intime : Marc Ducret (g), Sylvain Bardiau (tp), Frédéric Gastard (bs), Matthias Mahler (tb).
Cette création a fait l’objet d’une résidence offerte au guitariste et compositeur et au trio Journal Intime, en partenariat avec la ville de Landivisiau où s’est effectué en août dernier le travail de répétition. Auparavant, pour composer la musique de Paysage, avec bruits, Marc Ducret s’était isolé deux semaines à Carantec (Finistère), et la performance a été ponctuée par sa narration de quelques sensations et circonstances qui ont pu offrir un point de départ aux différentes pièces. Une façon de dissiper la tension qui au fil de chacune d’elles s’accumule en raison de la difficulté du répertoire, tension qui s’entend mais aussi se lit sur les visages. La part très importante d’écriture dans ce répertoire tend à accentuer, dans cette « création », le sens que revêt le terme du côté de la musique contemporaine, celui de première exécution. De ce point de vue-là, les difficultés sont trop nombreuses (unissons au cordeau, registres ou articulations rythmiques impossibles, scénarii imprévisibles et truffés de tête à queue…) et le temps de travail collectif a peut-être fait défaut pour que chacun ait suffisamment intégré le matériau de départ pour pouvoir le nourrir et le faire vivre en y apportant le sien propre. Et pour que l’ensemble respire pleinement le bon air marin, même si la tempête n’est jamais bien loin, annoncée ou suggérée par la texture grave de l’ensemble, que la trompette de Sylvain Bardiau et la facilité impressionnante de Fred Gastard dans le suraigu n’éclairent que ponctuellement en la déchirant ou en la striant. Marc Ducret s’est concentré sur le son propre au trio Journal Intime et sur la variété des couleurs qu’il pouvait en tirer, soit en blocs verticaux quasi granitiques, soit sur un mode linéaire et contrapuntique. C’est sous cette seconde forme que son écriture est peut-être la plus efficace, notamment par les associations changeantes des instruments deux à deux qu’elle prévoit. Ducret leur offre un soutien permanent à la guitare tantôt soulignant, tantôt accompagnant rythmiquement d’incessantes brisures, tantôt encore apportant une touche de chatoiement et d’écho à une texture d’ensemble souvent sèche et tranchante. Plus que jamais, s’entendent dans son écriture des influences puisées chez Bartok et Prokofiev – du premier, une Bagatelle sera même offerte note pour note en bis. En dépit de la tension que je décris plus haut, et qui se communique à l’auditeur, restent bien des occasions de se réjouir, et notamment la puissance et l’énergie dégagées par Fred Gastard au fil de plusieurs duos avec le guitariste, où il fait appel à toutes les ressources rythmiques et sonores du saxophone basse avec une extraordinaire virtuosité d’embouchure. Si je reste malgré tout sur une sensation mitigée, c’est certainement en raison de la place délibérément réduite que Marc Ducret s’est attribuée en tant que soliste dans ce Paysage. D’où l’absence de cet équilibre très particulier, que l’on trouve le plus souvent dans sa musique, entre une écriture volontiers cérébrale et sinueuse , et sa liquidat
ion, voire sa désintégration sonore et visuelle dans l’invention instrumentale et la puissance de l’instant. Quoi qu’il en soit et pour toutes ces raisons, ce Paysage avec bruits sera passionnant à réentendre, autant qu’il gagnera, en raison de sa complexité, à être joué et rejoué. Reste à souhaiter d’ores et déjà que cela soit rendu possible sur de nombreuses scènes après cette première brestoise.
Mercredi 15 octobre 12h, salle du CLOUS :
Rencontre ARCH#2 : Samuel Blaser (tb), Frédéric Briet (b), Vincent Raude (électronique), Peter Bruun (d).
Retour mardi midi sur le campus universitaire et à la salle d’animation du CLOUS, où cette fois la soupe chaude ne signale pas seulement la convivialité de l’accueil, elle réchauffe et console de l’humidité ambiante et d’une météo qu’on évitera soigneusement de qualifier de prévisible. Le tromboniste suisse et le batteur danois, qui sont programmés jeudi 16 en trio avec un certain Marc Ducret (18h au Mac Orlan), se présentent pour la deuxième des rencontres ARCH avec les deux « régionaux » de l’étape, Vincent Raude (électronique) et Frédéric Briet (b). Là encore, pour un moment d’improvisation sans préparation ni filet, avec pour seule contrainte de terminer à temps – les étudiants sont au rendez-vous mais la plupart doivent reprendre les cours à 13h. Comme on peut s’y attendre, l’échange débute sous le signe de la prudence et de l’observation mutuelle, guidé par la permanence d’un son collectif à peine perturbé par quelques rayures mélodiques ou bruitistes. Une seconde phase installe un climat d’attente plus régulièrement pulsé mais sombre, où s’ébauche un échange plus riche en gestes mélodiques. A partir de là, s’installe progressivement et dans un temps plus long (rendu tel par l’impression croissante que l’improvisation se déroulera d’un seul tenant jusqu’à son terme) une atmosphère d’incertitude traversée de belles trouvailles mais génératrice de frustration. Celle qu’on décèle chez Samuel Blaser, qui peine à trouver un interlocuteur à son invention mélodique, ou chez Peter Bruun qu’on sent impatient d’être suivi dans un travail rythmique plus soutenu. Parmi les trouvailles, l’accord un moment trouvé sur une pâte sonore feutrée (mailloches, archet et sourdine) ouvrant enfin sur un contrepoint mélodique. Mais, outre que les sons électroniques proposés sont peu inventifs et parviennent difficilement à s’extraire d’une démarche de paysage sonore, la spatialisation de leur diffusion semble s’opposer à en faire un interlocuteur bien localisé et donc bien vivant des instruments. Faute d’une véritable prise de risque venant d’un côté ou de l’autre, et au-delà de trop courts instants de grâce, on retiendra de cette heure d’échange prudent la difficulté bien réelle, pourtant imposée par l’exercice, à surprendre ou à déranger ses partenaires et son auditoire.
Il est bien dommage de devoir sauter dans le TGV du retour avant d’avoir pu entendre le quartet JASS formé par John Hollenbeck, Alban Darche, Samuel Blaser et Sébastien Boisseau programmé ce mercredi à 18h30 à l’Espace Vauban, ou encore le trio formé par le batteur américain avec Nicolas Peoc’h et Eve Risser (jeudi 12h au CLOUS), pour ne rien dire de la plus récente mouture du projet The Bridge (Sylvaine Hélary, Fred Lonberg-Holm, Eve Risser et Mike Reed) qui occupera à son tour la scène du Vauban (jeudi 21h). En fin de semaine, entre autres, le duo inédit et attendu de Don Moye avec Jean-Luc Cappozzo. Puisse cet éclairage introductif stimuler la curiosité et l’envie de venir y goûter sur place, tant pour la qualité de la proposition que pour la dynamique conviviale de sa mise en œuvre.
Atlantique Jazz Festival à Brest, jusqu’au 19 octobre.
Programme complet sur www.atlantiquejazzfestival.com
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L’Atlantique Jazz Festival a commencé dès le 3 octobre, pour une première phase consistant en dix concerts « décentralisés » sur l’ensemble du Finistère : c’est ainsi que de Guidel à Carhaix, de Morlaix à Crozon ou de Landerneau à Lannion se sont produits Laurent de Wilde & Otisto 23, le quartette de Marion Thomas, le duo Pedro Soler/Gaspar Claus ou encore le trio de Craig Taborn, excusez du peu, à Landivisiau le 11. C’est à la seconde phase que votre serviteur a été convié, soit une semaine de rencontres, ateliers et concerts répartis sur une dizaine de lieux à Brest.
Le cœur de l’activité se déroule à l’Espace Vauban ainsi qu’à la salle universitaire du CLOUS, sans oublier deux concerts au Quartz et deux au Mac Orlan. L’occasion de mettre en valeur les partenariats nombreux noués entre l’association Penn Ar Jazz, qui pilote cet événement ainsi que beaucoup d’autres manifestations de jazz en Finistère entre octobre et mai de chaque année. Partenariat avec l’UBO (Université de Bretagne Occidentale), ou encore avec le Conservatoire de Brest qui présentera le travail de ses ateliers jazz à trois reprises lors de premières parties (les 15, 16 & 17). S’il n’était pas possible, hors vacances, de profiter de cette riche semaine, on donnera néanmoins ci-dessous un aperçu, et surtout un entendu, d’un festival non estival qui ne manque pas d’air, dans tous les sens du terme.
Mardi 14 octobre 12h, salle du CLOUS (Brest) :
Rencontre ARCH#1 : Alban Darche (ts), Grégoire Hennebelle (vl), Sébastien Boisseau (b), Nicolas Pointard (d).
Les rencontres ARCH, il faut en dire quelques mots avant de décrire celle qui a ouvert cette semaine. Le concept, développé depuis 3 ans environ, est aussi simple qu’original : une rencontre entre des musiciens locaux réunis au sein de l’Ensemble Nautilis (dirigé par Christophe Rocher) et des musiciens invités au festival, rencontre pas ou peu préparée pour rester gouvernée par l’improvisation et la spontanéité. Pour rester une rencontre, pourrait-on écrire. Une rencontre avec un public différent, essentiellement (mais pas exclusivement) étudiant puisque le lieu choisi en est la Salle d’animation du CLOUS, sur le campus universitaire, à deux pas du Vauban et du Quartz. L’entrée est libre, mais il y a mieux : les visiteurs sont accueillis par une soupe maison chaude et un café, le tout préparé par une épatante équipe de bénévoles. A en juger par le remplissage de la salle, même si certains doivent filer en cours avant la fin de la performance, ceux qui pensent que la soupe attire plus efficacement les étudiants que la musique sont obligés de constater que l’objectif est atteint, de la plus conviviale des façons.
Aux côtés des nantais Sébastien Boisseau (b) et Alban Darche (ts) pour cette première rencontre, s’alignent le violoniste Grégoire Hennebelle et le batteur Nicolas Pointard pour deux longues pièces. L’hésitation est palpable durant les premières minutes et le violoniste peine à trouver sa place dans le son collectif. L’éclairage survient quand le quartette se scinde en duos, puis en trios avant de se reconstituer. Un scénario s’installe alors, guidé par des choix clairs dans les modes de jeu : violon pizzicato et batterie jouant sur l’accentuation rythmique pendant que contrebasse arco et sax ténor élaborent un contrepoint mélodique dans le grave, pour ne donner qu’un exemple. La seconde pièce séduit par la finesse des nuances qui sont trouvées pour accompagner des gestes devenus plus virtuoses et concentrés sur la vitesse et le mouvement. La qualité de l’improvisation collective se mesure au fait qu’aucun geste soliste – même le plus affirmé – ne s’entend détaché d’une intention globale, cette dernière restant toujours perceptible. Une belle et dense énergie collective précède et prépare le decrescendo final. Avec ses hauts et ses (quelques) bas, la rencontre a bien eu lieu.
Mardi 14 octobre 21h, Espace Vauban (Brest) :
« Paysage, avec bruits », création de Marc Ducret avec Journal Intime : Marc Ducret (g), Sylvain Bardiau (tp), Frédéric Gastard (bs), Matthias Mahler (tb).
Cette création a fait l’objet d’une résidence offerte au guitariste et compositeur et au trio Journal Intime, en partenariat avec la ville de Landivisiau où s’est effectué en août dernier le travail de répétition. Auparavant, pour composer la musique de Paysage, avec bruits, Marc Ducret s’était isolé deux semaines à Carantec (Finistère), et la performance a été ponctuée par sa narration de quelques sensations et circonstances qui ont pu offrir un point de départ aux différentes pièces. Une façon de dissiper la tension qui au fil de chacune d’elles s’accumule en raison de la difficulté du répertoire, tension qui s’entend mais aussi se lit sur les visages. La part très importante d’écriture dans ce répertoire tend à accentuer, dans cette « création », le sens que revêt le terme du côté de la musique contemporaine, celui de première exécution. De ce point de vue-là, les difficultés sont trop nombreuses (unissons au cordeau, registres ou articulations rythmiques impossibles, scénarii imprévisibles et truffés de tête à queue…) et le temps de travail collectif a peut-être fait défaut pour que chacun ait suffisamment intégré le matériau de départ pour pouvoir le nourrir et le faire vivre en y apportant le sien propre. Et pour que l’ensemble respire pleinement le bon air marin, même si la tempête n’est jamais bien loin, annoncée ou suggérée par la texture grave de l’ensemble, que la trompette de Sylvain Bardiau et la facilité impressionnante de Fred Gastard dans le suraigu n’éclairent que ponctuellement en la déchirant ou en la striant. Marc Ducret s’est concentré sur le son propre au trio Journal Intime et sur la variété des couleurs qu’il pouvait en tirer, soit en blocs verticaux quasi granitiques, soit sur un mode linéaire et contrapuntique. C’est sous cette seconde forme que son écriture est peut-être la plus efficace, notamment par les associations changeantes des instruments deux à deux qu’elle prévoit. Ducret leur offre un soutien permanent à la guitare tantôt soulignant, tantôt accompagnant rythmiquement d’incessantes brisures, tantôt encore apportant une touche de chatoiement et d’écho à une texture d’ensemble souvent sèche et tranchante. Plus que jamais, s’entendent dans son écriture des influences puisées chez Bartok et Prokofiev – du premier, une Bagatelle sera même offerte note pour note en bis. En dépit de la tension que je décris plus haut, et qui se communique à l’auditeur, restent bien des occasions de se réjouir, et notamment la puissance et l’énergie dégagées par Fred Gastard au fil de plusieurs duos avec le guitariste, où il fait appel à toutes les ressources rythmiques et sonores du saxophone basse avec une extraordinaire virtuosité d’embouchure. Si je reste malgré tout sur une sensation mitigée, c’est certainement en raison de la place délibérément réduite que Marc Ducret s’est attribuée en tant que soliste dans ce Paysage. D’où l’absence de cet équilibre très particulier, que l’on trouve le plus souvent dans sa musique, entre une écriture volontiers cérébrale et sinueuse , et sa liquidat
ion, voire sa désintégration sonore et visuelle dans l’invention instrumentale et la puissance de l’instant. Quoi qu’il en soit et pour toutes ces raisons, ce Paysage avec bruits sera passionnant à réentendre, autant qu’il gagnera, en raison de sa complexité, à être joué et rejoué. Reste à souhaiter d’ores et déjà que cela soit rendu possible sur de nombreuses scènes après cette première brestoise.
Mercredi 15 octobre 12h, salle du CLOUS :
Rencontre ARCH#2 : Samuel Blaser (tb), Frédéric Briet (b), Vincent Raude (électronique), Peter Bruun (d).
Retour mardi midi sur le campus universitaire et à la salle d’animation du CLOUS, où cette fois la soupe chaude ne signale pas seulement la convivialité de l’accueil, elle réchauffe et console de l’humidité ambiante et d’une météo qu’on évitera soigneusement de qualifier de prévisible. Le tromboniste suisse et le batteur danois, qui sont programmés jeudi 16 en trio avec un certain Marc Ducret (18h au Mac Orlan), se présentent pour la deuxième des rencontres ARCH avec les deux « régionaux » de l’étape, Vincent Raude (électronique) et Frédéric Briet (b). Là encore, pour un moment d’improvisation sans préparation ni filet, avec pour seule contrainte de terminer à temps – les étudiants sont au rendez-vous mais la plupart doivent reprendre les cours à 13h. Comme on peut s’y attendre, l’échange débute sous le signe de la prudence et de l’observation mutuelle, guidé par la permanence d’un son collectif à peine perturbé par quelques rayures mélodiques ou bruitistes. Une seconde phase installe un climat d’attente plus régulièrement pulsé mais sombre, où s’ébauche un échange plus riche en gestes mélodiques. A partir de là, s’installe progressivement et dans un temps plus long (rendu tel par l’impression croissante que l’improvisation se déroulera d’un seul tenant jusqu’à son terme) une atmosphère d’incertitude traversée de belles trouvailles mais génératrice de frustration. Celle qu’on décèle chez Samuel Blaser, qui peine à trouver un interlocuteur à son invention mélodique, ou chez Peter Bruun qu’on sent impatient d’être suivi dans un travail rythmique plus soutenu. Parmi les trouvailles, l’accord un moment trouvé sur une pâte sonore feutrée (mailloches, archet et sourdine) ouvrant enfin sur un contrepoint mélodique. Mais, outre que les sons électroniques proposés sont peu inventifs et parviennent difficilement à s’extraire d’une démarche de paysage sonore, la spatialisation de leur diffusion semble s’opposer à en faire un interlocuteur bien localisé et donc bien vivant des instruments. Faute d’une véritable prise de risque venant d’un côté ou de l’autre, et au-delà de trop courts instants de grâce, on retiendra de cette heure d’échange prudent la difficulté bien réelle, pourtant imposée par l’exercice, à surprendre ou à déranger ses partenaires et son auditoire.
Il est bien dommage de devoir sauter dans le TGV du retour avant d’avoir pu entendre le quartet JASS formé par John Hollenbeck, Alban Darche, Samuel Blaser et Sébastien Boisseau programmé ce mercredi à 18h30 à l’Espace Vauban, ou encore le trio formé par le batteur américain avec Nicolas Peoc’h et Eve Risser (jeudi 12h au CLOUS), pour ne rien dire de la plus récente mouture du projet The Bridge (Sylvaine Hélary, Fred Lonberg-Holm, Eve Risser et Mike Reed) qui occupera à son tour la scène du Vauban (jeudi 21h). En fin de semaine, entre autres, le duo inédit et attendu de Don Moye avec Jean-Luc Cappozzo. Puisse cet éclairage introductif stimuler la curiosité et l’envie de venir y goûter sur place, tant pour la qualité de la proposition que pour la dynamique conviviale de sa mise en œuvre.
Atlantique Jazz Festival à Brest, jusqu’au 19 octobre.
Programme complet sur www.atlantiquejazzfestival.com