Reims Jazz Festival: l'ange sourit à Richard Bonnet
Hier 14 novembre, deuxième soirée du Reims Jazz Festival, avec une création audio-BD d’Emmanuel Pedon et la présentation du nouveau quartette du guitariste Richard Bonnet “Warrior”, avec Antonin Rayon, Régis Huby et Darrifourcq, une formation que l’on a désormais hâte de revoir.
Centre culturel Saint-Exupéry, Reims Jazz Festival (51), le 14 novembre 2014.
Bon gré, mal gré, après avoir traversé des zones de turbulences et perdu l’accueil du Domaine Pommery qui lui permettait de jouer sur différentes jauges et de toucher différents publics, du plus pointu au plus “large”, le Reims Jazz Festival poursuit sa route en ce mois de novembre riche en festivals de différentes natures : Jazz d’or à Strasbourg, Nevers d’Jazz, Emergences à Tours, New Jazz festival de Nice, Jazz en Chantereine à l’Est de Paris (autour de Courtry), Jazz au fil de l’Oise, Monte Carlo, célébrations du 70ème anniversaire de Blue Note à Paris. Avec à Reims, à trois quart d’heures de Paris, une attention à la scène locale qui nous fait démarrer la soirée avec une création soutenue par le Conservatoire à rayonnement régional (ce que l’on appelle un CRR).
Emmanuel Pedon 4tet “Villain, l’Homme qui tua Jaurès”, d’après la BD de Daniel Casanave et Frédéric Chef : Xavier Rosselle (sax), Emmanuel Pedon (piano), Stéphane Bartelt (guitare électrique), Claude Tchamitchian (contrebasse).
Le pianiste Emmanuel Pedon est à la manœuvre. Les Rémois le connaissent déjà, ne serait-ce que pour l’avoir déjà entendu en trio avec Claude Tchamitchian lors de l’édition 2012 du même festival, qu’il réinvite cette année pour une création autour d’une BD. Si j’en crois cette apparition sur Youtube en relation avec une exposition présentée par Jazzus en 2012 à la galerie Nexus, le musicien n’en est pas à son premier essai avec les arts graphiques. J’avoue avoir toujours un peu de mal avec le mélange des genres. Je me souviens qu’un soir, m’étant laissé entrainer à l’Opéra Garnier pour voir (lapsus révélateur) un opéra de Janacek (dont aujourd’hui j’ai oublié jusqu’au titre… Jenufa? L’Affaire Makropoulos?) et échangeant mes impressions avec Antoine Hervé croisé à la sortie, je lui avais avoué ma difficulté à découvrir une œuvre musicale lorsque l’écoute est distraite (par du texte, une histoire, des costumes, des décors, une mise en scène, bref du sens et du spectacle), il m’avait répondu : « Moi, c’était peinard ! J’étais au fond d’une loge. Je n’ai rien vu, j’ai tout entendu. » Je pense qu’il exagérait avec un brin d’ironie. Pas moi. Et pas plus face au spectacle d’Emmanuel Pedon, dont je retiens une suite de tableaux illustratifs (au sens de musiques illustrative) et à la fois relativement abstraits (à part quelques évocations mélodiques militaristes ou populaires précises), quelques fulgurences de Tchamitchian (mais lui, je le connais trop bien), quelques bribes pianistiques, électro-guitaristiques et sopranistiques (de musiciens que j’entends pour la première fois) mais surtout les planches dessinées par Frédéric Chef (or en matière de BD, je n’ai aucune compétence) sur le scénario de Daniel Casanave d’après le destin étrange de Raoul Villain, “l’homme qui tua Jean Jaurès”. Et de ce moment musical, c’est l’anecdote (si l’on peut qualifier d’anecdotique l’assassinat de Jaurès) que je retiendrai et qui me poussera, si j’en trouve le temps, d’assister cette après-midi, à 14h30, à la bibliothèque Carnegie, à la conférence sur le sujet de Frédéric Chef et de l’historien Bruno Fuligni.
Richard Bonnet Warrior 4tet : Régis Huby (violon ténor, violon solid body), Richard Bonnet (guitare 7 cordes électrique), Antonin Rayon (orgue Hammond), Sylvain Darrifourcq (batterie).
Et voici Richard Bonnet, un nom que, sans en avoir une connaissance concrète, j’aperçois régulièrement dans les programmes depuis trois ans : duo avec Hasse Poulssen, collaborations avec Régis Huby ou Guillaume Roy, et surtout un disque (“Warrior” Futura) enregistré à New York avec Tony Malaby, Antonin Rayon et Tom Rainey… rien que ça ! C’est ce même répertoire qui nous est présenté ce soir, mais pour la première fois dans une configuration à 50% nouvelle. Premières impressions, à peine distraites du coin de l’œil par le coup de pinceau rapide et précis d’Annie-Claire Avloët à mon côté au premier rang où j’ai trouvé place libre pour cette deuxième partie. Une étrange guitare à 7 cordes, tête de manche creuse (dite “en anneau”), frettée en éventail (selon une disposition que l’on a déjà vue sur la guitare de Charlie Hunter et qui permet des choix de cordes et un accordage plus précis notamment lorsque l’ajout de cordes supplémentaires étend l’ambitus de l’instruemnt). Soit, si mon glanage de ce matin sur le net ne me trompe pas (parce que j’aime bien aller trainer en cuisine), une création pour Richard Bonnet du facteur Kopo d’après son modèle de guitare Perle.
Il ne s’en sert pas vraiment à la façon d’un Charlie Hunter ou de la démo visible sur le site du luthier, mais d’une manière moins spectaculaire, combinant tenue de médiator et finger picking avec un prélude au concert qui m’évoque le banjo frailing et le gumbri (même si la technique est différente, il y a quelque chose de, sinon rustique, du moins très frais, très nature) sous laquelle montent de poignants accents élégiaques du violon et de l’orgue dont on trouvera de nombreux équivalents tout au long du concert, sous forme de fonds ou selon une approche plus pleinement polyphonique. Car il s’agit ici d’une musique très écrite, tout du moins où l’écriture et l’improvisation sont si intimement imbriquées que l’on entend la partition jusque dans les figures les plus paroxystiques du batteur. Non que les musiciens aient le nez collé aux partitions (le leader n’en a aucune devant lui), mais celles-ci sont pleines d’implications pour l’improvisation qui doit, comme me l’expliquera Régis Huby en fin de concert, se concevoir selon des visées et des débouchés très précis en matière de tempo. Ce qui ne sera pas sans mettre en évidence quelques fragilités, notamment en matière de placement rythmique, et une certaine retenue sur un programme très long (manifestement cet orchestre, pour ce premier concert, à envie de jouer et de jouer encore, tout le répertoire disponible).
Je n’en reste pas moins séduit (et Jean-François Mondot également présent, tout autant, alors qu’il découvre ici des esthétiques qu’il méconnaissait), par le naturel de ces phrase pourtant disjointes, de ces jeux polyphoniques, de ces variations mélodiques en contrepoint où la guitare de Richard Bonnet évoque tout à la fois Ducret et Bill Frisell, sans mimétisme, mais aussi Gabor Gado par les accents élégiaques relevés plus haut et d’autres choses encore dans l’écriture qui parle aux familiers de l’Ecole de Canterburry. Ce qui n’est rien dire du son de cette musique qui tient aux personnalités en présence : Sylvain Darifourcq avec une relation d’équilibre sonore avec l’orchestre, d’équilibre rythmique entre l’affranchissement et l’endossement des fonctions de soutien, les couleurs de timbres qui trouve leur plein épanouissement dans une intro solo relevant autant du concert de musique que de l’exposition d’art plastique (ou voudrait l’avoir dans son salon) ; Antonin Rayon (ici sans électronique ajoutée, ni clavinet complémentaire) et ses registres tantôt grumeleux,
tantôt hyper boisés, comme s’il phrasait en manipulant des woodblocks, plus quelque chose qui nous emmène tantôt du côté de Soft Machine (période “Third”) tantôt du côté de Larry Young (période Tony Williams Lifetime) ; Régis Huby et ses violons (retournons dans les caves Dehillerin examiner poêles en fonte et sauteuses étamée : un violon électrique sans caisse de résonance “solid body” et un violon ténor monté d’un jeu de cordes qui lui permet de jouer une octave plus bas que le violon standard, également appelé baritone violin puis violectra dans sa version électrique lorsqu’il fit son apparition entre les mains de Harry Lookofsky et Jean-Luc Ponty), mais surtout la palette qu’il obtient, avec des techniques d’archet qui évoque tant l’époque baroque que la musique contemporaine, voire le rhythm and blues lorsqu’il en tire des pizzicati en forme de “cocottes” de guitare, des pédales d’effet qui le font sonner tantôt comme un instrument à vent, tantôt comme une vielle à roue, tantôt comme un quatuor à lui tout seul, plus un vocabulaire…
Et justement la question du vocabulaire nous intéresse autant ici que la couleur.
Sorti d’une après-midi d’écoute de nouveautés arrivées des Etats-Unis dans les bureaux de Jazzmag, de musiciens brillantissimes, qui ont pignon sur rue dans les clubs new-yorkais qui depuis les années 90 attirent les jeunes jazzmen du monde entier, quel bonheur d’oublier cet académisme de la récurrence, avec les quatre musiciens de Warrior qui réinventent en permanence leur vocabulaire à l’écoute d’une culture générale large qui n’est pas bridée par la sainte parole de quelque Barry Harris ou Ron Carter. Bref, cet orchestre qui donnait ici son premier concert a des choses à nous dire. Pourvu qu’on lui en donne les moyens. On retrouvera Richard Bonnet le 20 novembre à Paris (Théâtre de Verre, 17 rue de la Chapelle) en duo acoustique avec le batteur Eric Dambrin et le 22 à Vaux-le-Pénil en Seine-et-Marne (Ferme des jeux) pour un ciné-concert en duo avec Dominique Pifarély.
Ce soir 15 samedi novembre, le Reims Jazz Festival se poursuit au même endroit avec le trio de Jean-Charles Richard, Peter Herbert et Christophe Marguet, précédé d’un projet énigmatique qui titille notre curiosité, par seulement parce qu’il implique le saxophoniste rémois d’adoption Daniel Erdman, sur les compositions du pianiste Patrick Defossez, Autres voix de piano, Quatre=Onze :(7). Le 18, à l’Opéra de Reims, encore de l’orgue Hammond avec Gary Vesace au sein du John Abercrombie Organ Trio (Adam Nussbaum à la batterie). Le 19, toujours à l’Opéra, le Thisisatrio (Benjamin Moussay, Sarah Murcia et Franck Vaillant) et La Petite Histoire de l’Opéra de Laurent Dehors (avec la soprano Géraldine Keller, mais aussi Andy Emler, Christelle Séry, Jean-Marc Quillet et Gérald Chevillon). Franck Bergerot.
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Hier 14 novembre, deuxième soirée du Reims Jazz Festival, avec une création audio-BD d’Emmanuel Pedon et la présentation du nouveau quartette du guitariste Richard Bonnet “Warrior”, avec Antonin Rayon, Régis Huby et Darrifourcq, une formation que l’on a désormais hâte de revoir.
Centre culturel Saint-Exupéry, Reims Jazz Festival (51), le 14 novembre 2014.
Bon gré, mal gré, après avoir traversé des zones de turbulences et perdu l’accueil du Domaine Pommery qui lui permettait de jouer sur différentes jauges et de toucher différents publics, du plus pointu au plus “large”, le Reims Jazz Festival poursuit sa route en ce mois de novembre riche en festivals de différentes natures : Jazz d’or à Strasbourg, Nevers d’Jazz, Emergences à Tours, New Jazz festival de Nice, Jazz en Chantereine à l’Est de Paris (autour de Courtry), Jazz au fil de l’Oise, Monte Carlo, célébrations du 70ème anniversaire de Blue Note à Paris. Avec à Reims, à trois quart d’heures de Paris, une attention à la scène locale qui nous fait démarrer la soirée avec une création soutenue par le Conservatoire à rayonnement régional (ce que l’on appelle un CRR).
Emmanuel Pedon 4tet “Villain, l’Homme qui tua Jaurès”, d’après la BD de Daniel Casanave et Frédéric Chef : Xavier Rosselle (sax), Emmanuel Pedon (piano), Stéphane Bartelt (guitare électrique), Claude Tchamitchian (contrebasse).
Le pianiste Emmanuel Pedon est à la manœuvre. Les Rémois le connaissent déjà, ne serait-ce que pour l’avoir déjà entendu en trio avec Claude Tchamitchian lors de l’édition 2012 du même festival, qu’il réinvite cette année pour une création autour d’une BD. Si j’en crois cette apparition sur Youtube en relation avec une exposition présentée par Jazzus en 2012 à la galerie Nexus, le musicien n’en est pas à son premier essai avec les arts graphiques. J’avoue avoir toujours un peu de mal avec le mélange des genres. Je me souviens qu’un soir, m’étant laissé entrainer à l’Opéra Garnier pour voir (lapsus révélateur) un opéra de Janacek (dont aujourd’hui j’ai oublié jusqu’au titre… Jenufa? L’Affaire Makropoulos?) et échangeant mes impressions avec Antoine Hervé croisé à la sortie, je lui avais avoué ma difficulté à découvrir une œuvre musicale lorsque l’écoute est distraite (par du texte, une histoire, des costumes, des décors, une mise en scène, bref du sens et du spectacle), il m’avait répondu : « Moi, c’était peinard ! J’étais au fond d’une loge. Je n’ai rien vu, j’ai tout entendu. » Je pense qu’il exagérait avec un brin d’ironie. Pas moi. Et pas plus face au spectacle d’Emmanuel Pedon, dont je retiens une suite de tableaux illustratifs (au sens de musiques illustrative) et à la fois relativement abstraits (à part quelques évocations mélodiques militaristes ou populaires précises), quelques fulgurences de Tchamitchian (mais lui, je le connais trop bien), quelques bribes pianistiques, électro-guitaristiques et sopranistiques (de musiciens que j’entends pour la première fois) mais surtout les planches dessinées par Frédéric Chef (or en matière de BD, je n’ai aucune compétence) sur le scénario de Daniel Casanave d’après le destin étrange de Raoul Villain, “l’homme qui tua Jean Jaurès”. Et de ce moment musical, c’est l’anecdote (si l’on peut qualifier d’anecdotique l’assassinat de Jaurès) que je retiendrai et qui me poussera, si j’en trouve le temps, d’assister cette après-midi, à 14h30, à la bibliothèque Carnegie, à la conférence sur le sujet de Frédéric Chef et de l’historien Bruno Fuligni.
Richard Bonnet Warrior 4tet : Régis Huby (violon ténor, violon solid body), Richard Bonnet (guitare 7 cordes électrique), Antonin Rayon (orgue Hammond), Sylvain Darrifourcq (batterie).
Et voici Richard Bonnet, un nom que, sans en avoir une connaissance concrète, j’aperçois régulièrement dans les programmes depuis trois ans : duo avec Hasse Poulssen, collaborations avec Régis Huby ou Guillaume Roy, et surtout un disque (“Warrior” Futura) enregistré à New York avec Tony Malaby, Antonin Rayon et Tom Rainey… rien que ça ! C’est ce même répertoire qui nous est présenté ce soir, mais pour la première fois dans une configuration à 50% nouvelle. Premières impressions, à peine distraites du coin de l’œil par le coup de pinceau rapide et précis d’Annie-Claire Avloët à mon côté au premier rang où j’ai trouvé place libre pour cette deuxième partie. Une étrange guitare à 7 cordes, tête de manche creuse (dite “en anneau”), frettée en éventail (selon une disposition que l’on a déjà vue sur la guitare de Charlie Hunter et qui permet des choix de cordes et un accordage plus précis notamment lorsque l’ajout de cordes supplémentaires étend l’ambitus de l’instruemnt). Soit, si mon glanage de ce matin sur le net ne me trompe pas (parce que j’aime bien aller trainer en cuisine), une création pour Richard Bonnet du facteur Kopo d’après son modèle de guitare Perle.
Il ne s’en sert pas vraiment à la façon d’un Charlie Hunter ou de la démo visible sur le site du luthier, mais d’une manière moins spectaculaire, combinant tenue de médiator et finger picking avec un prélude au concert qui m’évoque le banjo frailing et le gumbri (même si la technique est différente, il y a quelque chose de, sinon rustique, du moins très frais, très nature) sous laquelle montent de poignants accents élégiaques du violon et de l’orgue dont on trouvera de nombreux équivalents tout au long du concert, sous forme de fonds ou selon une approche plus pleinement polyphonique. Car il s’agit ici d’une musique très écrite, tout du moins où l’écriture et l’improvisation sont si intimement imbriquées que l’on entend la partition jusque dans les figures les plus paroxystiques du batteur. Non que les musiciens aient le nez collé aux partitions (le leader n’en a aucune devant lui), mais celles-ci sont pleines d’implications pour l’improvisation qui doit, comme me l’expliquera Régis Huby en fin de concert, se concevoir selon des visées et des débouchés très précis en matière de tempo. Ce qui ne sera pas sans mettre en évidence quelques fragilités, notamment en matière de placement rythmique, et une certaine retenue sur un programme très long (manifestement cet orchestre, pour ce premier concert, à envie de jouer et de jouer encore, tout le répertoire disponible).
Je n’en reste pas moins séduit (et Jean-François Mondot également présent, tout autant, alors qu’il découvre ici des esthétiques qu’il méconnaissait), par le naturel de ces phrase pourtant disjointes, de ces jeux polyphoniques, de ces variations mélodiques en contrepoint où la guitare de Richard Bonnet évoque tout à la fois Ducret et Bill Frisell, sans mimétisme, mais aussi Gabor Gado par les accents élégiaques relevés plus haut et d’autres choses encore dans l’écriture qui parle aux familiers de l’Ecole de Canterburry. Ce qui n’est rien dire du son de cette musique qui tient aux personnalités en présence : Sylvain Darifourcq avec une relation d’équilibre sonore avec l’orchestre, d’équilibre rythmique entre l’affranchissement et l’endossement des fonctions de soutien, les couleurs de timbres qui trouve leur plein épanouissement dans une intro solo relevant autant du concert de musique que de l’exposition d’art plastique (ou voudrait l’avoir dans son salon) ; Antonin Rayon (ici sans électronique ajoutée, ni clavinet complémentaire) et ses registres tantôt grumeleux,
tantôt hyper boisés, comme s’il phrasait en manipulant des woodblocks, plus quelque chose qui nous emmène tantôt du côté de Soft Machine (période “Third”) tantôt du côté de Larry Young (période Tony Williams Lifetime) ; Régis Huby et ses violons (retournons dans les caves Dehillerin examiner poêles en fonte et sauteuses étamée : un violon électrique sans caisse de résonance “solid body” et un violon ténor monté d’un jeu de cordes qui lui permet de jouer une octave plus bas que le violon standard, également appelé baritone violin puis violectra dans sa version électrique lorsqu’il fit son apparition entre les mains de Harry Lookofsky et Jean-Luc Ponty), mais surtout la palette qu’il obtient, avec des techniques d’archet qui évoque tant l’époque baroque que la musique contemporaine, voire le rhythm and blues lorsqu’il en tire des pizzicati en forme de “cocottes” de guitare, des pédales d’effet qui le font sonner tantôt comme un instrument à vent, tantôt comme une vielle à roue, tantôt comme un quatuor à lui tout seul, plus un vocabulaire…
Et justement la question du vocabulaire nous intéresse autant ici que la couleur.
Sorti d’une après-midi d’écoute de nouveautés arrivées des Etats-Unis dans les bureaux de Jazzmag, de musiciens brillantissimes, qui ont pignon sur rue dans les clubs new-yorkais qui depuis les années 90 attirent les jeunes jazzmen du monde entier, quel bonheur d’oublier cet académisme de la récurrence, avec les quatre musiciens de Warrior qui réinventent en permanence leur vocabulaire à l’écoute d’une culture générale large qui n’est pas bridée par la sainte parole de quelque Barry Harris ou Ron Carter. Bref, cet orchestre qui donnait ici son premier concert a des choses à nous dire. Pourvu qu’on lui en donne les moyens. On retrouvera Richard Bonnet le 20 novembre à Paris (Théâtre de Verre, 17 rue de la Chapelle) en duo acoustique avec le batteur Eric Dambrin et le 22 à Vaux-le-Pénil en Seine-et-Marne (Ferme des jeux) pour un ciné-concert en duo avec Dominique Pifarély.
Ce soir 15 samedi novembre, le Reims Jazz Festival se poursuit au même endroit avec le trio de Jean-Charles Richard, Peter Herbert et Christophe Marguet, précédé d’un projet énigmatique qui titille notre curiosité, par seulement parce qu’il implique le saxophoniste rémois d’adoption Daniel Erdman, sur les compositions du pianiste Patrick Defossez, Autres voix de piano, Quatre=Onze :(7). Le 18, à l’Opéra de Reims, encore de l’orgue Hammond avec Gary Vesace au sein du John Abercrombie Organ Trio (Adam Nussbaum à la batterie). Le 19, toujours à l’Opéra, le Thisisatrio (Benjamin Moussay, Sarah Murcia et Franck Vaillant) et La Petite Histoire de l’Opéra de Laurent Dehors (avec la soprano Géraldine Keller, mais aussi Andy Emler, Christelle Séry, Jean-Marc Quillet et Gérald Chevillon). Franck Bergerot.
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Hier 14 novembre, deuxième soirée du Reims Jazz Festival, avec une création audio-BD d’Emmanuel Pedon et la présentation du nouveau quartette du guitariste Richard Bonnet “Warrior”, avec Antonin Rayon, Régis Huby et Darrifourcq, une formation que l’on a désormais hâte de revoir.
Centre culturel Saint-Exupéry, Reims Jazz Festival (51), le 14 novembre 2014.
Bon gré, mal gré, après avoir traversé des zones de turbulences et perdu l’accueil du Domaine Pommery qui lui permettait de jouer sur différentes jauges et de toucher différents publics, du plus pointu au plus “large”, le Reims Jazz Festival poursuit sa route en ce mois de novembre riche en festivals de différentes natures : Jazz d’or à Strasbourg, Nevers d’Jazz, Emergences à Tours, New Jazz festival de Nice, Jazz en Chantereine à l’Est de Paris (autour de Courtry), Jazz au fil de l’Oise, Monte Carlo, célébrations du 70ème anniversaire de Blue Note à Paris. Avec à Reims, à trois quart d’heures de Paris, une attention à la scène locale qui nous fait démarrer la soirée avec une création soutenue par le Conservatoire à rayonnement régional (ce que l’on appelle un CRR).
Emmanuel Pedon 4tet “Villain, l’Homme qui tua Jaurès”, d’après la BD de Daniel Casanave et Frédéric Chef : Xavier Rosselle (sax), Emmanuel Pedon (piano), Stéphane Bartelt (guitare électrique), Claude Tchamitchian (contrebasse).
Le pianiste Emmanuel Pedon est à la manœuvre. Les Rémois le connaissent déjà, ne serait-ce que pour l’avoir déjà entendu en trio avec Claude Tchamitchian lors de l’édition 2012 du même festival, qu’il réinvite cette année pour une création autour d’une BD. Si j’en crois cette apparition sur Youtube en relation avec une exposition présentée par Jazzus en 2012 à la galerie Nexus, le musicien n’en est pas à son premier essai avec les arts graphiques. J’avoue avoir toujours un peu de mal avec le mélange des genres. Je me souviens qu’un soir, m’étant laissé entrainer à l’Opéra Garnier pour voir (lapsus révélateur) un opéra de Janacek (dont aujourd’hui j’ai oublié jusqu’au titre… Jenufa? L’Affaire Makropoulos?) et échangeant mes impressions avec Antoine Hervé croisé à la sortie, je lui avais avoué ma difficulté à découvrir une œuvre musicale lorsque l’écoute est distraite (par du texte, une histoire, des costumes, des décors, une mise en scène, bref du sens et du spectacle), il m’avait répondu : « Moi, c’était peinard ! J’étais au fond d’une loge. Je n’ai rien vu, j’ai tout entendu. » Je pense qu’il exagérait avec un brin d’ironie. Pas moi. Et pas plus face au spectacle d’Emmanuel Pedon, dont je retiens une suite de tableaux illustratifs (au sens de musiques illustrative) et à la fois relativement abstraits (à part quelques évocations mélodiques militaristes ou populaires précises), quelques fulgurences de Tchamitchian (mais lui, je le connais trop bien), quelques bribes pianistiques, électro-guitaristiques et sopranistiques (de musiciens que j’entends pour la première fois) mais surtout les planches dessinées par Frédéric Chef (or en matière de BD, je n’ai aucune compétence) sur le scénario de Daniel Casanave d’après le destin étrange de Raoul Villain, “l’homme qui tua Jean Jaurès”. Et de ce moment musical, c’est l’anecdote (si l’on peut qualifier d’anecdotique l’assassinat de Jaurès) que je retiendrai et qui me poussera, si j’en trouve le temps, d’assister cette après-midi, à 14h30, à la bibliothèque Carnegie, à la conférence sur le sujet de Frédéric Chef et de l’historien Bruno Fuligni.
Richard Bonnet Warrior 4tet : Régis Huby (violon ténor, violon solid body), Richard Bonnet (guitare 7 cordes électrique), Antonin Rayon (orgue Hammond), Sylvain Darrifourcq (batterie).
Et voici Richard Bonnet, un nom que, sans en avoir une connaissance concrète, j’aperçois régulièrement dans les programmes depuis trois ans : duo avec Hasse Poulssen, collaborations avec Régis Huby ou Guillaume Roy, et surtout un disque (“Warrior” Futura) enregistré à New York avec Tony Malaby, Antonin Rayon et Tom Rainey… rien que ça ! C’est ce même répertoire qui nous est présenté ce soir, mais pour la première fois dans une configuration à 50% nouvelle. Premières impressions, à peine distraites du coin de l’œil par le coup de pinceau rapide et précis d’Annie-Claire Avloët à mon côté au premier rang où j’ai trouvé place libre pour cette deuxième partie. Une étrange guitare à 7 cordes, tête de manche creuse (dite “en anneau”), frettée en éventail (selon une disposition que l’on a déjà vue sur la guitare de Charlie Hunter et qui permet des choix de cordes et un accordage plus précis notamment lorsque l’ajout de cordes supplémentaires étend l’ambitus de l’instruemnt). Soit, si mon glanage de ce matin sur le net ne me trompe pas (parce que j’aime bien aller trainer en cuisine), une création pour Richard Bonnet du facteur Kopo d’après son modèle de guitare Perle.
Il ne s’en sert pas vraiment à la façon d’un Charlie Hunter ou de la démo visible sur le site du luthier, mais d’une manière moins spectaculaire, combinant tenue de médiator et finger picking avec un prélude au concert qui m’évoque le banjo frailing et le gumbri (même si la technique est différente, il y a quelque chose de, sinon rustique, du moins très frais, très nature) sous laquelle montent de poignants accents élégiaques du violon et de l’orgue dont on trouvera de nombreux équivalents tout au long du concert, sous forme de fonds ou selon une approche plus pleinement polyphonique. Car il s’agit ici d’une musique très écrite, tout du moins où l’écriture et l’improvisation sont si intimement imbriquées que l’on entend la partition jusque dans les figures les plus paroxystiques du batteur. Non que les musiciens aient le nez collé aux partitions (le leader n’en a aucune devant lui), mais celles-ci sont pleines d’implications pour l’improvisation qui doit, comme me l’expliquera Régis Huby en fin de concert, se concevoir selon des visées et des débouchés très précis en matière de tempo. Ce qui ne sera pas sans mettre en évidence quelques fragilités, notamment en matière de placement rythmique, et une certaine retenue sur un programme très long (manifestement cet orchestre, pour ce premier concert, à envie de jouer et de jouer encore, tout le répertoire disponible).
Je n’en reste pas moins séduit (et Jean-François Mondot également présent, tout autant, alors qu’il découvre ici des esthétiques qu’il méconnaissait), par le naturel de ces phrase pourtant disjointes, de ces jeux polyphoniques, de ces variations mélodiques en contrepoint où la guitare de Richard Bonnet évoque tout à la fois Ducret et Bill Frisell, sans mimétisme, mais aussi Gabor Gado par les accents élégiaques relevés plus haut et d’autres choses encore dans l’écriture qui parle aux familiers de l’Ecole de Canterburry. Ce qui n’est rien dire du son de cette musique qui tient aux personnalités en présence : Sylvain Darifourcq avec une relation d’équilibre sonore avec l’orchestre, d’équilibre rythmique entre l’affranchissement et l’endossement des fonctions de soutien, les couleurs de timbres qui trouve leur plein épanouissement dans une intro solo relevant autant du concert de musique que de l’exposition d’art plastique (ou voudrait l’avoir dans son salon) ; Antonin Rayon (ici sans électronique ajoutée, ni clavinet complémentaire) et ses registres tantôt grumeleux,
tantôt hyper boisés, comme s’il phrasait en manipulant des woodblocks, plus quelque chose qui nous emmène tantôt du côté de Soft Machine (période “Third”) tantôt du côté de Larry Young (période Tony Williams Lifetime) ; Régis Huby et ses violons (retournons dans les caves Dehillerin examiner poêles en fonte et sauteuses étamée : un violon électrique sans caisse de résonance “solid body” et un violon ténor monté d’un jeu de cordes qui lui permet de jouer une octave plus bas que le violon standard, également appelé baritone violin puis violectra dans sa version électrique lorsqu’il fit son apparition entre les mains de Harry Lookofsky et Jean-Luc Ponty), mais surtout la palette qu’il obtient, avec des techniques d’archet qui évoque tant l’époque baroque que la musique contemporaine, voire le rhythm and blues lorsqu’il en tire des pizzicati en forme de “cocottes” de guitare, des pédales d’effet qui le font sonner tantôt comme un instrument à vent, tantôt comme une vielle à roue, tantôt comme un quatuor à lui tout seul, plus un vocabulaire…
Et justement la question du vocabulaire nous intéresse autant ici que la couleur.
Sorti d’une après-midi d’écoute de nouveautés arrivées des Etats-Unis dans les bureaux de Jazzmag, de musiciens brillantissimes, qui ont pignon sur rue dans les clubs new-yorkais qui depuis les années 90 attirent les jeunes jazzmen du monde entier, quel bonheur d’oublier cet académisme de la récurrence, avec les quatre musiciens de Warrior qui réinventent en permanence leur vocabulaire à l’écoute d’une culture générale large qui n’est pas bridée par la sainte parole de quelque Barry Harris ou Ron Carter. Bref, cet orchestre qui donnait ici son premier concert a des choses à nous dire. Pourvu qu’on lui en donne les moyens. On retrouvera Richard Bonnet le 20 novembre à Paris (Théâtre de Verre, 17 rue de la Chapelle) en duo acoustique avec le batteur Eric Dambrin et le 22 à Vaux-le-Pénil en Seine-et-Marne (Ferme des jeux) pour un ciné-concert en duo avec Dominique Pifarély.
Ce soir 15 samedi novembre, le Reims Jazz Festival se poursuit au même endroit avec le trio de Jean-Charles Richard, Peter Herbert et Christophe Marguet, précédé d’un projet énigmatique qui titille notre curiosité, par seulement parce qu’il implique le saxophoniste rémois d’adoption Daniel Erdman, sur les compositions du pianiste Patrick Defossez, Autres voix de piano, Quatre=Onze :(7). Le 18, à l’Opéra de Reims, encore de l’orgue Hammond avec Gary Vesace au sein du John Abercrombie Organ Trio (Adam Nussbaum à la batterie). Le 19, toujours à l’Opéra, le Thisisatrio (Benjamin Moussay, Sarah Murcia et Franck Vaillant) et La Petite Histoire de l’Opéra de Laurent Dehors (avec la soprano Géraldine Keller, mais aussi Andy Emler, Christelle Séry, Jean-Marc Quillet et Gérald Chevillon). Franck Bergerot.
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Hier 14 novembre, deuxième soirée du Reims Jazz Festival, avec une création audio-BD d’Emmanuel Pedon et la présentation du nouveau quartette du guitariste Richard Bonnet “Warrior”, avec Antonin Rayon, Régis Huby et Darrifourcq, une formation que l’on a désormais hâte de revoir.
Centre culturel Saint-Exupéry, Reims Jazz Festival (51), le 14 novembre 2014.
Bon gré, mal gré, après avoir traversé des zones de turbulences et perdu l’accueil du Domaine Pommery qui lui permettait de jouer sur différentes jauges et de toucher différents publics, du plus pointu au plus “large”, le Reims Jazz Festival poursuit sa route en ce mois de novembre riche en festivals de différentes natures : Jazz d’or à Strasbourg, Nevers d’Jazz, Emergences à Tours, New Jazz festival de Nice, Jazz en Chantereine à l’Est de Paris (autour de Courtry), Jazz au fil de l’Oise, Monte Carlo, célébrations du 70ème anniversaire de Blue Note à Paris. Avec à Reims, à trois quart d’heures de Paris, une attention à la scène locale qui nous fait démarrer la soirée avec une création soutenue par le Conservatoire à rayonnement régional (ce que l’on appelle un CRR).
Emmanuel Pedon 4tet “Villain, l’Homme qui tua Jaurès”, d’après la BD de Daniel Casanave et Frédéric Chef : Xavier Rosselle (sax), Emmanuel Pedon (piano), Stéphane Bartelt (guitare électrique), Claude Tchamitchian (contrebasse).
Le pianiste Emmanuel Pedon est à la manœuvre. Les Rémois le connaissent déjà, ne serait-ce que pour l’avoir déjà entendu en trio avec Claude Tchamitchian lors de l’édition 2012 du même festival, qu’il réinvite cette année pour une création autour d’une BD. Si j’en crois cette apparition sur Youtube en relation avec une exposition présentée par Jazzus en 2012 à la galerie Nexus, le musicien n’en est pas à son premier essai avec les arts graphiques. J’avoue avoir toujours un peu de mal avec le mélange des genres. Je me souviens qu’un soir, m’étant laissé entrainer à l’Opéra Garnier pour voir (lapsus révélateur) un opéra de Janacek (dont aujourd’hui j’ai oublié jusqu’au titre… Jenufa? L’Affaire Makropoulos?) et échangeant mes impressions avec Antoine Hervé croisé à la sortie, je lui avais avoué ma difficulté à découvrir une œuvre musicale lorsque l’écoute est distraite (par du texte, une histoire, des costumes, des décors, une mise en scène, bref du sens et du spectacle), il m’avait répondu : « Moi, c’était peinard ! J’étais au fond d’une loge. Je n’ai rien vu, j’ai tout entendu. » Je pense qu’il exagérait avec un brin d’ironie. Pas moi. Et pas plus face au spectacle d’Emmanuel Pedon, dont je retiens une suite de tableaux illustratifs (au sens de musiques illustrative) et à la fois relativement abstraits (à part quelques évocations mélodiques militaristes ou populaires précises), quelques fulgurences de Tchamitchian (mais lui, je le connais trop bien), quelques bribes pianistiques, électro-guitaristiques et sopranistiques (de musiciens que j’entends pour la première fois) mais surtout les planches dessinées par Frédéric Chef (or en matière de BD, je n’ai aucune compétence) sur le scénario de Daniel Casanave d’après le destin étrange de Raoul Villain, “l’homme qui tua Jean Jaurès”. Et de ce moment musical, c’est l’anecdote (si l’on peut qualifier d’anecdotique l’assassinat de Jaurès) que je retiendrai et qui me poussera, si j’en trouve le temps, d’assister cette après-midi, à 14h30, à la bibliothèque Carnegie, à la conférence sur le sujet de Frédéric Chef et de l’historien Bruno Fuligni.
Richard Bonnet Warrior 4tet : Régis Huby (violon ténor, violon solid body), Richard Bonnet (guitare 7 cordes électrique), Antonin Rayon (orgue Hammond), Sylvain Darrifourcq (batterie).
Et voici Richard Bonnet, un nom que, sans en avoir une connaissance concrète, j’aperçois régulièrement dans les programmes depuis trois ans : duo avec Hasse Poulssen, collaborations avec Régis Huby ou Guillaume Roy, et surtout un disque (“Warrior” Futura) enregistré à New York avec Tony Malaby, Antonin Rayon et Tom Rainey… rien que ça ! C’est ce même répertoire qui nous est présenté ce soir, mais pour la première fois dans une configuration à 50% nouvelle. Premières impressions, à peine distraites du coin de l’œil par le coup de pinceau rapide et précis d’Annie-Claire Avloët à mon côté au premier rang où j’ai trouvé place libre pour cette deuxième partie. Une étrange guitare à 7 cordes, tête de manche creuse (dite “en anneau”), frettée en éventail (selon une disposition que l’on a déjà vue sur la guitare de Charlie Hunter et qui permet des choix de cordes et un accordage plus précis notamment lorsque l’ajout de cordes supplémentaires étend l’ambitus de l’instruemnt). Soit, si mon glanage de ce matin sur le net ne me trompe pas (parce que j’aime bien aller trainer en cuisine), une création pour Richard Bonnet du facteur Kopo d’après son modèle de guitare Perle.
Il ne s’en sert pas vraiment à la façon d’un Charlie Hunter ou de la démo visible sur le site du luthier, mais d’une manière moins spectaculaire, combinant tenue de médiator et finger picking avec un prélude au concert qui m’évoque le banjo frailing et le gumbri (même si la technique est différente, il y a quelque chose de, sinon rustique, du moins très frais, très nature) sous laquelle montent de poignants accents élégiaques du violon et de l’orgue dont on trouvera de nombreux équivalents tout au long du concert, sous forme de fonds ou selon une approche plus pleinement polyphonique. Car il s’agit ici d’une musique très écrite, tout du moins où l’écriture et l’improvisation sont si intimement imbriquées que l’on entend la partition jusque dans les figures les plus paroxystiques du batteur. Non que les musiciens aient le nez collé aux partitions (le leader n’en a aucune devant lui), mais celles-ci sont pleines d’implications pour l’improvisation qui doit, comme me l’expliquera Régis Huby en fin de concert, se concevoir selon des visées et des débouchés très précis en matière de tempo. Ce qui ne sera pas sans mettre en évidence quelques fragilités, notamment en matière de placement rythmique, et une certaine retenue sur un programme très long (manifestement cet orchestre, pour ce premier concert, à envie de jouer et de jouer encore, tout le répertoire disponible).
Je n’en reste pas moins séduit (et Jean-François Mondot également présent, tout autant, alors qu’il découvre ici des esthétiques qu’il méconnaissait), par le naturel de ces phrase pourtant disjointes, de ces jeux polyphoniques, de ces variations mélodiques en contrepoint où la guitare de Richard Bonnet évoque tout à la fois Ducret et Bill Frisell, sans mimétisme, mais aussi Gabor Gado par les accents élégiaques relevés plus haut et d’autres choses encore dans l’écriture qui parle aux familiers de l’Ecole de Canterburry. Ce qui n’est rien dire du son de cette musique qui tient aux personnalités en présence : Sylvain Darifourcq avec une relation d’équilibre sonore avec l’orchestre, d’équilibre rythmique entre l’affranchissement et l’endossement des fonctions de soutien, les couleurs de timbres qui trouve leur plein épanouissement dans une intro solo relevant autant du concert de musique que de l’exposition d’art plastique (ou voudrait l’avoir dans son salon) ; Antonin Rayon (ici sans électronique ajoutée, ni clavinet complémentaire) et ses registres tantôt grumeleux,
tantôt hyper boisés, comme s’il phrasait en manipulant des woodblocks, plus quelque chose qui nous emmène tantôt du côté de Soft Machine (période “Third”) tantôt du côté de Larry Young (période Tony Williams Lifetime) ; Régis Huby et ses violons (retournons dans les caves Dehillerin examiner poêles en fonte et sauteuses étamée : un violon électrique sans caisse de résonance “solid body” et un violon ténor monté d’un jeu de cordes qui lui permet de jouer une octave plus bas que le violon standard, également appelé baritone violin puis violectra dans sa version électrique lorsqu’il fit son apparition entre les mains de Harry Lookofsky et Jean-Luc Ponty), mais surtout la palette qu’il obtient, avec des techniques d’archet qui évoque tant l’époque baroque que la musique contemporaine, voire le rhythm and blues lorsqu’il en tire des pizzicati en forme de “cocottes” de guitare, des pédales d’effet qui le font sonner tantôt comme un instrument à vent, tantôt comme une vielle à roue, tantôt comme un quatuor à lui tout seul, plus un vocabulaire…
Et justement la question du vocabulaire nous intéresse autant ici que la couleur.
Sorti d’une après-midi d’écoute de nouveautés arrivées des Etats-Unis dans les bureaux de Jazzmag, de musiciens brillantissimes, qui ont pignon sur rue dans les clubs new-yorkais qui depuis les années 90 attirent les jeunes jazzmen du monde entier, quel bonheur d’oublier cet académisme de la récurrence, avec les quatre musiciens de Warrior qui réinventent en permanence leur vocabulaire à l’écoute d’une culture générale large qui n’est pas bridée par la sainte parole de quelque Barry Harris ou Ron Carter. Bref, cet orchestre qui donnait ici son premier concert a des choses à nous dire. Pourvu qu’on lui en donne les moyens. On retrouvera Richard Bonnet le 20 novembre à Paris (Théâtre de Verre, 17 rue de la Chapelle) en duo acoustique avec le batteur Eric Dambrin et le 22 à Vaux-le-Pénil en Seine-et-Marne (Ferme des jeux) pour un ciné-concert en duo avec Dominique Pifarély.
Ce soir 15 samedi novembre, le Reims Jazz Festival se poursuit au même endroit avec le trio de Jean-Charles Richard, Peter Herbert et Christophe Marguet, précédé d’un projet énigmatique qui titille notre curiosité, par seulement parce qu’il implique le saxophoniste rémois d’adoption Daniel Erdman, sur les compositions du pianiste Patrick Defossez, Autres voix de piano, Quatre=Onze :(7). Le 18, à l’Opéra de Reims, encore de l’orgue Hammond avec Gary Vesace au sein du John Abercrombie Organ Trio (Adam Nussbaum à la batterie). Le 19, toujours à l’Opéra, le Thisisatrio (Benjamin Moussay, Sarah Murcia et Franck Vaillant) et La Petite Histoire de l’Opéra de Laurent Dehors (avec la soprano Géraldine Keller, mais aussi Andy Emler, Christelle Séry, Jean-Marc Quillet et Gérald Chevillon). Franck Bergerot.