Soirées Tricot à Orléans, première !
Je n’étais jamais venu à Orléans. Sans doute une vieille méfiance (stupide évidemment) à l’égard d’une cité qui, en matière de jazz, présente le risque absolu de s’imaginer, qu’à l’autre bout de l’océan, une autre cité « nouvelle » qui porte le même nom a donné naissance à cette musique, et la célèbre depuis, légitimement mais parfois aussi bruyamment. Bref, fuyons. Et puis cette histoire de Jeanne d’Arc, quand même…
Me promenant néanmoins hier après-midi rue de Bourgogne, sur la droite en remontant la zone piétonne, j’avisais une librairie de bel aspect (1), offrant un certain nombre de livres soldés, dont une superbe série de volumes consacrés à la photographie. J’en suis resssorti plumé mais content, avec un gros volume dédié à Bob Capa (« Un regard en avant », des photos jamais vues), deux petits livres de la collection « Photographie au Musée d ‘Orsay », un livre (de plus) sur Tina Modotti, mon inséparable compagne italo-révolutionnaire depuis un certain quartet de Francesco Bearzatti, un petit Taschen sur Edward Weston (évidemment, son amant…), et un livre qui m’a semblé intéressant sur Diane Arbus. Enhardi, encouragé même, je filais ensuite vers la place du Martroi (martyr) où Jeanne pointe méchamment son épée dans la direction des anglais, et où (mais c’était un peu tard) le marché accueille le vendredi quelques marchands de livres et de disques. Le samedi matin, c’est sur le boulevard Alexandre Martin que se tiennent les puces. Voilà, vous savez tout.
Reste quand même à m’expliquer sur cette histoire de Jeanne, qui (mais attendons la suite) n’est pas sans importance sur certain projet musical. Du moins je suis porté à le croire. Toujours est-il que quand j’étais à l’école des Salins, à Clermont-Ferrand (en 1947 je crois) je n’avais pas vraiment marché dans cette célébration de Jeanne d’Arc, à qui je préférais (allez savoir) celle qu’on nommait dans les livres Jeanne Hachette, qui me plaisait bien avec son air de vouloir déboulonner les assaillants du haut de son rempart. Et puis soyons francs : « pucelle » je ne savais même pas ce que cela voulait dire et je trouvais le mot assez laid.
De toutes façons, les soirées Tricot n’évoquent en rien ce passé. Organisées avec le soutien du directeur de la Scène Nationale d’Orléans (très beau lieu, trois salles dont deux de vaste capacité, de grands espaces où installer des tables de ping-pong et autres objets propres à la détente et aux rencontres, dont un petit restaurant de cuisine locale tenu par la soeur de Florian Satche) et un nombre respectable de partenaires nationaux, elles sont l’exact écho de ce qui se passe depuis trois ans à La Générale, à Paris. Et le programme en est, pour le moins, alléchant.
Rencontres Improvisées : Yves Arquès (p), Nicolas Larmignat (dm), Bart Maris (tp, bugle, piccolo tp)
Marcel et Solange + Samuel Blaser : Samuel Blaser (tb), Gabriel Lemaire (bass-sax, as, cl, alto-cl), Valentin Ceccaldi (cello, melodica), Florian Satche (dm)
Jericho Sinfonia : le grand orchestre du Tricot invite Christophe Monniot : Christophe Monniot (as, ss, comp, arr, dir), Sylvie Gasteau (textes, création sonore), Quentin Biardeau, Gabriel Lemaire (sax, cl), Alain Regardin, Yoann Loustalot (tp, bugle), Jean-Baptiste Lacou, Alexis Persigan (tb), Guillaume Aknine (g), Roberto Negro (p), Valentin Ceccaldi (cello, el-b), Florian Satche, Adrien Chennebault (dm, perc)
Commencer par une rencontre improvisée, quoi de plus légitime ? Après un temps d’observation, celle qui réunit Yves Arquès et Nicolas Larmignat en présence du trompettiste belge Bart Maris fut de très bon niveau, avec ce souci constant de la forme qu’on apprécie tant dans ce type d’exercice, qui ne donne pas toujours de bons résultats. La signal fut donné par le batteur, qui installa au bout de dix minutes une pulsation rythmique complexe mais répétée, repris par le piano (qui peut ajouter à ces motifs rythmiques des successions harmoniques, voire des bribes de mélodie), pour aboutir à deux ou trois moments de forte densité, ou au contraire de suspens, et pour finir un solo absolu de trompette piccolo de toute beauté.
Marcel et Solange invitent Samuel Blaser, c’est très exactement la formation du nouveau CD qu’on vernissait hier soir, « Tomate et Parapluie ». Aux qualités qu’on aime dans ce trio (installation progressive de climats poétiques, musiques rythmées souplement, moments de grâce et instants de fureur) s’ajoutent ici le redoublement de voix graves par l’adjonction du trombone de Samuel Blaser. Visiblement, « Marcel et Solange » ont trouvé le rebond nécéssaire à la prolongation de leur vie musicale.
La « Jericho Sinfonia » de Christophe Monniot constituait évidemment le moment de la soirée le plus attendu, parce que le plus improbable. On n’a pas été déçus, loin de là. Une partition dirigée – parfois à la baguette – écrite avec soin et une certaine complexité rythmique et harmonique (d’aucuns s’en souviendront longtemps !), et une thématique globale circulant entre les questions de résonnance (comment faire s’ébranler un pont suspendu en y faisant marcher une troupe au pas cadencé ?) et celles de l’effondrement (en clair : des murs de Jéricho) en passant par toutes les problématiques connexes, jusqu’à l’explosion finale (atomique) qui aurait pu rejoindre, dans la petite histoire qui nous occupe, celle d’un certain orchestre de l’atomique Count Basie. Les créations sonores de Sylvie Gasteau ponctuent cette « histoire » (Monniot, décidément, aime bien raconter des histoires et nous faire un peu réfléchir…), avec les voix de Bernard Vaisbrot, Louis Moutin (!), Stéphane Douady, le petit François interrogé par Marguerite Duras, et Marco Stroppa. Et des extraits du livre de Josué, traduit et lu en français et en hébreu, et les poèmes « Jérusalem » et « Autoportait » d’Avrohm Soutskever, traduits en français et lus en yiddish et en français par Bernard Vaisbrot.
Je n’ai pu m’empêcher de penser, en écoutant cette pièce vibrante, cuivrée, puissante jusqu’à l’excès, qu’en fait notre doux saxophoniste et compositeur avait voulu rendre hommage aussi à celle qui renversa tant de fortifications et fit tomber tant de murailles. J’ai nommé… mais vous avez compris, nous sommes à Orléans.
Cet après midi les concerts commencent à 17.00 et la nuit sera longue.
Philippe Méziat
(1) La Boîte à Livres, 216 rue de Bourgogne
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Je n’étais jamais venu à Orléans. Sans doute une vieille méfiance (stupide évidemment) à l’égard d’une cité qui, en matière de jazz, présente le risque absolu de s’imaginer, qu’à l’autre bout de l’océan, une autre cité « nouvelle » qui porte le même nom a donné naissance à cette musique, et la célèbre depuis, légitimement mais parfois aussi bruyamment. Bref, fuyons. Et puis cette histoire de Jeanne d’Arc, quand même…
Me promenant néanmoins hier après-midi rue de Bourgogne, sur la droite en remontant la zone piétonne, j’avisais une librairie de bel aspect (1), offrant un certain nombre de livres soldés, dont une superbe série de volumes consacrés à la photographie. J’en suis resssorti plumé mais content, avec un gros volume dédié à Bob Capa (« Un regard en avant », des photos jamais vues), deux petits livres de la collection « Photographie au Musée d ‘Orsay », un livre (de plus) sur Tina Modotti, mon inséparable compagne italo-révolutionnaire depuis un certain quartet de Francesco Bearzatti, un petit Taschen sur Edward Weston (évidemment, son amant…), et un livre qui m’a semblé intéressant sur Diane Arbus. Enhardi, encouragé même, je filais ensuite vers la place du Martroi (martyr) où Jeanne pointe méchamment son épée dans la direction des anglais, et où (mais c’était un peu tard) le marché accueille le vendredi quelques marchands de livres et de disques. Le samedi matin, c’est sur le boulevard Alexandre Martin que se tiennent les puces. Voilà, vous savez tout.
Reste quand même à m’expliquer sur cette histoire de Jeanne, qui (mais attendons la suite) n’est pas sans importance sur certain projet musical. Du moins je suis porté à le croire. Toujours est-il que quand j’étais à l’école des Salins, à Clermont-Ferrand (en 1947 je crois) je n’avais pas vraiment marché dans cette célébration de Jeanne d’Arc, à qui je préférais (allez savoir) celle qu’on nommait dans les livres Jeanne Hachette, qui me plaisait bien avec son air de vouloir déboulonner les assaillants du haut de son rempart. Et puis soyons francs : « pucelle » je ne savais même pas ce que cela voulait dire et je trouvais le mot assez laid.
De toutes façons, les soirées Tricot n’évoquent en rien ce passé. Organisées avec le soutien du directeur de la Scène Nationale d’Orléans (très beau lieu, trois salles dont deux de vaste capacité, de grands espaces où installer des tables de ping-pong et autres objets propres à la détente et aux rencontres, dont un petit restaurant de cuisine locale tenu par la soeur de Florian Satche) et un nombre respectable de partenaires nationaux, elles sont l’exact écho de ce qui se passe depuis trois ans à La Générale, à Paris. Et le programme en est, pour le moins, alléchant.
Rencontres Improvisées : Yves Arquès (p), Nicolas Larmignat (dm), Bart Maris (tp, bugle, piccolo tp)
Marcel et Solange + Samuel Blaser : Samuel Blaser (tb), Gabriel Lemaire (bass-sax, as, cl, alto-cl), Valentin Ceccaldi (cello, melodica), Florian Satche (dm)
Jericho Sinfonia : le grand orchestre du Tricot invite Christophe Monniot : Christophe Monniot (as, ss, comp, arr, dir), Sylvie Gasteau (textes, création sonore), Quentin Biardeau, Gabriel Lemaire (sax, cl), Alain Regardin, Yoann Loustalot (tp, bugle), Jean-Baptiste Lacou, Alexis Persigan (tb), Guillaume Aknine (g), Roberto Negro (p), Valentin Ceccaldi (cello, el-b), Florian Satche, Adrien Chennebault (dm, perc)
Commencer par une rencontre improvisée, quoi de plus légitime ? Après un temps d’observation, celle qui réunit Yves Arquès et Nicolas Larmignat en présence du trompettiste belge Bart Maris fut de très bon niveau, avec ce souci constant de la forme qu’on apprécie tant dans ce type d’exercice, qui ne donne pas toujours de bons résultats. La signal fut donné par le batteur, qui installa au bout de dix minutes une pulsation rythmique complexe mais répétée, repris par le piano (qui peut ajouter à ces motifs rythmiques des successions harmoniques, voire des bribes de mélodie), pour aboutir à deux ou trois moments de forte densité, ou au contraire de suspens, et pour finir un solo absolu de trompette piccolo de toute beauté.
Marcel et Solange invitent Samuel Blaser, c’est très exactement la formation du nouveau CD qu’on vernissait hier soir, « Tomate et Parapluie ». Aux qualités qu’on aime dans ce trio (installation progressive de climats poétiques, musiques rythmées souplement, moments de grâce et instants de fureur) s’ajoutent ici le redoublement de voix graves par l’adjonction du trombone de Samuel Blaser. Visiblement, « Marcel et Solange » ont trouvé le rebond nécéssaire à la prolongation de leur vie musicale.
La « Jericho Sinfonia » de Christophe Monniot constituait évidemment le moment de la soirée le plus attendu, parce que le plus improbable. On n’a pas été déçus, loin de là. Une partition dirigée – parfois à la baguette – écrite avec soin et une certaine complexité rythmique et harmonique (d’aucuns s’en souviendront longtemps !), et une thématique globale circulant entre les questions de résonnance (comment faire s’ébranler un pont suspendu en y faisant marcher une troupe au pas cadencé ?) et celles de l’effondrement (en clair : des murs de Jéricho) en passant par toutes les problématiques connexes, jusqu’à l’explosion finale (atomique) qui aurait pu rejoindre, dans la petite histoire qui nous occupe, celle d’un certain orchestre de l’atomique Count Basie. Les créations sonores de Sylvie Gasteau ponctuent cette « histoire » (Monniot, décidément, aime bien raconter des histoires et nous faire un peu réfléchir…), avec les voix de Bernard Vaisbrot, Louis Moutin (!), Stéphane Douady, le petit François interrogé par Marguerite Duras, et Marco Stroppa. Et des extraits du livre de Josué, traduit et lu en français et en hébreu, et les poèmes « Jérusalem » et « Autoportait » d’Avrohm Soutskever, traduits en français et lus en yiddish et en français par Bernard Vaisbrot.
Je n’ai pu m’empêcher de penser, en écoutant cette pièce vibrante, cuivrée, puissante jusqu’à l’excès, qu’en fait notre doux saxophoniste et compositeur avait voulu rendre hommage aussi à celle qui renversa tant de fortifications et fit tomber tant de murailles. J’ai nommé… mais vous avez compris, nous sommes à Orléans.
Cet après midi les concerts commencent à 17.00 et la nuit sera longue.
Philippe Méziat
(1) La Boîte à Livres, 216 rue de Bourgogne
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Je n’étais jamais venu à Orléans. Sans doute une vieille méfiance (stupide évidemment) à l’égard d’une cité qui, en matière de jazz, présente le risque absolu de s’imaginer, qu’à l’autre bout de l’océan, une autre cité « nouvelle » qui porte le même nom a donné naissance à cette musique, et la célèbre depuis, légitimement mais parfois aussi bruyamment. Bref, fuyons. Et puis cette histoire de Jeanne d’Arc, quand même…
Me promenant néanmoins hier après-midi rue de Bourgogne, sur la droite en remontant la zone piétonne, j’avisais une librairie de bel aspect (1), offrant un certain nombre de livres soldés, dont une superbe série de volumes consacrés à la photographie. J’en suis resssorti plumé mais content, avec un gros volume dédié à Bob Capa (« Un regard en avant », des photos jamais vues), deux petits livres de la collection « Photographie au Musée d ‘Orsay », un livre (de plus) sur Tina Modotti, mon inséparable compagne italo-révolutionnaire depuis un certain quartet de Francesco Bearzatti, un petit Taschen sur Edward Weston (évidemment, son amant…), et un livre qui m’a semblé intéressant sur Diane Arbus. Enhardi, encouragé même, je filais ensuite vers la place du Martroi (martyr) où Jeanne pointe méchamment son épée dans la direction des anglais, et où (mais c’était un peu tard) le marché accueille le vendredi quelques marchands de livres et de disques. Le samedi matin, c’est sur le boulevard Alexandre Martin que se tiennent les puces. Voilà, vous savez tout.
Reste quand même à m’expliquer sur cette histoire de Jeanne, qui (mais attendons la suite) n’est pas sans importance sur certain projet musical. Du moins je suis porté à le croire. Toujours est-il que quand j’étais à l’école des Salins, à Clermont-Ferrand (en 1947 je crois) je n’avais pas vraiment marché dans cette célébration de Jeanne d’Arc, à qui je préférais (allez savoir) celle qu’on nommait dans les livres Jeanne Hachette, qui me plaisait bien avec son air de vouloir déboulonner les assaillants du haut de son rempart. Et puis soyons francs : « pucelle » je ne savais même pas ce que cela voulait dire et je trouvais le mot assez laid.
De toutes façons, les soirées Tricot n’évoquent en rien ce passé. Organisées avec le soutien du directeur de la Scène Nationale d’Orléans (très beau lieu, trois salles dont deux de vaste capacité, de grands espaces où installer des tables de ping-pong et autres objets propres à la détente et aux rencontres, dont un petit restaurant de cuisine locale tenu par la soeur de Florian Satche) et un nombre respectable de partenaires nationaux, elles sont l’exact écho de ce qui se passe depuis trois ans à La Générale, à Paris. Et le programme en est, pour le moins, alléchant.
Rencontres Improvisées : Yves Arquès (p), Nicolas Larmignat (dm), Bart Maris (tp, bugle, piccolo tp)
Marcel et Solange + Samuel Blaser : Samuel Blaser (tb), Gabriel Lemaire (bass-sax, as, cl, alto-cl), Valentin Ceccaldi (cello, melodica), Florian Satche (dm)
Jericho Sinfonia : le grand orchestre du Tricot invite Christophe Monniot : Christophe Monniot (as, ss, comp, arr, dir), Sylvie Gasteau (textes, création sonore), Quentin Biardeau, Gabriel Lemaire (sax, cl), Alain Regardin, Yoann Loustalot (tp, bugle), Jean-Baptiste Lacou, Alexis Persigan (tb), Guillaume Aknine (g), Roberto Negro (p), Valentin Ceccaldi (cello, el-b), Florian Satche, Adrien Chennebault (dm, perc)
Commencer par une rencontre improvisée, quoi de plus légitime ? Après un temps d’observation, celle qui réunit Yves Arquès et Nicolas Larmignat en présence du trompettiste belge Bart Maris fut de très bon niveau, avec ce souci constant de la forme qu’on apprécie tant dans ce type d’exercice, qui ne donne pas toujours de bons résultats. La signal fut donné par le batteur, qui installa au bout de dix minutes une pulsation rythmique complexe mais répétée, repris par le piano (qui peut ajouter à ces motifs rythmiques des successions harmoniques, voire des bribes de mélodie), pour aboutir à deux ou trois moments de forte densité, ou au contraire de suspens, et pour finir un solo absolu de trompette piccolo de toute beauté.
Marcel et Solange invitent Samuel Blaser, c’est très exactement la formation du nouveau CD qu’on vernissait hier soir, « Tomate et Parapluie ». Aux qualités qu’on aime dans ce trio (installation progressive de climats poétiques, musiques rythmées souplement, moments de grâce et instants de fureur) s’ajoutent ici le redoublement de voix graves par l’adjonction du trombone de Samuel Blaser. Visiblement, « Marcel et Solange » ont trouvé le rebond nécéssaire à la prolongation de leur vie musicale.
La « Jericho Sinfonia » de Christophe Monniot constituait évidemment le moment de la soirée le plus attendu, parce que le plus improbable. On n’a pas été déçus, loin de là. Une partition dirigée – parfois à la baguette – écrite avec soin et une certaine complexité rythmique et harmonique (d’aucuns s’en souviendront longtemps !), et une thématique globale circulant entre les questions de résonnance (comment faire s’ébranler un pont suspendu en y faisant marcher une troupe au pas cadencé ?) et celles de l’effondrement (en clair : des murs de Jéricho) en passant par toutes les problématiques connexes, jusqu’à l’explosion finale (atomique) qui aurait pu rejoindre, dans la petite histoire qui nous occupe, celle d’un certain orchestre de l’atomique Count Basie. Les créations sonores de Sylvie Gasteau ponctuent cette « histoire » (Monniot, décidément, aime bien raconter des histoires et nous faire un peu réfléchir…), avec les voix de Bernard Vaisbrot, Louis Moutin (!), Stéphane Douady, le petit François interrogé par Marguerite Duras, et Marco Stroppa. Et des extraits du livre de Josué, traduit et lu en français et en hébreu, et les poèmes « Jérusalem » et « Autoportait » d’Avrohm Soutskever, traduits en français et lus en yiddish et en français par Bernard Vaisbrot.
Je n’ai pu m’empêcher de penser, en écoutant cette pièce vibrante, cuivrée, puissante jusqu’à l’excès, qu’en fait notre doux saxophoniste et compositeur avait voulu rendre hommage aussi à celle qui renversa tant de fortifications et fit tomber tant de murailles. J’ai nommé… mais vous avez compris, nous sommes à Orléans.
Cet après midi les concerts commencent à 17.00 et la nuit sera longue.
Philippe Méziat
(1) La Boîte à Livres, 216 rue de Bourgogne
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Je n’étais jamais venu à Orléans. Sans doute une vieille méfiance (stupide évidemment) à l’égard d’une cité qui, en matière de jazz, présente le risque absolu de s’imaginer, qu’à l’autre bout de l’océan, une autre cité « nouvelle » qui porte le même nom a donné naissance à cette musique, et la célèbre depuis, légitimement mais parfois aussi bruyamment. Bref, fuyons. Et puis cette histoire de Jeanne d’Arc, quand même…
Me promenant néanmoins hier après-midi rue de Bourgogne, sur la droite en remontant la zone piétonne, j’avisais une librairie de bel aspect (1), offrant un certain nombre de livres soldés, dont une superbe série de volumes consacrés à la photographie. J’en suis resssorti plumé mais content, avec un gros volume dédié à Bob Capa (« Un regard en avant », des photos jamais vues), deux petits livres de la collection « Photographie au Musée d ‘Orsay », un livre (de plus) sur Tina Modotti, mon inséparable compagne italo-révolutionnaire depuis un certain quartet de Francesco Bearzatti, un petit Taschen sur Edward Weston (évidemment, son amant…), et un livre qui m’a semblé intéressant sur Diane Arbus. Enhardi, encouragé même, je filais ensuite vers la place du Martroi (martyr) où Jeanne pointe méchamment son épée dans la direction des anglais, et où (mais c’était un peu tard) le marché accueille le vendredi quelques marchands de livres et de disques. Le samedi matin, c’est sur le boulevard Alexandre Martin que se tiennent les puces. Voilà, vous savez tout.
Reste quand même à m’expliquer sur cette histoire de Jeanne, qui (mais attendons la suite) n’est pas sans importance sur certain projet musical. Du moins je suis porté à le croire. Toujours est-il que quand j’étais à l’école des Salins, à Clermont-Ferrand (en 1947 je crois) je n’avais pas vraiment marché dans cette célébration de Jeanne d’Arc, à qui je préférais (allez savoir) celle qu’on nommait dans les livres Jeanne Hachette, qui me plaisait bien avec son air de vouloir déboulonner les assaillants du haut de son rempart. Et puis soyons francs : « pucelle » je ne savais même pas ce que cela voulait dire et je trouvais le mot assez laid.
De toutes façons, les soirées Tricot n’évoquent en rien ce passé. Organisées avec le soutien du directeur de la Scène Nationale d’Orléans (très beau lieu, trois salles dont deux de vaste capacité, de grands espaces où installer des tables de ping-pong et autres objets propres à la détente et aux rencontres, dont un petit restaurant de cuisine locale tenu par la soeur de Florian Satche) et un nombre respectable de partenaires nationaux, elles sont l’exact écho de ce qui se passe depuis trois ans à La Générale, à Paris. Et le programme en est, pour le moins, alléchant.
Rencontres Improvisées : Yves Arquès (p), Nicolas Larmignat (dm), Bart Maris (tp, bugle, piccolo tp)
Marcel et Solange + Samuel Blaser : Samuel Blaser (tb), Gabriel Lemaire (bass-sax, as, cl, alto-cl), Valentin Ceccaldi (cello, melodica), Florian Satche (dm)
Jericho Sinfonia : le grand orchestre du Tricot invite Christophe Monniot : Christophe Monniot (as, ss, comp, arr, dir), Sylvie Gasteau (textes, création sonore), Quentin Biardeau, Gabriel Lemaire (sax, cl), Alain Regardin, Yoann Loustalot (tp, bugle), Jean-Baptiste Lacou, Alexis Persigan (tb), Guillaume Aknine (g), Roberto Negro (p), Valentin Ceccaldi (cello, el-b), Florian Satche, Adrien Chennebault (dm, perc)
Commencer par une rencontre improvisée, quoi de plus légitime ? Après un temps d’observation, celle qui réunit Yves Arquès et Nicolas Larmignat en présence du trompettiste belge Bart Maris fut de très bon niveau, avec ce souci constant de la forme qu’on apprécie tant dans ce type d’exercice, qui ne donne pas toujours de bons résultats. La signal fut donné par le batteur, qui installa au bout de dix minutes une pulsation rythmique complexe mais répétée, repris par le piano (qui peut ajouter à ces motifs rythmiques des successions harmoniques, voire des bribes de mélodie), pour aboutir à deux ou trois moments de forte densité, ou au contraire de suspens, et pour finir un solo absolu de trompette piccolo de toute beauté.
Marcel et Solange invitent Samuel Blaser, c’est très exactement la formation du nouveau CD qu’on vernissait hier soir, « Tomate et Parapluie ». Aux qualités qu’on aime dans ce trio (installation progressive de climats poétiques, musiques rythmées souplement, moments de grâce et instants de fureur) s’ajoutent ici le redoublement de voix graves par l’adjonction du trombone de Samuel Blaser. Visiblement, « Marcel et Solange » ont trouvé le rebond nécéssaire à la prolongation de leur vie musicale.
La « Jericho Sinfonia » de Christophe Monniot constituait évidemment le moment de la soirée le plus attendu, parce que le plus improbable. On n’a pas été déçus, loin de là. Une partition dirigée – parfois à la baguette – écrite avec soin et une certaine complexité rythmique et harmonique (d’aucuns s’en souviendront longtemps !), et une thématique globale circulant entre les questions de résonnance (comment faire s’ébranler un pont suspendu en y faisant marcher une troupe au pas cadencé ?) et celles de l’effondrement (en clair : des murs de Jéricho) en passant par toutes les problématiques connexes, jusqu’à l’explosion finale (atomique) qui aurait pu rejoindre, dans la petite histoire qui nous occupe, celle d’un certain orchestre de l’atomique Count Basie. Les créations sonores de Sylvie Gasteau ponctuent cette « histoire » (Monniot, décidément, aime bien raconter des histoires et nous faire un peu réfléchir…), avec les voix de Bernard Vaisbrot, Louis Moutin (!), Stéphane Douady, le petit François interrogé par Marguerite Duras, et Marco Stroppa. Et des extraits du livre de Josué, traduit et lu en français et en hébreu, et les poèmes « Jérusalem » et « Autoportait » d’Avrohm Soutskever, traduits en français et lus en yiddish et en français par Bernard Vaisbrot.
Je n’ai pu m’empêcher de penser, en écoutant cette pièce vibrante, cuivrée, puissante jusqu’à l’excès, qu’en fait notre doux saxophoniste et compositeur avait voulu rendre hommage aussi à celle qui renversa tant de fortifications et fit tomber tant de murailles. J’ai nommé… mais vous avez compris, nous sommes à Orléans.
Cet après midi les concerts commencent à 17.00 et la nuit sera longue.
Philippe Méziat
(1) La Boîte à Livres, 216 rue de Bourgogne