Gaël Horellou fois trois
A plusieurs reprises, traînant mes guêtres du côté du Duc des Lombards un samedi soir après minuit, avec ma metteuse en images Annie-Claire Alvoët, nous avions été saisis par la puissance et l’énergie de celui qui anime régulièrement la jam : le saxophoniste alto Gaël Horellou. A l’occasion de son nouveau disque (Synthesis, DTC record-Harmonia Mundi) nous avons donc voulu écouter dans des contextes différents (éléctro et accoustique) ce musicien à l’allure de surfeur qui semble entrer en combustion immédiate dès qu’il embouche son instrument.
Gaël Horellou (saxophone alto), Antoine Paganotti (batterie) David patrois (vibraphone), Viktor Nyberg (contrebasse) le Triton, Mairie des Lilas 75020 Paris, le 6 février 2015
Nous commençons par écouter Gaël Horellou dans un contexte éléctronique qui n’est en général pas ma tasse de thé, surtout quand il m’ôte le plaisir de la sonorité « naturelle » de l’instrument. C’est le cas ici, Gaël Horellou est électrifié, se servant de sa main droite pour régler l’ordinateur posé devant lui, de la main gauche pour actionner les clés de son sax. L’électronique, n’est pourtant pas envahissante, je note qu’il existe pour chaque morceau une texture, un son, un bruit, qui sert de signature sonore à la pièce. Pour les trois ou quatre premières compositions, je me laisse emporter par le tourbillon océanique qui sort du saxophone d’Horellou. J’admire les contrepoints subtils de David Patrois au vibraphone, la puissance d’Antoine Paganotti à la batterie. Puis je me lasse de ce parti pris un peu trop systématique de montée épiphanique vers la transe. Du coup, après avoir baigné dans le bouillonnement cosmologique de cette musique (dont quelques effluves renvoient clairement à A Love Supreme), je l’observe depuis le rivage, un peu à l’écart. Je me dis qu’il faudra revenir écouter ces gars-là quand ils auront un peu tourné ensemble, et que leur musique révèlera alors toutes ses potentialités. Après le Triton , nous allons écouter quelques jours plus tard Gaël Horellou dans le contexte accoustique de son organ trio.
Gaël horellou (saxophone alto), Florent Gac ( orgue), Antoine Pagannoti (batterie), le Baiser Salé, 75001 Paris, 10 février 2015
Et là, au Baiser salé, c’est une autre chanson. Le groupe joue des standards et des compos. Ce qui frappe chez Horellou, c’est bien sûr son énergie. Les muscles sont tendus, les yeux exorbités, le bec avalé. Il faut le voir frapper le tempo avec son pied droit comme un taureau avant la charge. Mais cette énergie n’est jamais brouillonne. Elle se canalise dans un discours certes impétueux, mais bien charpenté. Ses phrases sont claires, bien découpées, et chacune d’elles me semble appeler inéluctablement la suivante. De sorte que la profusion de ce saxophoniste qui a beaucoup à dire n’est pas génératrice d’ennui. Tout semble d’une coulée. En écoutant ses chorus sur les deux premiers morceaux (deux standards, Broadway et Hot House) j’ai l’impression d’un pêcheur béni des dieux qui ferait des trous sur la banquise et en ressortirait immédiatement des poissons accrochés à son fil. J’imagine aussi tout le travail qu’il a fallu pour parvenir à la spontanéité de ces pêches miraculeurses. Un des plus beaux moments du concert : lorsque Horellou joue un vieux standard des années 20, I surrender dear. Il va chercher alors des inflexions alanguies à la Johnny Hodges, parvenant à être tendre et nostalgique sans perdre jamais de son intensité. En l’écoutant jouer magnifiquement Fantasy in D de Cedar Walton et We’ll be together again je réalise à quel point Horellou est décidément un magnifique joueur de ballades. Il est superbement soutenu par Antoine Paganotti, son fidèle batteur, et Florent Gac, à l’orgue, qui trouve des lignes gorgées de blues pour le soutenir, comme dans From roots , un autre thème de Cedar Walton. J’échange quelques mots avec Gaël Horellou. Il m’annonce , les yeux brillants, qu’il va jouer avec Alain Jean-Marie dans quelques jours. « On se connaît depuis très longtemps , mais on n’a jamais joué ensemble. Venez nous écouter !». A ce genre de propositions, il est absolument impossible de dire non.
Gaël Horellou (alto saxophone) Alain jean-marie (piano), Bruno Roussely (contrebasse) , Antoine Pagannotti (batterie)
Ici encore, standards et compositions sont au menu. Gaël Horellou est un compositeur assez prolifique, qui aime rendre hommage à ses aînés en leur dédiant certaines pièces : Roy, ou enco
re le très beau Dexter. La présence d’Alain Jean-Marie semble pousser Horellou à donner encore plus. Le groupe joue I surrendear dear, (décidément un favori d’Horellou), Bohemia after dark (dont le thème est magnifiquement énoncé par l’altiste), Nobody else but me, Close your eyes. Mais c’est sur Warm Valley, de Duke Ellington, que la soirée bascule, et que Gaël Horellou atteint des sommets d’expressivité et de lyrisme, ne serait-ce que dans l’exposé du thème. Et Alain jean-Marie ? Mine de rien, il prend sa part de l’incendie. On loue habituellement son élégance, son écoute, sa pudeur. Tout cela est vrai. Sauf que la confrontation avec Gaël Horellou fait ressortir tout ce qui est nerveux, griffant, mordant , dans son jeu. Il s’offre aussi de splendides échanges avec le contrebassiste Bruno Roussely. On sort absolument comblé de ce concert.
Et ce Gaël Horellou ? quel genre de type est-il ? Au Baiser salé, entre deux sets, on a bavardé avec lui. Il est aussi posé dans la vie que torrentiel sur scène. Il choisit ses mots avec un grand soin. Quant on lui a fait remarquer combien on était frappé par l’enchaînement inéluctable de ses phrases, (je n’ose lui dire qu’il m’a fait penser à un pêcheur béni des dieux…) il réfléchit et dit : « C’est vrai que je suis réputé pouvoir jouer très longtemps…mais je ne parle pas tout seul…et je trouve mon énergie pas seulement en moi, mais dans les membres du groupe… ». Tout d’un coup il s’arrête. Le concert va reprendre. Il ne doit pas traîner, il y a tant de pêches miraculeuses qui l’attendent…
texte JF Mondot
Dessins: AC Alvoët
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A plusieurs reprises, traînant mes guêtres du côté du Duc des Lombards un samedi soir après minuit, avec ma metteuse en images Annie-Claire Alvoët, nous avions été saisis par la puissance et l’énergie de celui qui anime régulièrement la jam : le saxophoniste alto Gaël Horellou. A l’occasion de son nouveau disque (Synthesis, DTC record-Harmonia Mundi) nous avons donc voulu écouter dans des contextes différents (éléctro et accoustique) ce musicien à l’allure de surfeur qui semble entrer en combustion immédiate dès qu’il embouche son instrument.
Gaël Horellou (saxophone alto), Antoine Paganotti (batterie) David patrois (vibraphone), Viktor Nyberg (contrebasse) le Triton, Mairie des Lilas 75020 Paris, le 6 février 2015
Nous commençons par écouter Gaël Horellou dans un contexte éléctronique qui n’est en général pas ma tasse de thé, surtout quand il m’ôte le plaisir de la sonorité « naturelle » de l’instrument. C’est le cas ici, Gaël Horellou est électrifié, se servant de sa main droite pour régler l’ordinateur posé devant lui, de la main gauche pour actionner les clés de son sax. L’électronique, n’est pourtant pas envahissante, je note qu’il existe pour chaque morceau une texture, un son, un bruit, qui sert de signature sonore à la pièce. Pour les trois ou quatre premières compositions, je me laisse emporter par le tourbillon océanique qui sort du saxophone d’Horellou. J’admire les contrepoints subtils de David Patrois au vibraphone, la puissance d’Antoine Paganotti à la batterie. Puis je me lasse de ce parti pris un peu trop systématique de montée épiphanique vers la transe. Du coup, après avoir baigné dans le bouillonnement cosmologique de cette musique (dont quelques effluves renvoient clairement à A Love Supreme), je l’observe depuis le rivage, un peu à l’écart. Je me dis qu’il faudra revenir écouter ces gars-là quand ils auront un peu tourné ensemble, et que leur musique révèlera alors toutes ses potentialités. Après le Triton , nous allons écouter quelques jours plus tard Gaël Horellou dans le contexte accoustique de son organ trio.
Gaël horellou (saxophone alto), Florent Gac ( orgue), Antoine Pagannoti (batterie), le Baiser Salé, 75001 Paris, 10 février 2015
Et là, au Baiser salé, c’est une autre chanson. Le groupe joue des standards et des compos. Ce qui frappe chez Horellou, c’est bien sûr son énergie. Les muscles sont tendus, les yeux exorbités, le bec avalé. Il faut le voir frapper le tempo avec son pied droit comme un taureau avant la charge. Mais cette énergie n’est jamais brouillonne. Elle se canalise dans un discours certes impétueux, mais bien charpenté. Ses phrases sont claires, bien découpées, et chacune d’elles me semble appeler inéluctablement la suivante. De sorte que la profusion de ce saxophoniste qui a beaucoup à dire n’est pas génératrice d’ennui. Tout semble d’une coulée. En écoutant ses chorus sur les deux premiers morceaux (deux standards, Broadway et Hot House) j’ai l’impression d’un pêcheur béni des dieux qui ferait des trous sur la banquise et en ressortirait immédiatement des poissons accrochés à son fil. J’imagine aussi tout le travail qu’il a fallu pour parvenir à la spontanéité de ces pêches miraculeurses. Un des plus beaux moments du concert : lorsque Horellou joue un vieux standard des années 20, I surrender dear. Il va chercher alors des inflexions alanguies à la Johnny Hodges, parvenant à être tendre et nostalgique sans perdre jamais de son intensité. En l’écoutant jouer magnifiquement Fantasy in D de Cedar Walton et We’ll be together again je réalise à quel point Horellou est décidément un magnifique joueur de ballades. Il est superbement soutenu par Antoine Paganotti, son fidèle batteur, et Florent Gac, à l’orgue, qui trouve des lignes gorgées de blues pour le soutenir, comme dans From roots , un autre thème de Cedar Walton. J’échange quelques mots avec Gaël Horellou. Il m’annonce , les yeux brillants, qu’il va jouer avec Alain Jean-Marie dans quelques jours. « On se connaît depuis très longtemps , mais on n’a jamais joué ensemble. Venez nous écouter !». A ce genre de propositions, il est absolument impossible de dire non.
Gaël Horellou (alto saxophone) Alain jean-marie (piano), Bruno Roussely (contrebasse) , Antoine Pagannotti (batterie)
Ici encore, standards et compositions sont au menu. Gaël Horellou est un compositeur assez prolifique, qui aime rendre hommage à ses aînés en leur dédiant certaines pièces : Roy, ou enco
re le très beau Dexter. La présence d’Alain Jean-Marie semble pousser Horellou à donner encore plus. Le groupe joue I surrendear dear, (décidément un favori d’Horellou), Bohemia after dark (dont le thème est magnifiquement énoncé par l’altiste), Nobody else but me, Close your eyes. Mais c’est sur Warm Valley, de Duke Ellington, que la soirée bascule, et que Gaël Horellou atteint des sommets d’expressivité et de lyrisme, ne serait-ce que dans l’exposé du thème. Et Alain jean-Marie ? Mine de rien, il prend sa part de l’incendie. On loue habituellement son élégance, son écoute, sa pudeur. Tout cela est vrai. Sauf que la confrontation avec Gaël Horellou fait ressortir tout ce qui est nerveux, griffant, mordant , dans son jeu. Il s’offre aussi de splendides échanges avec le contrebassiste Bruno Roussely. On sort absolument comblé de ce concert.
Et ce Gaël Horellou ? quel genre de type est-il ? Au Baiser salé, entre deux sets, on a bavardé avec lui. Il est aussi posé dans la vie que torrentiel sur scène. Il choisit ses mots avec un grand soin. Quant on lui a fait remarquer combien on était frappé par l’enchaînement inéluctable de ses phrases, (je n’ose lui dire qu’il m’a fait penser à un pêcheur béni des dieux…) il réfléchit et dit : « C’est vrai que je suis réputé pouvoir jouer très longtemps…mais je ne parle pas tout seul…et je trouve mon énergie pas seulement en moi, mais dans les membres du groupe… ». Tout d’un coup il s’arrête. Le concert va reprendre. Il ne doit pas traîner, il y a tant de pêches miraculeuses qui l’attendent…
texte JF Mondot
Dessins: AC Alvoët
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A plusieurs reprises, traînant mes guêtres du côté du Duc des Lombards un samedi soir après minuit, avec ma metteuse en images Annie-Claire Alvoët, nous avions été saisis par la puissance et l’énergie de celui qui anime régulièrement la jam : le saxophoniste alto Gaël Horellou. A l’occasion de son nouveau disque (Synthesis, DTC record-Harmonia Mundi) nous avons donc voulu écouter dans des contextes différents (éléctro et accoustique) ce musicien à l’allure de surfeur qui semble entrer en combustion immédiate dès qu’il embouche son instrument.
Gaël Horellou (saxophone alto), Antoine Paganotti (batterie) David patrois (vibraphone), Viktor Nyberg (contrebasse) le Triton, Mairie des Lilas 75020 Paris, le 6 février 2015
Nous commençons par écouter Gaël Horellou dans un contexte éléctronique qui n’est en général pas ma tasse de thé, surtout quand il m’ôte le plaisir de la sonorité « naturelle » de l’instrument. C’est le cas ici, Gaël Horellou est électrifié, se servant de sa main droite pour régler l’ordinateur posé devant lui, de la main gauche pour actionner les clés de son sax. L’électronique, n’est pourtant pas envahissante, je note qu’il existe pour chaque morceau une texture, un son, un bruit, qui sert de signature sonore à la pièce. Pour les trois ou quatre premières compositions, je me laisse emporter par le tourbillon océanique qui sort du saxophone d’Horellou. J’admire les contrepoints subtils de David Patrois au vibraphone, la puissance d’Antoine Paganotti à la batterie. Puis je me lasse de ce parti pris un peu trop systématique de montée épiphanique vers la transe. Du coup, après avoir baigné dans le bouillonnement cosmologique de cette musique (dont quelques effluves renvoient clairement à A Love Supreme), je l’observe depuis le rivage, un peu à l’écart. Je me dis qu’il faudra revenir écouter ces gars-là quand ils auront un peu tourné ensemble, et que leur musique révèlera alors toutes ses potentialités. Après le Triton , nous allons écouter quelques jours plus tard Gaël Horellou dans le contexte accoustique de son organ trio.
Gaël horellou (saxophone alto), Florent Gac ( orgue), Antoine Pagannoti (batterie), le Baiser Salé, 75001 Paris, 10 février 2015
Et là, au Baiser salé, c’est une autre chanson. Le groupe joue des standards et des compos. Ce qui frappe chez Horellou, c’est bien sûr son énergie. Les muscles sont tendus, les yeux exorbités, le bec avalé. Il faut le voir frapper le tempo avec son pied droit comme un taureau avant la charge. Mais cette énergie n’est jamais brouillonne. Elle se canalise dans un discours certes impétueux, mais bien charpenté. Ses phrases sont claires, bien découpées, et chacune d’elles me semble appeler inéluctablement la suivante. De sorte que la profusion de ce saxophoniste qui a beaucoup à dire n’est pas génératrice d’ennui. Tout semble d’une coulée. En écoutant ses chorus sur les deux premiers morceaux (deux standards, Broadway et Hot House) j’ai l’impression d’un pêcheur béni des dieux qui ferait des trous sur la banquise et en ressortirait immédiatement des poissons accrochés à son fil. J’imagine aussi tout le travail qu’il a fallu pour parvenir à la spontanéité de ces pêches miraculeurses. Un des plus beaux moments du concert : lorsque Horellou joue un vieux standard des années 20, I surrender dear. Il va chercher alors des inflexions alanguies à la Johnny Hodges, parvenant à être tendre et nostalgique sans perdre jamais de son intensité. En l’écoutant jouer magnifiquement Fantasy in D de Cedar Walton et We’ll be together again je réalise à quel point Horellou est décidément un magnifique joueur de ballades. Il est superbement soutenu par Antoine Paganotti, son fidèle batteur, et Florent Gac, à l’orgue, qui trouve des lignes gorgées de blues pour le soutenir, comme dans From roots , un autre thème de Cedar Walton. J’échange quelques mots avec Gaël Horellou. Il m’annonce , les yeux brillants, qu’il va jouer avec Alain Jean-Marie dans quelques jours. « On se connaît depuis très longtemps , mais on n’a jamais joué ensemble. Venez nous écouter !». A ce genre de propositions, il est absolument impossible de dire non.
Gaël Horellou (alto saxophone) Alain jean-marie (piano), Bruno Roussely (contrebasse) , Antoine Pagannotti (batterie)
Ici encore, standards et compositions sont au menu. Gaël Horellou est un compositeur assez prolifique, qui aime rendre hommage à ses aînés en leur dédiant certaines pièces : Roy, ou enco
re le très beau Dexter. La présence d’Alain Jean-Marie semble pousser Horellou à donner encore plus. Le groupe joue I surrendear dear, (décidément un favori d’Horellou), Bohemia after dark (dont le thème est magnifiquement énoncé par l’altiste), Nobody else but me, Close your eyes. Mais c’est sur Warm Valley, de Duke Ellington, que la soirée bascule, et que Gaël Horellou atteint des sommets d’expressivité et de lyrisme, ne serait-ce que dans l’exposé du thème. Et Alain jean-Marie ? Mine de rien, il prend sa part de l’incendie. On loue habituellement son élégance, son écoute, sa pudeur. Tout cela est vrai. Sauf que la confrontation avec Gaël Horellou fait ressortir tout ce qui est nerveux, griffant, mordant , dans son jeu. Il s’offre aussi de splendides échanges avec le contrebassiste Bruno Roussely. On sort absolument comblé de ce concert.
Et ce Gaël Horellou ? quel genre de type est-il ? Au Baiser salé, entre deux sets, on a bavardé avec lui. Il est aussi posé dans la vie que torrentiel sur scène. Il choisit ses mots avec un grand soin. Quant on lui a fait remarquer combien on était frappé par l’enchaînement inéluctable de ses phrases, (je n’ose lui dire qu’il m’a fait penser à un pêcheur béni des dieux…) il réfléchit et dit : « C’est vrai que je suis réputé pouvoir jouer très longtemps…mais je ne parle pas tout seul…et je trouve mon énergie pas seulement en moi, mais dans les membres du groupe… ». Tout d’un coup il s’arrête. Le concert va reprendre. Il ne doit pas traîner, il y a tant de pêches miraculeuses qui l’attendent…
texte JF Mondot
Dessins: AC Alvoët
|
A plusieurs reprises, traînant mes guêtres du côté du Duc des Lombards un samedi soir après minuit, avec ma metteuse en images Annie-Claire Alvoët, nous avions été saisis par la puissance et l’énergie de celui qui anime régulièrement la jam : le saxophoniste alto Gaël Horellou. A l’occasion de son nouveau disque (Synthesis, DTC record-Harmonia Mundi) nous avons donc voulu écouter dans des contextes différents (éléctro et accoustique) ce musicien à l’allure de surfeur qui semble entrer en combustion immédiate dès qu’il embouche son instrument.
Gaël Horellou (saxophone alto), Antoine Paganotti (batterie) David patrois (vibraphone), Viktor Nyberg (contrebasse) le Triton, Mairie des Lilas 75020 Paris, le 6 février 2015
Nous commençons par écouter Gaël Horellou dans un contexte éléctronique qui n’est en général pas ma tasse de thé, surtout quand il m’ôte le plaisir de la sonorité « naturelle » de l’instrument. C’est le cas ici, Gaël Horellou est électrifié, se servant de sa main droite pour régler l’ordinateur posé devant lui, de la main gauche pour actionner les clés de son sax. L’électronique, n’est pourtant pas envahissante, je note qu’il existe pour chaque morceau une texture, un son, un bruit, qui sert de signature sonore à la pièce. Pour les trois ou quatre premières compositions, je me laisse emporter par le tourbillon océanique qui sort du saxophone d’Horellou. J’admire les contrepoints subtils de David Patrois au vibraphone, la puissance d’Antoine Paganotti à la batterie. Puis je me lasse de ce parti pris un peu trop systématique de montée épiphanique vers la transe. Du coup, après avoir baigné dans le bouillonnement cosmologique de cette musique (dont quelques effluves renvoient clairement à A Love Supreme), je l’observe depuis le rivage, un peu à l’écart. Je me dis qu’il faudra revenir écouter ces gars-là quand ils auront un peu tourné ensemble, et que leur musique révèlera alors toutes ses potentialités. Après le Triton , nous allons écouter quelques jours plus tard Gaël Horellou dans le contexte accoustique de son organ trio.
Gaël horellou (saxophone alto), Florent Gac ( orgue), Antoine Pagannoti (batterie), le Baiser Salé, 75001 Paris, 10 février 2015
Et là, au Baiser salé, c’est une autre chanson. Le groupe joue des standards et des compos. Ce qui frappe chez Horellou, c’est bien sûr son énergie. Les muscles sont tendus, les yeux exorbités, le bec avalé. Il faut le voir frapper le tempo avec son pied droit comme un taureau avant la charge. Mais cette énergie n’est jamais brouillonne. Elle se canalise dans un discours certes impétueux, mais bien charpenté. Ses phrases sont claires, bien découpées, et chacune d’elles me semble appeler inéluctablement la suivante. De sorte que la profusion de ce saxophoniste qui a beaucoup à dire n’est pas génératrice d’ennui. Tout semble d’une coulée. En écoutant ses chorus sur les deux premiers morceaux (deux standards, Broadway et Hot House) j’ai l’impression d’un pêcheur béni des dieux qui ferait des trous sur la banquise et en ressortirait immédiatement des poissons accrochés à son fil. J’imagine aussi tout le travail qu’il a fallu pour parvenir à la spontanéité de ces pêches miraculeurses. Un des plus beaux moments du concert : lorsque Horellou joue un vieux standard des années 20, I surrender dear. Il va chercher alors des inflexions alanguies à la Johnny Hodges, parvenant à être tendre et nostalgique sans perdre jamais de son intensité. En l’écoutant jouer magnifiquement Fantasy in D de Cedar Walton et We’ll be together again je réalise à quel point Horellou est décidément un magnifique joueur de ballades. Il est superbement soutenu par Antoine Paganotti, son fidèle batteur, et Florent Gac, à l’orgue, qui trouve des lignes gorgées de blues pour le soutenir, comme dans From roots , un autre thème de Cedar Walton. J’échange quelques mots avec Gaël Horellou. Il m’annonce , les yeux brillants, qu’il va jouer avec Alain Jean-Marie dans quelques jours. « On se connaît depuis très longtemps , mais on n’a jamais joué ensemble. Venez nous écouter !». A ce genre de propositions, il est absolument impossible de dire non.
Gaël Horellou (alto saxophone) Alain jean-marie (piano), Bruno Roussely (contrebasse) , Antoine Pagannotti (batterie)
Ici encore, standards et compositions sont au menu. Gaël Horellou est un compositeur assez prolifique, qui aime rendre hommage à ses aînés en leur dédiant certaines pièces : Roy, ou enco
re le très beau Dexter. La présence d’Alain Jean-Marie semble pousser Horellou à donner encore plus. Le groupe joue I surrendear dear, (décidément un favori d’Horellou), Bohemia after dark (dont le thème est magnifiquement énoncé par l’altiste), Nobody else but me, Close your eyes. Mais c’est sur Warm Valley, de Duke Ellington, que la soirée bascule, et que Gaël Horellou atteint des sommets d’expressivité et de lyrisme, ne serait-ce que dans l’exposé du thème. Et Alain jean-Marie ? Mine de rien, il prend sa part de l’incendie. On loue habituellement son élégance, son écoute, sa pudeur. Tout cela est vrai. Sauf que la confrontation avec Gaël Horellou fait ressortir tout ce qui est nerveux, griffant, mordant , dans son jeu. Il s’offre aussi de splendides échanges avec le contrebassiste Bruno Roussely. On sort absolument comblé de ce concert.
Et ce Gaël Horellou ? quel genre de type est-il ? Au Baiser salé, entre deux sets, on a bavardé avec lui. Il est aussi posé dans la vie que torrentiel sur scène. Il choisit ses mots avec un grand soin. Quant on lui a fait remarquer combien on était frappé par l’enchaînement inéluctable de ses phrases, (je n’ose lui dire qu’il m’a fait penser à un pêcheur béni des dieux…) il réfléchit et dit : « C’est vrai que je suis réputé pouvoir jouer très longtemps…mais je ne parle pas tout seul…et je trouve mon énergie pas seulement en moi, mais dans les membres du groupe… ». Tout d’un coup il s’arrête. Le concert va reprendre. Il ne doit pas traîner, il y a tant de pêches miraculeuses qui l’attendent…
texte JF Mondot
Dessins: AC Alvoët