La concordance des temps ou feux d’art, dis, fils !
Pour qui est avare de ses sorties, les surprises ne sauraient être que précieuses. Outre les sept (Géraldine L, Pierrick P, Médéric C, Manu C, Christophe M, Bernard L et Michel P) que je n’avais ni vus ni entendus depuis longtemps, les découvertes (de l’impressionnant percussionniste Louis Lubat et du zigoto polyvirtuose Fabrice Vieira) ne furent pas les moindres illuminations de mes soirées.
Géraldine Laurent Trio “Looking for Parker” invite Pierrick Pedron et Médéric Collignon : Laurent (as), Pedron (as, ss), Collignon (tp, saxhorn), Manu Codjia (g), Christophe Marguet (dm). Duc des Lombards, 15 avril.
Uzestival de Printemps – Improvisions Libres : “Qui Vieira verra” par Fabrice Vieira (voc, perc, g, électro – Histoire d’amusicien jazzconcubin, entremélimélomêlé dans son impertinence de rêve éveillé) ; Michel Portal, Lubat and Lubat (Bernard et Louis) Rencontre sans papiers, 100% improvisée, elle existe parce qu’elle disparaît : Bernard (p, dm, voc), Portal (bcl, ss, bandonéon, voc), Louis (dm). L’Européen, 20 avril.
Tout acte musical en public nous invite à regarder la musique autant qu’à l’écouter. Mais, si les amis du très regretté Michel-Claude Jalard se souviennent que celui-ci fermait les yeux pendant les concerts, ignorer le spectacle du jeu des corps, voire leur immobilisme ou leur impassibilité, nous prive d’information musicale extramusicologique. D’autant que, depuis la publication de son plus récent enregistrement, “Looking for Parker” en 2013 (en français “A la recherche de Bird”), Géraldine Laurent ne cesse d’en creuser la matière première sur le vif, actualisant son projet au fil du répertoire parkerien et au gré de ses compagnons et invités. Ce soir-là, tandis que les anches de Pierrick Pedron n’en finissent pas de repousser et complexifier, avec autant de feu que d’élégance, les frontières inventées jadis par l’Oiseau fondateur (révélant du même coup des richesses insoupçonnées du sous-sol parkérien), les cuivres en fusion permanente et le flux onomatopéique de l’irrépressible Médéric Collignon non seulement s’approprient les trames mélodicorythmiques originelles mais les anamorphosent à l’extrême, jusqu’à des mimiques et gestuelles qui n’auraient pas déparé certaine “dada surreal party” organisée autour de Bird et photographiée par le poète Ted Joans (in Jazz Magazine n° 216). Ainsi titillé et provoqué, le trio de base entreprend d’explorer des zones a priori vierges, la saxophoniste, à la fois catalyseuse et discrète meneuse, poursuivant son entreprise plurielle, mixte de précision et d’évasion où le in et out s’entrelacent à merveille. Nullement en reste, Christophe Marguet (dont l’absence du Dictionnaire du jazz signe une impardonnable amnésie) continue de déployer, tel un work in progress, son éventail de manières et couleurs et résiste à tout enfermement, lui aussi in, out, mais aussi en des ailleurs exquisément imprévus et des profondeurs de timbre et de rythme d’un “exotisme” imaginaire. Tout comme cette bouffée de growl jaillissant sous le doigté subtil de Manu Codjia ne laisse pas de déconcerter au paroxysme d’un unisson-dentelle avec sax délicieusement dérivé d’une tournure parkérienne. C’est que ces cinq-là naviguent aux vents aventureux de la mémoire et de l’inconnu qui ne cessent de s’entrecroiser jusqu’à des acmés et bourrasques quasi libertaires.
Cinq jours plus tard, changement de décor et de générations, mais, ici comme là, c’est de liberté qu’il est encore question : après celle prophétisée-semée par Charlie Parker transmuée-magnifiée par ses jeunes héritiers, ce que présente l’Uzestois Bernard Lubat sur la scène parisienne, c’est d’abord un inclassable histrion apparu au sein de sa Compagnie tribale dont on ne sait à premières vue et écoute de quel multi-artifice lubatesque il se mêle dès qu’il mêle, alterne, superpose, multiplie, juxtapose, sur un tempo brisé-reconstruit à couper le souffle, textes, effets d’écho, de playback, de ring modulator et de beatbox vocale, salves de gags et jeux de mots, miroirs auditifs et musiques et clins d’œil stylistiques, au fil d’une manière de cross country ou de pentathlon sonore délirant qui s’éteint en une irrésistible ballade comme pour rassurer un auditoire délicieusement abasourdi. Soit une vertigineuse diversité de “tapas” phoniques débordants d’humour pas forcément innocent qui préparaient les plus blasés ou anorexiques à affronter le plat littéralement de résistance, car, dès les premières phrases, moues, flèches, silences provocants et lourdes déambulations, c’est bien en résistant de toutes les heures que Bernard Lubat introduisit un trio transgénérationnel (le sien, le leur et, à ce point hospitalier, le nôtre) à la puissance féconde apparemment inlassable. A force de printemps cumulés (il suffit d’additionner les âges des trois sommets du triangle), le contexte incandescent fomenté sur le clavier et les cordes par la vivacité hyperproductive de Lubat, gaiement découpé-souligné-rallumé par l’énergique Louis, et le sourire grave de la clarinette basse portalienne sculpté avec l’exquise certitude de l’imprévu allaient composer-déverser, telle une corne d’abondance, un flot de libertés inespérées en guise d’adieu prometteur.
Philippe Carles
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Pour qui est avare de ses sorties, les surprises ne sauraient être que précieuses. Outre les sept (Géraldine L, Pierrick P, Médéric C, Manu C, Christophe M, Bernard L et Michel P) que je n’avais ni vus ni entendus depuis longtemps, les découvertes (de l’impressionnant percussionniste Louis Lubat et du zigoto polyvirtuose Fabrice Vieira) ne furent pas les moindres illuminations de mes soirées.
Géraldine Laurent Trio “Looking for Parker” invite Pierrick Pedron et Médéric Collignon : Laurent (as), Pedron (as, ss), Collignon (tp, saxhorn), Manu Codjia (g), Christophe Marguet (dm). Duc des Lombards, 15 avril.
Uzestival de Printemps – Improvisions Libres : “Qui Vieira verra” par Fabrice Vieira (voc, perc, g, électro – Histoire d’amusicien jazzconcubin, entremélimélomêlé dans son impertinence de rêve éveillé) ; Michel Portal, Lubat and Lubat (Bernard et Louis) Rencontre sans papiers, 100% improvisée, elle existe parce qu’elle disparaît : Bernard (p, dm, voc), Portal (bcl, ss, bandonéon, voc), Louis (dm). L’Européen, 20 avril.
Tout acte musical en public nous invite à regarder la musique autant qu’à l’écouter. Mais, si les amis du très regretté Michel-Claude Jalard se souviennent que celui-ci fermait les yeux pendant les concerts, ignorer le spectacle du jeu des corps, voire leur immobilisme ou leur impassibilité, nous prive d’information musicale extramusicologique. D’autant que, depuis la publication de son plus récent enregistrement, “Looking for Parker” en 2013 (en français “A la recherche de Bird”), Géraldine Laurent ne cesse d’en creuser la matière première sur le vif, actualisant son projet au fil du répertoire parkerien et au gré de ses compagnons et invités. Ce soir-là, tandis que les anches de Pierrick Pedron n’en finissent pas de repousser et complexifier, avec autant de feu que d’élégance, les frontières inventées jadis par l’Oiseau fondateur (révélant du même coup des richesses insoupçonnées du sous-sol parkérien), les cuivres en fusion permanente et le flux onomatopéique de l’irrépressible Médéric Collignon non seulement s’approprient les trames mélodicorythmiques originelles mais les anamorphosent à l’extrême, jusqu’à des mimiques et gestuelles qui n’auraient pas déparé certaine “dada surreal party” organisée autour de Bird et photographiée par le poète Ted Joans (in Jazz Magazine n° 216). Ainsi titillé et provoqué, le trio de base entreprend d’explorer des zones a priori vierges, la saxophoniste, à la fois catalyseuse et discrète meneuse, poursuivant son entreprise plurielle, mixte de précision et d’évasion où le in et out s’entrelacent à merveille. Nullement en reste, Christophe Marguet (dont l’absence du Dictionnaire du jazz signe une impardonnable amnésie) continue de déployer, tel un work in progress, son éventail de manières et couleurs et résiste à tout enfermement, lui aussi in, out, mais aussi en des ailleurs exquisément imprévus et des profondeurs de timbre et de rythme d’un “exotisme” imaginaire. Tout comme cette bouffée de growl jaillissant sous le doigté subtil de Manu Codjia ne laisse pas de déconcerter au paroxysme d’un unisson-dentelle avec sax délicieusement dérivé d’une tournure parkérienne. C’est que ces cinq-là naviguent aux vents aventureux de la mémoire et de l’inconnu qui ne cessent de s’entrecroiser jusqu’à des acmés et bourrasques quasi libertaires.
Cinq jours plus tard, changement de décor et de générations, mais, ici comme là, c’est de liberté qu’il est encore question : après celle prophétisée-semée par Charlie Parker transmuée-magnifiée par ses jeunes héritiers, ce que présente l’Uzestois Bernard Lubat sur la scène parisienne, c’est d’abord un inclassable histrion apparu au sein de sa Compagnie tribale dont on ne sait à premières vue et écoute de quel multi-artifice lubatesque il se mêle dès qu’il mêle, alterne, superpose, multiplie, juxtapose, sur un tempo brisé-reconstruit à couper le souffle, textes, effets d’écho, de playback, de ring modulator et de beatbox vocale, salves de gags et jeux de mots, miroirs auditifs et musiques et clins d’œil stylistiques, au fil d’une manière de cross country ou de pentathlon sonore délirant qui s’éteint en une irrésistible ballade comme pour rassurer un auditoire délicieusement abasourdi. Soit une vertigineuse diversité de “tapas” phoniques débordants d’humour pas forcément innocent qui préparaient les plus blasés ou anorexiques à affronter le plat littéralement de résistance, car, dès les premières phrases, moues, flèches, silences provocants et lourdes déambulations, c’est bien en résistant de toutes les heures que Bernard Lubat introduisit un trio transgénérationnel (le sien, le leur et, à ce point hospitalier, le nôtre) à la puissance féconde apparemment inlassable. A force de printemps cumulés (il suffit d’additionner les âges des trois sommets du triangle), le contexte incandescent fomenté sur le clavier et les cordes par la vivacité hyperproductive de Lubat, gaiement découpé-souligné-rallumé par l’énergique Louis, et le sourire grave de la clarinette basse portalienne sculpté avec l’exquise certitude de l’imprévu allaient composer-déverser, telle une corne d’abondance, un flot de libertés inespérées en guise d’adieu prometteur.
Philippe Carles
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Pour qui est avare de ses sorties, les surprises ne sauraient être que précieuses. Outre les sept (Géraldine L, Pierrick P, Médéric C, Manu C, Christophe M, Bernard L et Michel P) que je n’avais ni vus ni entendus depuis longtemps, les découvertes (de l’impressionnant percussionniste Louis Lubat et du zigoto polyvirtuose Fabrice Vieira) ne furent pas les moindres illuminations de mes soirées.
Géraldine Laurent Trio “Looking for Parker” invite Pierrick Pedron et Médéric Collignon : Laurent (as), Pedron (as, ss), Collignon (tp, saxhorn), Manu Codjia (g), Christophe Marguet (dm). Duc des Lombards, 15 avril.
Uzestival de Printemps – Improvisions Libres : “Qui Vieira verra” par Fabrice Vieira (voc, perc, g, électro – Histoire d’amusicien jazzconcubin, entremélimélomêlé dans son impertinence de rêve éveillé) ; Michel Portal, Lubat and Lubat (Bernard et Louis) Rencontre sans papiers, 100% improvisée, elle existe parce qu’elle disparaît : Bernard (p, dm, voc), Portal (bcl, ss, bandonéon, voc), Louis (dm). L’Européen, 20 avril.
Tout acte musical en public nous invite à regarder la musique autant qu’à l’écouter. Mais, si les amis du très regretté Michel-Claude Jalard se souviennent que celui-ci fermait les yeux pendant les concerts, ignorer le spectacle du jeu des corps, voire leur immobilisme ou leur impassibilité, nous prive d’information musicale extramusicologique. D’autant que, depuis la publication de son plus récent enregistrement, “Looking for Parker” en 2013 (en français “A la recherche de Bird”), Géraldine Laurent ne cesse d’en creuser la matière première sur le vif, actualisant son projet au fil du répertoire parkerien et au gré de ses compagnons et invités. Ce soir-là, tandis que les anches de Pierrick Pedron n’en finissent pas de repousser et complexifier, avec autant de feu que d’élégance, les frontières inventées jadis par l’Oiseau fondateur (révélant du même coup des richesses insoupçonnées du sous-sol parkérien), les cuivres en fusion permanente et le flux onomatopéique de l’irrépressible Médéric Collignon non seulement s’approprient les trames mélodicorythmiques originelles mais les anamorphosent à l’extrême, jusqu’à des mimiques et gestuelles qui n’auraient pas déparé certaine “dada surreal party” organisée autour de Bird et photographiée par le poète Ted Joans (in Jazz Magazine n° 216). Ainsi titillé et provoqué, le trio de base entreprend d’explorer des zones a priori vierges, la saxophoniste, à la fois catalyseuse et discrète meneuse, poursuivant son entreprise plurielle, mixte de précision et d’évasion où le in et out s’entrelacent à merveille. Nullement en reste, Christophe Marguet (dont l’absence du Dictionnaire du jazz signe une impardonnable amnésie) continue de déployer, tel un work in progress, son éventail de manières et couleurs et résiste à tout enfermement, lui aussi in, out, mais aussi en des ailleurs exquisément imprévus et des profondeurs de timbre et de rythme d’un “exotisme” imaginaire. Tout comme cette bouffée de growl jaillissant sous le doigté subtil de Manu Codjia ne laisse pas de déconcerter au paroxysme d’un unisson-dentelle avec sax délicieusement dérivé d’une tournure parkérienne. C’est que ces cinq-là naviguent aux vents aventureux de la mémoire et de l’inconnu qui ne cessent de s’entrecroiser jusqu’à des acmés et bourrasques quasi libertaires.
Cinq jours plus tard, changement de décor et de générations, mais, ici comme là, c’est de liberté qu’il est encore question : après celle prophétisée-semée par Charlie Parker transmuée-magnifiée par ses jeunes héritiers, ce que présente l’Uzestois Bernard Lubat sur la scène parisienne, c’est d’abord un inclassable histrion apparu au sein de sa Compagnie tribale dont on ne sait à premières vue et écoute de quel multi-artifice lubatesque il se mêle dès qu’il mêle, alterne, superpose, multiplie, juxtapose, sur un tempo brisé-reconstruit à couper le souffle, textes, effets d’écho, de playback, de ring modulator et de beatbox vocale, salves de gags et jeux de mots, miroirs auditifs et musiques et clins d’œil stylistiques, au fil d’une manière de cross country ou de pentathlon sonore délirant qui s’éteint en une irrésistible ballade comme pour rassurer un auditoire délicieusement abasourdi. Soit une vertigineuse diversité de “tapas” phoniques débordants d’humour pas forcément innocent qui préparaient les plus blasés ou anorexiques à affronter le plat littéralement de résistance, car, dès les premières phrases, moues, flèches, silences provocants et lourdes déambulations, c’est bien en résistant de toutes les heures que Bernard Lubat introduisit un trio transgénérationnel (le sien, le leur et, à ce point hospitalier, le nôtre) à la puissance féconde apparemment inlassable. A force de printemps cumulés (il suffit d’additionner les âges des trois sommets du triangle), le contexte incandescent fomenté sur le clavier et les cordes par la vivacité hyperproductive de Lubat, gaiement découpé-souligné-rallumé par l’énergique Louis, et le sourire grave de la clarinette basse portalienne sculpté avec l’exquise certitude de l’imprévu allaient composer-déverser, telle une corne d’abondance, un flot de libertés inespérées en guise d’adieu prometteur.
Philippe Carles
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Pour qui est avare de ses sorties, les surprises ne sauraient être que précieuses. Outre les sept (Géraldine L, Pierrick P, Médéric C, Manu C, Christophe M, Bernard L et Michel P) que je n’avais ni vus ni entendus depuis longtemps, les découvertes (de l’impressionnant percussionniste Louis Lubat et du zigoto polyvirtuose Fabrice Vieira) ne furent pas les moindres illuminations de mes soirées.
Géraldine Laurent Trio “Looking for Parker” invite Pierrick Pedron et Médéric Collignon : Laurent (as), Pedron (as, ss), Collignon (tp, saxhorn), Manu Codjia (g), Christophe Marguet (dm). Duc des Lombards, 15 avril.
Uzestival de Printemps – Improvisions Libres : “Qui Vieira verra” par Fabrice Vieira (voc, perc, g, électro – Histoire d’amusicien jazzconcubin, entremélimélomêlé dans son impertinence de rêve éveillé) ; Michel Portal, Lubat and Lubat (Bernard et Louis) Rencontre sans papiers, 100% improvisée, elle existe parce qu’elle disparaît : Bernard (p, dm, voc), Portal (bcl, ss, bandonéon, voc), Louis (dm). L’Européen, 20 avril.
Tout acte musical en public nous invite à regarder la musique autant qu’à l’écouter. Mais, si les amis du très regretté Michel-Claude Jalard se souviennent que celui-ci fermait les yeux pendant les concerts, ignorer le spectacle du jeu des corps, voire leur immobilisme ou leur impassibilité, nous prive d’information musicale extramusicologique. D’autant que, depuis la publication de son plus récent enregistrement, “Looking for Parker” en 2013 (en français “A la recherche de Bird”), Géraldine Laurent ne cesse d’en creuser la matière première sur le vif, actualisant son projet au fil du répertoire parkerien et au gré de ses compagnons et invités. Ce soir-là, tandis que les anches de Pierrick Pedron n’en finissent pas de repousser et complexifier, avec autant de feu que d’élégance, les frontières inventées jadis par l’Oiseau fondateur (révélant du même coup des richesses insoupçonnées du sous-sol parkérien), les cuivres en fusion permanente et le flux onomatopéique de l’irrépressible Médéric Collignon non seulement s’approprient les trames mélodicorythmiques originelles mais les anamorphosent à l’extrême, jusqu’à des mimiques et gestuelles qui n’auraient pas déparé certaine “dada surreal party” organisée autour de Bird et photographiée par le poète Ted Joans (in Jazz Magazine n° 216). Ainsi titillé et provoqué, le trio de base entreprend d’explorer des zones a priori vierges, la saxophoniste, à la fois catalyseuse et discrète meneuse, poursuivant son entreprise plurielle, mixte de précision et d’évasion où le in et out s’entrelacent à merveille. Nullement en reste, Christophe Marguet (dont l’absence du Dictionnaire du jazz signe une impardonnable amnésie) continue de déployer, tel un work in progress, son éventail de manières et couleurs et résiste à tout enfermement, lui aussi in, out, mais aussi en des ailleurs exquisément imprévus et des profondeurs de timbre et de rythme d’un “exotisme” imaginaire. Tout comme cette bouffée de growl jaillissant sous le doigté subtil de Manu Codjia ne laisse pas de déconcerter au paroxysme d’un unisson-dentelle avec sax délicieusement dérivé d’une tournure parkérienne. C’est que ces cinq-là naviguent aux vents aventureux de la mémoire et de l’inconnu qui ne cessent de s’entrecroiser jusqu’à des acmés et bourrasques quasi libertaires.
Cinq jours plus tard, changement de décor et de générations, mais, ici comme là, c’est de liberté qu’il est encore question : après celle prophétisée-semée par Charlie Parker transmuée-magnifiée par ses jeunes héritiers, ce que présente l’Uzestois Bernard Lubat sur la scène parisienne, c’est d’abord un inclassable histrion apparu au sein de sa Compagnie tribale dont on ne sait à premières vue et écoute de quel multi-artifice lubatesque il se mêle dès qu’il mêle, alterne, superpose, multiplie, juxtapose, sur un tempo brisé-reconstruit à couper le souffle, textes, effets d’écho, de playback, de ring modulator et de beatbox vocale, salves de gags et jeux de mots, miroirs auditifs et musiques et clins d’œil stylistiques, au fil d’une manière de cross country ou de pentathlon sonore délirant qui s’éteint en une irrésistible ballade comme pour rassurer un auditoire délicieusement abasourdi. Soit une vertigineuse diversité de “tapas” phoniques débordants d’humour pas forcément innocent qui préparaient les plus blasés ou anorexiques à affronter le plat littéralement de résistance, car, dès les premières phrases, moues, flèches, silences provocants et lourdes déambulations, c’est bien en résistant de toutes les heures que Bernard Lubat introduisit un trio transgénérationnel (le sien, le leur et, à ce point hospitalier, le nôtre) à la puissance féconde apparemment inlassable. A force de printemps cumulés (il suffit d’additionner les âges des trois sommets du triangle), le contexte incandescent fomenté sur le clavier et les cordes par la vivacité hyperproductive de Lubat, gaiement découpé-souligné-rallumé par l’énergique Louis, et le sourire grave de la clarinette basse portalienne sculpté avec l’exquise certitude de l’imprévu allaient composer-déverser, telle une corne d’abondance, un flot de libertés inespérées en guise d’adieu prometteur.
Philippe Carles