Jazz live
Publié le 20 Juil 2015

Jazz, Flamenco, Chansons de geste à Vitoria-Gasteiz

Vêtu comme pour célébrer les San Fermines (Feria de Pampelune, Navarre, région voisine) béret rouge pantalon et chemise blanche Edmar Castañeda entame une chevauchée fantastiques sur sa harpe colombienne. Cuarto de colores s’intitule son premier thème. Son propos musical s’avère pourtant multicolore: harpe bleu azur, cordes bigarrées arc en ciel, notes éclatées en incessantes gerbes swing scintillantes sous l’attaque de mains oeuvrant comme stroboscopées. Le soliste inclassable de Bogota fait partie des musiciens dits Jazz du XXIe siècle présentés cette année au festival au même titre que Jason Marsalis, Vincent Peirani ou James Brandon Lewis.

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Edmar Castañeda (har)

Anat Cohen (cla), Reiner Elizarde « El Negron » Ruardo» (b), Gadi Lehavi (p), Jeff Ballard (dm)

Estrella Morente (voc), Niño Josele (acc g)

James Brandon Lewis (ts), Luka Stewart (b), Warren « Trae » Crudup (dm)

Chick Corea, Herbie Hancock (p, keyb)

Vitoria-Gasteiz  Jazzaldia, Vitoria 17-18 juillet


Une colonne d’air tendue en permanence pour augmenter, du souffle soutenu, la vibration. Un phrasé entretenu, régulier qui se refuse au silence histoire de mieux occuper l’espace sonore. James Brandon Lewis utilise toute la tessiture de son instrument, veillant toujours à bien en garder le contrôle. Pas d’escapade folles en matière de débit, ni de montées en vrille en mode de rupture CQFD. Le saxophoniste, choisit à dessein de n’allumer que des incendies de cuivre qu’il ne puisse au final maîtriser. En ce sens oui, la référence à son mentor Rollins fait sens. Sauf que le matériau ainsi façonné part du jazz de la rue, des éclats de fanfare, des marching songs, beats battants plus binaires que ternaires fortement appuyés par une rythmique concentrée. En découlent des phrases souvent courtes, syncopées triturées jusqu’à épuisement du sujet. Il y a aussi du Ayler « assagi » en lecture dans cette manière singulière, du flux gospel et bues sans doute également. Ainsi déversée directement vers le public la musique échappe au côté lancinant, obsédant même noté à propos du disque (Days of freeman / Okeh) Eu égard à l’ovation recueillie dans l’écrin du théâtre du centre ville, côté live ça marche fort pour le jeune ténor qui monte…

Jeune clarinettiste au féminin, elle monte également dans l’échelle des valeurs jazzistiques bancables…Anat Cohen, elle, a donc droit aux 4000 places de Mendizorrotza, enceinte née du basket (l’équipe locale fait partie du gratin européen) pour célébrer la programmation phare du festival. Sonorité claire, boisée, ronde au besoin elle affiche une manière aisée de faire virevolter les notes qui jaillissent à flots. Le quartet toutefois met un peu de temps dans sa mise en place. Puis soudain Jeff Ballard, prend les choses en mains. Il donne du corps, de la vie, hausse le ton sur une chanson de Piaf. La mélodie de La vie en rose fait décoller l’orchestre, le jeune et frêle pianiste imprime des accords forts. Et c’est vrai, patent même, Anat Cohen parait plus à l’aise sur des parties de rythmiques serrées, en poussée verticale sur des tempos en accélération. Tels les forrós du nordeste brésilien, ces airs de rue enlevés qu’elle dit avoir eu plaisir à les goûter sur place. De cette leçon de choses musicales on se dit alors qu’il faudrait, pour un profit de plaisir prolongé tout un set,  que la clarinettiste aille chercher du côté de plus de diversité thématique encore…

Elle entre en scène enveloppée dans un grand voile de tulle blanche, yeux clairs, visage ovale de vierge de Séville, bouche sensuelle et dans le mouvement imprimé par ses mains perce l’infinie grâce des danseuses flamencas. On ne voit qu’elle, ne sent que sa présence sur l’immense plateau scénique, n’entend que sa voix subvertir les arpèges du Niño Josele. Estrella Morente, possède les atouts des divas. Par nature elle et lui sont « flamencos » donc soumis au duende, à l’inspiration, aux poussées de l’émotion et d’un certain swing « Si Billie Holiday vivait aujourd’hui par la transmission des savoirs musicaux et de la technologie, sans doute chanterait-elle des soleas comme Elsa, elle, laisse transpirer des gouttes de blues » affirme Miquel Jurado, critique musical catalan. Guitare plus voix, deux instruments pour conter à vif deux histoires mises en commun « J’ai rêvé de cette rencontre. Avoir pu la matérialiser représente donc un vrai bonheur» confie Fernando Trueba, réalisateur de cinéma et documentaires musicaux et producteur de concerts. Entre premier jet de flamenco et couplets de chanson. Une guitare fluide donc, précise, mise en action à dessein dans un toucher volontairement délicat. En appui sur les cordes, niveau volume dessous/dessus selon la nécessité du dire, le filet de voix surgit à la limite de la déchirure, au bord des larmes. Ainsi va le «Baile del desamor», ballade sur des mots communs,  éculés mais incontournables du discours amoureux. Alors bon, ce n’est pas faux non plus parce que ressenti et partagé dans l’attente, le temps ralenti du concert à deux: sans doute manque-t-il à cette restitution, ce feeling d’effeuillement, cette émotion prolongée à fleur de peau un moment de rupture, l’érection d’un soupçon de tragique. Une vraie séquence de tension au bout de tant et tant d’attention. Comme la corde très sensible du flamenco figure en encre forte de la chanson d’amour.

Un duo encore en mode de clôture du festival. Chick et Herbie, Hancock-Corea en deux pianos soudés ventre à ventre « Nous voudrions d’un commun accord Herbie et moi dédier ce concert à la mémoire, à l’âme de Paco de Lucia, une de mes grandes source d’inspiration » dit Corea avec émotion « Il y a deux ans à peine j’étais avec lui sur cette même scène, quasiment
son dernier concert… » Les pianos entrent en action. Chacun dans sa peau, à chacun son rôle: espiègle, taquin, dynamitero du bout du bout de de sa main gauche aventurière par essence pour Chick. Concentré, plus en retrait d’apparence, construisant au fur et à mesure l’écheveau de ses métriques, recentré sur les basses du clavier côté Herbie. España, Spain (comme Chick Corea aime à  jouer cette composition ce soir et toujours) : à l’instar d’autres artistes sur le sable d’une arène, le jeu consiste aussi à faire venir l’autre sur son terrain, sa querencia. Dans le concert histoire de sublimer et faire partager le plaisir. Dans ce type de pari, ces mini battles Chick Corea excelle. Témoin ce glissement progressif à partir du All blues de Miles vers le Maiden Voyage de son comparse…ou bien les digressions harmoniques appliquées au standard  Watermelon Man. Piano, synthétiseurs, phrases ou sons numérisées, mis en boucle, tout le vocabulaire, la grammaire engrangés par les enfants terribles de Miles finit par atterrir dans la cour de leurs claviers respectifs. Avec plus ou moins de succès, de réussite immédiate quelle qu’en soit l’envie de départ. Le fruit de la conversation entre deux amis de rencontre s’apprécie à l’aune de l’attente, du degré d’écoute, du besoin de partage et de la capacité mutuelle d’écoute. A la suite d’une dizaine de dates précédentes dans les festivals européens et à la veille de la despedida pour le couple de pianistes les milliers d’oreilles attentives de Mendizorrotza en redemandaient toujours. Ils revinrent donc deux fois, salle d’autant plus familière à Chick qu’il était déjà présent la veille histoire  d’écouter Anat Cohen puis son pote Niño Josele épauler Elsa Morente…Des deux pianistes, et des pianistes de jazz en général, Chick Corea -son ami Paco de Lucia le savait pertinemment- est incontestablement le plus flamenco de tous…

A ce titre Mendizorrotza reste un de ses terrains de jeu favoris.


Robert Latxague

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Vêtu comme pour célébrer les San Fermines (Feria de Pampelune, Navarre, région voisine) béret rouge pantalon et chemise blanche Edmar Castañeda entame une chevauchée fantastiques sur sa harpe colombienne. Cuarto de colores s’intitule son premier thème. Son propos musical s’avère pourtant multicolore: harpe bleu azur, cordes bigarrées arc en ciel, notes éclatées en incessantes gerbes swing scintillantes sous l’attaque de mains oeuvrant comme stroboscopées. Le soliste inclassable de Bogota fait partie des musiciens dits Jazz du XXIe siècle présentés cette année au festival au même titre que Jason Marsalis, Vincent Peirani ou James Brandon Lewis.

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Edmar Castañeda (har)

Anat Cohen (cla), Reiner Elizarde « El Negron » Ruardo» (b), Gadi Lehavi (p), Jeff Ballard (dm)

Estrella Morente (voc), Niño Josele (acc g)

James Brandon Lewis (ts), Luka Stewart (b), Warren « Trae » Crudup (dm)

Chick Corea, Herbie Hancock (p, keyb)

Vitoria-Gasteiz  Jazzaldia, Vitoria 17-18 juillet


Une colonne d’air tendue en permanence pour augmenter, du souffle soutenu, la vibration. Un phrasé entretenu, régulier qui se refuse au silence histoire de mieux occuper l’espace sonore. James Brandon Lewis utilise toute la tessiture de son instrument, veillant toujours à bien en garder le contrôle. Pas d’escapade folles en matière de débit, ni de montées en vrille en mode de rupture CQFD. Le saxophoniste, choisit à dessein de n’allumer que des incendies de cuivre qu’il ne puisse au final maîtriser. En ce sens oui, la référence à son mentor Rollins fait sens. Sauf que le matériau ainsi façonné part du jazz de la rue, des éclats de fanfare, des marching songs, beats battants plus binaires que ternaires fortement appuyés par une rythmique concentrée. En découlent des phrases souvent courtes, syncopées triturées jusqu’à épuisement du sujet. Il y a aussi du Ayler « assagi » en lecture dans cette manière singulière, du flux gospel et bues sans doute également. Ainsi déversée directement vers le public la musique échappe au côté lancinant, obsédant même noté à propos du disque (Days of freeman / Okeh) Eu égard à l’ovation recueillie dans l’écrin du théâtre du centre ville, côté live ça marche fort pour le jeune ténor qui monte…

Jeune clarinettiste au féminin, elle monte également dans l’échelle des valeurs jazzistiques bancables…Anat Cohen, elle, a donc droit aux 4000 places de Mendizorrotza, enceinte née du basket (l’équipe locale fait partie du gratin européen) pour célébrer la programmation phare du festival. Sonorité claire, boisée, ronde au besoin elle affiche une manière aisée de faire virevolter les notes qui jaillissent à flots. Le quartet toutefois met un peu de temps dans sa mise en place. Puis soudain Jeff Ballard, prend les choses en mains. Il donne du corps, de la vie, hausse le ton sur une chanson de Piaf. La mélodie de La vie en rose fait décoller l’orchestre, le jeune et frêle pianiste imprime des accords forts. Et c’est vrai, patent même, Anat Cohen parait plus à l’aise sur des parties de rythmiques serrées, en poussée verticale sur des tempos en accélération. Tels les forrós du nordeste brésilien, ces airs de rue enlevés qu’elle dit avoir eu plaisir à les goûter sur place. De cette leçon de choses musicales on se dit alors qu’il faudrait, pour un profit de plaisir prolongé tout un set,  que la clarinettiste aille chercher du côté de plus de diversité thématique encore…

Elle entre en scène enveloppée dans un grand voile de tulle blanche, yeux clairs, visage ovale de vierge de Séville, bouche sensuelle et dans le mouvement imprimé par ses mains perce l’infinie grâce des danseuses flamencas. On ne voit qu’elle, ne sent que sa présence sur l’immense plateau scénique, n’entend que sa voix subvertir les arpèges du Niño Josele. Estrella Morente, possède les atouts des divas. Par nature elle et lui sont « flamencos » donc soumis au duende, à l’inspiration, aux poussées de l’émotion et d’un certain swing « Si Billie Holiday vivait aujourd’hui par la transmission des savoirs musicaux et de la technologie, sans doute chanterait-elle des soleas comme Elsa, elle, laisse transpirer des gouttes de blues » affirme Miquel Jurado, critique musical catalan. Guitare plus voix, deux instruments pour conter à vif deux histoires mises en commun « J’ai rêvé de cette rencontre. Avoir pu la matérialiser représente donc un vrai bonheur» confie Fernando Trueba, réalisateur de cinéma et documentaires musicaux et producteur de concerts. Entre premier jet de flamenco et couplets de chanson. Une guitare fluide donc, précise, mise en action à dessein dans un toucher volontairement délicat. En appui sur les cordes, niveau volume dessous/dessus selon la nécessité du dire, le filet de voix surgit à la limite de la déchirure, au bord des larmes. Ainsi va le «Baile del desamor», ballade sur des mots communs,  éculés mais incontournables du discours amoureux. Alors bon, ce n’est pas faux non plus parce que ressenti et partagé dans l’attente, le temps ralenti du concert à deux: sans doute manque-t-il à cette restitution, ce feeling d’effeuillement, cette émotion prolongée à fleur de peau un moment de rupture, l’érection d’un soupçon de tragique. Une vraie séquence de tension au bout de tant et tant d’attention. Comme la corde très sensible du flamenco figure en encre forte de la chanson d’amour.

Un duo encore en mode de clôture du festival. Chick et Herbie, Hancock-Corea en deux pianos soudés ventre à ventre « Nous voudrions d’un commun accord Herbie et moi dédier ce concert à la mémoire, à l’âme de Paco de Lucia, une de mes grandes source d’inspiration » dit Corea avec émotion « Il y a deux ans à peine j’étais avec lui sur cette même scène, quasiment
son dernier concert… » Les pianos entrent en action. Chacun dans sa peau, à chacun son rôle: espiègle, taquin, dynamitero du bout du bout de de sa main gauche aventurière par essence pour Chick. Concentré, plus en retrait d’apparence, construisant au fur et à mesure l’écheveau de ses métriques, recentré sur les basses du clavier côté Herbie. España, Spain (comme Chick Corea aime à  jouer cette composition ce soir et toujours) : à l’instar d’autres artistes sur le sable d’une arène, le jeu consiste aussi à faire venir l’autre sur son terrain, sa querencia. Dans le concert histoire de sublimer et faire partager le plaisir. Dans ce type de pari, ces mini battles Chick Corea excelle. Témoin ce glissement progressif à partir du All blues de Miles vers le Maiden Voyage de son comparse…ou bien les digressions harmoniques appliquées au standard  Watermelon Man. Piano, synthétiseurs, phrases ou sons numérisées, mis en boucle, tout le vocabulaire, la grammaire engrangés par les enfants terribles de Miles finit par atterrir dans la cour de leurs claviers respectifs. Avec plus ou moins de succès, de réussite immédiate quelle qu’en soit l’envie de départ. Le fruit de la conversation entre deux amis de rencontre s’apprécie à l’aune de l’attente, du degré d’écoute, du besoin de partage et de la capacité mutuelle d’écoute. A la suite d’une dizaine de dates précédentes dans les festivals européens et à la veille de la despedida pour le couple de pianistes les milliers d’oreilles attentives de Mendizorrotza en redemandaient toujours. Ils revinrent donc deux fois, salle d’autant plus familière à Chick qu’il était déjà présent la veille histoire  d’écouter Anat Cohen puis son pote Niño Josele épauler Elsa Morente…Des deux pianistes, et des pianistes de jazz en général, Chick Corea -son ami Paco de Lucia le savait pertinemment- est incontestablement le plus flamenco de tous…

A ce titre Mendizorrotza reste un de ses terrains de jeu favoris.


Robert Latxague

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Vêtu comme pour célébrer les San Fermines (Feria de Pampelune, Navarre, région voisine) béret rouge pantalon et chemise blanche Edmar Castañeda entame une chevauchée fantastiques sur sa harpe colombienne. Cuarto de colores s’intitule son premier thème. Son propos musical s’avère pourtant multicolore: harpe bleu azur, cordes bigarrées arc en ciel, notes éclatées en incessantes gerbes swing scintillantes sous l’attaque de mains oeuvrant comme stroboscopées. Le soliste inclassable de Bogota fait partie des musiciens dits Jazz du XXIe siècle présentés cette année au festival au même titre que Jason Marsalis, Vincent Peirani ou James Brandon Lewis.

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Edmar Castañeda (har)

Anat Cohen (cla), Reiner Elizarde « El Negron » Ruardo» (b), Gadi Lehavi (p), Jeff Ballard (dm)

Estrella Morente (voc), Niño Josele (acc g)

James Brandon Lewis (ts), Luka Stewart (b), Warren « Trae » Crudup (dm)

Chick Corea, Herbie Hancock (p, keyb)

Vitoria-Gasteiz  Jazzaldia, Vitoria 17-18 juillet


Une colonne d’air tendue en permanence pour augmenter, du souffle soutenu, la vibration. Un phrasé entretenu, régulier qui se refuse au silence histoire de mieux occuper l’espace sonore. James Brandon Lewis utilise toute la tessiture de son instrument, veillant toujours à bien en garder le contrôle. Pas d’escapade folles en matière de débit, ni de montées en vrille en mode de rupture CQFD. Le saxophoniste, choisit à dessein de n’allumer que des incendies de cuivre qu’il ne puisse au final maîtriser. En ce sens oui, la référence à son mentor Rollins fait sens. Sauf que le matériau ainsi façonné part du jazz de la rue, des éclats de fanfare, des marching songs, beats battants plus binaires que ternaires fortement appuyés par une rythmique concentrée. En découlent des phrases souvent courtes, syncopées triturées jusqu’à épuisement du sujet. Il y a aussi du Ayler « assagi » en lecture dans cette manière singulière, du flux gospel et bues sans doute également. Ainsi déversée directement vers le public la musique échappe au côté lancinant, obsédant même noté à propos du disque (Days of freeman / Okeh) Eu égard à l’ovation recueillie dans l’écrin du théâtre du centre ville, côté live ça marche fort pour le jeune ténor qui monte…

Jeune clarinettiste au féminin, elle monte également dans l’échelle des valeurs jazzistiques bancables…Anat Cohen, elle, a donc droit aux 4000 places de Mendizorrotza, enceinte née du basket (l’équipe locale fait partie du gratin européen) pour célébrer la programmation phare du festival. Sonorité claire, boisée, ronde au besoin elle affiche une manière aisée de faire virevolter les notes qui jaillissent à flots. Le quartet toutefois met un peu de temps dans sa mise en place. Puis soudain Jeff Ballard, prend les choses en mains. Il donne du corps, de la vie, hausse le ton sur une chanson de Piaf. La mélodie de La vie en rose fait décoller l’orchestre, le jeune et frêle pianiste imprime des accords forts. Et c’est vrai, patent même, Anat Cohen parait plus à l’aise sur des parties de rythmiques serrées, en poussée verticale sur des tempos en accélération. Tels les forrós du nordeste brésilien, ces airs de rue enlevés qu’elle dit avoir eu plaisir à les goûter sur place. De cette leçon de choses musicales on se dit alors qu’il faudrait, pour un profit de plaisir prolongé tout un set,  que la clarinettiste aille chercher du côté de plus de diversité thématique encore…

Elle entre en scène enveloppée dans un grand voile de tulle blanche, yeux clairs, visage ovale de vierge de Séville, bouche sensuelle et dans le mouvement imprimé par ses mains perce l’infinie grâce des danseuses flamencas. On ne voit qu’elle, ne sent que sa présence sur l’immense plateau scénique, n’entend que sa voix subvertir les arpèges du Niño Josele. Estrella Morente, possède les atouts des divas. Par nature elle et lui sont « flamencos » donc soumis au duende, à l’inspiration, aux poussées de l’émotion et d’un certain swing « Si Billie Holiday vivait aujourd’hui par la transmission des savoirs musicaux et de la technologie, sans doute chanterait-elle des soleas comme Elsa, elle, laisse transpirer des gouttes de blues » affirme Miquel Jurado, critique musical catalan. Guitare plus voix, deux instruments pour conter à vif deux histoires mises en commun « J’ai rêvé de cette rencontre. Avoir pu la matérialiser représente donc un vrai bonheur» confie Fernando Trueba, réalisateur de cinéma et documentaires musicaux et producteur de concerts. Entre premier jet de flamenco et couplets de chanson. Une guitare fluide donc, précise, mise en action à dessein dans un toucher volontairement délicat. En appui sur les cordes, niveau volume dessous/dessus selon la nécessité du dire, le filet de voix surgit à la limite de la déchirure, au bord des larmes. Ainsi va le «Baile del desamor», ballade sur des mots communs,  éculés mais incontournables du discours amoureux. Alors bon, ce n’est pas faux non plus parce que ressenti et partagé dans l’attente, le temps ralenti du concert à deux: sans doute manque-t-il à cette restitution, ce feeling d’effeuillement, cette émotion prolongée à fleur de peau un moment de rupture, l’érection d’un soupçon de tragique. Une vraie séquence de tension au bout de tant et tant d’attention. Comme la corde très sensible du flamenco figure en encre forte de la chanson d’amour.

Un duo encore en mode de clôture du festival. Chick et Herbie, Hancock-Corea en deux pianos soudés ventre à ventre « Nous voudrions d’un commun accord Herbie et moi dédier ce concert à la mémoire, à l’âme de Paco de Lucia, une de mes grandes source d’inspiration » dit Corea avec émotion « Il y a deux ans à peine j’étais avec lui sur cette même scène, quasiment
son dernier concert… » Les pianos entrent en action. Chacun dans sa peau, à chacun son rôle: espiègle, taquin, dynamitero du bout du bout de de sa main gauche aventurière par essence pour Chick. Concentré, plus en retrait d’apparence, construisant au fur et à mesure l’écheveau de ses métriques, recentré sur les basses du clavier côté Herbie. España, Spain (comme Chick Corea aime à  jouer cette composition ce soir et toujours) : à l’instar d’autres artistes sur le sable d’une arène, le jeu consiste aussi à faire venir l’autre sur son terrain, sa querencia. Dans le concert histoire de sublimer et faire partager le plaisir. Dans ce type de pari, ces mini battles Chick Corea excelle. Témoin ce glissement progressif à partir du All blues de Miles vers le Maiden Voyage de son comparse…ou bien les digressions harmoniques appliquées au standard  Watermelon Man. Piano, synthétiseurs, phrases ou sons numérisées, mis en boucle, tout le vocabulaire, la grammaire engrangés par les enfants terribles de Miles finit par atterrir dans la cour de leurs claviers respectifs. Avec plus ou moins de succès, de réussite immédiate quelle qu’en soit l’envie de départ. Le fruit de la conversation entre deux amis de rencontre s’apprécie à l’aune de l’attente, du degré d’écoute, du besoin de partage et de la capacité mutuelle d’écoute. A la suite d’une dizaine de dates précédentes dans les festivals européens et à la veille de la despedida pour le couple de pianistes les milliers d’oreilles attentives de Mendizorrotza en redemandaient toujours. Ils revinrent donc deux fois, salle d’autant plus familière à Chick qu’il était déjà présent la veille histoire  d’écouter Anat Cohen puis son pote Niño Josele épauler Elsa Morente…Des deux pianistes, et des pianistes de jazz en général, Chick Corea -son ami Paco de Lucia le savait pertinemment- est incontestablement le plus flamenco de tous…

A ce titre Mendizorrotza reste un de ses terrains de jeu favoris.


Robert Latxague

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Vêtu comme pour célébrer les San Fermines (Feria de Pampelune, Navarre, région voisine) béret rouge pantalon et chemise blanche Edmar Castañeda entame une chevauchée fantastiques sur sa harpe colombienne. Cuarto de colores s’intitule son premier thème. Son propos musical s’avère pourtant multicolore: harpe bleu azur, cordes bigarrées arc en ciel, notes éclatées en incessantes gerbes swing scintillantes sous l’attaque de mains oeuvrant comme stroboscopées. Le soliste inclassable de Bogota fait partie des musiciens dits Jazz du XXIe siècle présentés cette année au festival au même titre que Jason Marsalis, Vincent Peirani ou James Brandon Lewis.

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Edmar Castañeda (har)

Anat Cohen (cla), Reiner Elizarde « El Negron » Ruardo» (b), Gadi Lehavi (p), Jeff Ballard (dm)

Estrella Morente (voc), Niño Josele (acc g)

James Brandon Lewis (ts), Luka Stewart (b), Warren « Trae » Crudup (dm)

Chick Corea, Herbie Hancock (p, keyb)

Vitoria-Gasteiz  Jazzaldia, Vitoria 17-18 juillet


Une colonne d’air tendue en permanence pour augmenter, du souffle soutenu, la vibration. Un phrasé entretenu, régulier qui se refuse au silence histoire de mieux occuper l’espace sonore. James Brandon Lewis utilise toute la tessiture de son instrument, veillant toujours à bien en garder le contrôle. Pas d’escapade folles en matière de débit, ni de montées en vrille en mode de rupture CQFD. Le saxophoniste, choisit à dessein de n’allumer que des incendies de cuivre qu’il ne puisse au final maîtriser. En ce sens oui, la référence à son mentor Rollins fait sens. Sauf que le matériau ainsi façonné part du jazz de la rue, des éclats de fanfare, des marching songs, beats battants plus binaires que ternaires fortement appuyés par une rythmique concentrée. En découlent des phrases souvent courtes, syncopées triturées jusqu’à épuisement du sujet. Il y a aussi du Ayler « assagi » en lecture dans cette manière singulière, du flux gospel et bues sans doute également. Ainsi déversée directement vers le public la musique échappe au côté lancinant, obsédant même noté à propos du disque (Days of freeman / Okeh) Eu égard à l’ovation recueillie dans l’écrin du théâtre du centre ville, côté live ça marche fort pour le jeune ténor qui monte…

Jeune clarinettiste au féminin, elle monte également dans l’échelle des valeurs jazzistiques bancables…Anat Cohen, elle, a donc droit aux 4000 places de Mendizorrotza, enceinte née du basket (l’équipe locale fait partie du gratin européen) pour célébrer la programmation phare du festival. Sonorité claire, boisée, ronde au besoin elle affiche une manière aisée de faire virevolter les notes qui jaillissent à flots. Le quartet toutefois met un peu de temps dans sa mise en place. Puis soudain Jeff Ballard, prend les choses en mains. Il donne du corps, de la vie, hausse le ton sur une chanson de Piaf. La mélodie de La vie en rose fait décoller l’orchestre, le jeune et frêle pianiste imprime des accords forts. Et c’est vrai, patent même, Anat Cohen parait plus à l’aise sur des parties de rythmiques serrées, en poussée verticale sur des tempos en accélération. Tels les forrós du nordeste brésilien, ces airs de rue enlevés qu’elle dit avoir eu plaisir à les goûter sur place. De cette leçon de choses musicales on se dit alors qu’il faudrait, pour un profit de plaisir prolongé tout un set,  que la clarinettiste aille chercher du côté de plus de diversité thématique encore…

Elle entre en scène enveloppée dans un grand voile de tulle blanche, yeux clairs, visage ovale de vierge de Séville, bouche sensuelle et dans le mouvement imprimé par ses mains perce l’infinie grâce des danseuses flamencas. On ne voit qu’elle, ne sent que sa présence sur l’immense plateau scénique, n’entend que sa voix subvertir les arpèges du Niño Josele. Estrella Morente, possède les atouts des divas. Par nature elle et lui sont « flamencos » donc soumis au duende, à l’inspiration, aux poussées de l’émotion et d’un certain swing « Si Billie Holiday vivait aujourd’hui par la transmission des savoirs musicaux et de la technologie, sans doute chanterait-elle des soleas comme Elsa, elle, laisse transpirer des gouttes de blues » affirme Miquel Jurado, critique musical catalan. Guitare plus voix, deux instruments pour conter à vif deux histoires mises en commun « J’ai rêvé de cette rencontre. Avoir pu la matérialiser représente donc un vrai bonheur» confie Fernando Trueba, réalisateur de cinéma et documentaires musicaux et producteur de concerts. Entre premier jet de flamenco et couplets de chanson. Une guitare fluide donc, précise, mise en action à dessein dans un toucher volontairement délicat. En appui sur les cordes, niveau volume dessous/dessus selon la nécessité du dire, le filet de voix surgit à la limite de la déchirure, au bord des larmes. Ainsi va le «Baile del desamor», ballade sur des mots communs,  éculés mais incontournables du discours amoureux. Alors bon, ce n’est pas faux non plus parce que ressenti et partagé dans l’attente, le temps ralenti du concert à deux: sans doute manque-t-il à cette restitution, ce feeling d’effeuillement, cette émotion prolongée à fleur de peau un moment de rupture, l’érection d’un soupçon de tragique. Une vraie séquence de tension au bout de tant et tant d’attention. Comme la corde très sensible du flamenco figure en encre forte de la chanson d’amour.

Un duo encore en mode de clôture du festival. Chick et Herbie, Hancock-Corea en deux pianos soudés ventre à ventre « Nous voudrions d’un commun accord Herbie et moi dédier ce concert à la mémoire, à l’âme de Paco de Lucia, une de mes grandes source d’inspiration » dit Corea avec émotion « Il y a deux ans à peine j’étais avec lui sur cette même scène, quasiment
son dernier concert… » Les pianos entrent en action. Chacun dans sa peau, à chacun son rôle: espiègle, taquin, dynamitero du bout du bout de de sa main gauche aventurière par essence pour Chick. Concentré, plus en retrait d’apparence, construisant au fur et à mesure l’écheveau de ses métriques, recentré sur les basses du clavier côté Herbie. España, Spain (comme Chick Corea aime à  jouer cette composition ce soir et toujours) : à l’instar d’autres artistes sur le sable d’une arène, le jeu consiste aussi à faire venir l’autre sur son terrain, sa querencia. Dans le concert histoire de sublimer et faire partager le plaisir. Dans ce type de pari, ces mini battles Chick Corea excelle. Témoin ce glissement progressif à partir du All blues de Miles vers le Maiden Voyage de son comparse…ou bien les digressions harmoniques appliquées au standard  Watermelon Man. Piano, synthétiseurs, phrases ou sons numérisées, mis en boucle, tout le vocabulaire, la grammaire engrangés par les enfants terribles de Miles finit par atterrir dans la cour de leurs claviers respectifs. Avec plus ou moins de succès, de réussite immédiate quelle qu’en soit l’envie de départ. Le fruit de la conversation entre deux amis de rencontre s’apprécie à l’aune de l’attente, du degré d’écoute, du besoin de partage et de la capacité mutuelle d’écoute. A la suite d’une dizaine de dates précédentes dans les festivals européens et à la veille de la despedida pour le couple de pianistes les milliers d’oreilles attentives de Mendizorrotza en redemandaient toujours. Ils revinrent donc deux fois, salle d’autant plus familière à Chick qu’il était déjà présent la veille histoire  d’écouter Anat Cohen puis son pote Niño Josele épauler Elsa Morente…Des deux pianistes, et des pianistes de jazz en général, Chick Corea -son ami Paco de Lucia le savait pertinemment- est incontestablement le plus flamenco de tous…

A ce titre Mendizorrotza reste un de ses terrains de jeu favoris.


Robert Latxague