De Jazz à Luz à Jazz à Foix
Pour l’ouverture du festival qu’elle organise, l’association Art’riège avait eu l’ingénieuse idée d’associer un ancien de chez Duke Ellington et Charles Mingus, Jimmy Owens, au quartette d’Azar Lawrence, qui a marqué la discographie de McCoy Tyner. Une rencontre que l’on n’entendra au cours d’aucun autre festival de l’hexagone !
Festival Jazz à Foix
Mardi 21 juillet 2015, Ecole Lucien Goron-Marie Carol, Foix (09)
Jimmy Owens feat. Azar Lawrence Quartet : The Monk Project
Jimmy Owens (tp), Azar Lawrence (ts), Benito Gonzalez (p), Essiet Essiet (cb), Brandon Lewis (dm).
Luz-Saint-Sauveur et Foix ont en commun d’accueillir un festival de jazz en juillet et de se situer dans les Pyrénées. Mais si le premier d’entre eux présente des musiques exploratrices (Luz-Saint-Sauveur est à205 kilomètresde Toulouse), Foix (qui ne se trouve qu’à144 kilomètresde Montauban) propose des concerts bien davantage amarrés à l’histoire du jazz. Raison pour laquelle, sans doute, Jimmy Owens tenait le haut de l’affiche alors qu’il était en réalité l’invité de la formation régulière du saxophoniste.
Les C.V. de ces deux personnalités ont de quoi impressionner. Pour les moins au fait d’entre nos lecteurs, rappelons que Jimmy Owens (né en 1943) a été l’élève de Donald Byrd, avant de passer au sein de grandes formations parmi les plus importantes : Lionel Hampton, Charles Mingus, Duke Ellington, Count Basie, Gerry Mulligan, participant même à la première mouture du fameux big band de Thad Jones-Mel Lewis ou dans celui, plus récent, de Gerald Wilson (en 2005)… Voilà qui pose son musicien. Le « palmarès » d’Azar Lawrence (né en 1953) supporte la comparaison avec celui d’Owens : Horace Tapscott, Ike & Tina Turner, McCoy Tyner (entre 1973 et 1976), Woddy Shaw, le 360 Degree Music Experience de Beaver Harris et Dave Burrell, Frank Zappa… À la lecture de ces listes nominatives, l’écoute du concert confirma la confrontation de deux tendances du jazz, nourries cependant du même humus.
Les deux musiciens s’étaient rencontrés l’après-midi même du concert pour établir le programme. Un peu artificiellement, il avait été décidé de rendre hommage à Monk. Pourquoi Monk, exactement, on ne le saura pas, sauf à supposer qu’il s’agit d’une référence commune aux deux artistes. Une mise en scène avait également été mise au point, Jimmy Owens, en patriarche du jazz, montant d’abord seul sur scène. Lorsque l’on découvre en live ce musicien, on se trouve happé par un son : généreux, rond, ample, avec du grain. D’autant plus que ce son n’est pas altéré par l’amplification, celle-ci me passant au-dessus de la tête depuis le deuxième rang où je me trouve. En écho à Nobody Knows the Trouble I’ve Seen, interprété par Owens, quelques coups de tonnerre d’un orage menaçant parviennent jusqu’à la scène depuis la montagne. Par bonheur, il passera son chemin et n’interrompra pas le spectacle. Spectacle en effet, car outre la mise en scène – les rythmiciens rejoignant Owens les uns après les autres pour enchaîner sur un impromptu Blues for Happiness in Foix –, le quintette n’élude pas le show, une dimension historiquement attachée à la culture du jazz. Ainsi, les solos prennent-ils la forme du grand crescendo, Owens lançant des riffs au milieu du solo de piano pour lui faire franchir un palier supplémentaire.
Azar Lawrence sur scène, une reprise de Stuffy Turkey inaugura l’hommage à Monk. Même si un vent plus que capricieux s’amusa à faire voler les partitions des interprètes, une fois le thème exposé la musique suivit les rails de ce bon vieux AABA. Le A s’apparentant à un riff à l’ancienne, le B, plus typiquement monkien, fut harmonisé en gammes par tons ce qui autorisa des envolées post-coltraniennes au saxophoniste. Celui-ci n’a jamais caché son admiration sans borne pour Trane, vampirisant son approche jazzistique. C’est ainsi que sur Let’s Cool One (repris en trois temps), il s’approcha ensuite de la frontière free sans jamais en franchir la ligne, sa rythmique restant même dans un jeu plus classique afin de faciliter l’intégration du plus mainstream Jimmy Owens. Ce n’est qu’avec le retrait provisoire du trompettiste que le quartette d’Azar Lawrence donna sa pleine mesure. Avec Elements, un décalque de Love Supreme, la musique fit un bond de vingt ans vers le milieu des années 1960. Tels des chevaux de course jusqu’alors contenus dans leur boite de départ, les musiciens déversèrent leur trop plein d’énergie accumulée depuis le début de la prestation, le batteur, Brandon Lewis, réalisant notamment une performance époustouflante.
Etrange question que celle de l’originalité tout de même. J’attends toujours d’un musicien qu’il ne répète pas ce qui a déjà été mieux dit par d’autres que lui. Or, alors même que le pianiste ne serait rien sans McCoy Tyner, de même Azar Lawrence sans Coltrane, je pris un plaisir certain à les écouter. Une réponse pas tout à fait honnête serait d’avancer que le son d’ensemble, les réalisations de chacun, ne se révélèrent pas être une duplication exacte du quartette classique de Coltrane (mais pour cela faudrait-il d’ailleurs que je l’eus entendu en direct…)… De façon plus sûr, il s’agissait sans doute là d’une écoute quelque peu nostalgique de ma part, entendant en live ce que je n’ai pu qu’apprécier (et adorer) grâce au disque. Dans une approche plus objective, ce fut indubitablement l’énergie qui me prit. D’un point de vue physique, la musique est la transmission d’une onde énergétique d’un producteur vers un récepteur. Au-delà du style, et de la résonnance culturelle engendrant des réactions de plaisir ou de déplaisir propres à chacun, notre corps peut être sensible à un type d’énergie particulier, qu’il n’oublie pas et qui le fait réagir positivement lorsqu’elle le fait entrer en vibration. C’est ainsi que je m’explique le grand plaisir que j’ai eu à écouter cette musique qui « refait le match » (pour reprendre le titre d’une émission sportive, tant la performance du quartette fut athlétique).
Su
r la seconde pièce tirée du répertoire de la formation d’Azar Lawrence, un binaire latin très rapide, Jimmy Owens retrouva le groupe. Contrairement à ses partenaires d’un soir, il ne montra pas les muscles et joua tout en pondération, appliquant en cela la règle du contraste chère aux tandems Bird-Miles ou Davis-Trane.
Après Round’ Midnight, dans Straight No Chaser Jimmy Owens se mit soudain à farfouiller dans les partitions de chacun, modifiant manifestement au dernier moment l’ordre du répertoire. Cela ne plut pas du tout à Benito Gonzalez, qui le fit savoir.
Dès lors la relation entre les musiciens devint plus tendue. Une pièce plus tard, et le concert se terminait. Réclamant un bis, le quintette donna un Blue Monk sans conviction, Jimmy Owens, certainement conscience de sa « bourde », applaudissant le pianiste à l’issu du solo qu’il lui avait cédé par déférence. Ce n’est à coup sûr pas ce que les auditeurs auront retenu de ce bon concert sans odeur de figues moisies qui contenta sans conteste certains raisins aigres !
Ce soir, 22 juillet, Jazz à Foix donnera à entendre le quintette de David Hazeltine et Piero Odorici, avec en invité spécial Louis Hayes.
Au même moment, le quartette d’Azar Lawrence se produira au Sunset-Sunside, rue des Lombards, à Paris.
|
Pour l’ouverture du festival qu’elle organise, l’association Art’riège avait eu l’ingénieuse idée d’associer un ancien de chez Duke Ellington et Charles Mingus, Jimmy Owens, au quartette d’Azar Lawrence, qui a marqué la discographie de McCoy Tyner. Une rencontre que l’on n’entendra au cours d’aucun autre festival de l’hexagone !
Festival Jazz à Foix
Mardi 21 juillet 2015, Ecole Lucien Goron-Marie Carol, Foix (09)
Jimmy Owens feat. Azar Lawrence Quartet : The Monk Project
Jimmy Owens (tp), Azar Lawrence (ts), Benito Gonzalez (p), Essiet Essiet (cb), Brandon Lewis (dm).
Luz-Saint-Sauveur et Foix ont en commun d’accueillir un festival de jazz en juillet et de se situer dans les Pyrénées. Mais si le premier d’entre eux présente des musiques exploratrices (Luz-Saint-Sauveur est à205 kilomètresde Toulouse), Foix (qui ne se trouve qu’à144 kilomètresde Montauban) propose des concerts bien davantage amarrés à l’histoire du jazz. Raison pour laquelle, sans doute, Jimmy Owens tenait le haut de l’affiche alors qu’il était en réalité l’invité de la formation régulière du saxophoniste.
Les C.V. de ces deux personnalités ont de quoi impressionner. Pour les moins au fait d’entre nos lecteurs, rappelons que Jimmy Owens (né en 1943) a été l’élève de Donald Byrd, avant de passer au sein de grandes formations parmi les plus importantes : Lionel Hampton, Charles Mingus, Duke Ellington, Count Basie, Gerry Mulligan, participant même à la première mouture du fameux big band de Thad Jones-Mel Lewis ou dans celui, plus récent, de Gerald Wilson (en 2005)… Voilà qui pose son musicien. Le « palmarès » d’Azar Lawrence (né en 1953) supporte la comparaison avec celui d’Owens : Horace Tapscott, Ike & Tina Turner, McCoy Tyner (entre 1973 et 1976), Woddy Shaw, le 360 Degree Music Experience de Beaver Harris et Dave Burrell, Frank Zappa… À la lecture de ces listes nominatives, l’écoute du concert confirma la confrontation de deux tendances du jazz, nourries cependant du même humus.
Les deux musiciens s’étaient rencontrés l’après-midi même du concert pour établir le programme. Un peu artificiellement, il avait été décidé de rendre hommage à Monk. Pourquoi Monk, exactement, on ne le saura pas, sauf à supposer qu’il s’agit d’une référence commune aux deux artistes. Une mise en scène avait également été mise au point, Jimmy Owens, en patriarche du jazz, montant d’abord seul sur scène. Lorsque l’on découvre en live ce musicien, on se trouve happé par un son : généreux, rond, ample, avec du grain. D’autant plus que ce son n’est pas altéré par l’amplification, celle-ci me passant au-dessus de la tête depuis le deuxième rang où je me trouve. En écho à Nobody Knows the Trouble I’ve Seen, interprété par Owens, quelques coups de tonnerre d’un orage menaçant parviennent jusqu’à la scène depuis la montagne. Par bonheur, il passera son chemin et n’interrompra pas le spectacle. Spectacle en effet, car outre la mise en scène – les rythmiciens rejoignant Owens les uns après les autres pour enchaîner sur un impromptu Blues for Happiness in Foix –, le quintette n’élude pas le show, une dimension historiquement attachée à la culture du jazz. Ainsi, les solos prennent-ils la forme du grand crescendo, Owens lançant des riffs au milieu du solo de piano pour lui faire franchir un palier supplémentaire.
Azar Lawrence sur scène, une reprise de Stuffy Turkey inaugura l’hommage à Monk. Même si un vent plus que capricieux s’amusa à faire voler les partitions des interprètes, une fois le thème exposé la musique suivit les rails de ce bon vieux AABA. Le A s’apparentant à un riff à l’ancienne, le B, plus typiquement monkien, fut harmonisé en gammes par tons ce qui autorisa des envolées post-coltraniennes au saxophoniste. Celui-ci n’a jamais caché son admiration sans borne pour Trane, vampirisant son approche jazzistique. C’est ainsi que sur Let’s Cool One (repris en trois temps), il s’approcha ensuite de la frontière free sans jamais en franchir la ligne, sa rythmique restant même dans un jeu plus classique afin de faciliter l’intégration du plus mainstream Jimmy Owens. Ce n’est qu’avec le retrait provisoire du trompettiste que le quartette d’Azar Lawrence donna sa pleine mesure. Avec Elements, un décalque de Love Supreme, la musique fit un bond de vingt ans vers le milieu des années 1960. Tels des chevaux de course jusqu’alors contenus dans leur boite de départ, les musiciens déversèrent leur trop plein d’énergie accumulée depuis le début de la prestation, le batteur, Brandon Lewis, réalisant notamment une performance époustouflante.
Etrange question que celle de l’originalité tout de même. J’attends toujours d’un musicien qu’il ne répète pas ce qui a déjà été mieux dit par d’autres que lui. Or, alors même que le pianiste ne serait rien sans McCoy Tyner, de même Azar Lawrence sans Coltrane, je pris un plaisir certain à les écouter. Une réponse pas tout à fait honnête serait d’avancer que le son d’ensemble, les réalisations de chacun, ne se révélèrent pas être une duplication exacte du quartette classique de Coltrane (mais pour cela faudrait-il d’ailleurs que je l’eus entendu en direct…)… De façon plus sûr, il s’agissait sans doute là d’une écoute quelque peu nostalgique de ma part, entendant en live ce que je n’ai pu qu’apprécier (et adorer) grâce au disque. Dans une approche plus objective, ce fut indubitablement l’énergie qui me prit. D’un point de vue physique, la musique est la transmission d’une onde énergétique d’un producteur vers un récepteur. Au-delà du style, et de la résonnance culturelle engendrant des réactions de plaisir ou de déplaisir propres à chacun, notre corps peut être sensible à un type d’énergie particulier, qu’il n’oublie pas et qui le fait réagir positivement lorsqu’elle le fait entrer en vibration. C’est ainsi que je m’explique le grand plaisir que j’ai eu à écouter cette musique qui « refait le match » (pour reprendre le titre d’une émission sportive, tant la performance du quartette fut athlétique).
Su
r la seconde pièce tirée du répertoire de la formation d’Azar Lawrence, un binaire latin très rapide, Jimmy Owens retrouva le groupe. Contrairement à ses partenaires d’un soir, il ne montra pas les muscles et joua tout en pondération, appliquant en cela la règle du contraste chère aux tandems Bird-Miles ou Davis-Trane.
Après Round’ Midnight, dans Straight No Chaser Jimmy Owens se mit soudain à farfouiller dans les partitions de chacun, modifiant manifestement au dernier moment l’ordre du répertoire. Cela ne plut pas du tout à Benito Gonzalez, qui le fit savoir.
Dès lors la relation entre les musiciens devint plus tendue. Une pièce plus tard, et le concert se terminait. Réclamant un bis, le quintette donna un Blue Monk sans conviction, Jimmy Owens, certainement conscience de sa « bourde », applaudissant le pianiste à l’issu du solo qu’il lui avait cédé par déférence. Ce n’est à coup sûr pas ce que les auditeurs auront retenu de ce bon concert sans odeur de figues moisies qui contenta sans conteste certains raisins aigres !
Ce soir, 22 juillet, Jazz à Foix donnera à entendre le quintette de David Hazeltine et Piero Odorici, avec en invité spécial Louis Hayes.
Au même moment, le quartette d’Azar Lawrence se produira au Sunset-Sunside, rue des Lombards, à Paris.
|
Pour l’ouverture du festival qu’elle organise, l’association Art’riège avait eu l’ingénieuse idée d’associer un ancien de chez Duke Ellington et Charles Mingus, Jimmy Owens, au quartette d’Azar Lawrence, qui a marqué la discographie de McCoy Tyner. Une rencontre que l’on n’entendra au cours d’aucun autre festival de l’hexagone !
Festival Jazz à Foix
Mardi 21 juillet 2015, Ecole Lucien Goron-Marie Carol, Foix (09)
Jimmy Owens feat. Azar Lawrence Quartet : The Monk Project
Jimmy Owens (tp), Azar Lawrence (ts), Benito Gonzalez (p), Essiet Essiet (cb), Brandon Lewis (dm).
Luz-Saint-Sauveur et Foix ont en commun d’accueillir un festival de jazz en juillet et de se situer dans les Pyrénées. Mais si le premier d’entre eux présente des musiques exploratrices (Luz-Saint-Sauveur est à205 kilomètresde Toulouse), Foix (qui ne se trouve qu’à144 kilomètresde Montauban) propose des concerts bien davantage amarrés à l’histoire du jazz. Raison pour laquelle, sans doute, Jimmy Owens tenait le haut de l’affiche alors qu’il était en réalité l’invité de la formation régulière du saxophoniste.
Les C.V. de ces deux personnalités ont de quoi impressionner. Pour les moins au fait d’entre nos lecteurs, rappelons que Jimmy Owens (né en 1943) a été l’élève de Donald Byrd, avant de passer au sein de grandes formations parmi les plus importantes : Lionel Hampton, Charles Mingus, Duke Ellington, Count Basie, Gerry Mulligan, participant même à la première mouture du fameux big band de Thad Jones-Mel Lewis ou dans celui, plus récent, de Gerald Wilson (en 2005)… Voilà qui pose son musicien. Le « palmarès » d’Azar Lawrence (né en 1953) supporte la comparaison avec celui d’Owens : Horace Tapscott, Ike & Tina Turner, McCoy Tyner (entre 1973 et 1976), Woddy Shaw, le 360 Degree Music Experience de Beaver Harris et Dave Burrell, Frank Zappa… À la lecture de ces listes nominatives, l’écoute du concert confirma la confrontation de deux tendances du jazz, nourries cependant du même humus.
Les deux musiciens s’étaient rencontrés l’après-midi même du concert pour établir le programme. Un peu artificiellement, il avait été décidé de rendre hommage à Monk. Pourquoi Monk, exactement, on ne le saura pas, sauf à supposer qu’il s’agit d’une référence commune aux deux artistes. Une mise en scène avait également été mise au point, Jimmy Owens, en patriarche du jazz, montant d’abord seul sur scène. Lorsque l’on découvre en live ce musicien, on se trouve happé par un son : généreux, rond, ample, avec du grain. D’autant plus que ce son n’est pas altéré par l’amplification, celle-ci me passant au-dessus de la tête depuis le deuxième rang où je me trouve. En écho à Nobody Knows the Trouble I’ve Seen, interprété par Owens, quelques coups de tonnerre d’un orage menaçant parviennent jusqu’à la scène depuis la montagne. Par bonheur, il passera son chemin et n’interrompra pas le spectacle. Spectacle en effet, car outre la mise en scène – les rythmiciens rejoignant Owens les uns après les autres pour enchaîner sur un impromptu Blues for Happiness in Foix –, le quintette n’élude pas le show, une dimension historiquement attachée à la culture du jazz. Ainsi, les solos prennent-ils la forme du grand crescendo, Owens lançant des riffs au milieu du solo de piano pour lui faire franchir un palier supplémentaire.
Azar Lawrence sur scène, une reprise de Stuffy Turkey inaugura l’hommage à Monk. Même si un vent plus que capricieux s’amusa à faire voler les partitions des interprètes, une fois le thème exposé la musique suivit les rails de ce bon vieux AABA. Le A s’apparentant à un riff à l’ancienne, le B, plus typiquement monkien, fut harmonisé en gammes par tons ce qui autorisa des envolées post-coltraniennes au saxophoniste. Celui-ci n’a jamais caché son admiration sans borne pour Trane, vampirisant son approche jazzistique. C’est ainsi que sur Let’s Cool One (repris en trois temps), il s’approcha ensuite de la frontière free sans jamais en franchir la ligne, sa rythmique restant même dans un jeu plus classique afin de faciliter l’intégration du plus mainstream Jimmy Owens. Ce n’est qu’avec le retrait provisoire du trompettiste que le quartette d’Azar Lawrence donna sa pleine mesure. Avec Elements, un décalque de Love Supreme, la musique fit un bond de vingt ans vers le milieu des années 1960. Tels des chevaux de course jusqu’alors contenus dans leur boite de départ, les musiciens déversèrent leur trop plein d’énergie accumulée depuis le début de la prestation, le batteur, Brandon Lewis, réalisant notamment une performance époustouflante.
Etrange question que celle de l’originalité tout de même. J’attends toujours d’un musicien qu’il ne répète pas ce qui a déjà été mieux dit par d’autres que lui. Or, alors même que le pianiste ne serait rien sans McCoy Tyner, de même Azar Lawrence sans Coltrane, je pris un plaisir certain à les écouter. Une réponse pas tout à fait honnête serait d’avancer que le son d’ensemble, les réalisations de chacun, ne se révélèrent pas être une duplication exacte du quartette classique de Coltrane (mais pour cela faudrait-il d’ailleurs que je l’eus entendu en direct…)… De façon plus sûr, il s’agissait sans doute là d’une écoute quelque peu nostalgique de ma part, entendant en live ce que je n’ai pu qu’apprécier (et adorer) grâce au disque. Dans une approche plus objective, ce fut indubitablement l’énergie qui me prit. D’un point de vue physique, la musique est la transmission d’une onde énergétique d’un producteur vers un récepteur. Au-delà du style, et de la résonnance culturelle engendrant des réactions de plaisir ou de déplaisir propres à chacun, notre corps peut être sensible à un type d’énergie particulier, qu’il n’oublie pas et qui le fait réagir positivement lorsqu’elle le fait entrer en vibration. C’est ainsi que je m’explique le grand plaisir que j’ai eu à écouter cette musique qui « refait le match » (pour reprendre le titre d’une émission sportive, tant la performance du quartette fut athlétique).
Su
r la seconde pièce tirée du répertoire de la formation d’Azar Lawrence, un binaire latin très rapide, Jimmy Owens retrouva le groupe. Contrairement à ses partenaires d’un soir, il ne montra pas les muscles et joua tout en pondération, appliquant en cela la règle du contraste chère aux tandems Bird-Miles ou Davis-Trane.
Après Round’ Midnight, dans Straight No Chaser Jimmy Owens se mit soudain à farfouiller dans les partitions de chacun, modifiant manifestement au dernier moment l’ordre du répertoire. Cela ne plut pas du tout à Benito Gonzalez, qui le fit savoir.
Dès lors la relation entre les musiciens devint plus tendue. Une pièce plus tard, et le concert se terminait. Réclamant un bis, le quintette donna un Blue Monk sans conviction, Jimmy Owens, certainement conscience de sa « bourde », applaudissant le pianiste à l’issu du solo qu’il lui avait cédé par déférence. Ce n’est à coup sûr pas ce que les auditeurs auront retenu de ce bon concert sans odeur de figues moisies qui contenta sans conteste certains raisins aigres !
Ce soir, 22 juillet, Jazz à Foix donnera à entendre le quintette de David Hazeltine et Piero Odorici, avec en invité spécial Louis Hayes.
Au même moment, le quartette d’Azar Lawrence se produira au Sunset-Sunside, rue des Lombards, à Paris.
|
Pour l’ouverture du festival qu’elle organise, l’association Art’riège avait eu l’ingénieuse idée d’associer un ancien de chez Duke Ellington et Charles Mingus, Jimmy Owens, au quartette d’Azar Lawrence, qui a marqué la discographie de McCoy Tyner. Une rencontre que l’on n’entendra au cours d’aucun autre festival de l’hexagone !
Festival Jazz à Foix
Mardi 21 juillet 2015, Ecole Lucien Goron-Marie Carol, Foix (09)
Jimmy Owens feat. Azar Lawrence Quartet : The Monk Project
Jimmy Owens (tp), Azar Lawrence (ts), Benito Gonzalez (p), Essiet Essiet (cb), Brandon Lewis (dm).
Luz-Saint-Sauveur et Foix ont en commun d’accueillir un festival de jazz en juillet et de se situer dans les Pyrénées. Mais si le premier d’entre eux présente des musiques exploratrices (Luz-Saint-Sauveur est à205 kilomètresde Toulouse), Foix (qui ne se trouve qu’à144 kilomètresde Montauban) propose des concerts bien davantage amarrés à l’histoire du jazz. Raison pour laquelle, sans doute, Jimmy Owens tenait le haut de l’affiche alors qu’il était en réalité l’invité de la formation régulière du saxophoniste.
Les C.V. de ces deux personnalités ont de quoi impressionner. Pour les moins au fait d’entre nos lecteurs, rappelons que Jimmy Owens (né en 1943) a été l’élève de Donald Byrd, avant de passer au sein de grandes formations parmi les plus importantes : Lionel Hampton, Charles Mingus, Duke Ellington, Count Basie, Gerry Mulligan, participant même à la première mouture du fameux big band de Thad Jones-Mel Lewis ou dans celui, plus récent, de Gerald Wilson (en 2005)… Voilà qui pose son musicien. Le « palmarès » d’Azar Lawrence (né en 1953) supporte la comparaison avec celui d’Owens : Horace Tapscott, Ike & Tina Turner, McCoy Tyner (entre 1973 et 1976), Woddy Shaw, le 360 Degree Music Experience de Beaver Harris et Dave Burrell, Frank Zappa… À la lecture de ces listes nominatives, l’écoute du concert confirma la confrontation de deux tendances du jazz, nourries cependant du même humus.
Les deux musiciens s’étaient rencontrés l’après-midi même du concert pour établir le programme. Un peu artificiellement, il avait été décidé de rendre hommage à Monk. Pourquoi Monk, exactement, on ne le saura pas, sauf à supposer qu’il s’agit d’une référence commune aux deux artistes. Une mise en scène avait également été mise au point, Jimmy Owens, en patriarche du jazz, montant d’abord seul sur scène. Lorsque l’on découvre en live ce musicien, on se trouve happé par un son : généreux, rond, ample, avec du grain. D’autant plus que ce son n’est pas altéré par l’amplification, celle-ci me passant au-dessus de la tête depuis le deuxième rang où je me trouve. En écho à Nobody Knows the Trouble I’ve Seen, interprété par Owens, quelques coups de tonnerre d’un orage menaçant parviennent jusqu’à la scène depuis la montagne. Par bonheur, il passera son chemin et n’interrompra pas le spectacle. Spectacle en effet, car outre la mise en scène – les rythmiciens rejoignant Owens les uns après les autres pour enchaîner sur un impromptu Blues for Happiness in Foix –, le quintette n’élude pas le show, une dimension historiquement attachée à la culture du jazz. Ainsi, les solos prennent-ils la forme du grand crescendo, Owens lançant des riffs au milieu du solo de piano pour lui faire franchir un palier supplémentaire.
Azar Lawrence sur scène, une reprise de Stuffy Turkey inaugura l’hommage à Monk. Même si un vent plus que capricieux s’amusa à faire voler les partitions des interprètes, une fois le thème exposé la musique suivit les rails de ce bon vieux AABA. Le A s’apparentant à un riff à l’ancienne, le B, plus typiquement monkien, fut harmonisé en gammes par tons ce qui autorisa des envolées post-coltraniennes au saxophoniste. Celui-ci n’a jamais caché son admiration sans borne pour Trane, vampirisant son approche jazzistique. C’est ainsi que sur Let’s Cool One (repris en trois temps), il s’approcha ensuite de la frontière free sans jamais en franchir la ligne, sa rythmique restant même dans un jeu plus classique afin de faciliter l’intégration du plus mainstream Jimmy Owens. Ce n’est qu’avec le retrait provisoire du trompettiste que le quartette d’Azar Lawrence donna sa pleine mesure. Avec Elements, un décalque de Love Supreme, la musique fit un bond de vingt ans vers le milieu des années 1960. Tels des chevaux de course jusqu’alors contenus dans leur boite de départ, les musiciens déversèrent leur trop plein d’énergie accumulée depuis le début de la prestation, le batteur, Brandon Lewis, réalisant notamment une performance époustouflante.
Etrange question que celle de l’originalité tout de même. J’attends toujours d’un musicien qu’il ne répète pas ce qui a déjà été mieux dit par d’autres que lui. Or, alors même que le pianiste ne serait rien sans McCoy Tyner, de même Azar Lawrence sans Coltrane, je pris un plaisir certain à les écouter. Une réponse pas tout à fait honnête serait d’avancer que le son d’ensemble, les réalisations de chacun, ne se révélèrent pas être une duplication exacte du quartette classique de Coltrane (mais pour cela faudrait-il d’ailleurs que je l’eus entendu en direct…)… De façon plus sûr, il s’agissait sans doute là d’une écoute quelque peu nostalgique de ma part, entendant en live ce que je n’ai pu qu’apprécier (et adorer) grâce au disque. Dans une approche plus objective, ce fut indubitablement l’énergie qui me prit. D’un point de vue physique, la musique est la transmission d’une onde énergétique d’un producteur vers un récepteur. Au-delà du style, et de la résonnance culturelle engendrant des réactions de plaisir ou de déplaisir propres à chacun, notre corps peut être sensible à un type d’énergie particulier, qu’il n’oublie pas et qui le fait réagir positivement lorsqu’elle le fait entrer en vibration. C’est ainsi que je m’explique le grand plaisir que j’ai eu à écouter cette musique qui « refait le match » (pour reprendre le titre d’une émission sportive, tant la performance du quartette fut athlétique).
Su
r la seconde pièce tirée du répertoire de la formation d’Azar Lawrence, un binaire latin très rapide, Jimmy Owens retrouva le groupe. Contrairement à ses partenaires d’un soir, il ne montra pas les muscles et joua tout en pondération, appliquant en cela la règle du contraste chère aux tandems Bird-Miles ou Davis-Trane.
Après Round’ Midnight, dans Straight No Chaser Jimmy Owens se mit soudain à farfouiller dans les partitions de chacun, modifiant manifestement au dernier moment l’ordre du répertoire. Cela ne plut pas du tout à Benito Gonzalez, qui le fit savoir.
Dès lors la relation entre les musiciens devint plus tendue. Une pièce plus tard, et le concert se terminait. Réclamant un bis, le quintette donna un Blue Monk sans conviction, Jimmy Owens, certainement conscience de sa « bourde », applaudissant le pianiste à l’issu du solo qu’il lui avait cédé par déférence. Ce n’est à coup sûr pas ce que les auditeurs auront retenu de ce bon concert sans odeur de figues moisies qui contenta sans conteste certains raisins aigres !
Ce soir, 22 juillet, Jazz à Foix donnera à entendre le quintette de David Hazeltine et Piero Odorici, avec en invité spécial Louis Hayes.
Au même moment, le quartette d’Azar Lawrence se produira au Sunset-Sunside, rue des Lombards, à Paris.