Jazz live
Publié le 1 Sep 2015

Braves nantais, rendez-vous ! De Cambronne à la "walking bass" en passant par le timbre de Jeanne Added

Dans l’avion qui me ramène « sur » Bordeaux – 30 minutes de vol, 12 personnes dans un Embraer de 100 places, pourquoi n’utilise-t’on pas plus souvent ce moyen de transport rapide, peu coûteux (moins cher que le train en s’y prenant à temps) je ne comprends pas ? – sans compter que la voie de chemin de fer dans le marais poitevin est en mauvais état et que les trains y perdent encore un temps considérable. Voilà une question réglée. Reste l’éternel match Bordeaux/Nantes, qui dure depuis 1917, depuis que les premiers musiciens noirs embarqués dans la grande guerre ont choisi Nantes pour débarquer, et pas Bordeaux. Nantes : 1, Bordeaux : zéro. Faut dire aussi que le mémorial sur l’abolition de l’esclavage à Nantes est un beau succès et qu’à Bordeaux, malgré l’action exemplaire de Karfa Diallo, on en est encore aux balbutiements. Nantes : 2, Bordeaux : zéro. J’apprends que Bordeaux a gagné au football dimanche. C’est bien. Mais ça ne suffit pas. Bon, il y a cette question épineuse du vin. Muscadet : 1, Médoc, Graves, Sauternes, et Pomerol : 4. Et j’ai laissé le St Emilion de côté pour de mauvaises raisons, j’avoue. C’est bien, suivez…

 Et ces « Rendez-vous » ? Alors là… quand vous ajoutez les unes aux autres la programmation à l’année du jazz sur Nantes, le « Pannonica », et toute cette scène nantaise qui produit des musiciens comme il en pleut, le résultat du match est scellé ! Comme dirait Cambronne en jurant ses grands dieux qu’on ne l’y prendra plus, « braves nantais, rendez-vous ! » Mais que vient faire la « walking bass » dans cette histoire déjà fumeuse? C’est que, voyez-vous, le seul défaut de ces « Rendez-vous de l’Erdre » c’est qu’il faut marcher toute la journée. J’aurais donc bien eu besoin d’une « walking bass » (une basse qui marche) pour m’aider dans mes déplacements. Il existe déjà des « basses volantes », pourquoi pas des basses électriques permettant de se déplacer ? On irait de la scène « mix jazz », la plus éloignée, à la scène nautique en un laps de temps très court, et on ne manquerait rien du concert des 26 jeunes italiens sous la conduite de Paolo Damiani. Sans compter que le « swing » n’aurait plus de secret pour vous, pas plus que le blues, et pas même la « souris verte », qui courait dans l’herbe. Bon, pour le « Lieu Unique » faut voir. Encore que, si la scène Sully revient, à mon avis chez Lefèvre-Utile on aura encore des concerts. Comment se passer d’une salle, pour ceux qui aiment VRAIMENT la musique ?

Pour revenir à nos concerts, une photo de Christian Rollet, qui jouait précisément dans ce « LU » dimanche en milieu de journée…

                                                                                   

Le « Workshop de Lyon » c’est quand même quelque chose ! Outre Christian Rollet (dm), vous avez Jean-Paul Autin (cl, as, ss), Jean Bolcato (b) et Jean Aussanaire (as, ss). Savez-vous que toute une partie du jazz vif français d’aujourd’hui est sorti de là ? Que, par exemple, cette histoire de « folklore imaginaire » (l’association se nomme l’ARFI, « Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire ») a guidé Louis Sclavis dans ses premiers pas d’instrumentiste et de compositeur ? Et que, du coup, tout un pan de la vie du jazz en France, basé sur l’idée de « collectif », vient de ces premières avancées des lyonnais ? Aujourd’hui, ils jouent un répertoire de compositions appelé « Lettres à des amis lointains », pour rappeler et rendre hommage à Colette Magny, Hermeto Pascoal, ou les ouvriers de tel ou tel chantier. Belles compositions, jouées avec un coeur extrême, je dirais avec une foi intacte. Comme si, des années 70 tant décriées aujourd’hui, nous parvenait incorruptible l’idée de changer la vie. Pour en savoir plus, une seule adresse : www.arfi.org

Et cette histoire de timbre, me direz-vous ? Petit rappel : il y a presque dix ans je découvrais, stupéfait et ravi, une chanteuse et violoncelliste du nom de Jeanne Added, aux côté de Vincent Courtois. Et je me rappelle encore qu’elle a chanté d’emblée ce morceau, sur des textes de Cummings : « I Carry Your Heart ». Photo souvenir.

Là, on voit bien Jeanne qui se penche pour attraper les partitions, Vincent fait de même mais il est caché. « I Carry Your Heart » est ensuite devenue un peu sa chanson fétiche dans le quartet de Vincent, et secrètement la mienne. What Do You Mean By Silence ? était le titre de leur disque. Jeanne Added a récemment atteint le statut de « rock star », ce qui ne l’empêche pas de continuer à honorer ses contrats avec Bruno Ruder et Vincent Lê Quan (« Yes Is A Pleasant Country« ), ou encore, comme à Nantes, au sein du Magnetic Ensemble d’Antonin Leymarie. Qu’importe ! Il me suffit de l’entendre, même de loin, pour, d’une part être atteint jusqu’à l’âme, et d’autre part (mais c’est lié) la reconnaître immédiatement. Question de timbre donc. Il y a dix ans comme aujourd’hui – mais aujourd’hui peut-être plus fortement encore – j’identifie cette voix à quelque chose de secrètement douloureux, mais d’une douleur qui ne s’avoue qu’à peine, et comporte en même temps son antidote, son remède. Dans ses morceaux récents, ses succès – que j’écoute avec un grand bonheur – je retrouve cette manière unique de prendre certaines notes (certains mots) légèrement plus bas que la note visée, puis de remonter jusqu’au niveau souhaité, dans une sorte de plainte qui se dépasse elle-même. C’est du plus bel effet. Sur moi en tous cas. Et puis ce n’est pas un effet, c’est elle. Michael Mantler (vous voyez qui je veux dire, le trompettiste, ex-mari de Carla Bley, père de Karen ?) me confiait un jour qu’il n’existait plus guère de « voix » originales dans le jazz, et qu’il fallait aller les chercher dans le rock et la « pop music ». Je ne doute pas qu’il aimerait travailler avec Jeanne. Oui, une voix, un timbre, c’est si rare.

Donc, aux « Rendez-vous de l’Erdre », on pouvait aussi avoir rendez-vous avec la voix de Jeanne Added.

Philippe Méziat

L’année prochaine, 30° anniversaire des RDV. Cette année ayant permis d’atteindre les 170.000 personnes en trois jours, on rêve d’autres records. Bon. Mais avec qui ? On parle de la Nouvelle-Orleans (pour fêter 1916 ? 1917 ?). Et même de Wynton Marsalis. Pourquoi pas ? Mais j’espère qu’il y aura encore des Papanosh, des Airelle Besson et des Jeanne Added. 

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Dans l’avion qui me ramène « sur » Bordeaux – 30 minutes de vol, 12 personnes dans un Embraer de 100 places, pourquoi n’utilise-t’on pas plus souvent ce moyen de transport rapide, peu coûteux (moins cher que le train en s’y prenant à temps) je ne comprends pas ? – sans compter que la voie de chemin de fer dans le marais poitevin est en mauvais état et que les trains y perdent encore un temps considérable. Voilà une question réglée. Reste l’éternel match Bordeaux/Nantes, qui dure depuis 1917, depuis que les premiers musiciens noirs embarqués dans la grande guerre ont choisi Nantes pour débarquer, et pas Bordeaux. Nantes : 1, Bordeaux : zéro. Faut dire aussi que le mémorial sur l’abolition de l’esclavage à Nantes est un beau succès et qu’à Bordeaux, malgré l’action exemplaire de Karfa Diallo, on en est encore aux balbutiements. Nantes : 2, Bordeaux : zéro. J’apprends que Bordeaux a gagné au football dimanche. C’est bien. Mais ça ne suffit pas. Bon, il y a cette question épineuse du vin. Muscadet : 1, Médoc, Graves, Sauternes, et Pomerol : 4. Et j’ai laissé le St Emilion de côté pour de mauvaises raisons, j’avoue. C’est bien, suivez…

 Et ces « Rendez-vous » ? Alors là… quand vous ajoutez les unes aux autres la programmation à l’année du jazz sur Nantes, le « Pannonica », et toute cette scène nantaise qui produit des musiciens comme il en pleut, le résultat du match est scellé ! Comme dirait Cambronne en jurant ses grands dieux qu’on ne l’y prendra plus, « braves nantais, rendez-vous ! » Mais que vient faire la « walking bass » dans cette histoire déjà fumeuse? C’est que, voyez-vous, le seul défaut de ces « Rendez-vous de l’Erdre » c’est qu’il faut marcher toute la journée. J’aurais donc bien eu besoin d’une « walking bass » (une basse qui marche) pour m’aider dans mes déplacements. Il existe déjà des « basses volantes », pourquoi pas des basses électriques permettant de se déplacer ? On irait de la scène « mix jazz », la plus éloignée, à la scène nautique en un laps de temps très court, et on ne manquerait rien du concert des 26 jeunes italiens sous la conduite de Paolo Damiani. Sans compter que le « swing » n’aurait plus de secret pour vous, pas plus que le blues, et pas même la « souris verte », qui courait dans l’herbe. Bon, pour le « Lieu Unique » faut voir. Encore que, si la scène Sully revient, à mon avis chez Lefèvre-Utile on aura encore des concerts. Comment se passer d’une salle, pour ceux qui aiment VRAIMENT la musique ?

Pour revenir à nos concerts, une photo de Christian Rollet, qui jouait précisément dans ce « LU » dimanche en milieu de journée…

                                                                                   

Le « Workshop de Lyon » c’est quand même quelque chose ! Outre Christian Rollet (dm), vous avez Jean-Paul Autin (cl, as, ss), Jean Bolcato (b) et Jean Aussanaire (as, ss). Savez-vous que toute une partie du jazz vif français d’aujourd’hui est sorti de là ? Que, par exemple, cette histoire de « folklore imaginaire » (l’association se nomme l’ARFI, « Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire ») a guidé Louis Sclavis dans ses premiers pas d’instrumentiste et de compositeur ? Et que, du coup, tout un pan de la vie du jazz en France, basé sur l’idée de « collectif », vient de ces premières avancées des lyonnais ? Aujourd’hui, ils jouent un répertoire de compositions appelé « Lettres à des amis lointains », pour rappeler et rendre hommage à Colette Magny, Hermeto Pascoal, ou les ouvriers de tel ou tel chantier. Belles compositions, jouées avec un coeur extrême, je dirais avec une foi intacte. Comme si, des années 70 tant décriées aujourd’hui, nous parvenait incorruptible l’idée de changer la vie. Pour en savoir plus, une seule adresse : www.arfi.org

Et cette histoire de timbre, me direz-vous ? Petit rappel : il y a presque dix ans je découvrais, stupéfait et ravi, une chanteuse et violoncelliste du nom de Jeanne Added, aux côté de Vincent Courtois. Et je me rappelle encore qu’elle a chanté d’emblée ce morceau, sur des textes de Cummings : « I Carry Your Heart ». Photo souvenir.

Là, on voit bien Jeanne qui se penche pour attraper les partitions, Vincent fait de même mais il est caché. « I Carry Your Heart » est ensuite devenue un peu sa chanson fétiche dans le quartet de Vincent, et secrètement la mienne. What Do You Mean By Silence ? était le titre de leur disque. Jeanne Added a récemment atteint le statut de « rock star », ce qui ne l’empêche pas de continuer à honorer ses contrats avec Bruno Ruder et Vincent Lê Quan (« Yes Is A Pleasant Country« ), ou encore, comme à Nantes, au sein du Magnetic Ensemble d’Antonin Leymarie. Qu’importe ! Il me suffit de l’entendre, même de loin, pour, d’une part être atteint jusqu’à l’âme, et d’autre part (mais c’est lié) la reconnaître immédiatement. Question de timbre donc. Il y a dix ans comme aujourd’hui – mais aujourd’hui peut-être plus fortement encore – j’identifie cette voix à quelque chose de secrètement douloureux, mais d’une douleur qui ne s’avoue qu’à peine, et comporte en même temps son antidote, son remède. Dans ses morceaux récents, ses succès – que j’écoute avec un grand bonheur – je retrouve cette manière unique de prendre certaines notes (certains mots) légèrement plus bas que la note visée, puis de remonter jusqu’au niveau souhaité, dans une sorte de plainte qui se dépasse elle-même. C’est du plus bel effet. Sur moi en tous cas. Et puis ce n’est pas un effet, c’est elle. Michael Mantler (vous voyez qui je veux dire, le trompettiste, ex-mari de Carla Bley, père de Karen ?) me confiait un jour qu’il n’existait plus guère de « voix » originales dans le jazz, et qu’il fallait aller les chercher dans le rock et la « pop music ». Je ne doute pas qu’il aimerait travailler avec Jeanne. Oui, une voix, un timbre, c’est si rare.

Donc, aux « Rendez-vous de l’Erdre », on pouvait aussi avoir rendez-vous avec la voix de Jeanne Added.

Philippe Méziat

L’année prochaine, 30° anniversaire des RDV. Cette année ayant permis d’atteindre les 170.000 personnes en trois jours, on rêve d’autres records. Bon. Mais avec qui ? On parle de la Nouvelle-Orleans (pour fêter 1916 ? 1917 ?). Et même de Wynton Marsalis. Pourquoi pas ? Mais j’espère qu’il y aura encore des Papanosh, des Airelle Besson et des Jeanne Added. 

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Dans l’avion qui me ramène « sur » Bordeaux – 30 minutes de vol, 12 personnes dans un Embraer de 100 places, pourquoi n’utilise-t’on pas plus souvent ce moyen de transport rapide, peu coûteux (moins cher que le train en s’y prenant à temps) je ne comprends pas ? – sans compter que la voie de chemin de fer dans le marais poitevin est en mauvais état et que les trains y perdent encore un temps considérable. Voilà une question réglée. Reste l’éternel match Bordeaux/Nantes, qui dure depuis 1917, depuis que les premiers musiciens noirs embarqués dans la grande guerre ont choisi Nantes pour débarquer, et pas Bordeaux. Nantes : 1, Bordeaux : zéro. Faut dire aussi que le mémorial sur l’abolition de l’esclavage à Nantes est un beau succès et qu’à Bordeaux, malgré l’action exemplaire de Karfa Diallo, on en est encore aux balbutiements. Nantes : 2, Bordeaux : zéro. J’apprends que Bordeaux a gagné au football dimanche. C’est bien. Mais ça ne suffit pas. Bon, il y a cette question épineuse du vin. Muscadet : 1, Médoc, Graves, Sauternes, et Pomerol : 4. Et j’ai laissé le St Emilion de côté pour de mauvaises raisons, j’avoue. C’est bien, suivez…

 Et ces « Rendez-vous » ? Alors là… quand vous ajoutez les unes aux autres la programmation à l’année du jazz sur Nantes, le « Pannonica », et toute cette scène nantaise qui produit des musiciens comme il en pleut, le résultat du match est scellé ! Comme dirait Cambronne en jurant ses grands dieux qu’on ne l’y prendra plus, « braves nantais, rendez-vous ! » Mais que vient faire la « walking bass » dans cette histoire déjà fumeuse? C’est que, voyez-vous, le seul défaut de ces « Rendez-vous de l’Erdre » c’est qu’il faut marcher toute la journée. J’aurais donc bien eu besoin d’une « walking bass » (une basse qui marche) pour m’aider dans mes déplacements. Il existe déjà des « basses volantes », pourquoi pas des basses électriques permettant de se déplacer ? On irait de la scène « mix jazz », la plus éloignée, à la scène nautique en un laps de temps très court, et on ne manquerait rien du concert des 26 jeunes italiens sous la conduite de Paolo Damiani. Sans compter que le « swing » n’aurait plus de secret pour vous, pas plus que le blues, et pas même la « souris verte », qui courait dans l’herbe. Bon, pour le « Lieu Unique » faut voir. Encore que, si la scène Sully revient, à mon avis chez Lefèvre-Utile on aura encore des concerts. Comment se passer d’une salle, pour ceux qui aiment VRAIMENT la musique ?

Pour revenir à nos concerts, une photo de Christian Rollet, qui jouait précisément dans ce « LU » dimanche en milieu de journée…

                                                                                   

Le « Workshop de Lyon » c’est quand même quelque chose ! Outre Christian Rollet (dm), vous avez Jean-Paul Autin (cl, as, ss), Jean Bolcato (b) et Jean Aussanaire (as, ss). Savez-vous que toute une partie du jazz vif français d’aujourd’hui est sorti de là ? Que, par exemple, cette histoire de « folklore imaginaire » (l’association se nomme l’ARFI, « Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire ») a guidé Louis Sclavis dans ses premiers pas d’instrumentiste et de compositeur ? Et que, du coup, tout un pan de la vie du jazz en France, basé sur l’idée de « collectif », vient de ces premières avancées des lyonnais ? Aujourd’hui, ils jouent un répertoire de compositions appelé « Lettres à des amis lointains », pour rappeler et rendre hommage à Colette Magny, Hermeto Pascoal, ou les ouvriers de tel ou tel chantier. Belles compositions, jouées avec un coeur extrême, je dirais avec une foi intacte. Comme si, des années 70 tant décriées aujourd’hui, nous parvenait incorruptible l’idée de changer la vie. Pour en savoir plus, une seule adresse : www.arfi.org

Et cette histoire de timbre, me direz-vous ? Petit rappel : il y a presque dix ans je découvrais, stupéfait et ravi, une chanteuse et violoncelliste du nom de Jeanne Added, aux côté de Vincent Courtois. Et je me rappelle encore qu’elle a chanté d’emblée ce morceau, sur des textes de Cummings : « I Carry Your Heart ». Photo souvenir.

Là, on voit bien Jeanne qui se penche pour attraper les partitions, Vincent fait de même mais il est caché. « I Carry Your Heart » est ensuite devenue un peu sa chanson fétiche dans le quartet de Vincent, et secrètement la mienne. What Do You Mean By Silence ? était le titre de leur disque. Jeanne Added a récemment atteint le statut de « rock star », ce qui ne l’empêche pas de continuer à honorer ses contrats avec Bruno Ruder et Vincent Lê Quan (« Yes Is A Pleasant Country« ), ou encore, comme à Nantes, au sein du Magnetic Ensemble d’Antonin Leymarie. Qu’importe ! Il me suffit de l’entendre, même de loin, pour, d’une part être atteint jusqu’à l’âme, et d’autre part (mais c’est lié) la reconnaître immédiatement. Question de timbre donc. Il y a dix ans comme aujourd’hui – mais aujourd’hui peut-être plus fortement encore – j’identifie cette voix à quelque chose de secrètement douloureux, mais d’une douleur qui ne s’avoue qu’à peine, et comporte en même temps son antidote, son remède. Dans ses morceaux récents, ses succès – que j’écoute avec un grand bonheur – je retrouve cette manière unique de prendre certaines notes (certains mots) légèrement plus bas que la note visée, puis de remonter jusqu’au niveau souhaité, dans une sorte de plainte qui se dépasse elle-même. C’est du plus bel effet. Sur moi en tous cas. Et puis ce n’est pas un effet, c’est elle. Michael Mantler (vous voyez qui je veux dire, le trompettiste, ex-mari de Carla Bley, père de Karen ?) me confiait un jour qu’il n’existait plus guère de « voix » originales dans le jazz, et qu’il fallait aller les chercher dans le rock et la « pop music ». Je ne doute pas qu’il aimerait travailler avec Jeanne. Oui, une voix, un timbre, c’est si rare.

Donc, aux « Rendez-vous de l’Erdre », on pouvait aussi avoir rendez-vous avec la voix de Jeanne Added.

Philippe Méziat

L’année prochaine, 30° anniversaire des RDV. Cette année ayant permis d’atteindre les 170.000 personnes en trois jours, on rêve d’autres records. Bon. Mais avec qui ? On parle de la Nouvelle-Orleans (pour fêter 1916 ? 1917 ?). Et même de Wynton Marsalis. Pourquoi pas ? Mais j’espère qu’il y aura encore des Papanosh, des Airelle Besson et des Jeanne Added. 

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Dans l’avion qui me ramène « sur » Bordeaux – 30 minutes de vol, 12 personnes dans un Embraer de 100 places, pourquoi n’utilise-t’on pas plus souvent ce moyen de transport rapide, peu coûteux (moins cher que le train en s’y prenant à temps) je ne comprends pas ? – sans compter que la voie de chemin de fer dans le marais poitevin est en mauvais état et que les trains y perdent encore un temps considérable. Voilà une question réglée. Reste l’éternel match Bordeaux/Nantes, qui dure depuis 1917, depuis que les premiers musiciens noirs embarqués dans la grande guerre ont choisi Nantes pour débarquer, et pas Bordeaux. Nantes : 1, Bordeaux : zéro. Faut dire aussi que le mémorial sur l’abolition de l’esclavage à Nantes est un beau succès et qu’à Bordeaux, malgré l’action exemplaire de Karfa Diallo, on en est encore aux balbutiements. Nantes : 2, Bordeaux : zéro. J’apprends que Bordeaux a gagné au football dimanche. C’est bien. Mais ça ne suffit pas. Bon, il y a cette question épineuse du vin. Muscadet : 1, Médoc, Graves, Sauternes, et Pomerol : 4. Et j’ai laissé le St Emilion de côté pour de mauvaises raisons, j’avoue. C’est bien, suivez…

 Et ces « Rendez-vous » ? Alors là… quand vous ajoutez les unes aux autres la programmation à l’année du jazz sur Nantes, le « Pannonica », et toute cette scène nantaise qui produit des musiciens comme il en pleut, le résultat du match est scellé ! Comme dirait Cambronne en jurant ses grands dieux qu’on ne l’y prendra plus, « braves nantais, rendez-vous ! » Mais que vient faire la « walking bass » dans cette histoire déjà fumeuse? C’est que, voyez-vous, le seul défaut de ces « Rendez-vous de l’Erdre » c’est qu’il faut marcher toute la journée. J’aurais donc bien eu besoin d’une « walking bass » (une basse qui marche) pour m’aider dans mes déplacements. Il existe déjà des « basses volantes », pourquoi pas des basses électriques permettant de se déplacer ? On irait de la scène « mix jazz », la plus éloignée, à la scène nautique en un laps de temps très court, et on ne manquerait rien du concert des 26 jeunes italiens sous la conduite de Paolo Damiani. Sans compter que le « swing » n’aurait plus de secret pour vous, pas plus que le blues, et pas même la « souris verte », qui courait dans l’herbe. Bon, pour le « Lieu Unique » faut voir. Encore que, si la scène Sully revient, à mon avis chez Lefèvre-Utile on aura encore des concerts. Comment se passer d’une salle, pour ceux qui aiment VRAIMENT la musique ?

Pour revenir à nos concerts, une photo de Christian Rollet, qui jouait précisément dans ce « LU » dimanche en milieu de journée…

                                                                                   

Le « Workshop de Lyon » c’est quand même quelque chose ! Outre Christian Rollet (dm), vous avez Jean-Paul Autin (cl, as, ss), Jean Bolcato (b) et Jean Aussanaire (as, ss). Savez-vous que toute une partie du jazz vif français d’aujourd’hui est sorti de là ? Que, par exemple, cette histoire de « folklore imaginaire » (l’association se nomme l’ARFI, « Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire ») a guidé Louis Sclavis dans ses premiers pas d’instrumentiste et de compositeur ? Et que, du coup, tout un pan de la vie du jazz en France, basé sur l’idée de « collectif », vient de ces premières avancées des lyonnais ? Aujourd’hui, ils jouent un répertoire de compositions appelé « Lettres à des amis lointains », pour rappeler et rendre hommage à Colette Magny, Hermeto Pascoal, ou les ouvriers de tel ou tel chantier. Belles compositions, jouées avec un coeur extrême, je dirais avec une foi intacte. Comme si, des années 70 tant décriées aujourd’hui, nous parvenait incorruptible l’idée de changer la vie. Pour en savoir plus, une seule adresse : www.arfi.org

Et cette histoire de timbre, me direz-vous ? Petit rappel : il y a presque dix ans je découvrais, stupéfait et ravi, une chanteuse et violoncelliste du nom de Jeanne Added, aux côté de Vincent Courtois. Et je me rappelle encore qu’elle a chanté d’emblée ce morceau, sur des textes de Cummings : « I Carry Your Heart ». Photo souvenir.

Là, on voit bien Jeanne qui se penche pour attraper les partitions, Vincent fait de même mais il est caché. « I Carry Your Heart » est ensuite devenue un peu sa chanson fétiche dans le quartet de Vincent, et secrètement la mienne. What Do You Mean By Silence ? était le titre de leur disque. Jeanne Added a récemment atteint le statut de « rock star », ce qui ne l’empêche pas de continuer à honorer ses contrats avec Bruno Ruder et Vincent Lê Quan (« Yes Is A Pleasant Country« ), ou encore, comme à Nantes, au sein du Magnetic Ensemble d’Antonin Leymarie. Qu’importe ! Il me suffit de l’entendre, même de loin, pour, d’une part être atteint jusqu’à l’âme, et d’autre part (mais c’est lié) la reconnaître immédiatement. Question de timbre donc. Il y a dix ans comme aujourd’hui – mais aujourd’hui peut-être plus fortement encore – j’identifie cette voix à quelque chose de secrètement douloureux, mais d’une douleur qui ne s’avoue qu’à peine, et comporte en même temps son antidote, son remède. Dans ses morceaux récents, ses succès – que j’écoute avec un grand bonheur – je retrouve cette manière unique de prendre certaines notes (certains mots) légèrement plus bas que la note visée, puis de remonter jusqu’au niveau souhaité, dans une sorte de plainte qui se dépasse elle-même. C’est du plus bel effet. Sur moi en tous cas. Et puis ce n’est pas un effet, c’est elle. Michael Mantler (vous voyez qui je veux dire, le trompettiste, ex-mari de Carla Bley, père de Karen ?) me confiait un jour qu’il n’existait plus guère de « voix » originales dans le jazz, et qu’il fallait aller les chercher dans le rock et la « pop music ». Je ne doute pas qu’il aimerait travailler avec Jeanne. Oui, une voix, un timbre, c’est si rare.

Donc, aux « Rendez-vous de l’Erdre », on pouvait aussi avoir rendez-vous avec la voix de Jeanne Added.

Philippe Méziat

L’année prochaine, 30° anniversaire des RDV. Cette année ayant permis d’atteindre les 170.000 personnes en trois jours, on rêve d’autres records. Bon. Mais avec qui ? On parle de la Nouvelle-Orleans (pour fêter 1916 ? 1917 ?). Et même de Wynton Marsalis. Pourquoi pas ? Mais j’espère qu’il y aura encore des Papanosh, des Airelle Besson et des Jeanne Added.