Jazz live
Publié le 5 Sep 2015

Jazz à La Villette: le retour de Steve Coleman

Et voilà, Jazz à La Villette, c’est reparti. C’est même reparti depuis deux jours, avec une “Soul Revue” avant-hier. Et hier, 4 septembre, Steve Coleman qui est la vedette de notre numéro actuellement en kiosque (et en vente à la Librairie de la Cité de la Musique) et qui contribue à rendre cette édition plutôt appétante. Il sera à Jazz à La Villette encore ce soir et demain.

Jazz à La Villette, Le Trabendo, Paris (75), le 4 septembre 2015.
Steve Coleman & the Mystic Rhythm Society : Jen Shyu, Kokayi (chant), Jonathan Finlayson (trompette), Steve Coleman (sax alto), David Bryant (piano), Miles Okazaki (guitare électrique), Anthony Tidd (guitare basse), Sean Rickman (batterie).

J’ai donc boudé  le hip hop de DJ Premier et Jurassic 5 à la Grande Halle, ainsi que (je dois dire, ma curiosité un peu en écharpe) la rencontre jazz et musique contemporaine de Cheekies & Babies (Eric-Maria Couturier et Nicolas Crosse de L’Ensemble Intercontemporain croisant le fer avec Roberto Negro et Théo Ceccaldi) à la Philharmonie 2. Mais après avoir travaillé sur une tel numéro “Steve Coleman” et 20 ans après les concerts historiques au Hot Brass (aujourd’hui rebaptisé Trabendo) pouvions nous être ailleurs hier soir.

L’énergie a changé de nature (s’est émoussée dirons certains, voir plus bas), mais il reste cette puissante locomotive qui se met doucement en branle, Steve Coleman seul d’abord, comme le premier cliquetis d’une bielle maîtresse qui va entraîner une machinerie gigantesque faites de rouages de tailles et de développements différents qui s’enclenchent l’un dans l’autre, puis se dégagent un à un pour faire place à d’autres qui apparaissent successivement, au fur et à mesure que l’énorme véhicule gagne progressivement sa vitesse de croisière. Remplaçons le mot vitesse par le mot puissance. Car tout est ici vitesse, vitesses avec un s, chaque rouage de ce prodigieux engrenage ayant sa vitesse propre, et chaque auditeur portant son attention sur l’un ou l’autre rouage, l’une ou l’autre vitesse, et c’est cela même l’essence du groove, qu’il soit celui d’un ensemble de petites percussions bambara, d’un chœur de tambours bata ou la rythmique de James Brown, et que Steve Coleman a porté à la dimension d’une “mécanique quantique”, dans cet espèce de rituel que constituent ses concerts depuis toujours, au cours desquels il ne se passe par toujours “quelque chose”, sinon que lève une pâte, jusqu’à ce que soudain un solo jaillisse. J’ai parlé de puissance, pas de volume, Steve, et son merveilleux batteur Sean Rickman, ont baissé le ton depuis pas mal d’années, au profit de l’intensité…

Une intensité qui fait presque l’unanimité, pour m’en tenir à l’atmosphère générale et aux avis qui s’expriment autour de moi : Pascal Rozat, Lionel Eskenazi et Ludovic Florin de Jazzmag, les pianistes Betty Hovette et Pierre de Bethmann, l’ami Damien, “jazzfan professionnel”, la harpiste Laura Perrudin (qui a recueilli à plusieurs occasions les conseils de Steve Coleman depuis une première rencontre avec le Nimbus Orchestra)… À mes côtés, cependant, Blueraie (ni musicienne, ni jazz critic, ni jazzfan professionnelle) n’en a pas eu pour son compte. Elle est venue entendre le Steve Coleman qu’elle a découvert en… 1992 ? 1993 ? Au Forum des Halles. Puis qu’elle a été réentendre notamment lors des fameux concerts du Hot Brass, collectionnant ses disques obstinément de 1985 aux environs de 1996. Elle n’a pas eu “son Steve Coleman”. Elle n’a pas ressenti cette force qui l’arrachait à son siège lors de son premier concert (comique, autrefois le public était jeune et s’arrachait à son siège, aujourd’hui, il est vieux, debout et il a mal aux genoux et au dos… demain, à la Philharmonie 2, il sera assis). Est-elle seule ? Pas certain. Je ne suis pas son raisonnement, sinon je n’aurais pas écrit ce premier paragraphe, mais je partage une partie de sa frustration, notamment cette impression que Steve Coleman n’a pas joué. À l’exception d’un vrai solo, enfin, mais qui n’a pas été d’exception. Un solo d’exception de Steve Coleman, qu’est-ce que c’est ? C’était l’ordinaire de ses concerts autrefois. De mon point de vue (quasiment aussi daté que celui de Blueraie, même si depuis j’ai été régulièrement écouter Coleman), dans une linéarité de volume et de débit qui lui donne une dimension froide et programmatique qui m’a gêné à l’abord de sa musique, une densité du timbre, une musculation extraordinairement précise de l’articulation, mais aussi du dessin mélodique, qui parvient à faire chanter la phrase (lyrique est l’un des qualificatifs premiers qui me vient à l’esprit lorque je pense à Coleman) tout en la faisant paraître comme le résultat d’une longue chaîne de calculs informatiques, d’un lyrisme d’autant plus saisissant qu’il échappe constamment en une torsion permanente, aspirant comme une tornade l’auditeur qui s’y est laissé prendre. Ce qui fait que lorsque la locomotive a gagné sa “vitesse” de croisière au terme d’une longue progression, lancée sur ses rails, sans coup férir en dépit d’une succession de changement de “braquets”, tout à coup comme un locomotive sifflant pour relâcher son excès de vapeur, jaillit de l’orchestre un chant qui monte, monte, inéxorablement jusqu’au paroxysme, paroxysmes parfois pluriels, qui furent atteint hier plutôt par deux autres artistes dont je vais parler plus bas.

On murmure que Steve Coleman et son orchestre ont passé une nuit blanche. On dit aussi que, fatigue ou pas, Steve Coleman se positionne aujourd’hui plus en chef d’orchestre (et probablement ses “engrenages” n’ont-ils jamais été aussi complexes), qu’il faut considérer la musique dans sa dimension collective et non comme une addition de solistes. J’entends tout ça. Blueraie n’en veut rien entendre. Si unanimité il y a (et cette fois Blueraie y participe), elle va à Sean Rickman qui est devenu au fil des années une “souplesse” (comme si la souplesse était une espèce vivante), à Kokayi, prêcheur magnifique (« il est malin, me souffle Ludovic. Il n’a pas acquis comme les autres le vocabulaire et la syntaxe colemanienne, mais il est toujours “dedans” ? ») et un jeune pianiste dont il faut retenir le nom, David Bryant, dont j’ai envie de dire qu’il a “beaucoup de doigts”, ce qui dans ma bouche est souvent péjoratif, synonyme d’excès, de trop plein, de kitsh, alors qu’ici c’est d’une telle discipline, d’un tel espace, d’une telle intensité timbrale, tantôt comme un ensemble de percussions, tantôt comme une partition de musique spectracle.

Pour lui au moins (et pour la curiosité d’entendre l’engrenage s’étoffer), ce soir 5 septembre à 20h, je serai à Grande Halle pour écouter ce Council of Balance (et Magic Malik qui assurera la première partie avec son quartette), et demain 6 septembre à 16h30 à la Philharmonie 2 pour le Natal Eclipse de Steve Coleman (et en première partie l’orchestre des jeunes valeurs montantes du CNSM, le batteur Philippe Maniez, le saxophoniste Pascal Mabit et leur sextette Fonction  {Ma} pour lequel je ne manque pas de curiostié). Mais Jazz Magazine s’étant déplacé en masse hier, peut-être aurons nous d’ici là sur cette page le compte rendu d’un inconditionnel et d’un contradicteur. Franck Bergerot

 

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Et voilà, Jazz à La Villette, c’est reparti. C’est même reparti depuis deux jours, avec une “Soul Revue” avant-hier. Et hier, 4 septembre, Steve Coleman qui est la vedette de notre numéro actuellement en kiosque (et en vente à la Librairie de la Cité de la Musique) et qui contribue à rendre cette édition plutôt appétante. Il sera à Jazz à La Villette encore ce soir et demain.

Jazz à La Villette, Le Trabendo, Paris (75), le 4 septembre 2015.
Steve Coleman & the Mystic Rhythm Society : Jen Shyu, Kokayi (chant), Jonathan Finlayson (trompette), Steve Coleman (sax alto), David Bryant (piano), Miles Okazaki (guitare électrique), Anthony Tidd (guitare basse), Sean Rickman (batterie).

J’ai donc boudé  le hip hop de DJ Premier et Jurassic 5 à la Grande Halle, ainsi que (je dois dire, ma curiosité un peu en écharpe) la rencontre jazz et musique contemporaine de Cheekies & Babies (Eric-Maria Couturier et Nicolas Crosse de L’Ensemble Intercontemporain croisant le fer avec Roberto Negro et Théo Ceccaldi) à la Philharmonie 2. Mais après avoir travaillé sur une tel numéro “Steve Coleman” et 20 ans après les concerts historiques au Hot Brass (aujourd’hui rebaptisé Trabendo) pouvions nous être ailleurs hier soir.

L’énergie a changé de nature (s’est émoussée dirons certains, voir plus bas), mais il reste cette puissante locomotive qui se met doucement en branle, Steve Coleman seul d’abord, comme le premier cliquetis d’une bielle maîtresse qui va entraîner une machinerie gigantesque faites de rouages de tailles et de développements différents qui s’enclenchent l’un dans l’autre, puis se dégagent un à un pour faire place à d’autres qui apparaissent successivement, au fur et à mesure que l’énorme véhicule gagne progressivement sa vitesse de croisière. Remplaçons le mot vitesse par le mot puissance. Car tout est ici vitesse, vitesses avec un s, chaque rouage de ce prodigieux engrenage ayant sa vitesse propre, et chaque auditeur portant son attention sur l’un ou l’autre rouage, l’une ou l’autre vitesse, et c’est cela même l’essence du groove, qu’il soit celui d’un ensemble de petites percussions bambara, d’un chœur de tambours bata ou la rythmique de James Brown, et que Steve Coleman a porté à la dimension d’une “mécanique quantique”, dans cet espèce de rituel que constituent ses concerts depuis toujours, au cours desquels il ne se passe par toujours “quelque chose”, sinon que lève une pâte, jusqu’à ce que soudain un solo jaillisse. J’ai parlé de puissance, pas de volume, Steve, et son merveilleux batteur Sean Rickman, ont baissé le ton depuis pas mal d’années, au profit de l’intensité…

Une intensité qui fait presque l’unanimité, pour m’en tenir à l’atmosphère générale et aux avis qui s’expriment autour de moi : Pascal Rozat, Lionel Eskenazi et Ludovic Florin de Jazzmag, les pianistes Betty Hovette et Pierre de Bethmann, l’ami Damien, “jazzfan professionnel”, la harpiste Laura Perrudin (qui a recueilli à plusieurs occasions les conseils de Steve Coleman depuis une première rencontre avec le Nimbus Orchestra)… À mes côtés, cependant, Blueraie (ni musicienne, ni jazz critic, ni jazzfan professionnelle) n’en a pas eu pour son compte. Elle est venue entendre le Steve Coleman qu’elle a découvert en… 1992 ? 1993 ? Au Forum des Halles. Puis qu’elle a été réentendre notamment lors des fameux concerts du Hot Brass, collectionnant ses disques obstinément de 1985 aux environs de 1996. Elle n’a pas eu “son Steve Coleman”. Elle n’a pas ressenti cette force qui l’arrachait à son siège lors de son premier concert (comique, autrefois le public était jeune et s’arrachait à son siège, aujourd’hui, il est vieux, debout et il a mal aux genoux et au dos… demain, à la Philharmonie 2, il sera assis). Est-elle seule ? Pas certain. Je ne suis pas son raisonnement, sinon je n’aurais pas écrit ce premier paragraphe, mais je partage une partie de sa frustration, notamment cette impression que Steve Coleman n’a pas joué. À l’exception d’un vrai solo, enfin, mais qui n’a pas été d’exception. Un solo d’exception de Steve Coleman, qu’est-ce que c’est ? C’était l’ordinaire de ses concerts autrefois. De mon point de vue (quasiment aussi daté que celui de Blueraie, même si depuis j’ai été régulièrement écouter Coleman), dans une linéarité de volume et de débit qui lui donne une dimension froide et programmatique qui m’a gêné à l’abord de sa musique, une densité du timbre, une musculation extraordinairement précise de l’articulation, mais aussi du dessin mélodique, qui parvient à faire chanter la phrase (lyrique est l’un des qualificatifs premiers qui me vient à l’esprit lorque je pense à Coleman) tout en la faisant paraître comme le résultat d’une longue chaîne de calculs informatiques, d’un lyrisme d’autant plus saisissant qu’il échappe constamment en une torsion permanente, aspirant comme une tornade l’auditeur qui s’y est laissé prendre. Ce qui fait que lorsque la locomotive a gagné sa “vitesse” de croisière au terme d’une longue progression, lancée sur ses rails, sans coup férir en dépit d’une succession de changement de “braquets”, tout à coup comme un locomotive sifflant pour relâcher son excès de vapeur, jaillit de l’orchestre un chant qui monte, monte, inéxorablement jusqu’au paroxysme, paroxysmes parfois pluriels, qui furent atteint hier plutôt par deux autres artistes dont je vais parler plus bas.

On murmure que Steve Coleman et son orchestre ont passé une nuit blanche. On dit aussi que, fatigue ou pas, Steve Coleman se positionne aujourd’hui plus en chef d’orchestre (et probablement ses “engrenages” n’ont-ils jamais été aussi complexes), qu’il faut considérer la musique dans sa dimension collective et non comme une addition de solistes. J’entends tout ça. Blueraie n’en veut rien entendre. Si unanimité il y a (et cette fois Blueraie y participe), elle va à Sean Rickman qui est devenu au fil des années une “souplesse” (comme si la souplesse était une espèce vivante), à Kokayi, prêcheur magnifique (« il est malin, me souffle Ludovic. Il n’a pas acquis comme les autres le vocabulaire et la syntaxe colemanienne, mais il est toujours “dedans” ? ») et un jeune pianiste dont il faut retenir le nom, David Bryant, dont j’ai envie de dire qu’il a “beaucoup de doigts”, ce qui dans ma bouche est souvent péjoratif, synonyme d’excès, de trop plein, de kitsh, alors qu’ici c’est d’une telle discipline, d’un tel espace, d’une telle intensité timbrale, tantôt comme un ensemble de percussions, tantôt comme une partition de musique spectracle.

Pour lui au moins (et pour la curiosité d’entendre l’engrenage s’étoffer), ce soir 5 septembre à 20h, je serai à Grande Halle pour écouter ce Council of Balance (et Magic Malik qui assurera la première partie avec son quartette), et demain 6 septembre à 16h30 à la Philharmonie 2 pour le Natal Eclipse de Steve Coleman (et en première partie l’orchestre des jeunes valeurs montantes du CNSM, le batteur Philippe Maniez, le saxophoniste Pascal Mabit et leur sextette Fonction  {Ma} pour lequel je ne manque pas de curiostié). Mais Jazz Magazine s’étant déplacé en masse hier, peut-être aurons nous d’ici là sur cette page le compte rendu d’un inconditionnel et d’un contradicteur. Franck Bergerot

 

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Et voilà, Jazz à La Villette, c’est reparti. C’est même reparti depuis deux jours, avec une “Soul Revue” avant-hier. Et hier, 4 septembre, Steve Coleman qui est la vedette de notre numéro actuellement en kiosque (et en vente à la Librairie de la Cité de la Musique) et qui contribue à rendre cette édition plutôt appétante. Il sera à Jazz à La Villette encore ce soir et demain.

Jazz à La Villette, Le Trabendo, Paris (75), le 4 septembre 2015.
Steve Coleman & the Mystic Rhythm Society : Jen Shyu, Kokayi (chant), Jonathan Finlayson (trompette), Steve Coleman (sax alto), David Bryant (piano), Miles Okazaki (guitare électrique), Anthony Tidd (guitare basse), Sean Rickman (batterie).

J’ai donc boudé  le hip hop de DJ Premier et Jurassic 5 à la Grande Halle, ainsi que (je dois dire, ma curiosité un peu en écharpe) la rencontre jazz et musique contemporaine de Cheekies & Babies (Eric-Maria Couturier et Nicolas Crosse de L’Ensemble Intercontemporain croisant le fer avec Roberto Negro et Théo Ceccaldi) à la Philharmonie 2. Mais après avoir travaillé sur une tel numéro “Steve Coleman” et 20 ans après les concerts historiques au Hot Brass (aujourd’hui rebaptisé Trabendo) pouvions nous être ailleurs hier soir.

L’énergie a changé de nature (s’est émoussée dirons certains, voir plus bas), mais il reste cette puissante locomotive qui se met doucement en branle, Steve Coleman seul d’abord, comme le premier cliquetis d’une bielle maîtresse qui va entraîner une machinerie gigantesque faites de rouages de tailles et de développements différents qui s’enclenchent l’un dans l’autre, puis se dégagent un à un pour faire place à d’autres qui apparaissent successivement, au fur et à mesure que l’énorme véhicule gagne progressivement sa vitesse de croisière. Remplaçons le mot vitesse par le mot puissance. Car tout est ici vitesse, vitesses avec un s, chaque rouage de ce prodigieux engrenage ayant sa vitesse propre, et chaque auditeur portant son attention sur l’un ou l’autre rouage, l’une ou l’autre vitesse, et c’est cela même l’essence du groove, qu’il soit celui d’un ensemble de petites percussions bambara, d’un chœur de tambours bata ou la rythmique de James Brown, et que Steve Coleman a porté à la dimension d’une “mécanique quantique”, dans cet espèce de rituel que constituent ses concerts depuis toujours, au cours desquels il ne se passe par toujours “quelque chose”, sinon que lève une pâte, jusqu’à ce que soudain un solo jaillisse. J’ai parlé de puissance, pas de volume, Steve, et son merveilleux batteur Sean Rickman, ont baissé le ton depuis pas mal d’années, au profit de l’intensité…

Une intensité qui fait presque l’unanimité, pour m’en tenir à l’atmosphère générale et aux avis qui s’expriment autour de moi : Pascal Rozat, Lionel Eskenazi et Ludovic Florin de Jazzmag, les pianistes Betty Hovette et Pierre de Bethmann, l’ami Damien, “jazzfan professionnel”, la harpiste Laura Perrudin (qui a recueilli à plusieurs occasions les conseils de Steve Coleman depuis une première rencontre avec le Nimbus Orchestra)… À mes côtés, cependant, Blueraie (ni musicienne, ni jazz critic, ni jazzfan professionnelle) n’en a pas eu pour son compte. Elle est venue entendre le Steve Coleman qu’elle a découvert en… 1992 ? 1993 ? Au Forum des Halles. Puis qu’elle a été réentendre notamment lors des fameux concerts du Hot Brass, collectionnant ses disques obstinément de 1985 aux environs de 1996. Elle n’a pas eu “son Steve Coleman”. Elle n’a pas ressenti cette force qui l’arrachait à son siège lors de son premier concert (comique, autrefois le public était jeune et s’arrachait à son siège, aujourd’hui, il est vieux, debout et il a mal aux genoux et au dos… demain, à la Philharmonie 2, il sera assis). Est-elle seule ? Pas certain. Je ne suis pas son raisonnement, sinon je n’aurais pas écrit ce premier paragraphe, mais je partage une partie de sa frustration, notamment cette impression que Steve Coleman n’a pas joué. À l’exception d’un vrai solo, enfin, mais qui n’a pas été d’exception. Un solo d’exception de Steve Coleman, qu’est-ce que c’est ? C’était l’ordinaire de ses concerts autrefois. De mon point de vue (quasiment aussi daté que celui de Blueraie, même si depuis j’ai été régulièrement écouter Coleman), dans une linéarité de volume et de débit qui lui donne une dimension froide et programmatique qui m’a gêné à l’abord de sa musique, une densité du timbre, une musculation extraordinairement précise de l’articulation, mais aussi du dessin mélodique, qui parvient à faire chanter la phrase (lyrique est l’un des qualificatifs premiers qui me vient à l’esprit lorque je pense à Coleman) tout en la faisant paraître comme le résultat d’une longue chaîne de calculs informatiques, d’un lyrisme d’autant plus saisissant qu’il échappe constamment en une torsion permanente, aspirant comme une tornade l’auditeur qui s’y est laissé prendre. Ce qui fait que lorsque la locomotive a gagné sa “vitesse” de croisière au terme d’une longue progression, lancée sur ses rails, sans coup férir en dépit d’une succession de changement de “braquets”, tout à coup comme un locomotive sifflant pour relâcher son excès de vapeur, jaillit de l’orchestre un chant qui monte, monte, inéxorablement jusqu’au paroxysme, paroxysmes parfois pluriels, qui furent atteint hier plutôt par deux autres artistes dont je vais parler plus bas.

On murmure que Steve Coleman et son orchestre ont passé une nuit blanche. On dit aussi que, fatigue ou pas, Steve Coleman se positionne aujourd’hui plus en chef d’orchestre (et probablement ses “engrenages” n’ont-ils jamais été aussi complexes), qu’il faut considérer la musique dans sa dimension collective et non comme une addition de solistes. J’entends tout ça. Blueraie n’en veut rien entendre. Si unanimité il y a (et cette fois Blueraie y participe), elle va à Sean Rickman qui est devenu au fil des années une “souplesse” (comme si la souplesse était une espèce vivante), à Kokayi, prêcheur magnifique (« il est malin, me souffle Ludovic. Il n’a pas acquis comme les autres le vocabulaire et la syntaxe colemanienne, mais il est toujours “dedans” ? ») et un jeune pianiste dont il faut retenir le nom, David Bryant, dont j’ai envie de dire qu’il a “beaucoup de doigts”, ce qui dans ma bouche est souvent péjoratif, synonyme d’excès, de trop plein, de kitsh, alors qu’ici c’est d’une telle discipline, d’un tel espace, d’une telle intensité timbrale, tantôt comme un ensemble de percussions, tantôt comme une partition de musique spectracle.

Pour lui au moins (et pour la curiosité d’entendre l’engrenage s’étoffer), ce soir 5 septembre à 20h, je serai à Grande Halle pour écouter ce Council of Balance (et Magic Malik qui assurera la première partie avec son quartette), et demain 6 septembre à 16h30 à la Philharmonie 2 pour le Natal Eclipse de Steve Coleman (et en première partie l’orchestre des jeunes valeurs montantes du CNSM, le batteur Philippe Maniez, le saxophoniste Pascal Mabit et leur sextette Fonction  {Ma} pour lequel je ne manque pas de curiostié). Mais Jazz Magazine s’étant déplacé en masse hier, peut-être aurons nous d’ici là sur cette page le compte rendu d’un inconditionnel et d’un contradicteur. Franck Bergerot

 

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Et voilà, Jazz à La Villette, c’est reparti. C’est même reparti depuis deux jours, avec une “Soul Revue” avant-hier. Et hier, 4 septembre, Steve Coleman qui est la vedette de notre numéro actuellement en kiosque (et en vente à la Librairie de la Cité de la Musique) et qui contribue à rendre cette édition plutôt appétante. Il sera à Jazz à La Villette encore ce soir et demain.

Jazz à La Villette, Le Trabendo, Paris (75), le 4 septembre 2015.
Steve Coleman & the Mystic Rhythm Society : Jen Shyu, Kokayi (chant), Jonathan Finlayson (trompette), Steve Coleman (sax alto), David Bryant (piano), Miles Okazaki (guitare électrique), Anthony Tidd (guitare basse), Sean Rickman (batterie).

J’ai donc boudé  le hip hop de DJ Premier et Jurassic 5 à la Grande Halle, ainsi que (je dois dire, ma curiosité un peu en écharpe) la rencontre jazz et musique contemporaine de Cheekies & Babies (Eric-Maria Couturier et Nicolas Crosse de L’Ensemble Intercontemporain croisant le fer avec Roberto Negro et Théo Ceccaldi) à la Philharmonie 2. Mais après avoir travaillé sur une tel numéro “Steve Coleman” et 20 ans après les concerts historiques au Hot Brass (aujourd’hui rebaptisé Trabendo) pouvions nous être ailleurs hier soir.

L’énergie a changé de nature (s’est émoussée dirons certains, voir plus bas), mais il reste cette puissante locomotive qui se met doucement en branle, Steve Coleman seul d’abord, comme le premier cliquetis d’une bielle maîtresse qui va entraîner une machinerie gigantesque faites de rouages de tailles et de développements différents qui s’enclenchent l’un dans l’autre, puis se dégagent un à un pour faire place à d’autres qui apparaissent successivement, au fur et à mesure que l’énorme véhicule gagne progressivement sa vitesse de croisière. Remplaçons le mot vitesse par le mot puissance. Car tout est ici vitesse, vitesses avec un s, chaque rouage de ce prodigieux engrenage ayant sa vitesse propre, et chaque auditeur portant son attention sur l’un ou l’autre rouage, l’une ou l’autre vitesse, et c’est cela même l’essence du groove, qu’il soit celui d’un ensemble de petites percussions bambara, d’un chœur de tambours bata ou la rythmique de James Brown, et que Steve Coleman a porté à la dimension d’une “mécanique quantique”, dans cet espèce de rituel que constituent ses concerts depuis toujours, au cours desquels il ne se passe par toujours “quelque chose”, sinon que lève une pâte, jusqu’à ce que soudain un solo jaillisse. J’ai parlé de puissance, pas de volume, Steve, et son merveilleux batteur Sean Rickman, ont baissé le ton depuis pas mal d’années, au profit de l’intensité…

Une intensité qui fait presque l’unanimité, pour m’en tenir à l’atmosphère générale et aux avis qui s’expriment autour de moi : Pascal Rozat, Lionel Eskenazi et Ludovic Florin de Jazzmag, les pianistes Betty Hovette et Pierre de Bethmann, l’ami Damien, “jazzfan professionnel”, la harpiste Laura Perrudin (qui a recueilli à plusieurs occasions les conseils de Steve Coleman depuis une première rencontre avec le Nimbus Orchestra)… À mes côtés, cependant, Blueraie (ni musicienne, ni jazz critic, ni jazzfan professionnelle) n’en a pas eu pour son compte. Elle est venue entendre le Steve Coleman qu’elle a découvert en… 1992 ? 1993 ? Au Forum des Halles. Puis qu’elle a été réentendre notamment lors des fameux concerts du Hot Brass, collectionnant ses disques obstinément de 1985 aux environs de 1996. Elle n’a pas eu “son Steve Coleman”. Elle n’a pas ressenti cette force qui l’arrachait à son siège lors de son premier concert (comique, autrefois le public était jeune et s’arrachait à son siège, aujourd’hui, il est vieux, debout et il a mal aux genoux et au dos… demain, à la Philharmonie 2, il sera assis). Est-elle seule ? Pas certain. Je ne suis pas son raisonnement, sinon je n’aurais pas écrit ce premier paragraphe, mais je partage une partie de sa frustration, notamment cette impression que Steve Coleman n’a pas joué. À l’exception d’un vrai solo, enfin, mais qui n’a pas été d’exception. Un solo d’exception de Steve Coleman, qu’est-ce que c’est ? C’était l’ordinaire de ses concerts autrefois. De mon point de vue (quasiment aussi daté que celui de Blueraie, même si depuis j’ai été régulièrement écouter Coleman), dans une linéarité de volume et de débit qui lui donne une dimension froide et programmatique qui m’a gêné à l’abord de sa musique, une densité du timbre, une musculation extraordinairement précise de l’articulation, mais aussi du dessin mélodique, qui parvient à faire chanter la phrase (lyrique est l’un des qualificatifs premiers qui me vient à l’esprit lorque je pense à Coleman) tout en la faisant paraître comme le résultat d’une longue chaîne de calculs informatiques, d’un lyrisme d’autant plus saisissant qu’il échappe constamment en une torsion permanente, aspirant comme une tornade l’auditeur qui s’y est laissé prendre. Ce qui fait que lorsque la locomotive a gagné sa “vitesse” de croisière au terme d’une longue progression, lancée sur ses rails, sans coup férir en dépit d’une succession de changement de “braquets”, tout à coup comme un locomotive sifflant pour relâcher son excès de vapeur, jaillit de l’orchestre un chant qui monte, monte, inéxorablement jusqu’au paroxysme, paroxysmes parfois pluriels, qui furent atteint hier plutôt par deux autres artistes dont je vais parler plus bas.

On murmure que Steve Coleman et son orchestre ont passé une nuit blanche. On dit aussi que, fatigue ou pas, Steve Coleman se positionne aujourd’hui plus en chef d’orchestre (et probablement ses “engrenages” n’ont-ils jamais été aussi complexes), qu’il faut considérer la musique dans sa dimension collective et non comme une addition de solistes. J’entends tout ça. Blueraie n’en veut rien entendre. Si unanimité il y a (et cette fois Blueraie y participe), elle va à Sean Rickman qui est devenu au fil des années une “souplesse” (comme si la souplesse était une espèce vivante), à Kokayi, prêcheur magnifique (« il est malin, me souffle Ludovic. Il n’a pas acquis comme les autres le vocabulaire et la syntaxe colemanienne, mais il est toujours “dedans” ? ») et un jeune pianiste dont il faut retenir le nom, David Bryant, dont j’ai envie de dire qu’il a “beaucoup de doigts”, ce qui dans ma bouche est souvent péjoratif, synonyme d’excès, de trop plein, de kitsh, alors qu’ici c’est d’une telle discipline, d’un tel espace, d’une telle intensité timbrale, tantôt comme un ensemble de percussions, tantôt comme une partition de musique spectracle.

Pour lui au moins (et pour la curiosité d’entendre l’engrenage s’étoffer), ce soir 5 septembre à 20h, je serai à Grande Halle pour écouter ce Council of Balance (et Magic Malik qui assurera la première partie avec son quartette), et demain 6 septembre à 16h30 à la Philharmonie 2 pour le Natal Eclipse de Steve Coleman (et en première partie l’orchestre des jeunes valeurs montantes du CNSM, le batteur Philippe Maniez, le saxophoniste Pascal Mabit et leur sextette Fonction  {Ma} pour lequel je ne manque pas de curiostié). Mais Jazz Magazine s’étant déplacé en masse hier, peut-être aurons nous d’ici là sur cette page le compte rendu d’un inconditionnel et d’un contradicteur. Franck Bergerot