Jazz live
Publié le 26 Sep 2015

Leila Martial et Jean-Marie Ecay ouvrent l'Anglet Jazz Festival

Une enfant du lycée de Marciac (elle nous vient d’Arriège, plus à l’Est) et un enfant du pays, né à Saint-Jean-de-Luz et qui a fait se premiers pas au conservatoire de Bayonne, faisaient hier l’ouverture de l’Anglet Jazz Festival au beau théâtre Quintaou où l’on attend ce soir les quartettes de Stéphane Kerecki Quartet et Dhafer Youssef.

Leila Marciac Baa Box: Leila Martial (voix, électronique), Pierre Tereygeol (guitare, voix), Eric Perez (batterie, électronique, voix).

Je me suis souvent fait la réflexion dans ces pages que s’il y avait un combat à mener pour la défense d’une musique en danger, ce n’était plus tellement au profit du jazz (vieux serpent de mer, déjà à la fin des années 20, Hugues Panassié s’indignait de l’absence du jazz à la radio), mais au profit des musiques instrumentales. Mais que fait Leila Marciac? Du vocal ou de l’instrumental? Une chose est certaine, vous ne l’entendrez pas sur certaines ondes. Car si elle donne de la voix, c’est loin de la ligne claire et du format couplet-refrain, loin du sens aussi mais au plus près du son et des sens. Définition à l’emporte-pièce que son concert d’hier nous oblige à nuancer.

Baa Box est la remise en chantier d’un précédent projet portant le même nom et impliquant la claviériste (et violoniste) Alice Perret. Double remise en chantier, pour un disque à paraître, et pour la scène puisque c’était hier soir à Anglet, le premier concert de cette nouvelle mouture, à l’issue d’une résidence sur place de quelques jours. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette résidence aura été efficace, tant est stupéfiante l’aisance et la fluidité avec laquelle le trio se glisse dans ces compositions collectives au contours indicibles et aux ramures inextricables. L’électronique, entre les mains d’Eric Perez et Leila Martial, contribue à notre égarement, où l’on perd parfois le fil de ce qui vient directement de la voix et de ce que les effets divers en extraient. Les parties de basse vocale d’Eric Perez y ont leur part, lorsque soudain, au sein d’une foisonnante polyrythmie de batterie, on se dit: « mais au fait, où est le bassiste ». La frontière floue entre le son et le sens participe évidemment de ces effets labyrinthiques, avec pourtant des mises en place et des unissons impromptus qui font surgir la précision foudroyante du jazz-rock.

Mais c’est plus souvent le souvenir de l’école de Canterbury qui s’impose, surtout lorsque le sens reprend le dessus, avec les conventions du chant clair avec chœurs et une façon très pop de faire sonner la guitare après qu’elle se soit faite kora ou balafon sous l’effet du taping. Surgissent alors des « banalités » (très relatives, ce que voudraient indiquer les guillemets) où je rechigne à suivre le groupe de là où il m’a d’abord amené. Victime de trop d’égarement ou déçu de sortir soudain de cet égarement? On est loin en tout cas de la ligne claire à laquelle recourait cet été à Malguénac le groupe Belly Up pour revisiter à la pointe sèche ce progressive rock que Baa Box recompose à gros traits de fusain tendre et de craie blanche avec pourtant ce sens du détail salué plus haut. Rappel enthousiaste du public, mais réactions contrastées au sortir de la salle, du rejet pur et simple à l’adhésion totale (majoritaire) en passant par une perplexité pleine de sympathie tant l’indifférence est ici hors sujet. Une musique aussi audacieuse recevrait-elle un tel accueil 1) si elle était instrumentale 2) s’il ne s’y mêlait finalement un peu de sens, de refrain et d’une certaine théâtralité. Le seul pouvoir de la voix, les identifications auxquelles elle invite, seraient-ils le sésame de l’accès au public pour une musique de création. Tout comme il faut une chaise, une table et des tournesols pour faire accepter les abstractions de Van Gogh. Comme les chats peintres d’Heather Bush et Burton Silver qui peignent leur sujet à l’envers, retournons les tableaux!

Jean-Marie Ecay Trio: Jean-Marie Ecay (guitare électrique), Jean-Michel Charbonnel (contrebasse), André Charlier (batterie).

Encore un peu clairsemée en première partie, la salle s’est soudain remplie. Jean-Marie Ecay est chez lui une sorte de héros. S’il semble revenir au jazz le plus pur, avec ce simple trio, et si la voix en est absente, il y a très certainement quelque chose de vocal dans les compositions du guitariste et les arrangements très précis et très élégants qu’il a confié à ses partenaires. Qu’il reprenne Tricotism d’Oscar Pettiford, qu’il imprime un rythme réunionnais à une mélodie bretonne ou qu’il revienne à ce qu’il présente comme du pur hard bop, il y a toujours une formule, un groove, une partie de batterie même, qui incitent à chanter avec et qui s’invite dans la mémoire de l’auditeur. Ce qui rend cette prestation très plaisante, d’autant pus qu’André Charlier se joue des rythmes dits binaires avec cette joie très particulière qui anime le visage d’un jongleur au constat que, quelle que soit la figure osée, l’orange et la quille reviennent toujours dans ses mains.

Le côté très plaisant de la prestation n’est pas sans susciter une relative frustration chez le jazzfan. Car passé le charme des exposés et la “variété” des climats, le jeu très ouvert à l’interplay du trio nous met dans l’attente, sur un terrain qui pourrait être celui des trios de Pat Metheny ou John Scofield, de quelque choses qui hélas hier n’advenait pas assez souvent. Le jouage de la rythmique compense cette rétention de la guitare et ce sentiment de surface s’estompe heureusement lorsque Jean-Marie Ecay prend le temps d’explorer les harmonies de la splendide ballade qui fait titre à son album Gemini Mode dans une introduction qui nous cloue sur notre siège. Ou lorsqu’il s’enfonce dans les marécages du blues, botté de ce lourd tempo néo-orléanais dont Charlie connaît tous les secrets. L’interplay évoqué plus haut aurait dû nous inciter à citer Jean-Michel Charbonnel, très actif, mais hélas affecté par une sonorisation très sourde et si peu définie de la contrebasse, qu’il fallait garder l’œil sur ses doigts pour tenter d’appréhender sa contribution. Péché de plusieurs générations d’ingénieur du son qui semblent avoir grandi avec le doigt sur la touche loudness de leur première chaîne.

C’était donc l’ouverture du 2ème Anglet Jazz Festival organisé par l’Arcad (Association de rencontre pour la création artistique et son développement), extension “couverte” de la journée Jazz sur l’herbe qui tiendra sa 8ème édition en plein air, demain 27 septembre au Domaine de Baroja. Ce soir, après la masterclass du guitariste Yannick Robert, après les concerts des quartettes de Stéphane Kerecki et Dhafer Youssef au théâtre Quintaou, on retrouvera Eric Pérez avec le pianiste Arnaud Labastie et le contrebassiste Jean-Luc Fabre aux écuries de Baroja pour une jam session. J’espère bien y entendre notre ami collaborateur occasionnel de Jazzmag et guitariste, Pascal Segala, dont les rares apparitions scéniques en m’ont jamais déçu. Et qui sait… Franck Bergerot

 

 

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Une enfant du lycée de Marciac (elle nous vient d’Arriège, plus à l’Est) et un enfant du pays, né à Saint-Jean-de-Luz et qui a fait se premiers pas au conservatoire de Bayonne, faisaient hier l’ouverture de l’Anglet Jazz Festival au beau théâtre Quintaou où l’on attend ce soir les quartettes de Stéphane Kerecki Quartet et Dhafer Youssef.

Leila Marciac Baa Box: Leila Martial (voix, électronique), Pierre Tereygeol (guitare, voix), Eric Perez (batterie, électronique, voix).

Je me suis souvent fait la réflexion dans ces pages que s’il y avait un combat à mener pour la défense d’une musique en danger, ce n’était plus tellement au profit du jazz (vieux serpent de mer, déjà à la fin des années 20, Hugues Panassié s’indignait de l’absence du jazz à la radio), mais au profit des musiques instrumentales. Mais que fait Leila Marciac? Du vocal ou de l’instrumental? Une chose est certaine, vous ne l’entendrez pas sur certaines ondes. Car si elle donne de la voix, c’est loin de la ligne claire et du format couplet-refrain, loin du sens aussi mais au plus près du son et des sens. Définition à l’emporte-pièce que son concert d’hier nous oblige à nuancer.

Baa Box est la remise en chantier d’un précédent projet portant le même nom et impliquant la claviériste (et violoniste) Alice Perret. Double remise en chantier, pour un disque à paraître, et pour la scène puisque c’était hier soir à Anglet, le premier concert de cette nouvelle mouture, à l’issue d’une résidence sur place de quelques jours. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette résidence aura été efficace, tant est stupéfiante l’aisance et la fluidité avec laquelle le trio se glisse dans ces compositions collectives au contours indicibles et aux ramures inextricables. L’électronique, entre les mains d’Eric Perez et Leila Martial, contribue à notre égarement, où l’on perd parfois le fil de ce qui vient directement de la voix et de ce que les effets divers en extraient. Les parties de basse vocale d’Eric Perez y ont leur part, lorsque soudain, au sein d’une foisonnante polyrythmie de batterie, on se dit: « mais au fait, où est le bassiste ». La frontière floue entre le son et le sens participe évidemment de ces effets labyrinthiques, avec pourtant des mises en place et des unissons impromptus qui font surgir la précision foudroyante du jazz-rock.

Mais c’est plus souvent le souvenir de l’école de Canterbury qui s’impose, surtout lorsque le sens reprend le dessus, avec les conventions du chant clair avec chœurs et une façon très pop de faire sonner la guitare après qu’elle se soit faite kora ou balafon sous l’effet du taping. Surgissent alors des « banalités » (très relatives, ce que voudraient indiquer les guillemets) où je rechigne à suivre le groupe de là où il m’a d’abord amené. Victime de trop d’égarement ou déçu de sortir soudain de cet égarement? On est loin en tout cas de la ligne claire à laquelle recourait cet été à Malguénac le groupe Belly Up pour revisiter à la pointe sèche ce progressive rock que Baa Box recompose à gros traits de fusain tendre et de craie blanche avec pourtant ce sens du détail salué plus haut. Rappel enthousiaste du public, mais réactions contrastées au sortir de la salle, du rejet pur et simple à l’adhésion totale (majoritaire) en passant par une perplexité pleine de sympathie tant l’indifférence est ici hors sujet. Une musique aussi audacieuse recevrait-elle un tel accueil 1) si elle était instrumentale 2) s’il ne s’y mêlait finalement un peu de sens, de refrain et d’une certaine théâtralité. Le seul pouvoir de la voix, les identifications auxquelles elle invite, seraient-ils le sésame de l’accès au public pour une musique de création. Tout comme il faut une chaise, une table et des tournesols pour faire accepter les abstractions de Van Gogh. Comme les chats peintres d’Heather Bush et Burton Silver qui peignent leur sujet à l’envers, retournons les tableaux!

Jean-Marie Ecay Trio: Jean-Marie Ecay (guitare électrique), Jean-Michel Charbonnel (contrebasse), André Charlier (batterie).

Encore un peu clairsemée en première partie, la salle s’est soudain remplie. Jean-Marie Ecay est chez lui une sorte de héros. S’il semble revenir au jazz le plus pur, avec ce simple trio, et si la voix en est absente, il y a très certainement quelque chose de vocal dans les compositions du guitariste et les arrangements très précis et très élégants qu’il a confié à ses partenaires. Qu’il reprenne Tricotism d’Oscar Pettiford, qu’il imprime un rythme réunionnais à une mélodie bretonne ou qu’il revienne à ce qu’il présente comme du pur hard bop, il y a toujours une formule, un groove, une partie de batterie même, qui incitent à chanter avec et qui s’invite dans la mémoire de l’auditeur. Ce qui rend cette prestation très plaisante, d’autant pus qu’André Charlier se joue des rythmes dits binaires avec cette joie très particulière qui anime le visage d’un jongleur au constat que, quelle que soit la figure osée, l’orange et la quille reviennent toujours dans ses mains.

Le côté très plaisant de la prestation n’est pas sans susciter une relative frustration chez le jazzfan. Car passé le charme des exposés et la “variété” des climats, le jeu très ouvert à l’interplay du trio nous met dans l’attente, sur un terrain qui pourrait être celui des trios de Pat Metheny ou John Scofield, de quelque choses qui hélas hier n’advenait pas assez souvent. Le jouage de la rythmique compense cette rétention de la guitare et ce sentiment de surface s’estompe heureusement lorsque Jean-Marie Ecay prend le temps d’explorer les harmonies de la splendide ballade qui fait titre à son album Gemini Mode dans une introduction qui nous cloue sur notre siège. Ou lorsqu’il s’enfonce dans les marécages du blues, botté de ce lourd tempo néo-orléanais dont Charlie connaît tous les secrets. L’interplay évoqué plus haut aurait dû nous inciter à citer Jean-Michel Charbonnel, très actif, mais hélas affecté par une sonorisation très sourde et si peu définie de la contrebasse, qu’il fallait garder l’œil sur ses doigts pour tenter d’appréhender sa contribution. Péché de plusieurs générations d’ingénieur du son qui semblent avoir grandi avec le doigt sur la touche loudness de leur première chaîne.

C’était donc l’ouverture du 2ème Anglet Jazz Festival organisé par l’Arcad (Association de rencontre pour la création artistique et son développement), extension “couverte” de la journée Jazz sur l’herbe qui tiendra sa 8ème édition en plein air, demain 27 septembre au Domaine de Baroja. Ce soir, après la masterclass du guitariste Yannick Robert, après les concerts des quartettes de Stéphane Kerecki et Dhafer Youssef au théâtre Quintaou, on retrouvera Eric Pérez avec le pianiste Arnaud Labastie et le contrebassiste Jean-Luc Fabre aux écuries de Baroja pour une jam session. J’espère bien y entendre notre ami collaborateur occasionnel de Jazzmag et guitariste, Pascal Segala, dont les rares apparitions scéniques en m’ont jamais déçu. Et qui sait… Franck Bergerot

 

 

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Une enfant du lycée de Marciac (elle nous vient d’Arriège, plus à l’Est) et un enfant du pays, né à Saint-Jean-de-Luz et qui a fait se premiers pas au conservatoire de Bayonne, faisaient hier l’ouverture de l’Anglet Jazz Festival au beau théâtre Quintaou où l’on attend ce soir les quartettes de Stéphane Kerecki Quartet et Dhafer Youssef.

Leila Marciac Baa Box: Leila Martial (voix, électronique), Pierre Tereygeol (guitare, voix), Eric Perez (batterie, électronique, voix).

Je me suis souvent fait la réflexion dans ces pages que s’il y avait un combat à mener pour la défense d’une musique en danger, ce n’était plus tellement au profit du jazz (vieux serpent de mer, déjà à la fin des années 20, Hugues Panassié s’indignait de l’absence du jazz à la radio), mais au profit des musiques instrumentales. Mais que fait Leila Marciac? Du vocal ou de l’instrumental? Une chose est certaine, vous ne l’entendrez pas sur certaines ondes. Car si elle donne de la voix, c’est loin de la ligne claire et du format couplet-refrain, loin du sens aussi mais au plus près du son et des sens. Définition à l’emporte-pièce que son concert d’hier nous oblige à nuancer.

Baa Box est la remise en chantier d’un précédent projet portant le même nom et impliquant la claviériste (et violoniste) Alice Perret. Double remise en chantier, pour un disque à paraître, et pour la scène puisque c’était hier soir à Anglet, le premier concert de cette nouvelle mouture, à l’issue d’une résidence sur place de quelques jours. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette résidence aura été efficace, tant est stupéfiante l’aisance et la fluidité avec laquelle le trio se glisse dans ces compositions collectives au contours indicibles et aux ramures inextricables. L’électronique, entre les mains d’Eric Perez et Leila Martial, contribue à notre égarement, où l’on perd parfois le fil de ce qui vient directement de la voix et de ce que les effets divers en extraient. Les parties de basse vocale d’Eric Perez y ont leur part, lorsque soudain, au sein d’une foisonnante polyrythmie de batterie, on se dit: « mais au fait, où est le bassiste ». La frontière floue entre le son et le sens participe évidemment de ces effets labyrinthiques, avec pourtant des mises en place et des unissons impromptus qui font surgir la précision foudroyante du jazz-rock.

Mais c’est plus souvent le souvenir de l’école de Canterbury qui s’impose, surtout lorsque le sens reprend le dessus, avec les conventions du chant clair avec chœurs et une façon très pop de faire sonner la guitare après qu’elle se soit faite kora ou balafon sous l’effet du taping. Surgissent alors des « banalités » (très relatives, ce que voudraient indiquer les guillemets) où je rechigne à suivre le groupe de là où il m’a d’abord amené. Victime de trop d’égarement ou déçu de sortir soudain de cet égarement? On est loin en tout cas de la ligne claire à laquelle recourait cet été à Malguénac le groupe Belly Up pour revisiter à la pointe sèche ce progressive rock que Baa Box recompose à gros traits de fusain tendre et de craie blanche avec pourtant ce sens du détail salué plus haut. Rappel enthousiaste du public, mais réactions contrastées au sortir de la salle, du rejet pur et simple à l’adhésion totale (majoritaire) en passant par une perplexité pleine de sympathie tant l’indifférence est ici hors sujet. Une musique aussi audacieuse recevrait-elle un tel accueil 1) si elle était instrumentale 2) s’il ne s’y mêlait finalement un peu de sens, de refrain et d’une certaine théâtralité. Le seul pouvoir de la voix, les identifications auxquelles elle invite, seraient-ils le sésame de l’accès au public pour une musique de création. Tout comme il faut une chaise, une table et des tournesols pour faire accepter les abstractions de Van Gogh. Comme les chats peintres d’Heather Bush et Burton Silver qui peignent leur sujet à l’envers, retournons les tableaux!

Jean-Marie Ecay Trio: Jean-Marie Ecay (guitare électrique), Jean-Michel Charbonnel (contrebasse), André Charlier (batterie).

Encore un peu clairsemée en première partie, la salle s’est soudain remplie. Jean-Marie Ecay est chez lui une sorte de héros. S’il semble revenir au jazz le plus pur, avec ce simple trio, et si la voix en est absente, il y a très certainement quelque chose de vocal dans les compositions du guitariste et les arrangements très précis et très élégants qu’il a confié à ses partenaires. Qu’il reprenne Tricotism d’Oscar Pettiford, qu’il imprime un rythme réunionnais à une mélodie bretonne ou qu’il revienne à ce qu’il présente comme du pur hard bop, il y a toujours une formule, un groove, une partie de batterie même, qui incitent à chanter avec et qui s’invite dans la mémoire de l’auditeur. Ce qui rend cette prestation très plaisante, d’autant pus qu’André Charlier se joue des rythmes dits binaires avec cette joie très particulière qui anime le visage d’un jongleur au constat que, quelle que soit la figure osée, l’orange et la quille reviennent toujours dans ses mains.

Le côté très plaisant de la prestation n’est pas sans susciter une relative frustration chez le jazzfan. Car passé le charme des exposés et la “variété” des climats, le jeu très ouvert à l’interplay du trio nous met dans l’attente, sur un terrain qui pourrait être celui des trios de Pat Metheny ou John Scofield, de quelque choses qui hélas hier n’advenait pas assez souvent. Le jouage de la rythmique compense cette rétention de la guitare et ce sentiment de surface s’estompe heureusement lorsque Jean-Marie Ecay prend le temps d’explorer les harmonies de la splendide ballade qui fait titre à son album Gemini Mode dans une introduction qui nous cloue sur notre siège. Ou lorsqu’il s’enfonce dans les marécages du blues, botté de ce lourd tempo néo-orléanais dont Charlie connaît tous les secrets. L’interplay évoqué plus haut aurait dû nous inciter à citer Jean-Michel Charbonnel, très actif, mais hélas affecté par une sonorisation très sourde et si peu définie de la contrebasse, qu’il fallait garder l’œil sur ses doigts pour tenter d’appréhender sa contribution. Péché de plusieurs générations d’ingénieur du son qui semblent avoir grandi avec le doigt sur la touche loudness de leur première chaîne.

C’était donc l’ouverture du 2ème Anglet Jazz Festival organisé par l’Arcad (Association de rencontre pour la création artistique et son développement), extension “couverte” de la journée Jazz sur l’herbe qui tiendra sa 8ème édition en plein air, demain 27 septembre au Domaine de Baroja. Ce soir, après la masterclass du guitariste Yannick Robert, après les concerts des quartettes de Stéphane Kerecki et Dhafer Youssef au théâtre Quintaou, on retrouvera Eric Pérez avec le pianiste Arnaud Labastie et le contrebassiste Jean-Luc Fabre aux écuries de Baroja pour une jam session. J’espère bien y entendre notre ami collaborateur occasionnel de Jazzmag et guitariste, Pascal Segala, dont les rares apparitions scéniques en m’ont jamais déçu. Et qui sait… Franck Bergerot

 

 

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Une enfant du lycée de Marciac (elle nous vient d’Arriège, plus à l’Est) et un enfant du pays, né à Saint-Jean-de-Luz et qui a fait se premiers pas au conservatoire de Bayonne, faisaient hier l’ouverture de l’Anglet Jazz Festival au beau théâtre Quintaou où l’on attend ce soir les quartettes de Stéphane Kerecki Quartet et Dhafer Youssef.

Leila Marciac Baa Box: Leila Martial (voix, électronique), Pierre Tereygeol (guitare, voix), Eric Perez (batterie, électronique, voix).

Je me suis souvent fait la réflexion dans ces pages que s’il y avait un combat à mener pour la défense d’une musique en danger, ce n’était plus tellement au profit du jazz (vieux serpent de mer, déjà à la fin des années 20, Hugues Panassié s’indignait de l’absence du jazz à la radio), mais au profit des musiques instrumentales. Mais que fait Leila Marciac? Du vocal ou de l’instrumental? Une chose est certaine, vous ne l’entendrez pas sur certaines ondes. Car si elle donne de la voix, c’est loin de la ligne claire et du format couplet-refrain, loin du sens aussi mais au plus près du son et des sens. Définition à l’emporte-pièce que son concert d’hier nous oblige à nuancer.

Baa Box est la remise en chantier d’un précédent projet portant le même nom et impliquant la claviériste (et violoniste) Alice Perret. Double remise en chantier, pour un disque à paraître, et pour la scène puisque c’était hier soir à Anglet, le premier concert de cette nouvelle mouture, à l’issue d’une résidence sur place de quelques jours. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette résidence aura été efficace, tant est stupéfiante l’aisance et la fluidité avec laquelle le trio se glisse dans ces compositions collectives au contours indicibles et aux ramures inextricables. L’électronique, entre les mains d’Eric Perez et Leila Martial, contribue à notre égarement, où l’on perd parfois le fil de ce qui vient directement de la voix et de ce que les effets divers en extraient. Les parties de basse vocale d’Eric Perez y ont leur part, lorsque soudain, au sein d’une foisonnante polyrythmie de batterie, on se dit: « mais au fait, où est le bassiste ». La frontière floue entre le son et le sens participe évidemment de ces effets labyrinthiques, avec pourtant des mises en place et des unissons impromptus qui font surgir la précision foudroyante du jazz-rock.

Mais c’est plus souvent le souvenir de l’école de Canterbury qui s’impose, surtout lorsque le sens reprend le dessus, avec les conventions du chant clair avec chœurs et une façon très pop de faire sonner la guitare après qu’elle se soit faite kora ou balafon sous l’effet du taping. Surgissent alors des « banalités » (très relatives, ce que voudraient indiquer les guillemets) où je rechigne à suivre le groupe de là où il m’a d’abord amené. Victime de trop d’égarement ou déçu de sortir soudain de cet égarement? On est loin en tout cas de la ligne claire à laquelle recourait cet été à Malguénac le groupe Belly Up pour revisiter à la pointe sèche ce progressive rock que Baa Box recompose à gros traits de fusain tendre et de craie blanche avec pourtant ce sens du détail salué plus haut. Rappel enthousiaste du public, mais réactions contrastées au sortir de la salle, du rejet pur et simple à l’adhésion totale (majoritaire) en passant par une perplexité pleine de sympathie tant l’indifférence est ici hors sujet. Une musique aussi audacieuse recevrait-elle un tel accueil 1) si elle était instrumentale 2) s’il ne s’y mêlait finalement un peu de sens, de refrain et d’une certaine théâtralité. Le seul pouvoir de la voix, les identifications auxquelles elle invite, seraient-ils le sésame de l’accès au public pour une musique de création. Tout comme il faut une chaise, une table et des tournesols pour faire accepter les abstractions de Van Gogh. Comme les chats peintres d’Heather Bush et Burton Silver qui peignent leur sujet à l’envers, retournons les tableaux!

Jean-Marie Ecay Trio: Jean-Marie Ecay (guitare électrique), Jean-Michel Charbonnel (contrebasse), André Charlier (batterie).

Encore un peu clairsemée en première partie, la salle s’est soudain remplie. Jean-Marie Ecay est chez lui une sorte de héros. S’il semble revenir au jazz le plus pur, avec ce simple trio, et si la voix en est absente, il y a très certainement quelque chose de vocal dans les compositions du guitariste et les arrangements très précis et très élégants qu’il a confié à ses partenaires. Qu’il reprenne Tricotism d’Oscar Pettiford, qu’il imprime un rythme réunionnais à une mélodie bretonne ou qu’il revienne à ce qu’il présente comme du pur hard bop, il y a toujours une formule, un groove, une partie de batterie même, qui incitent à chanter avec et qui s’invite dans la mémoire de l’auditeur. Ce qui rend cette prestation très plaisante, d’autant pus qu’André Charlier se joue des rythmes dits binaires avec cette joie très particulière qui anime le visage d’un jongleur au constat que, quelle que soit la figure osée, l’orange et la quille reviennent toujours dans ses mains.

Le côté très plaisant de la prestation n’est pas sans susciter une relative frustration chez le jazzfan. Car passé le charme des exposés et la “variété” des climats, le jeu très ouvert à l’interplay du trio nous met dans l’attente, sur un terrain qui pourrait être celui des trios de Pat Metheny ou John Scofield, de quelque choses qui hélas hier n’advenait pas assez souvent. Le jouage de la rythmique compense cette rétention de la guitare et ce sentiment de surface s’estompe heureusement lorsque Jean-Marie Ecay prend le temps d’explorer les harmonies de la splendide ballade qui fait titre à son album Gemini Mode dans une introduction qui nous cloue sur notre siège. Ou lorsqu’il s’enfonce dans les marécages du blues, botté de ce lourd tempo néo-orléanais dont Charlie connaît tous les secrets. L’interplay évoqué plus haut aurait dû nous inciter à citer Jean-Michel Charbonnel, très actif, mais hélas affecté par une sonorisation très sourde et si peu définie de la contrebasse, qu’il fallait garder l’œil sur ses doigts pour tenter d’appréhender sa contribution. Péché de plusieurs générations d’ingénieur du son qui semblent avoir grandi avec le doigt sur la touche loudness de leur première chaîne.

C’était donc l’ouverture du 2ème Anglet Jazz Festival organisé par l’Arcad (Association de rencontre pour la création artistique et son développement), extension “couverte” de la journée Jazz sur l’herbe qui tiendra sa 8ème édition en plein air, demain 27 septembre au Domaine de Baroja. Ce soir, après la masterclass du guitariste Yannick Robert, après les concerts des quartettes de Stéphane Kerecki et Dhafer Youssef au théâtre Quintaou, on retrouvera Eric Pérez avec le pianiste Arnaud Labastie et le contrebassiste Jean-Luc Fabre aux écuries de Baroja pour une jam session. J’espère bien y entendre notre ami collaborateur occasionnel de Jazzmag et guitariste, Pascal Segala, dont les rares apparitions scéniques en m’ont jamais déçu. Et qui sait… Franck Bergerot