Et si la Septième Vague était la bonne?

Pour le lancement de la nouvelle saison au Moulin à Jazz de Vitrolles ce samedi soir, le public venu nombreux, eut droit à la création du quartet du contrebassiste Christian Brazier. Personnage et musicien attachant dont l’une des grandes passions est la mer, il continue à avancer dans le sillage de ses rêves de voyages et d’exploration. La mer et son univers n’ont jamais cessé de hanter son imaginaire. S’il a intitulé son album Septième Vague, c’est que celle-ci est réputée pour être celle qui va plus loin; les six premières sont prévisibles, se suivant et se formant l’une sur l’autre, alors que la septième s’échappe, plus libre. Reste alors à se laisser emporter…

Samedi 3 octobre, le Moulin à Jazz, Vitrolles (13).Christian Brazier Quartet: Christian Brazier (cb, compositions), Perrine Mansuy( piano et fender), Christophe Leloil (trompette), Dylan Kent (drums). Pour son septième album, suite logique de Circumnavigation, en hommage à Bernard Moitessier, le « Nicolas Bouvier des mers », l’ancien officier de la marine marchande, installé à Marseille depuis plus de vingt ans, a su, en bon capitaine conserver le même équipage, des musiciens aux fortes personnalités qui savent aussi être « leaders », et qui nouent une joyeuse complicité, immédiatement perceptible sur scène. Aux côtés du contrebassiste qui est l’auteur de toutes les compositions, on retrouve avec plaisir pour cette nouvelle aventure, Perrine Mansuy au piano, Christophe Leloil, le Normand amoureux de Marseille, à la trompette. L’ Australien de Melbourne, Dylan Kent, arrimé au Sud lui aussi, est un nouveau compagnon qui s’est fait une place avec une discrétion tranquille et efficace. Le résultat s’entend dès le premier thème, une musique forte et tendre, belle et libre, vibrante et lumineuse. La séquence inaugurale installe « J’sais pas quoi faire », qui évoque Godard (Pierrot le Fou) : d’ailleurs, mon voisin, en regardant le trompettiste, lui trouve soudain une vague ressemblance avec le metteur en scène ! Très régulièrement, Christian Brazier met au point un nouveau projet, réfléchissant longuement avant de se lancer dans la composition de ces chansons qu’il écrit sur mesure pour les musiciens de son groupe, s’adaptant aux couleurs, timbres, et personnalités de chacun. D’où une musique précisément juste, cohérente, toujours mélodique qui laisse à tous un espace de jeu équilibré. Cette qualité de chant, indispensable à la création d’une atmosphère poétique et vibrante, anime toute sa musique; la composition, en majeur, dont le titre « Le Lac Majeur » fournit un indice, est une incursion dans un monde plus apaisé. La trompette de Christophe Leloil, « le plus jazz des quatre », selon les dires mêmes du contrebassiste, et même post bop, s’inscrit en effet dans la tradition qu’il prolonge et renouvelle avec un jeu vif : hoquetant, vibrionnant, vocalisant aussi quand il le faut, avec élégance, jouant de contrepieds mélodiques ou rythmiques, il passe de sensuelles arabesques à des dissonances coquines et se plaît ainsi à nous chahuter. Perrine et lui prennent tous deux la septième vague assez rapidement, jouant de la fluidité et apparente simplicité de l’écriture, changeant l’ordre des titres du CD. L’enchaînement des morceaux est déterminant dans un concert pour sortir de la norme et fixer le tempo. Perrine Mansuy a un univers vite reconnaissable dont Christian Brazier avoue se sentir proche : pianiste singulière, lyrique (sa longue introduction sur « D’août ») a aussi recours à des rythmes intenses et percussifs, faisant alors preuve d’une douce violence, déterminée. Quant à la rythmique que le contrebassiste forme avec Dylan Kent, elle n’est jamais emportée ni obsessionnelle, les motifs répétés font mouche sans devenir lassants ou vains. Avec ce septième album, Christian Brazier trouve un accomplissement avec prises de risque et belle ouverture au large et atteint une sorte de sérénité avec toujours cette joie intacte à faire de la musique. Sur scène, la formule gagne en ampleur et en intensité. Le rappel, « Tex-Mex », calypso au charme ensoleillé qui chaloupe fortement, conclut le concert sur une note jubilatoire. Programmateurs de toutes latitudes, il est temps de faire le point et de prêter attention à ce quartet sudiste qui suit un cap bien marqué avec pour horizon le désir de séduire. C’est chose faite et sans vouloir décrocher la lune, ou jouer sur la mer de la tranquillité, le capitaine Brazier est loin de ramer et nous, de débarquer. NB: Le CD est enregistré à la Buissonne sur ACMJAZZLABEL. Partenariat actif de la scène marseillaise LE CRI DU PORT.

Sophie Chambon