Jazz live
Publié le 10 Nov 2015

D'JAZZ NEVERS FESTIVAL, EDITION 29, "ENGRENAGES", AKA MOON & SCARLATTI, "NOUVELLE VAGUE"

La Loire continue à couler sous le pont dont parlait Franck Bergerot dans son dernier papier, et je suppose que les poissons continuent à remonter le courant dans un effort désespéré, ou rempli de cette énergie dont on dit qu’elle est « du désespoir », et qui n’est que la forme d’un « vouloir vivre » assez aveugle mais bien préférable à cet autre courant, contraire, qui pourrait nous conduire à sauter du pont. A divers titres, « Engrenages », Aka Moon et sa lecture de Domenico Scarlatti, et le concert « Nouvelle Vague » du quartet de Stéphane Kerecki ont parfaitement illustré ce propos.

 

Tout commence donc, hier à midi, dans la salle Lauberty, avec cette présentation d’un projet fort original, piloté par Christine Bertocchi (conception scénique et musicale, voix), entourée de François Merville (percussions et batterie), Julien Padovani (orgue Hammond et Fender Rhodes), Christophe Hauser (traitement sonore) et Gaëtan Veber (lumière). Sur un texte d’Henri Michaux d’inspiration assez surréaliste, une évocation des « engrenages » obligés de la vie moderne, qui se présentent sous la forme d’une non-communication entre des êtres qui marchent mais ne se rencontrent jamais, sinon sous la forme de l’art musical, ce qui n’est pas rien. Inspirée manifestement par des aînés prestigieux, qui sont parfois aussi ses proches (de Pina Bausch, que Christine cite, à Meredith Monk qu’on devine), la musicienne, chanteuse, diseuse a travaillé avec ses partenaires sous la forme de l’improvisation, pour aboutir à cette proposition (encore ouverte) où des moments de bel acmé succèdent à des périodes plus sombres, voire tout à fait noires. Ce « théâtre musical », soutenu (entre autres) par la Cité de la Voix de Vézelay, gagnera à être joué et rejoué. Si la partition musicale, en effet, est déjà d’une belle tenue, tout le dispositif scénique et la manière d’occuper l’espace pourront être interrogés.

Avec Aka Moon dans leur lecture du « Scarlatti Book » (auditorium Jean Jaurès) j’allais être plongé dans l’univers même pour lequel je fais tant de kilomètres… 

Aka Moon : Fabrizio Cassol (as), Fabian Fiorini (p), Michel Hatzigeorgiou (el-b), Stéphane Galland (dm)

Un CD « Outhere Music » sous le titre « The Scarlatti Book » (2013)

Mais d’abord, le pont sur la Loire.

Le Pont sur la Loire

Aka Moon, c’est « Also Known As Moon », c’est aussi l’un des groupes fondateurs en Europe de toute une « tradition » de musiciens plus ou moins alignés sur les avancées du mouvement M’Base de Steve Coleman. Ce sont, au détour des années 90, des musiciens (Fabrizio Cassol en tête) qui ont inspiré, ou accompagné, nos Benoît Delbecq et autres Guillaume Orti. Et puis c’est aussi la référence aux Pygmées AKA, dont Benoît fera l’une des bases de son approche de la musique, des rebonds par exemple. Bref, ce n’est pas rien. C’est même tant que dès 2001 et jusqu’en 2008 j’ai espéré pouvoir les programmer dans mon « Bordeaux Jazz Festival ». Pour diverses raisons, ce ne fut pas possible, et les écouter hier soir était la première occasion de les voir et les entendre « en direct ». Voilà. Croyez-le ou non, je n’avais jamais vu « Aka Moon » sur scène.

Je n’ai pas été déçu, mais mieux, j’ai été totalement conquis, et assez stupéfait de ce qu’ils ont tiré de Scarlatti. On rappellera les 555 sonates, les versions historiques de Marcelle Meyer, de Scott Ross, du label Stil. On rappellera ce qu’on voudra, mais dès l’entame il fut évident que Cassol et ses hommes n’étaient pas là pour faire du « jazz baroque ». On a connu ça, avec Jacques Loussier et Bach, mais aussi des gaillards moins médiatiques, dans des disques du genre « Jazz Goes Baroque ». Rien de tel ici, et dès la première pièce, c’est Fabrizio Cassol qui déporte, dérape, illumine et transfigure, met de la violence et de la colère, bref de la folie dans un Scarlatti qui ne demande que ça ! Très vite, Michel Hatzigeorgiou pose des lignes de basse d’une souplesse incroyable, au point de me faire, pour la première fois, aimer la basse électrique que d’habitude je déteste cordialement. Mais le plus étonnant est à venir : Fabian Fiorini sait à point nommé calmer le jeu et tout simplement jouer Scarlatti depuis son piano. Pour peu qu’il se mette à le déjouer, à le surjouer même, et à en tirer ce que la musique de ce diable contient en germe en termes de romantisme et d’anticipation de ce qui allait suivre dans l’histoire, ça devient littéralement affolant. On entend Schumann et Schubert, Beethoven, Rachmaninov, Cecil Taylor, et on continue d’entendre Scarlatti !!! Pour qui vient de comprendre à peu près ce qu’est une « variation amplifiante », je suis gâté. Et emporté. Quand je pense que, pour des raisons de paresse, j’ai failli rater ça. Dès que possible, lecteurs et lectrices, précipitez-vous. Et voici une photo de Fabian Fiorini…

Fabian Fiorini

Nous n’en étions pas à la fin des émotions. J’avais bien entendu « Nouvelle Vague » de Stéphane Kerecki à Anglet, récemment, mais sans les projections et avec Antonin Tri-Hoang (à l’alto) en lieu et place d’Émile Parisien. D’où mon impatience à revoir et réécouter ce groupe, dont on sait qu’il a perdu John Taylor cet été, et recomposé l’équipe avec Guillaume de Chassy. 

Stéphane Kerecki « Nouvelle Vague » : Émile Parisien (ss), Guillaume de Chassy (p), Stéphane Kerecki (b), Fabrice Moreau (dm)

Des visages de femmes, Brigitte Bardot (Le Mépris), Anna Karina (Godard), Anouk Aimée, Catherine Deneuve (Parapluies et Demoiselles), et même probablement Françoise Dorléac. Elles apparaissent de temps en temps. Allez, le cinéma c’est bien ça, et puis pour qui jouent ces messieurs ? On dit que Charlie Parker avait l’oeil sur l’entrée du club et que, dès qu’une beauté apparaissait, il savait à propos tourner sa phrase en déclaration. D’où la fréquences des « L’amour est enfant de Bohème » dans son jeu. Entre Tri-Hoang et Parisien, un point commun, une sorte de douceur initiale du propos. Ils savent introduire ces thèmes, parfois très connus, avec toute la délicatesse voulue. Ensuite c’est une autre paire : là où Tri-Hoang complexifie, décale, met du suspens, et même du silence, Parisien amplifie, joue crescendo, rebondit, décolle et fait décoller. Autres sensations. Et puis Émile c’est quand même l’un des très rares instrumentistes que je sais reconnaître dès les premières mesures. Pas tant au son d’ailleurs, qu’au phrasé. Et je parle des instrumentistes d’aujourd’hui, pas de ceux du passé, qu’on connaît comme son propre finistère. Allons-y d’une photo, très « nouvelle vague ».

Émile Parisien (photo de profil)

Et voilà… Aujourd’hui à 12.15 au Pac des Ouches, Franck Tortiller et François Corneloup (un CD tout neuf à baptiser), puis à 18.30 le Kami Quintet (Auditorium Jean Jaurès), et en soirée Rita Marcotulli en duo avec Luciano Biondini, puis le sextet d’Henri Texier, « Sky Dancers ». on y sera.

Philippe Méziat

 

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La Loire continue à couler sous le pont dont parlait Franck Bergerot dans son dernier papier, et je suppose que les poissons continuent à remonter le courant dans un effort désespéré, ou rempli de cette énergie dont on dit qu’elle est « du désespoir », et qui n’est que la forme d’un « vouloir vivre » assez aveugle mais bien préférable à cet autre courant, contraire, qui pourrait nous conduire à sauter du pont. A divers titres, « Engrenages », Aka Moon et sa lecture de Domenico Scarlatti, et le concert « Nouvelle Vague » du quartet de Stéphane Kerecki ont parfaitement illustré ce propos.

 

Tout commence donc, hier à midi, dans la salle Lauberty, avec cette présentation d’un projet fort original, piloté par Christine Bertocchi (conception scénique et musicale, voix), entourée de François Merville (percussions et batterie), Julien Padovani (orgue Hammond et Fender Rhodes), Christophe Hauser (traitement sonore) et Gaëtan Veber (lumière). Sur un texte d’Henri Michaux d’inspiration assez surréaliste, une évocation des « engrenages » obligés de la vie moderne, qui se présentent sous la forme d’une non-communication entre des êtres qui marchent mais ne se rencontrent jamais, sinon sous la forme de l’art musical, ce qui n’est pas rien. Inspirée manifestement par des aînés prestigieux, qui sont parfois aussi ses proches (de Pina Bausch, que Christine cite, à Meredith Monk qu’on devine), la musicienne, chanteuse, diseuse a travaillé avec ses partenaires sous la forme de l’improvisation, pour aboutir à cette proposition (encore ouverte) où des moments de bel acmé succèdent à des périodes plus sombres, voire tout à fait noires. Ce « théâtre musical », soutenu (entre autres) par la Cité de la Voix de Vézelay, gagnera à être joué et rejoué. Si la partition musicale, en effet, est déjà d’une belle tenue, tout le dispositif scénique et la manière d’occuper l’espace pourront être interrogés.

Avec Aka Moon dans leur lecture du « Scarlatti Book » (auditorium Jean Jaurès) j’allais être plongé dans l’univers même pour lequel je fais tant de kilomètres… 

Aka Moon : Fabrizio Cassol (as), Fabian Fiorini (p), Michel Hatzigeorgiou (el-b), Stéphane Galland (dm)

Un CD « Outhere Music » sous le titre « The Scarlatti Book » (2013)

Mais d’abord, le pont sur la Loire.

Le Pont sur la Loire

Aka Moon, c’est « Also Known As Moon », c’est aussi l’un des groupes fondateurs en Europe de toute une « tradition » de musiciens plus ou moins alignés sur les avancées du mouvement M’Base de Steve Coleman. Ce sont, au détour des années 90, des musiciens (Fabrizio Cassol en tête) qui ont inspiré, ou accompagné, nos Benoît Delbecq et autres Guillaume Orti. Et puis c’est aussi la référence aux Pygmées AKA, dont Benoît fera l’une des bases de son approche de la musique, des rebonds par exemple. Bref, ce n’est pas rien. C’est même tant que dès 2001 et jusqu’en 2008 j’ai espéré pouvoir les programmer dans mon « Bordeaux Jazz Festival ». Pour diverses raisons, ce ne fut pas possible, et les écouter hier soir était la première occasion de les voir et les entendre « en direct ». Voilà. Croyez-le ou non, je n’avais jamais vu « Aka Moon » sur scène.

Je n’ai pas été déçu, mais mieux, j’ai été totalement conquis, et assez stupéfait de ce qu’ils ont tiré de Scarlatti. On rappellera les 555 sonates, les versions historiques de Marcelle Meyer, de Scott Ross, du label Stil. On rappellera ce qu’on voudra, mais dès l’entame il fut évident que Cassol et ses hommes n’étaient pas là pour faire du « jazz baroque ». On a connu ça, avec Jacques Loussier et Bach, mais aussi des gaillards moins médiatiques, dans des disques du genre « Jazz Goes Baroque ». Rien de tel ici, et dès la première pièce, c’est Fabrizio Cassol qui déporte, dérape, illumine et transfigure, met de la violence et de la colère, bref de la folie dans un Scarlatti qui ne demande que ça ! Très vite, Michel Hatzigeorgiou pose des lignes de basse d’une souplesse incroyable, au point de me faire, pour la première fois, aimer la basse électrique que d’habitude je déteste cordialement. Mais le plus étonnant est à venir : Fabian Fiorini sait à point nommé calmer le jeu et tout simplement jouer Scarlatti depuis son piano. Pour peu qu’il se mette à le déjouer, à le surjouer même, et à en tirer ce que la musique de ce diable contient en germe en termes de romantisme et d’anticipation de ce qui allait suivre dans l’histoire, ça devient littéralement affolant. On entend Schumann et Schubert, Beethoven, Rachmaninov, Cecil Taylor, et on continue d’entendre Scarlatti !!! Pour qui vient de comprendre à peu près ce qu’est une « variation amplifiante », je suis gâté. Et emporté. Quand je pense que, pour des raisons de paresse, j’ai failli rater ça. Dès que possible, lecteurs et lectrices, précipitez-vous. Et voici une photo de Fabian Fiorini…

Fabian Fiorini

Nous n’en étions pas à la fin des émotions. J’avais bien entendu « Nouvelle Vague » de Stéphane Kerecki à Anglet, récemment, mais sans les projections et avec Antonin Tri-Hoang (à l’alto) en lieu et place d’Émile Parisien. D’où mon impatience à revoir et réécouter ce groupe, dont on sait qu’il a perdu John Taylor cet été, et recomposé l’équipe avec Guillaume de Chassy. 

Stéphane Kerecki « Nouvelle Vague » : Émile Parisien (ss), Guillaume de Chassy (p), Stéphane Kerecki (b), Fabrice Moreau (dm)

Des visages de femmes, Brigitte Bardot (Le Mépris), Anna Karina (Godard), Anouk Aimée, Catherine Deneuve (Parapluies et Demoiselles), et même probablement Françoise Dorléac. Elles apparaissent de temps en temps. Allez, le cinéma c’est bien ça, et puis pour qui jouent ces messieurs ? On dit que Charlie Parker avait l’oeil sur l’entrée du club et que, dès qu’une beauté apparaissait, il savait à propos tourner sa phrase en déclaration. D’où la fréquences des « L’amour est enfant de Bohème » dans son jeu. Entre Tri-Hoang et Parisien, un point commun, une sorte de douceur initiale du propos. Ils savent introduire ces thèmes, parfois très connus, avec toute la délicatesse voulue. Ensuite c’est une autre paire : là où Tri-Hoang complexifie, décale, met du suspens, et même du silence, Parisien amplifie, joue crescendo, rebondit, décolle et fait décoller. Autres sensations. Et puis Émile c’est quand même l’un des très rares instrumentistes que je sais reconnaître dès les premières mesures. Pas tant au son d’ailleurs, qu’au phrasé. Et je parle des instrumentistes d’aujourd’hui, pas de ceux du passé, qu’on connaît comme son propre finistère. Allons-y d’une photo, très « nouvelle vague ».

Émile Parisien (photo de profil)

Et voilà… Aujourd’hui à 12.15 au Pac des Ouches, Franck Tortiller et François Corneloup (un CD tout neuf à baptiser), puis à 18.30 le Kami Quintet (Auditorium Jean Jaurès), et en soirée Rita Marcotulli en duo avec Luciano Biondini, puis le sextet d’Henri Texier, « Sky Dancers ». on y sera.

Philippe Méziat

 

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La Loire continue à couler sous le pont dont parlait Franck Bergerot dans son dernier papier, et je suppose que les poissons continuent à remonter le courant dans un effort désespéré, ou rempli de cette énergie dont on dit qu’elle est « du désespoir », et qui n’est que la forme d’un « vouloir vivre » assez aveugle mais bien préférable à cet autre courant, contraire, qui pourrait nous conduire à sauter du pont. A divers titres, « Engrenages », Aka Moon et sa lecture de Domenico Scarlatti, et le concert « Nouvelle Vague » du quartet de Stéphane Kerecki ont parfaitement illustré ce propos.

 

Tout commence donc, hier à midi, dans la salle Lauberty, avec cette présentation d’un projet fort original, piloté par Christine Bertocchi (conception scénique et musicale, voix), entourée de François Merville (percussions et batterie), Julien Padovani (orgue Hammond et Fender Rhodes), Christophe Hauser (traitement sonore) et Gaëtan Veber (lumière). Sur un texte d’Henri Michaux d’inspiration assez surréaliste, une évocation des « engrenages » obligés de la vie moderne, qui se présentent sous la forme d’une non-communication entre des êtres qui marchent mais ne se rencontrent jamais, sinon sous la forme de l’art musical, ce qui n’est pas rien. Inspirée manifestement par des aînés prestigieux, qui sont parfois aussi ses proches (de Pina Bausch, que Christine cite, à Meredith Monk qu’on devine), la musicienne, chanteuse, diseuse a travaillé avec ses partenaires sous la forme de l’improvisation, pour aboutir à cette proposition (encore ouverte) où des moments de bel acmé succèdent à des périodes plus sombres, voire tout à fait noires. Ce « théâtre musical », soutenu (entre autres) par la Cité de la Voix de Vézelay, gagnera à être joué et rejoué. Si la partition musicale, en effet, est déjà d’une belle tenue, tout le dispositif scénique et la manière d’occuper l’espace pourront être interrogés.

Avec Aka Moon dans leur lecture du « Scarlatti Book » (auditorium Jean Jaurès) j’allais être plongé dans l’univers même pour lequel je fais tant de kilomètres… 

Aka Moon : Fabrizio Cassol (as), Fabian Fiorini (p), Michel Hatzigeorgiou (el-b), Stéphane Galland (dm)

Un CD « Outhere Music » sous le titre « The Scarlatti Book » (2013)

Mais d’abord, le pont sur la Loire.

Le Pont sur la Loire

Aka Moon, c’est « Also Known As Moon », c’est aussi l’un des groupes fondateurs en Europe de toute une « tradition » de musiciens plus ou moins alignés sur les avancées du mouvement M’Base de Steve Coleman. Ce sont, au détour des années 90, des musiciens (Fabrizio Cassol en tête) qui ont inspiré, ou accompagné, nos Benoît Delbecq et autres Guillaume Orti. Et puis c’est aussi la référence aux Pygmées AKA, dont Benoît fera l’une des bases de son approche de la musique, des rebonds par exemple. Bref, ce n’est pas rien. C’est même tant que dès 2001 et jusqu’en 2008 j’ai espéré pouvoir les programmer dans mon « Bordeaux Jazz Festival ». Pour diverses raisons, ce ne fut pas possible, et les écouter hier soir était la première occasion de les voir et les entendre « en direct ». Voilà. Croyez-le ou non, je n’avais jamais vu « Aka Moon » sur scène.

Je n’ai pas été déçu, mais mieux, j’ai été totalement conquis, et assez stupéfait de ce qu’ils ont tiré de Scarlatti. On rappellera les 555 sonates, les versions historiques de Marcelle Meyer, de Scott Ross, du label Stil. On rappellera ce qu’on voudra, mais dès l’entame il fut évident que Cassol et ses hommes n’étaient pas là pour faire du « jazz baroque ». On a connu ça, avec Jacques Loussier et Bach, mais aussi des gaillards moins médiatiques, dans des disques du genre « Jazz Goes Baroque ». Rien de tel ici, et dès la première pièce, c’est Fabrizio Cassol qui déporte, dérape, illumine et transfigure, met de la violence et de la colère, bref de la folie dans un Scarlatti qui ne demande que ça ! Très vite, Michel Hatzigeorgiou pose des lignes de basse d’une souplesse incroyable, au point de me faire, pour la première fois, aimer la basse électrique que d’habitude je déteste cordialement. Mais le plus étonnant est à venir : Fabian Fiorini sait à point nommé calmer le jeu et tout simplement jouer Scarlatti depuis son piano. Pour peu qu’il se mette à le déjouer, à le surjouer même, et à en tirer ce que la musique de ce diable contient en germe en termes de romantisme et d’anticipation de ce qui allait suivre dans l’histoire, ça devient littéralement affolant. On entend Schumann et Schubert, Beethoven, Rachmaninov, Cecil Taylor, et on continue d’entendre Scarlatti !!! Pour qui vient de comprendre à peu près ce qu’est une « variation amplifiante », je suis gâté. Et emporté. Quand je pense que, pour des raisons de paresse, j’ai failli rater ça. Dès que possible, lecteurs et lectrices, précipitez-vous. Et voici une photo de Fabian Fiorini…

Fabian Fiorini

Nous n’en étions pas à la fin des émotions. J’avais bien entendu « Nouvelle Vague » de Stéphane Kerecki à Anglet, récemment, mais sans les projections et avec Antonin Tri-Hoang (à l’alto) en lieu et place d’Émile Parisien. D’où mon impatience à revoir et réécouter ce groupe, dont on sait qu’il a perdu John Taylor cet été, et recomposé l’équipe avec Guillaume de Chassy. 

Stéphane Kerecki « Nouvelle Vague » : Émile Parisien (ss), Guillaume de Chassy (p), Stéphane Kerecki (b), Fabrice Moreau (dm)

Des visages de femmes, Brigitte Bardot (Le Mépris), Anna Karina (Godard), Anouk Aimée, Catherine Deneuve (Parapluies et Demoiselles), et même probablement Françoise Dorléac. Elles apparaissent de temps en temps. Allez, le cinéma c’est bien ça, et puis pour qui jouent ces messieurs ? On dit que Charlie Parker avait l’oeil sur l’entrée du club et que, dès qu’une beauté apparaissait, il savait à propos tourner sa phrase en déclaration. D’où la fréquences des « L’amour est enfant de Bohème » dans son jeu. Entre Tri-Hoang et Parisien, un point commun, une sorte de douceur initiale du propos. Ils savent introduire ces thèmes, parfois très connus, avec toute la délicatesse voulue. Ensuite c’est une autre paire : là où Tri-Hoang complexifie, décale, met du suspens, et même du silence, Parisien amplifie, joue crescendo, rebondit, décolle et fait décoller. Autres sensations. Et puis Émile c’est quand même l’un des très rares instrumentistes que je sais reconnaître dès les premières mesures. Pas tant au son d’ailleurs, qu’au phrasé. Et je parle des instrumentistes d’aujourd’hui, pas de ceux du passé, qu’on connaît comme son propre finistère. Allons-y d’une photo, très « nouvelle vague ».

Émile Parisien (photo de profil)

Et voilà… Aujourd’hui à 12.15 au Pac des Ouches, Franck Tortiller et François Corneloup (un CD tout neuf à baptiser), puis à 18.30 le Kami Quintet (Auditorium Jean Jaurès), et en soirée Rita Marcotulli en duo avec Luciano Biondini, puis le sextet d’Henri Texier, « Sky Dancers ». on y sera.

Philippe Méziat

 

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La Loire continue à couler sous le pont dont parlait Franck Bergerot dans son dernier papier, et je suppose que les poissons continuent à remonter le courant dans un effort désespéré, ou rempli de cette énergie dont on dit qu’elle est « du désespoir », et qui n’est que la forme d’un « vouloir vivre » assez aveugle mais bien préférable à cet autre courant, contraire, qui pourrait nous conduire à sauter du pont. A divers titres, « Engrenages », Aka Moon et sa lecture de Domenico Scarlatti, et le concert « Nouvelle Vague » du quartet de Stéphane Kerecki ont parfaitement illustré ce propos.

 

Tout commence donc, hier à midi, dans la salle Lauberty, avec cette présentation d’un projet fort original, piloté par Christine Bertocchi (conception scénique et musicale, voix), entourée de François Merville (percussions et batterie), Julien Padovani (orgue Hammond et Fender Rhodes), Christophe Hauser (traitement sonore) et Gaëtan Veber (lumière). Sur un texte d’Henri Michaux d’inspiration assez surréaliste, une évocation des « engrenages » obligés de la vie moderne, qui se présentent sous la forme d’une non-communication entre des êtres qui marchent mais ne se rencontrent jamais, sinon sous la forme de l’art musical, ce qui n’est pas rien. Inspirée manifestement par des aînés prestigieux, qui sont parfois aussi ses proches (de Pina Bausch, que Christine cite, à Meredith Monk qu’on devine), la musicienne, chanteuse, diseuse a travaillé avec ses partenaires sous la forme de l’improvisation, pour aboutir à cette proposition (encore ouverte) où des moments de bel acmé succèdent à des périodes plus sombres, voire tout à fait noires. Ce « théâtre musical », soutenu (entre autres) par la Cité de la Voix de Vézelay, gagnera à être joué et rejoué. Si la partition musicale, en effet, est déjà d’une belle tenue, tout le dispositif scénique et la manière d’occuper l’espace pourront être interrogés.

Avec Aka Moon dans leur lecture du « Scarlatti Book » (auditorium Jean Jaurès) j’allais être plongé dans l’univers même pour lequel je fais tant de kilomètres… 

Aka Moon : Fabrizio Cassol (as), Fabian Fiorini (p), Michel Hatzigeorgiou (el-b), Stéphane Galland (dm)

Un CD « Outhere Music » sous le titre « The Scarlatti Book » (2013)

Mais d’abord, le pont sur la Loire.

Le Pont sur la Loire

Aka Moon, c’est « Also Known As Moon », c’est aussi l’un des groupes fondateurs en Europe de toute une « tradition » de musiciens plus ou moins alignés sur les avancées du mouvement M’Base de Steve Coleman. Ce sont, au détour des années 90, des musiciens (Fabrizio Cassol en tête) qui ont inspiré, ou accompagné, nos Benoît Delbecq et autres Guillaume Orti. Et puis c’est aussi la référence aux Pygmées AKA, dont Benoît fera l’une des bases de son approche de la musique, des rebonds par exemple. Bref, ce n’est pas rien. C’est même tant que dès 2001 et jusqu’en 2008 j’ai espéré pouvoir les programmer dans mon « Bordeaux Jazz Festival ». Pour diverses raisons, ce ne fut pas possible, et les écouter hier soir était la première occasion de les voir et les entendre « en direct ». Voilà. Croyez-le ou non, je n’avais jamais vu « Aka Moon » sur scène.

Je n’ai pas été déçu, mais mieux, j’ai été totalement conquis, et assez stupéfait de ce qu’ils ont tiré de Scarlatti. On rappellera les 555 sonates, les versions historiques de Marcelle Meyer, de Scott Ross, du label Stil. On rappellera ce qu’on voudra, mais dès l’entame il fut évident que Cassol et ses hommes n’étaient pas là pour faire du « jazz baroque ». On a connu ça, avec Jacques Loussier et Bach, mais aussi des gaillards moins médiatiques, dans des disques du genre « Jazz Goes Baroque ». Rien de tel ici, et dès la première pièce, c’est Fabrizio Cassol qui déporte, dérape, illumine et transfigure, met de la violence et de la colère, bref de la folie dans un Scarlatti qui ne demande que ça ! Très vite, Michel Hatzigeorgiou pose des lignes de basse d’une souplesse incroyable, au point de me faire, pour la première fois, aimer la basse électrique que d’habitude je déteste cordialement. Mais le plus étonnant est à venir : Fabian Fiorini sait à point nommé calmer le jeu et tout simplement jouer Scarlatti depuis son piano. Pour peu qu’il se mette à le déjouer, à le surjouer même, et à en tirer ce que la musique de ce diable contient en germe en termes de romantisme et d’anticipation de ce qui allait suivre dans l’histoire, ça devient littéralement affolant. On entend Schumann et Schubert, Beethoven, Rachmaninov, Cecil Taylor, et on continue d’entendre Scarlatti !!! Pour qui vient de comprendre à peu près ce qu’est une « variation amplifiante », je suis gâté. Et emporté. Quand je pense que, pour des raisons de paresse, j’ai failli rater ça. Dès que possible, lecteurs et lectrices, précipitez-vous. Et voici une photo de Fabian Fiorini…

Fabian Fiorini

Nous n’en étions pas à la fin des émotions. J’avais bien entendu « Nouvelle Vague » de Stéphane Kerecki à Anglet, récemment, mais sans les projections et avec Antonin Tri-Hoang (à l’alto) en lieu et place d’Émile Parisien. D’où mon impatience à revoir et réécouter ce groupe, dont on sait qu’il a perdu John Taylor cet été, et recomposé l’équipe avec Guillaume de Chassy. 

Stéphane Kerecki « Nouvelle Vague » : Émile Parisien (ss), Guillaume de Chassy (p), Stéphane Kerecki (b), Fabrice Moreau (dm)

Des visages de femmes, Brigitte Bardot (Le Mépris), Anna Karina (Godard), Anouk Aimée, Catherine Deneuve (Parapluies et Demoiselles), et même probablement Françoise Dorléac. Elles apparaissent de temps en temps. Allez, le cinéma c’est bien ça, et puis pour qui jouent ces messieurs ? On dit que Charlie Parker avait l’oeil sur l’entrée du club et que, dès qu’une beauté apparaissait, il savait à propos tourner sa phrase en déclaration. D’où la fréquences des « L’amour est enfant de Bohème » dans son jeu. Entre Tri-Hoang et Parisien, un point commun, une sorte de douceur initiale du propos. Ils savent introduire ces thèmes, parfois très connus, avec toute la délicatesse voulue. Ensuite c’est une autre paire : là où Tri-Hoang complexifie, décale, met du suspens, et même du silence, Parisien amplifie, joue crescendo, rebondit, décolle et fait décoller. Autres sensations. Et puis Émile c’est quand même l’un des très rares instrumentistes que je sais reconnaître dès les premières mesures. Pas tant au son d’ailleurs, qu’au phrasé. Et je parle des instrumentistes d’aujourd’hui, pas de ceux du passé, qu’on connaît comme son propre finistère. Allons-y d’une photo, très « nouvelle vague ».

Émile Parisien (photo de profil)

Et voilà… Aujourd’hui à 12.15 au Pac des Ouches, Franck Tortiller et François Corneloup (un CD tout neuf à baptiser), puis à 18.30 le Kami Quintet (Auditorium Jean Jaurès), et en soirée Rita Marcotulli en duo avec Luciano Biondini, puis le sextet d’Henri Texier, « Sky Dancers ». on y sera.

Philippe Méziat