Bruno Ruder en résidence à Lyon avec Billy Hart.
Pourquoi quitter Paris pour Lyon en plein bouclage de Jazz Magazine ? Pour aller écouter le pianiste Bruno Ruder pardi. Avec le batteur Billy Hart au sein de son quintette ! Et le saxoponiste Rémi Dumoulin qui partageait avec Ruder la direction du quintette. Et le trompettiste Aymeric Avice que l’on était fort curieux d’entendre dans pareil contexte. Et le contrebassiste Guido Zorn que je n’avais entendu sur scène qu’une seule fois… et il était urgent de renouveler l’expérience. Mais alors pourquoi titrer seulement sur Billy Hart… Ben, parce que les médias ça marche comme ça si l’on veut être lu, qui plus est sur internet. Et demain, je titrerai sur Jeanne Added, même si le trio Yes Is A Pleasant Country est d’abord un trio.
L’amphi de l’Opéra de Lyon (69), le 15 janvier 2016.
Billy [création] : Aymeric Avice (trompette, bugle), Rémi Dumoulin (saxes soprano et ténor), Bruno Ruder (piano), Guido Zorn (contrebasse), Billy Hart (batterie).
Dans cet ordre, une convention, peut-être et même probablement d’origine hiérarchique, d’une hiérarchie tombée en désuétude depuis des lustres (quoique… il arrive encore que le batteur soit considéré comme une sorte de soutier), mais cette convention est bien pratique pour des tas de raisons que je ne détaillerai pas ici.
Donc Billy Hart en dernier mais qui donne son prénom à cette création dont il est un peu la vedette. Et pour cause : outre ses propres groupes, on l’a entendu avec Wes Montgomery, Herbie Hancock, Miles Davis, Quest (David Liebman, Richard Beirach, Ron McClure… et Billly Hart), etc. Lorsque François Postaire, directeur de l’Amphi, a proposé une résidence à Bruno Ruder (enfant de la région passé par le CNSM, les orchestres de Riccardo del Fra, Magma et le collectif Coax), le pianiste à souhaité s’offrir Billy Hart. C’est un peu comme s’offrir le chef Guy Martin dans sa cuisine. Sauf que, tout le monde ne le sait pas encore (il réussit quand même deux soirs de suite à remplir à l’Amphi), la cuisine de Ruder, elle est digne de la batterie de Billy Hart, même si jouer avec ce dernier, c’est toujours grandir encore de quelques centimètres. Grandir, toujours grandir… Ce n’est pas en invitant Ibrahim Maalouf que ça lui serait arrivé (le plus drôle, c’est que Maalouf ne fera jamais de progrès en jouant avec Mark Turner et qu’il n’en ferait pas plus en jouant avec Billy Hart… d’ailleurs, il a beau jouer avec Turner depuis des mois, il ne sait toujours pas qui est Mark Turner, ni aucun des musiciens avec qui ils jouent qu’ils ne citent jamais dans ses entrevues et avec qui il entretient des relations musicales à sens unique… mais je m’égare).
Donc, 1) Ruder. 2) Billy Hart. 3) Ou plutôt 2b) Aymeric Avice. Car c’est aussi un peu pour lui que j’ai pris le TGV, lui que j’ai entendu mettre la trompette cul par dessus tête, avec de la saturation, des effets, des sons de hordes sauvages et une énergie de tsunami (les groupes Jean Louis, Radiation 10). J’avais envie de l’entendre dans un contexte plus “jazz”, car c’est de là qu’il vient. C’était oublier que Bruno Ruder, n’est pas (ou n’est plus) un descendant direct de Bud Powell et Oscar Peterson. Pendant le concert, un voisin se rappellera que l’an passé, Billy Hart jouait les “Art Blakey” avec The Cookers. À l’issue du concert, Aymeric me raconte que Billy Hart a demandé à ses jeunes hôtes : « Quel pourcentage d’abstraction dans le swing ? – Faites comme vous voulez, tout est possible » aurait répondu Ruder. Du coup, ce n’est pas le Billy Hart des Cookers que l’on a entendu hier, mais plutôt celui de Quest, tendance “Of One Mind”, le plus libertaire des disques du groupe.
Bruno Ruder, Rémi Dumoulin, Guido Zorn, Aymeric Avice, Billy Hart © Christophe Charpenel
Et dans tout ça l’on oublie Guido Zorn et Rémi Dumoulin. Ce dernier surtout, co-leader du quintette dont il se partage la signature du répertoire avec Ruder. Dumoulin, on l’avait remarqué – entre autres – lors des ciné-concerts de l’ONJ d’Yvinec au cinéma Le Balzac à Paris, où il se distinguait des autres participants par son investissement dans la préparation de chaque projection et sa culture cinématographie. Ses compositions ont quelque chose qui relève de la B.O. – un genre dont je n’aime guère qu’en font les amateurs de B.O. – dans ce qu’elle participe au drame, plus à plusieurs reprises l’impression d’une écriture trompette-sax-piano-contrebasse précisément digne de l’art du quatuor classique. L’écriture de Ruder ? Une opposition entre l’abstraction de formules pianistiques quasiment bartokiennes et des grands hymnes épiques confiés en homophonie aux cuivres… plus cet extraordinaire perpetuum mobile dans une pièce intitulée – en attendant mieux – Jeudi, où le piano et la contrebasse dérobe constamment l’harmonie sous les pieds d’un obligato de vents et sur lequel Billy Hart fait lever une douce tempête de peaux et de cymbales.
Sur le plan du jeu, le plus classique serait Dumoulin, mais d’un classicisme qui n’a valeur que de référence où viendraient s’ancrer toutes les subversions et transgressions, un classicisme qui n’en est pas un, tout comme on donne encore la puissance du moteur à explosion en nombre de chevaux, un siècle après l’abandon de la calèche. C’est un bonheur d’entendre Aymeric Avice quitter le métal hurlant de Jean Louis et revenir au phrasé en ligne claire (ici et là quelques débordements quand même) avec quelque chose de Don Cherry, et quelque chose de Freddie Hubbard, où l’on se dit qu’un peu de l’un et de l’autre dans une même éprouvette, ça pourrait donner du Kenny Wheeler… mais ça donne du Aymeric Avice, dans une galaxie voisine de celle où repose le trompettiste anglais. Ruder ? On a l’impression d’y entendre du Bartok, du Paul Bley (et de ce Bley qu’a écouté Jarrett lorsque Dumoulin soumet à Ruder la partition de cette espèce de boogaloo jarrettien justement titré Bonjour Monsieur Jarrett), de l’Ornette Coleman (et là encore Bley et Jarrett reviennent à l’esprit) lorsqu’il phrase de la main droite la gauche dans la poche, et autre chose encore lorsque les deux mains surzèbrent le clavier au point que l’on distingue ne distingue plus l’une de l’autre… Mais jamais une phrase est attendue, jamais elle n’est inféodée à un idiome déjà connu, même si cette libre pensée repose sur une ferme assimilation de la tradition qu’ils ont tous en partage, la déclinant chacun à leur manière. Quant à Guido Zorn, il est l’arc électrique qui fait circuler les idées d’un bord à l’autre de la scène, de Bruno Ruder à Billy Hart, avec une grâce et une légèreté dans le choix des notes et l’abandon de la walking bass qui fluidifie cette circulation. Hart, semble heureux d’être là, à l’aise dans ces labyrinthes formelles et harmoniques comme s’il était chez lui, libre de jouer le tempo sans le jouer, de ne jouer que sa profondeur (et la profondeur, il connaît) sans en jouer les contours, de feindre la battue, son “doublage”, son “triolage”, comme par des effets de transparences qui donne à entrevoir sans laisser voir, et c’est bougrement excitant, troublant, émouvant.
Billy Hart © Christophe Charpenel
L’Amphi de l’Opéra de Lyon, un vrai petit amphithéâtre, qui rappelle celui de l’Opéra Bastille en moindre capacité, doté de tables de bistro, avec un bar en fond de salle, est un lieu idéal en matière de visibilité, d’acoustique, de proximité, de convivialité, avec juste ce qu’il faut de recul. Bruno Ruder y est donc en résidence depuis lundi. Deux jours de répétitions du quintette (lundi et mardi), un premier concert jeudi, nous avions donc la chance d’entendre ce vendredi un programme déjà un peu rôdé – qu’on aimerait voir tourner, comme dimanche prochain au Crescent de Mâcon –, un concert de piano solo le vendredi midi et demain soir Jeanne Added, ou plus exactement un trio, car c’est ça qui est merveilleux dans Yes Is a Pleasant Country, c’est la fluidité des rôles et des initiatives à l’intérieur de ce triangle isocèle qui réunit la voix de Jeanne Added, le soprano de Vincent Lê Quang et le piano de Bruno Ruder… À tout à l’heure. Franck Bergerot
|Pourquoi quitter Paris pour Lyon en plein bouclage de Jazz Magazine ? Pour aller écouter le pianiste Bruno Ruder pardi. Avec le batteur Billy Hart au sein de son quintette ! Et le saxoponiste Rémi Dumoulin qui partageait avec Ruder la direction du quintette. Et le trompettiste Aymeric Avice que l’on était fort curieux d’entendre dans pareil contexte. Et le contrebassiste Guido Zorn que je n’avais entendu sur scène qu’une seule fois… et il était urgent de renouveler l’expérience. Mais alors pourquoi titrer seulement sur Billy Hart… Ben, parce que les médias ça marche comme ça si l’on veut être lu, qui plus est sur internet. Et demain, je titrerai sur Jeanne Added, même si le trio Yes Is A Pleasant Country est d’abord un trio.
L’amphi de l’Opéra de Lyon (69), le 15 janvier 2016.
Billy [création] : Aymeric Avice (trompette, bugle), Rémi Dumoulin (saxes soprano et ténor), Bruno Ruder (piano), Guido Zorn (contrebasse), Billy Hart (batterie).
Dans cet ordre, une convention, peut-être et même probablement d’origine hiérarchique, d’une hiérarchie tombée en désuétude depuis des lustres (quoique… il arrive encore que le batteur soit considéré comme une sorte de soutier), mais cette convention est bien pratique pour des tas de raisons que je ne détaillerai pas ici.
Donc Billy Hart en dernier mais qui donne son prénom à cette création dont il est un peu la vedette. Et pour cause : outre ses propres groupes, on l’a entendu avec Wes Montgomery, Herbie Hancock, Miles Davis, Quest (David Liebman, Richard Beirach, Ron McClure… et Billly Hart), etc. Lorsque François Postaire, directeur de l’Amphi, a proposé une résidence à Bruno Ruder (enfant de la région passé par le CNSM, les orchestres de Riccardo del Fra, Magma et le collectif Coax), le pianiste à souhaité s’offrir Billy Hart. C’est un peu comme s’offrir le chef Guy Martin dans sa cuisine. Sauf que, tout le monde ne le sait pas encore (il réussit quand même deux soirs de suite à remplir à l’Amphi), la cuisine de Ruder, elle est digne de la batterie de Billy Hart, même si jouer avec ce dernier, c’est toujours grandir encore de quelques centimètres. Grandir, toujours grandir… Ce n’est pas en invitant Ibrahim Maalouf que ça lui serait arrivé (le plus drôle, c’est que Maalouf ne fera jamais de progrès en jouant avec Mark Turner et qu’il n’en ferait pas plus en jouant avec Billy Hart… d’ailleurs, il a beau jouer avec Turner depuis des mois, il ne sait toujours pas qui est Mark Turner, ni aucun des musiciens avec qui ils jouent qu’ils ne citent jamais dans ses entrevues et avec qui il entretient des relations musicales à sens unique… mais je m’égare).
Donc, 1) Ruder. 2) Billy Hart. 3) Ou plutôt 2b) Aymeric Avice. Car c’est aussi un peu pour lui que j’ai pris le TGV, lui que j’ai entendu mettre la trompette cul par dessus tête, avec de la saturation, des effets, des sons de hordes sauvages et une énergie de tsunami (les groupes Jean Louis, Radiation 10). J’avais envie de l’entendre dans un contexte plus “jazz”, car c’est de là qu’il vient. C’était oublier que Bruno Ruder, n’est pas (ou n’est plus) un descendant direct de Bud Powell et Oscar Peterson. Pendant le concert, un voisin se rappellera que l’an passé, Billy Hart jouait les “Art Blakey” avec The Cookers. À l’issue du concert, Aymeric me raconte que Billy Hart a demandé à ses jeunes hôtes : « Quel pourcentage d’abstraction dans le swing ? – Faites comme vous voulez, tout est possible » aurait répondu Ruder. Du coup, ce n’est pas le Billy Hart des Cookers que l’on a entendu hier, mais plutôt celui de Quest, tendance “Of One Mind”, le plus libertaire des disques du groupe.
Bruno Ruder, Rémi Dumoulin, Guido Zorn, Aymeric Avice, Billy Hart © Christophe Charpenel
Et dans tout ça l’on oublie Guido Zorn et Rémi Dumoulin. Ce dernier surtout, co-leader du quintette dont il se partage la signature du répertoire avec Ruder. Dumoulin, on l’avait remarqué – entre autres – lors des ciné-concerts de l’ONJ d’Yvinec au cinéma Le Balzac à Paris, où il se distinguait des autres participants par son investissement dans la préparation de chaque projection et sa culture cinématographie. Ses compositions ont quelque chose qui relève de la B.O. – un genre dont je n’aime guère qu’en font les amateurs de B.O. – dans ce qu’elle participe au drame, plus à plusieurs reprises l’impression d’une écriture trompette-sax-piano-contrebasse précisément digne de l’art du quatuor classique. L’écriture de Ruder ? Une opposition entre l’abstraction de formules pianistiques quasiment bartokiennes et des grands hymnes épiques confiés en homophonie aux cuivres… plus cet extraordinaire perpetuum mobile dans une pièce intitulée – en attendant mieux – Jeudi, où le piano et la contrebasse dérobe constamment l’harmonie sous les pieds d’un obligato de vents et sur lequel Billy Hart fait lever une douce tempête de peaux et de cymbales.
Sur le plan du jeu, le plus classique serait Dumoulin, mais d’un classicisme qui n’a valeur que de référence où viendraient s’ancrer toutes les subversions et transgressions, un classicisme qui n’en est pas un, tout comme on donne encore la puissance du moteur à explosion en nombre de chevaux, un siècle après l’abandon de la calèche. C’est un bonheur d’entendre Aymeric Avice quitter le métal hurlant de Jean Louis et revenir au phrasé en ligne claire (ici et là quelques débordements quand même) avec quelque chose de Don Cherry, et quelque chose de Freddie Hubbard, où l’on se dit qu’un peu de l’un et de l’autre dans une même éprouvette, ça pourrait donner du Kenny Wheeler… mais ça donne du Aymeric Avice, dans une galaxie voisine de celle où repose le trompettiste anglais. Ruder ? On a l’impression d’y entendre du Bartok, du Paul Bley (et de ce Bley qu’a écouté Jarrett lorsque Dumoulin soumet à Ruder la partition de cette espèce de boogaloo jarrettien justement titré Bonjour Monsieur Jarrett), de l’Ornette Coleman (et là encore Bley et Jarrett reviennent à l’esprit) lorsqu’il phrase de la main droite la gauche dans la poche, et autre chose encore lorsque les deux mains surzèbrent le clavier au point que l’on distingue ne distingue plus l’une de l’autre… Mais jamais une phrase est attendue, jamais elle n’est inféodée à un idiome déjà connu, même si cette libre pensée repose sur une ferme assimilation de la tradition qu’ils ont tous en partage, la déclinant chacun à leur manière. Quant à Guido Zorn, il est l’arc électrique qui fait circuler les idées d’un bord à l’autre de la scène, de Bruno Ruder à Billy Hart, avec une grâce et une légèreté dans le choix des notes et l’abandon de la walking bass qui fluidifie cette circulation. Hart, semble heureux d’être là, à l’aise dans ces labyrinthes formelles et harmoniques comme s’il était chez lui, libre de jouer le tempo sans le jouer, de ne jouer que sa profondeur (et la profondeur, il connaît) sans en jouer les contours, de feindre la battue, son “doublage”, son “triolage”, comme par des effets de transparences qui donne à entrevoir sans laisser voir, et c’est bougrement excitant, troublant, émouvant.
Billy Hart © Christophe Charpenel
L’Amphi de l’Opéra de Lyon, un vrai petit amphithéâtre, qui rappelle celui de l’Opéra Bastille en moindre capacité, doté de tables de bistro, avec un bar en fond de salle, est un lieu idéal en matière de visibilité, d’acoustique, de proximité, de convivialité, avec juste ce qu’il faut de recul. Bruno Ruder y est donc en résidence depuis lundi. Deux jours de répétitions du quintette (lundi et mardi), un premier concert jeudi, nous avions donc la chance d’entendre ce vendredi un programme déjà un peu rôdé – qu’on aimerait voir tourner, comme dimanche prochain au Crescent de Mâcon –, un concert de piano solo le vendredi midi et demain soir Jeanne Added, ou plus exactement un trio, car c’est ça qui est merveilleux dans Yes Is a Pleasant Country, c’est la fluidité des rôles et des initiatives à l’intérieur de ce triangle isocèle qui réunit la voix de Jeanne Added, le soprano de Vincent Lê Quang et le piano de Bruno Ruder… À tout à l’heure. Franck Bergerot
|Pourquoi quitter Paris pour Lyon en plein bouclage de Jazz Magazine ? Pour aller écouter le pianiste Bruno Ruder pardi. Avec le batteur Billy Hart au sein de son quintette ! Et le saxoponiste Rémi Dumoulin qui partageait avec Ruder la direction du quintette. Et le trompettiste Aymeric Avice que l’on était fort curieux d’entendre dans pareil contexte. Et le contrebassiste Guido Zorn que je n’avais entendu sur scène qu’une seule fois… et il était urgent de renouveler l’expérience. Mais alors pourquoi titrer seulement sur Billy Hart… Ben, parce que les médias ça marche comme ça si l’on veut être lu, qui plus est sur internet. Et demain, je titrerai sur Jeanne Added, même si le trio Yes Is A Pleasant Country est d’abord un trio.
L’amphi de l’Opéra de Lyon (69), le 15 janvier 2016.
Billy [création] : Aymeric Avice (trompette, bugle), Rémi Dumoulin (saxes soprano et ténor), Bruno Ruder (piano), Guido Zorn (contrebasse), Billy Hart (batterie).
Dans cet ordre, une convention, peut-être et même probablement d’origine hiérarchique, d’une hiérarchie tombée en désuétude depuis des lustres (quoique… il arrive encore que le batteur soit considéré comme une sorte de soutier), mais cette convention est bien pratique pour des tas de raisons que je ne détaillerai pas ici.
Donc Billy Hart en dernier mais qui donne son prénom à cette création dont il est un peu la vedette. Et pour cause : outre ses propres groupes, on l’a entendu avec Wes Montgomery, Herbie Hancock, Miles Davis, Quest (David Liebman, Richard Beirach, Ron McClure… et Billly Hart), etc. Lorsque François Postaire, directeur de l’Amphi, a proposé une résidence à Bruno Ruder (enfant de la région passé par le CNSM, les orchestres de Riccardo del Fra, Magma et le collectif Coax), le pianiste à souhaité s’offrir Billy Hart. C’est un peu comme s’offrir le chef Guy Martin dans sa cuisine. Sauf que, tout le monde ne le sait pas encore (il réussit quand même deux soirs de suite à remplir à l’Amphi), la cuisine de Ruder, elle est digne de la batterie de Billy Hart, même si jouer avec ce dernier, c’est toujours grandir encore de quelques centimètres. Grandir, toujours grandir… Ce n’est pas en invitant Ibrahim Maalouf que ça lui serait arrivé (le plus drôle, c’est que Maalouf ne fera jamais de progrès en jouant avec Mark Turner et qu’il n’en ferait pas plus en jouant avec Billy Hart… d’ailleurs, il a beau jouer avec Turner depuis des mois, il ne sait toujours pas qui est Mark Turner, ni aucun des musiciens avec qui ils jouent qu’ils ne citent jamais dans ses entrevues et avec qui il entretient des relations musicales à sens unique… mais je m’égare).
Donc, 1) Ruder. 2) Billy Hart. 3) Ou plutôt 2b) Aymeric Avice. Car c’est aussi un peu pour lui que j’ai pris le TGV, lui que j’ai entendu mettre la trompette cul par dessus tête, avec de la saturation, des effets, des sons de hordes sauvages et une énergie de tsunami (les groupes Jean Louis, Radiation 10). J’avais envie de l’entendre dans un contexte plus “jazz”, car c’est de là qu’il vient. C’était oublier que Bruno Ruder, n’est pas (ou n’est plus) un descendant direct de Bud Powell et Oscar Peterson. Pendant le concert, un voisin se rappellera que l’an passé, Billy Hart jouait les “Art Blakey” avec The Cookers. À l’issue du concert, Aymeric me raconte que Billy Hart a demandé à ses jeunes hôtes : « Quel pourcentage d’abstraction dans le swing ? – Faites comme vous voulez, tout est possible » aurait répondu Ruder. Du coup, ce n’est pas le Billy Hart des Cookers que l’on a entendu hier, mais plutôt celui de Quest, tendance “Of One Mind”, le plus libertaire des disques du groupe.
Bruno Ruder, Rémi Dumoulin, Guido Zorn, Aymeric Avice, Billy Hart © Christophe Charpenel
Et dans tout ça l’on oublie Guido Zorn et Rémi Dumoulin. Ce dernier surtout, co-leader du quintette dont il se partage la signature du répertoire avec Ruder. Dumoulin, on l’avait remarqué – entre autres – lors des ciné-concerts de l’ONJ d’Yvinec au cinéma Le Balzac à Paris, où il se distinguait des autres participants par son investissement dans la préparation de chaque projection et sa culture cinématographie. Ses compositions ont quelque chose qui relève de la B.O. – un genre dont je n’aime guère qu’en font les amateurs de B.O. – dans ce qu’elle participe au drame, plus à plusieurs reprises l’impression d’une écriture trompette-sax-piano-contrebasse précisément digne de l’art du quatuor classique. L’écriture de Ruder ? Une opposition entre l’abstraction de formules pianistiques quasiment bartokiennes et des grands hymnes épiques confiés en homophonie aux cuivres… plus cet extraordinaire perpetuum mobile dans une pièce intitulée – en attendant mieux – Jeudi, où le piano et la contrebasse dérobe constamment l’harmonie sous les pieds d’un obligato de vents et sur lequel Billy Hart fait lever une douce tempête de peaux et de cymbales.
Sur le plan du jeu, le plus classique serait Dumoulin, mais d’un classicisme qui n’a valeur que de référence où viendraient s’ancrer toutes les subversions et transgressions, un classicisme qui n’en est pas un, tout comme on donne encore la puissance du moteur à explosion en nombre de chevaux, un siècle après l’abandon de la calèche. C’est un bonheur d’entendre Aymeric Avice quitter le métal hurlant de Jean Louis et revenir au phrasé en ligne claire (ici et là quelques débordements quand même) avec quelque chose de Don Cherry, et quelque chose de Freddie Hubbard, où l’on se dit qu’un peu de l’un et de l’autre dans une même éprouvette, ça pourrait donner du Kenny Wheeler… mais ça donne du Aymeric Avice, dans une galaxie voisine de celle où repose le trompettiste anglais. Ruder ? On a l’impression d’y entendre du Bartok, du Paul Bley (et de ce Bley qu’a écouté Jarrett lorsque Dumoulin soumet à Ruder la partition de cette espèce de boogaloo jarrettien justement titré Bonjour Monsieur Jarrett), de l’Ornette Coleman (et là encore Bley et Jarrett reviennent à l’esprit) lorsqu’il phrase de la main droite la gauche dans la poche, et autre chose encore lorsque les deux mains surzèbrent le clavier au point que l’on distingue ne distingue plus l’une de l’autre… Mais jamais une phrase est attendue, jamais elle n’est inféodée à un idiome déjà connu, même si cette libre pensée repose sur une ferme assimilation de la tradition qu’ils ont tous en partage, la déclinant chacun à leur manière. Quant à Guido Zorn, il est l’arc électrique qui fait circuler les idées d’un bord à l’autre de la scène, de Bruno Ruder à Billy Hart, avec une grâce et une légèreté dans le choix des notes et l’abandon de la walking bass qui fluidifie cette circulation. Hart, semble heureux d’être là, à l’aise dans ces labyrinthes formelles et harmoniques comme s’il était chez lui, libre de jouer le tempo sans le jouer, de ne jouer que sa profondeur (et la profondeur, il connaît) sans en jouer les contours, de feindre la battue, son “doublage”, son “triolage”, comme par des effets de transparences qui donne à entrevoir sans laisser voir, et c’est bougrement excitant, troublant, émouvant.
Billy Hart © Christophe Charpenel
L’Amphi de l’Opéra de Lyon, un vrai petit amphithéâtre, qui rappelle celui de l’Opéra Bastille en moindre capacité, doté de tables de bistro, avec un bar en fond de salle, est un lieu idéal en matière de visibilité, d’acoustique, de proximité, de convivialité, avec juste ce qu’il faut de recul. Bruno Ruder y est donc en résidence depuis lundi. Deux jours de répétitions du quintette (lundi et mardi), un premier concert jeudi, nous avions donc la chance d’entendre ce vendredi un programme déjà un peu rôdé – qu’on aimerait voir tourner, comme dimanche prochain au Crescent de Mâcon –, un concert de piano solo le vendredi midi et demain soir Jeanne Added, ou plus exactement un trio, car c’est ça qui est merveilleux dans Yes Is a Pleasant Country, c’est la fluidité des rôles et des initiatives à l’intérieur de ce triangle isocèle qui réunit la voix de Jeanne Added, le soprano de Vincent Lê Quang et le piano de Bruno Ruder… À tout à l’heure. Franck Bergerot
|Pourquoi quitter Paris pour Lyon en plein bouclage de Jazz Magazine ? Pour aller écouter le pianiste Bruno Ruder pardi. Avec le batteur Billy Hart au sein de son quintette ! Et le saxoponiste Rémi Dumoulin qui partageait avec Ruder la direction du quintette. Et le trompettiste Aymeric Avice que l’on était fort curieux d’entendre dans pareil contexte. Et le contrebassiste Guido Zorn que je n’avais entendu sur scène qu’une seule fois… et il était urgent de renouveler l’expérience. Mais alors pourquoi titrer seulement sur Billy Hart… Ben, parce que les médias ça marche comme ça si l’on veut être lu, qui plus est sur internet. Et demain, je titrerai sur Jeanne Added, même si le trio Yes Is A Pleasant Country est d’abord un trio.
L’amphi de l’Opéra de Lyon (69), le 15 janvier 2016.
Billy [création] : Aymeric Avice (trompette, bugle), Rémi Dumoulin (saxes soprano et ténor), Bruno Ruder (piano), Guido Zorn (contrebasse), Billy Hart (batterie).
Dans cet ordre, une convention, peut-être et même probablement d’origine hiérarchique, d’une hiérarchie tombée en désuétude depuis des lustres (quoique… il arrive encore que le batteur soit considéré comme une sorte de soutier), mais cette convention est bien pratique pour des tas de raisons que je ne détaillerai pas ici.
Donc Billy Hart en dernier mais qui donne son prénom à cette création dont il est un peu la vedette. Et pour cause : outre ses propres groupes, on l’a entendu avec Wes Montgomery, Herbie Hancock, Miles Davis, Quest (David Liebman, Richard Beirach, Ron McClure… et Billly Hart), etc. Lorsque François Postaire, directeur de l’Amphi, a proposé une résidence à Bruno Ruder (enfant de la région passé par le CNSM, les orchestres de Riccardo del Fra, Magma et le collectif Coax), le pianiste à souhaité s’offrir Billy Hart. C’est un peu comme s’offrir le chef Guy Martin dans sa cuisine. Sauf que, tout le monde ne le sait pas encore (il réussit quand même deux soirs de suite à remplir à l’Amphi), la cuisine de Ruder, elle est digne de la batterie de Billy Hart, même si jouer avec ce dernier, c’est toujours grandir encore de quelques centimètres. Grandir, toujours grandir… Ce n’est pas en invitant Ibrahim Maalouf que ça lui serait arrivé (le plus drôle, c’est que Maalouf ne fera jamais de progrès en jouant avec Mark Turner et qu’il n’en ferait pas plus en jouant avec Billy Hart… d’ailleurs, il a beau jouer avec Turner depuis des mois, il ne sait toujours pas qui est Mark Turner, ni aucun des musiciens avec qui ils jouent qu’ils ne citent jamais dans ses entrevues et avec qui il entretient des relations musicales à sens unique… mais je m’égare).
Donc, 1) Ruder. 2) Billy Hart. 3) Ou plutôt 2b) Aymeric Avice. Car c’est aussi un peu pour lui que j’ai pris le TGV, lui que j’ai entendu mettre la trompette cul par dessus tête, avec de la saturation, des effets, des sons de hordes sauvages et une énergie de tsunami (les groupes Jean Louis, Radiation 10). J’avais envie de l’entendre dans un contexte plus “jazz”, car c’est de là qu’il vient. C’était oublier que Bruno Ruder, n’est pas (ou n’est plus) un descendant direct de Bud Powell et Oscar Peterson. Pendant le concert, un voisin se rappellera que l’an passé, Billy Hart jouait les “Art Blakey” avec The Cookers. À l’issue du concert, Aymeric me raconte que Billy Hart a demandé à ses jeunes hôtes : « Quel pourcentage d’abstraction dans le swing ? – Faites comme vous voulez, tout est possible » aurait répondu Ruder. Du coup, ce n’est pas le Billy Hart des Cookers que l’on a entendu hier, mais plutôt celui de Quest, tendance “Of One Mind”, le plus libertaire des disques du groupe.
Bruno Ruder, Rémi Dumoulin, Guido Zorn, Aymeric Avice, Billy Hart © Christophe Charpenel
Et dans tout ça l’on oublie Guido Zorn et Rémi Dumoulin. Ce dernier surtout, co-leader du quintette dont il se partage la signature du répertoire avec Ruder. Dumoulin, on l’avait remarqué – entre autres – lors des ciné-concerts de l’ONJ d’Yvinec au cinéma Le Balzac à Paris, où il se distinguait des autres participants par son investissement dans la préparation de chaque projection et sa culture cinématographie. Ses compositions ont quelque chose qui relève de la B.O. – un genre dont je n’aime guère qu’en font les amateurs de B.O. – dans ce qu’elle participe au drame, plus à plusieurs reprises l’impression d’une écriture trompette-sax-piano-contrebasse précisément digne de l’art du quatuor classique. L’écriture de Ruder ? Une opposition entre l’abstraction de formules pianistiques quasiment bartokiennes et des grands hymnes épiques confiés en homophonie aux cuivres… plus cet extraordinaire perpetuum mobile dans une pièce intitulée – en attendant mieux – Jeudi, où le piano et la contrebasse dérobe constamment l’harmonie sous les pieds d’un obligato de vents et sur lequel Billy Hart fait lever une douce tempête de peaux et de cymbales.
Sur le plan du jeu, le plus classique serait Dumoulin, mais d’un classicisme qui n’a valeur que de référence où viendraient s’ancrer toutes les subversions et transgressions, un classicisme qui n’en est pas un, tout comme on donne encore la puissance du moteur à explosion en nombre de chevaux, un siècle après l’abandon de la calèche. C’est un bonheur d’entendre Aymeric Avice quitter le métal hurlant de Jean Louis et revenir au phrasé en ligne claire (ici et là quelques débordements quand même) avec quelque chose de Don Cherry, et quelque chose de Freddie Hubbard, où l’on se dit qu’un peu de l’un et de l’autre dans une même éprouvette, ça pourrait donner du Kenny Wheeler… mais ça donne du Aymeric Avice, dans une galaxie voisine de celle où repose le trompettiste anglais. Ruder ? On a l’impression d’y entendre du Bartok, du Paul Bley (et de ce Bley qu’a écouté Jarrett lorsque Dumoulin soumet à Ruder la partition de cette espèce de boogaloo jarrettien justement titré Bonjour Monsieur Jarrett), de l’Ornette Coleman (et là encore Bley et Jarrett reviennent à l’esprit) lorsqu’il phrase de la main droite la gauche dans la poche, et autre chose encore lorsque les deux mains surzèbrent le clavier au point que l’on distingue ne distingue plus l’une de l’autre… Mais jamais une phrase est attendue, jamais elle n’est inféodée à un idiome déjà connu, même si cette libre pensée repose sur une ferme assimilation de la tradition qu’ils ont tous en partage, la déclinant chacun à leur manière. Quant à Guido Zorn, il est l’arc électrique qui fait circuler les idées d’un bord à l’autre de la scène, de Bruno Ruder à Billy Hart, avec une grâce et une légèreté dans le choix des notes et l’abandon de la walking bass qui fluidifie cette circulation. Hart, semble heureux d’être là, à l’aise dans ces labyrinthes formelles et harmoniques comme s’il était chez lui, libre de jouer le tempo sans le jouer, de ne jouer que sa profondeur (et la profondeur, il connaît) sans en jouer les contours, de feindre la battue, son “doublage”, son “triolage”, comme par des effets de transparences qui donne à entrevoir sans laisser voir, et c’est bougrement excitant, troublant, émouvant.
Billy Hart © Christophe Charpenel
L’Amphi de l’Opéra de Lyon, un vrai petit amphithéâtre, qui rappelle celui de l’Opéra Bastille en moindre capacité, doté de tables de bistro, avec un bar en fond de salle, est un lieu idéal en matière de visibilité, d’acoustique, de proximité, de convivialité, avec juste ce qu’il faut de recul. Bruno Ruder y est donc en résidence depuis lundi. Deux jours de répétitions du quintette (lundi et mardi), un premier concert jeudi, nous avions donc la chance d’entendre ce vendredi un programme déjà un peu rôdé – qu’on aimerait voir tourner, comme dimanche prochain au Crescent de Mâcon –, un concert de piano solo le vendredi midi et demain soir Jeanne Added, ou plus exactement un trio, car c’est ça qui est merveilleux dans Yes Is a Pleasant Country, c’est la fluidité des rôles et des initiatives à l’intérieur de ce triangle isocèle qui réunit la voix de Jeanne Added, le soprano de Vincent Lê Quang et le piano de Bruno Ruder… À tout à l’heure. Franck Bergerot