Absents à White Desert Orchestra… Sons d'hiver 2016
Une quarantaine de personnes ayant acquis un droit d’entrée à la troisième manifestation du festival Sons d’hiver avait choisi de ne pas assister à la partie précédant celle donnée par Hamid Drake, Bernard Lubat et Michel Portal. Bien mal leur en a pris. Car le White Desert Orchestra d’Eve Risser a offert un concert exaltant, au contraire de celui des « grands anciens », plus attendu.
Festival Sons d’hiver 2016
Dimanche 31 janvier 2016, Théâtre de la Cité internationale, Paris 14e (75)
1e partie : White Desert Orchestra
Eve Risser (p), Sylvaine Hélary (flûtes), Antonin-Trio Hoang (as, cl, bcl), Benjamin Doussteyssier (ts, bs), Sophie Bernardo (basson), Eivind Lønning (tp), Fidel Fourneyron (tb), Julien Desprez (elg), Fanny Lasfargues (basse électroacoustique), Sylvain Darrifourcq (dm).
Pourquoi le White Desert Orchetra est-il enthousiasmant ? D’abord parce que le projet compositionnel d’Eve Risser manifeste de bout en bout force cohérence. Ensuite parce que la leader a su s’entourer de personnalités musicales parmi les plus denses de l’hexagone (non sans oublier le trompettiste norvégien Eivind Lønning). Enfin, parce que les sentiments exprimés par ce big smalltet m’ont apparu correspondre à l’état d’esprit dans lequel se trouve notre société contemporaine.
D’emblée une solennité grave est posée par les sons qui ouvrent la performance, ceux d’une grosse caisse symphonique (pas celle, plus petite, de la batterie donc) provoqués par Sylvain Darrifourcq, tel un moine sud-coréen sonnant le tambour sacré d’une cérémonie religieuse imaginaire. Sans d’abord émettre aucune hauteur de note, les vents surimposent leurs souffles et des cliquetis indistincts à ce son premier, semblant venu d’un autre âge. Progressivement un son émerge, puis un tempo s’installe sous des notes tenues. Bientôt une sorte de choral est énoncé par les vents, commenté par la clarinette basse. C’est cependant au basson qu’Eve Risser a confié le premier solo de la soirée, l’instrument du fatalisme, celui de l’ouverture du Sacre du printemps. Peu à peu le choral vire au chaos, cette séquence aboutissant finalement à un nouveau moment prévu par la partition d’Eve Risser. Une boucle vient d’être bouclée, ce qui en relance une autre. Seul, Sylvain Darrifourcq (admirable de bout en bout : quel grand batteur !) use de nouveau de sa grosse caisse symphonique, la frottant cette fois avec une cymbale. Se joignent à elle des grésillements d’instruments électriques (guitare et basse), pendants urbains du souffle vital initial. Un même processus engendre la suite : sous un solo de trompette bruitiste, une pulsation s’installe à partir de laquelle des tenues alimentées par des accords plaqués au piano émergent des profondeurs. Au solo de trompette s’enchaîne celui de Sylvaine Hélary à la flûte, qui clôt la pièce, en solo absolu. Les Deux versants se rejoignent : tel est le titre donné à sa pièce par Eve Risser. Le conciliation des opposés est bien à l’origine de la pièce : ordre et chaos, tonalité et liberté harmonico-mélodique totale, silence et puissance sonore, aspects religieux et profondeur profane… La pièce m’évoque …towards a pure land de Jonathan Harvey, que j’ai entendu la veille à la Philharmonie 2, la spiritualité religieuse en moins.
Tent Rocks confirme ce que je crois être l’expression d’un sentiment de désespérance, qui m’a frappé dès la collision entre le choral harmonique joué par les vents et le soutien éclaté du quartette rythmique en ouverture de concert. Julien Desprez introduit cette pièce-ci à la guitare préparée – sorte de Derek Bailey qui aurait pris la mesure de l’impact du média informatique sur nos modes d’expression. L’ensemble se lance ensuite dans une sorte de mécano contrapuntique, machinerie métallique qui fait songer à une scène fameuse du sombre Dancer in the Dark de Lars Van Trier. Les solos de Benjamin Dousteyssier et de Fidel Fourneyron s’enchaînent, remarquables, relayés plus tard par plusieurs improvisations collectives de petits ensembles au son singulier : un duo piano préparé/batterie d’abord, et ensuite celui, improbable, constitué par la basse dans le suraigu, un piccolo et le basson.
Si Tent Rocks ne m’a pas d’emblée fait songer à une pièce de musique contemporaine, les premières minutes d’Éclats m’ont évoqué l’Olicantus de George Benjamin. Dans les deux cas, mais d’une manière bien différente, une idée musicale semble comme contenue, aspirant à s’épanouir mais sans y parvenir véritablement. Raison pour laquelle, le solo de Benjamin Dousteyssier au saxophone baryton, digne d’un Pharoah Sanders, provoqua une sorte de soulagement paradoxal : enfin la bulle tendue et compressée explosait ; mais au lieu de provoquer un soulagement, le soliste exprima à plein poumon un sentiment où l’effroi y avait sa part.
La prestation du White Desert Orchestra se referma avec deux compositions enchaînées : Metamorphic, d’abord, fait de sons fantômes, insaisissables, apparaissants-disparaissants ; puis Earth Skin Cut qui combina cette fois un choral (aux enchaînements harmoniques moins traditionnels que dans Les Deux versants se rejoignent) à des lignes répétitives. Antonin Tri-Hoang réalisa un solo en parfait décalage avec les accords du choral, provoquant des dissonances tout à fait déchirantes – évoquant quelque sourire d’un clown triste. L’acmé de cette première partie fut atteinte lorsque la rythmique haussa l’intensité sonore et dramatique à un point de tension extrême, moment où l’énergie mis à son comble résulta autant de qualités rythmiques que soniques, parvenant de la sorte à une fusion des paramètres musicaux (qui, à mon sens, est une caractéristique musicale de notre époque).
Musique extrêmement forte, cohérente, puissante sur le plan expressif : une liste de qualificatifs incomplète qui dépeint a minima le White Desert Orchestra.
2e partie
Michel Portal (cl, as, bandonéon), Bernard Lubat (piano, poubelle), Hamid Drake (dm).
Je n’attendais rien de particulier du concert de ce trio. Je n’ai donc pas été déçu. Après que le son ait été corrigé – la puissance du drumming d’Hamid Drake ayant, semble-t-il, surpris l’ingénieur du son –, l’improvisation totale à laquelle les musiciens se sont livrés se déroula sous une forme finalement prévisible : une succession de moments – free, groovy, libre, bluesy… –, plus ou moins bons, avec des mises en phase d’abord par paire plutôt qu’en trio. Dès la deuxième improvisation, Bernard Lubat agrémenta la musique de propos dont il a le secret, tel que : « il vaut mieux improviser que de prévoir le pire ». Sur ce, Michel Portal émet une phrase aux accents rythmiques afro-latins qui lance la machine. À la troisième pièce, le groove fut mis au centre, la clarinette de Michel Portal se trouvant en équilibre entre la batterie d’Hamid Drake et la poubelle frappée aux mains de Bernard Lubat. Le temps d’achever cette partie était alors déjà venu. Bernard Lubat le fit comprendre au public en lançant de bons mots, Michel Portal jouant au cabotin, Hamid Drake riant de calembours dont il ne comprenait pas toujours le sens. Un bis, puis un second, furent finalement octroyés. Le public fut sans doute davantage ravi par l’aspect divertissant que par la réelle valeur musicale de la prestation. J’en retiens que la quarantaine de personnes n’ayant pas pris le risque (mais quel risque ???) de venir écouter le concert du White Desert Orchestra en furent pour leur frais. Tant pis pour eux.
Ludovic Florin
Prochain concert du festival Sons d’hiver à retenir : Samedi 6 février, 20h, Choisy-le-roi, Tony Malaby’s Tubacello + Oliver Lake Organ Quartet|Une quarantaine de personnes ayant acquis un droit d’entrée à la troisième manifestation du festival Sons d’hiver avait choisi de ne pas assister à la partie précédant celle donnée par Hamid Drake, Bernard Lubat et Michel Portal. Bien mal leur en a pris. Car le White Desert Orchestra d’Eve Risser a offert un concert exaltant, au contraire de celui des « grands anciens », plus attendu.
Festival Sons d’hiver 2016
Dimanche 31 janvier 2016, Théâtre de la Cité internationale, Paris 14e (75)
1e partie : White Desert Orchestra
Eve Risser (p), Sylvaine Hélary (flûtes), Antonin-Trio Hoang (as, cl, bcl), Benjamin Doussteyssier (ts, bs), Sophie Bernardo (basson), Eivind Lønning (tp), Fidel Fourneyron (tb), Julien Desprez (elg), Fanny Lasfargues (basse électroacoustique), Sylvain Darrifourcq (dm).
Pourquoi le White Desert Orchetra est-il enthousiasmant ? D’abord parce que le projet compositionnel d’Eve Risser manifeste de bout en bout force cohérence. Ensuite parce que la leader a su s’entourer de personnalités musicales parmi les plus denses de l’hexagone (non sans oublier le trompettiste norvégien Eivind Lønning). Enfin, parce que les sentiments exprimés par ce big smalltet m’ont apparu correspondre à l’état d’esprit dans lequel se trouve notre société contemporaine.
D’emblée une solennité grave est posée par les sons qui ouvrent la performance, ceux d’une grosse caisse symphonique (pas celle, plus petite, de la batterie donc) provoqués par Sylvain Darrifourcq, tel un moine sud-coréen sonnant le tambour sacré d’une cérémonie religieuse imaginaire. Sans d’abord émettre aucune hauteur de note, les vents surimposent leurs souffles et des cliquetis indistincts à ce son premier, semblant venu d’un autre âge. Progressivement un son émerge, puis un tempo s’installe sous des notes tenues. Bientôt une sorte de choral est énoncé par les vents, commenté par la clarinette basse. C’est cependant au basson qu’Eve Risser a confié le premier solo de la soirée, l’instrument du fatalisme, celui de l’ouverture du Sacre du printemps. Peu à peu le choral vire au chaos, cette séquence aboutissant finalement à un nouveau moment prévu par la partition d’Eve Risser. Une boucle vient d’être bouclée, ce qui en relance une autre. Seul, Sylvain Darrifourcq (admirable de bout en bout : quel grand batteur !) use de nouveau de sa grosse caisse symphonique, la frottant cette fois avec une cymbale. Se joignent à elle des grésillements d’instruments électriques (guitare et basse), pendants urbains du souffle vital initial. Un même processus engendre la suite : sous un solo de trompette bruitiste, une pulsation s’installe à partir de laquelle des tenues alimentées par des accords plaqués au piano émergent des profondeurs. Au solo de trompette s’enchaîne celui de Sylvaine Hélary à la flûte, qui clôt la pièce, en solo absolu. Les Deux versants se rejoignent : tel est le titre donné à sa pièce par Eve Risser. Le conciliation des opposés est bien à l’origine de la pièce : ordre et chaos, tonalité et liberté harmonico-mélodique totale, silence et puissance sonore, aspects religieux et profondeur profane… La pièce m’évoque …towards a pure land de Jonathan Harvey, que j’ai entendu la veille à la Philharmonie 2, la spiritualité religieuse en moins.
Tent Rocks confirme ce que je crois être l’expression d’un sentiment de désespérance, qui m’a frappé dès la collision entre le choral harmonique joué par les vents et le soutien éclaté du quartette rythmique en ouverture de concert. Julien Desprez introduit cette pièce-ci à la guitare préparée – sorte de Derek Bailey qui aurait pris la mesure de l’impact du média informatique sur nos modes d’expression. L’ensemble se lance ensuite dans une sorte de mécano contrapuntique, machinerie métallique qui fait songer à une scène fameuse du sombre Dancer in the Dark de Lars Van Trier. Les solos de Benjamin Dousteyssier et de Fidel Fourneyron s’enchaînent, remarquables, relayés plus tard par plusieurs improvisations collectives de petits ensembles au son singulier : un duo piano préparé/batterie d’abord, et ensuite celui, improbable, constitué par la basse dans le suraigu, un piccolo et le basson.
Si Tent Rocks ne m’a pas d’emblée fait songer à une pièce de musique contemporaine, les premières minutes d’Éclats m’ont évoqué l’Olicantus de George Benjamin. Dans les deux cas, mais d’une manière bien différente, une idée musicale semble comme contenue, aspirant à s’épanouir mais sans y parvenir véritablement. Raison pour laquelle, le solo de Benjamin Dousteyssier au saxophone baryton, digne d’un Pharoah Sanders, provoqua une sorte de soulagement paradoxal : enfin la bulle tendue et compressée explosait ; mais au lieu de provoquer un soulagement, le soliste exprima à plein poumon un sentiment où l’effroi y avait sa part.
La prestation du White Desert Orchestra se referma avec deux compositions enchaînées : Metamorphic, d’abord, fait de sons fantômes, insaisissables, apparaissants-disparaissants ; puis Earth Skin Cut qui combina cette fois un choral (aux enchaînements harmoniques moins traditionnels que dans Les Deux versants se rejoignent) à des lignes répétitives. Antonin Tri-Hoang réalisa un solo en parfait décalage avec les accords du choral, provoquant des dissonances tout à fait déchirantes – évoquant quelque sourire d’un clown triste. L’acmé de cette première partie fut atteinte lorsque la rythmique haussa l’intensité sonore et dramatique à un point de tension extrême, moment où l’énergie mis à son comble résulta autant de qualités rythmiques que soniques, parvenant de la sorte à une fusion des paramètres musicaux (qui, à mon sens, est une caractéristique musicale de notre époque).
Musique extrêmement forte, cohérente, puissante sur le plan expressif : une liste de qualificatifs incomplète qui dépeint a minima le White Desert Orchestra.
2e partie
Michel Portal (cl, as, bandonéon), Bernard Lubat (piano, poubelle), Hamid Drake (dm).
Je n’attendais rien de particulier du concert de ce trio. Je n’ai donc pas été déçu. Après que le son ait été corrigé – la puissance du drumming d’Hamid Drake ayant, semble-t-il, surpris l’ingénieur du son –, l’improvisation totale à laquelle les musiciens se sont livrés se déroula sous une forme finalement prévisible : une succession de moments – free, groovy, libre, bluesy… –, plus ou moins bons, avec des mises en phase d’abord par paire plutôt qu’en trio. Dès la deuxième improvisation, Bernard Lubat agrémenta la musique de propos dont il a le secret, tel que : « il vaut mieux improviser que de prévoir le pire ». Sur ce, Michel Portal émet une phrase aux accents rythmiques afro-latins qui lance la machine. À la troisième pièce, le groove fut mis au centre, la clarinette de Michel Portal se trouvant en équilibre entre la batterie d’Hamid Drake et la poubelle frappée aux mains de Bernard Lubat. Le temps d’achever cette partie était alors déjà venu. Bernard Lubat le fit comprendre au public en lançant de bons mots, Michel Portal jouant au cabotin, Hamid Drake riant de calembours dont il ne comprenait pas toujours le sens. Un bis, puis un second, furent finalement octroyés. Le public fut sans doute davantage ravi par l’aspect divertissant que par la réelle valeur musicale de la prestation. J’en retiens que la quarantaine de personnes n’ayant pas pris le risque (mais quel risque ???) de venir écouter le concert du White Desert Orchestra en furent pour leur frais. Tant pis pour eux.
Ludovic Florin
Prochain concert du festival Sons d’hiver à retenir : Samedi 6 février, 20h, Choisy-le-roi, Tony Malaby’s Tubacello + Oliver Lake Organ Quartet|Une quarantaine de personnes ayant acquis un droit d’entrée à la troisième manifestation du festival Sons d’hiver avait choisi de ne pas assister à la partie précédant celle donnée par Hamid Drake, Bernard Lubat et Michel Portal. Bien mal leur en a pris. Car le White Desert Orchestra d’Eve Risser a offert un concert exaltant, au contraire de celui des « grands anciens », plus attendu.
Festival Sons d’hiver 2016
Dimanche 31 janvier 2016, Théâtre de la Cité internationale, Paris 14e (75)
1e partie : White Desert Orchestra
Eve Risser (p), Sylvaine Hélary (flûtes), Antonin-Trio Hoang (as, cl, bcl), Benjamin Doussteyssier (ts, bs), Sophie Bernardo (basson), Eivind Lønning (tp), Fidel Fourneyron (tb), Julien Desprez (elg), Fanny Lasfargues (basse électroacoustique), Sylvain Darrifourcq (dm).
Pourquoi le White Desert Orchetra est-il enthousiasmant ? D’abord parce que le projet compositionnel d’Eve Risser manifeste de bout en bout force cohérence. Ensuite parce que la leader a su s’entourer de personnalités musicales parmi les plus denses de l’hexagone (non sans oublier le trompettiste norvégien Eivind Lønning). Enfin, parce que les sentiments exprimés par ce big smalltet m’ont apparu correspondre à l’état d’esprit dans lequel se trouve notre société contemporaine.
D’emblée une solennité grave est posée par les sons qui ouvrent la performance, ceux d’une grosse caisse symphonique (pas celle, plus petite, de la batterie donc) provoqués par Sylvain Darrifourcq, tel un moine sud-coréen sonnant le tambour sacré d’une cérémonie religieuse imaginaire. Sans d’abord émettre aucune hauteur de note, les vents surimposent leurs souffles et des cliquetis indistincts à ce son premier, semblant venu d’un autre âge. Progressivement un son émerge, puis un tempo s’installe sous des notes tenues. Bientôt une sorte de choral est énoncé par les vents, commenté par la clarinette basse. C’est cependant au basson qu’Eve Risser a confié le premier solo de la soirée, l’instrument du fatalisme, celui de l’ouverture du Sacre du printemps. Peu à peu le choral vire au chaos, cette séquence aboutissant finalement à un nouveau moment prévu par la partition d’Eve Risser. Une boucle vient d’être bouclée, ce qui en relance une autre. Seul, Sylvain Darrifourcq (admirable de bout en bout : quel grand batteur !) use de nouveau de sa grosse caisse symphonique, la frottant cette fois avec une cymbale. Se joignent à elle des grésillements d’instruments électriques (guitare et basse), pendants urbains du souffle vital initial. Un même processus engendre la suite : sous un solo de trompette bruitiste, une pulsation s’installe à partir de laquelle des tenues alimentées par des accords plaqués au piano émergent des profondeurs. Au solo de trompette s’enchaîne celui de Sylvaine Hélary à la flûte, qui clôt la pièce, en solo absolu. Les Deux versants se rejoignent : tel est le titre donné à sa pièce par Eve Risser. Le conciliation des opposés est bien à l’origine de la pièce : ordre et chaos, tonalité et liberté harmonico-mélodique totale, silence et puissance sonore, aspects religieux et profondeur profane… La pièce m’évoque …towards a pure land de Jonathan Harvey, que j’ai entendu la veille à la Philharmonie 2, la spiritualité religieuse en moins.
Tent Rocks confirme ce que je crois être l’expression d’un sentiment de désespérance, qui m’a frappé dès la collision entre le choral harmonique joué par les vents et le soutien éclaté du quartette rythmique en ouverture de concert. Julien Desprez introduit cette pièce-ci à la guitare préparée – sorte de Derek Bailey qui aurait pris la mesure de l’impact du média informatique sur nos modes d’expression. L’ensemble se lance ensuite dans une sorte de mécano contrapuntique, machinerie métallique qui fait songer à une scène fameuse du sombre Dancer in the Dark de Lars Van Trier. Les solos de Benjamin Dousteyssier et de Fidel Fourneyron s’enchaînent, remarquables, relayés plus tard par plusieurs improvisations collectives de petits ensembles au son singulier : un duo piano préparé/batterie d’abord, et ensuite celui, improbable, constitué par la basse dans le suraigu, un piccolo et le basson.
Si Tent Rocks ne m’a pas d’emblée fait songer à une pièce de musique contemporaine, les premières minutes d’Éclats m’ont évoqué l’Olicantus de George Benjamin. Dans les deux cas, mais d’une manière bien différente, une idée musicale semble comme contenue, aspirant à s’épanouir mais sans y parvenir véritablement. Raison pour laquelle, le solo de Benjamin Dousteyssier au saxophone baryton, digne d’un Pharoah Sanders, provoqua une sorte de soulagement paradoxal : enfin la bulle tendue et compressée explosait ; mais au lieu de provoquer un soulagement, le soliste exprima à plein poumon un sentiment où l’effroi y avait sa part.
La prestation du White Desert Orchestra se referma avec deux compositions enchaînées : Metamorphic, d’abord, fait de sons fantômes, insaisissables, apparaissants-disparaissants ; puis Earth Skin Cut qui combina cette fois un choral (aux enchaînements harmoniques moins traditionnels que dans Les Deux versants se rejoignent) à des lignes répétitives. Antonin Tri-Hoang réalisa un solo en parfait décalage avec les accords du choral, provoquant des dissonances tout à fait déchirantes – évoquant quelque sourire d’un clown triste. L’acmé de cette première partie fut atteinte lorsque la rythmique haussa l’intensité sonore et dramatique à un point de tension extrême, moment où l’énergie mis à son comble résulta autant de qualités rythmiques que soniques, parvenant de la sorte à une fusion des paramètres musicaux (qui, à mon sens, est une caractéristique musicale de notre époque).
Musique extrêmement forte, cohérente, puissante sur le plan expressif : une liste de qualificatifs incomplète qui dépeint a minima le White Desert Orchestra.
2e partie
Michel Portal (cl, as, bandonéon), Bernard Lubat (piano, poubelle), Hamid Drake (dm).
Je n’attendais rien de particulier du concert de ce trio. Je n’ai donc pas été déçu. Après que le son ait été corrigé – la puissance du drumming d’Hamid Drake ayant, semble-t-il, surpris l’ingénieur du son –, l’improvisation totale à laquelle les musiciens se sont livrés se déroula sous une forme finalement prévisible : une succession de moments – free, groovy, libre, bluesy… –, plus ou moins bons, avec des mises en phase d’abord par paire plutôt qu’en trio. Dès la deuxième improvisation, Bernard Lubat agrémenta la musique de propos dont il a le secret, tel que : « il vaut mieux improviser que de prévoir le pire ». Sur ce, Michel Portal émet une phrase aux accents rythmiques afro-latins qui lance la machine. À la troisième pièce, le groove fut mis au centre, la clarinette de Michel Portal se trouvant en équilibre entre la batterie d’Hamid Drake et la poubelle frappée aux mains de Bernard Lubat. Le temps d’achever cette partie était alors déjà venu. Bernard Lubat le fit comprendre au public en lançant de bons mots, Michel Portal jouant au cabotin, Hamid Drake riant de calembours dont il ne comprenait pas toujours le sens. Un bis, puis un second, furent finalement octroyés. Le public fut sans doute davantage ravi par l’aspect divertissant que par la réelle valeur musicale de la prestation. J’en retiens que la quarantaine de personnes n’ayant pas pris le risque (mais quel risque ???) de venir écouter le concert du White Desert Orchestra en furent pour leur frais. Tant pis pour eux.
Ludovic Florin
Prochain concert du festival Sons d’hiver à retenir : Samedi 6 février, 20h, Choisy-le-roi, Tony Malaby’s Tubacello + Oliver Lake Organ Quartet|Une quarantaine de personnes ayant acquis un droit d’entrée à la troisième manifestation du festival Sons d’hiver avait choisi de ne pas assister à la partie précédant celle donnée par Hamid Drake, Bernard Lubat et Michel Portal. Bien mal leur en a pris. Car le White Desert Orchestra d’Eve Risser a offert un concert exaltant, au contraire de celui des « grands anciens », plus attendu.
Festival Sons d’hiver 2016
Dimanche 31 janvier 2016, Théâtre de la Cité internationale, Paris 14e (75)
1e partie : White Desert Orchestra
Eve Risser (p), Sylvaine Hélary (flûtes), Antonin-Trio Hoang (as, cl, bcl), Benjamin Doussteyssier (ts, bs), Sophie Bernardo (basson), Eivind Lønning (tp), Fidel Fourneyron (tb), Julien Desprez (elg), Fanny Lasfargues (basse électroacoustique), Sylvain Darrifourcq (dm).
Pourquoi le White Desert Orchetra est-il enthousiasmant ? D’abord parce que le projet compositionnel d’Eve Risser manifeste de bout en bout force cohérence. Ensuite parce que la leader a su s’entourer de personnalités musicales parmi les plus denses de l’hexagone (non sans oublier le trompettiste norvégien Eivind Lønning). Enfin, parce que les sentiments exprimés par ce big smalltet m’ont apparu correspondre à l’état d’esprit dans lequel se trouve notre société contemporaine.
D’emblée une solennité grave est posée par les sons qui ouvrent la performance, ceux d’une grosse caisse symphonique (pas celle, plus petite, de la batterie donc) provoqués par Sylvain Darrifourcq, tel un moine sud-coréen sonnant le tambour sacré d’une cérémonie religieuse imaginaire. Sans d’abord émettre aucune hauteur de note, les vents surimposent leurs souffles et des cliquetis indistincts à ce son premier, semblant venu d’un autre âge. Progressivement un son émerge, puis un tempo s’installe sous des notes tenues. Bientôt une sorte de choral est énoncé par les vents, commenté par la clarinette basse. C’est cependant au basson qu’Eve Risser a confié le premier solo de la soirée, l’instrument du fatalisme, celui de l’ouverture du Sacre du printemps. Peu à peu le choral vire au chaos, cette séquence aboutissant finalement à un nouveau moment prévu par la partition d’Eve Risser. Une boucle vient d’être bouclée, ce qui en relance une autre. Seul, Sylvain Darrifourcq (admirable de bout en bout : quel grand batteur !) use de nouveau de sa grosse caisse symphonique, la frottant cette fois avec une cymbale. Se joignent à elle des grésillements d’instruments électriques (guitare et basse), pendants urbains du souffle vital initial. Un même processus engendre la suite : sous un solo de trompette bruitiste, une pulsation s’installe à partir de laquelle des tenues alimentées par des accords plaqués au piano émergent des profondeurs. Au solo de trompette s’enchaîne celui de Sylvaine Hélary à la flûte, qui clôt la pièce, en solo absolu. Les Deux versants se rejoignent : tel est le titre donné à sa pièce par Eve Risser. Le conciliation des opposés est bien à l’origine de la pièce : ordre et chaos, tonalité et liberté harmonico-mélodique totale, silence et puissance sonore, aspects religieux et profondeur profane… La pièce m’évoque …towards a pure land de Jonathan Harvey, que j’ai entendu la veille à la Philharmonie 2, la spiritualité religieuse en moins.
Tent Rocks confirme ce que je crois être l’expression d’un sentiment de désespérance, qui m’a frappé dès la collision entre le choral harmonique joué par les vents et le soutien éclaté du quartette rythmique en ouverture de concert. Julien Desprez introduit cette pièce-ci à la guitare préparée – sorte de Derek Bailey qui aurait pris la mesure de l’impact du média informatique sur nos modes d’expression. L’ensemble se lance ensuite dans une sorte de mécano contrapuntique, machinerie métallique qui fait songer à une scène fameuse du sombre Dancer in the Dark de Lars Van Trier. Les solos de Benjamin Dousteyssier et de Fidel Fourneyron s’enchaînent, remarquables, relayés plus tard par plusieurs improvisations collectives de petits ensembles au son singulier : un duo piano préparé/batterie d’abord, et ensuite celui, improbable, constitué par la basse dans le suraigu, un piccolo et le basson.
Si Tent Rocks ne m’a pas d’emblée fait songer à une pièce de musique contemporaine, les premières minutes d’Éclats m’ont évoqué l’Olicantus de George Benjamin. Dans les deux cas, mais d’une manière bien différente, une idée musicale semble comme contenue, aspirant à s’épanouir mais sans y parvenir véritablement. Raison pour laquelle, le solo de Benjamin Dousteyssier au saxophone baryton, digne d’un Pharoah Sanders, provoqua une sorte de soulagement paradoxal : enfin la bulle tendue et compressée explosait ; mais au lieu de provoquer un soulagement, le soliste exprima à plein poumon un sentiment où l’effroi y avait sa part.
La prestation du White Desert Orchestra se referma avec deux compositions enchaînées : Metamorphic, d’abord, fait de sons fantômes, insaisissables, apparaissants-disparaissants ; puis Earth Skin Cut qui combina cette fois un choral (aux enchaînements harmoniques moins traditionnels que dans Les Deux versants se rejoignent) à des lignes répétitives. Antonin Tri-Hoang réalisa un solo en parfait décalage avec les accords du choral, provoquant des dissonances tout à fait déchirantes – évoquant quelque sourire d’un clown triste. L’acmé de cette première partie fut atteinte lorsque la rythmique haussa l’intensité sonore et dramatique à un point de tension extrême, moment où l’énergie mis à son comble résulta autant de qualités rythmiques que soniques, parvenant de la sorte à une fusion des paramètres musicaux (qui, à mon sens, est une caractéristique musicale de notre époque).
Musique extrêmement forte, cohérente, puissante sur le plan expressif : une liste de qualificatifs incomplète qui dépeint a minima le White Desert Orchestra.
2e partie
Michel Portal (cl, as, bandonéon), Bernard Lubat (piano, poubelle), Hamid Drake (dm).
Je n’attendais rien de particulier du concert de ce trio. Je n’ai donc pas été déçu. Après que le son ait été corrigé – la puissance du drumming d’Hamid Drake ayant, semble-t-il, surpris l’ingénieur du son –, l’improvisation totale à laquelle les musiciens se sont livrés se déroula sous une forme finalement prévisible : une succession de moments – free, groovy, libre, bluesy… –, plus ou moins bons, avec des mises en phase d’abord par paire plutôt qu’en trio. Dès la deuxième improvisation, Bernard Lubat agrémenta la musique de propos dont il a le secret, tel que : « il vaut mieux improviser que de prévoir le pire ». Sur ce, Michel Portal émet une phrase aux accents rythmiques afro-latins qui lance la machine. À la troisième pièce, le groove fut mis au centre, la clarinette de Michel Portal se trouvant en équilibre entre la batterie d’Hamid Drake et la poubelle frappée aux mains de Bernard Lubat. Le temps d’achever cette partie était alors déjà venu. Bernard Lubat le fit comprendre au public en lançant de bons mots, Michel Portal jouant au cabotin, Hamid Drake riant de calembours dont il ne comprenait pas toujours le sens. Un bis, puis un second, furent finalement octroyés. Le public fut sans doute davantage ravi par l’aspect divertissant que par la réelle valeur musicale de la prestation. J’en retiens que la quarantaine de personnes n’ayant pas pris le risque (mais quel risque ???) de venir écouter le concert du White Desert Orchestra en furent pour leur frais. Tant pis pour eux.
Ludovic Florin
Prochain concert du festival Sons d’hiver à retenir : Samedi 6 février, 20h, Choisy-le-roi, Tony Malaby’s Tubacello + Oliver Lake Organ Quartet