les transes mathématiques d'Aka Moon
Samedi soir au Triton, Aka Moon a fait entendre une musique qui emmène auditeurs et musiciens au bord de la transe, mais qui est en même temps soumise à une logique musicale rigoureuse et complexe.
Aka Moon avec Fabrizio Cassol (as), Stéphane Galland (dm), Michel Hatzigeorgiou (b), plus Fabian Fiorini (p), Le triton, 29 janvier 2016
Après des aventures musicales et géographiques très variées (autour de l’Afrique, de l’Inde, des Balkans) Aka Moon continue de pratiquer cette sorte de nomadisme musical qui est devenu sa signature. Pour leur dernier projet, ils ont choisi de s’attaquer au continent Scarlatti, décidément source d’inspiration pour les jazzmen (on se souvient du beau disque d’Enrico Pieranunzi en 2008).
Leur lecture de Scarlatti est très libre. Dans leurs compositions, Scarlatti apparaît, disparaît, ou flotte en suspension. Scarlatti sert de matière première à une musique qui peut prendre des accents funk ou franchement rock, ou inspirer des ballades planantes. Les trois compères ne s’interdisent rien, pas même, à certains moments, une relecture littérale de Scarlatti sous les doigts virtuoses du pianiste Fabian Fiorini. Tout se passe comme si Aka Moon avait voulu faire surgir toutes les virtualités de danse, de musique orientale, de comptines folkloriques que l’on trouve chez Scarlatti.
Pour mieux rendre compte de cette musique, peut-être peut-on tenter de décrire le premier morceau. Il commence par une introduction amirable du bassiste Michel Hatzigeorgiou, qui en quelques accords installe une atmosphère recueillie. Le chuintement de ses doigts sur les cordes résonne dans le silence. Ensuite , au saxophone alto, Fabrizio Cassol propose des phrases lyriques et planantes, dont le débit s’accélère peu à peu. Au piano, Fabian Fiorini flirte délicieusement avec la dissonance. La musique devient moins planante, les tournures du saxophones plus répétitives et plus insistantes. Et tout-à-coup, la musique accélère irrésistiblement. Les trois musiciens poussent ensemble dans la même direction, et l’on a le sentiment d’être collé au plafond par l’énergie farouche qui est mise en mouvement.
Le batteur Stéphane Galland est au coeur de cette transe sauvage. Il martyrise impitoyablement ses fûts. Je me dis en l’écoutant que j’ai rarement entendu un batteur frapper aussi fort. Mais ce fou furieux joue aussi fin que fort. C’est un papou qui fait des équations. C’est un barbare avec un doctorat en physique nucléaire. Pour le dire autrement, Stéphane Galland est un maître des polyphonies. Pendant les premiers morceaux , j’essaie de démêler la logique des structures complexes qu’il propose, j’écarquille les oreilles pour tenter de discerner s’il y a un rythme principal et des rythmes secondaires, je compte sur mes doigts, de mains et de pieds, je prends des notes, je fais des calculs, complexes et me perds dans les retenues, à la fin je n’y comprends plus rien, et renonce pour me laisser porter par cette houle océanique qui sort de sa batterie.
Toute la première partie du concert se passe ainsi, avec des phases de tension et de repos, comme dans une sorte de triple-huit musical. Les mérites de Cassol (grand architecte de toute cette musique) et de Galland ne sauraient éclipser les mérites des autres musiciens. Le bassiste, Michel Hatzigeorgiou, fin et subtil, se montre capable aussi d’apporter ses épices aux tourneries diabloliques élaborées par Cassol et Galland. Le rôle du pianiste invité, Fabian Fiorini, est également essentiel.Il arrive à passer en un clin d’oeil de moments déchaînés à la restitution littérale d’une sonate de Scarlatti. A la pause, il ne cache d’ailleurs pas la difficulté de l’exercice: « Quand je dois passer d’ambiance très fortes à des ambiances où tout repose sur le toucher, c’est difficile. J’ai besoin d’un piano pour pouvoir redescendre… ».
Après la première partie, le groupe abandonne Scarlatti pour évoquer les aventures précédentes d’Aka Moon, autour des la musique des Balkans ou des musiques créées pour la danse. On retrouve toujours dans cette deuxième partie ce mouvement de triple huit musical, et si l’on devait émettre une réserve sur la musique proposée par ce groupe ce serait sans doute pour le côté un peu systématique de ce mouvement tension-détente qui semble au coeur de leur musique. Mais pour le reste on est épaté par la générosité de ce groupe qui a proposé deux véritables concerts en une seule soirée. Aka Moon, tout amateur de jazz et de musique vivante doit vivre cela au moins une fois dans sa vie…
Après le concert, on s’entretient avec Pascal Mabit, jeune et brillant saxophoniste du CNSM, admirateur du groupe avec lequel il a déjà suivi deux stages. Pascal Mabit souligne le caractère très pensé de cette musique: « L’une des spécialités de Fabrizio Cassol, ce sont ces métriques qui diminuent progressivement. Il a expérimenté plein de choses, comme par exemple des compositions-miroir qui peuvent être jouées dans un sens comme dans l’autre. Et ça sonne super bien! Par ailleurs, ses compositions ne reposent pas seulement sur une structure mathématique. Fabrizio cassol s’est également beaucoup inspiré du Ye King, un livre de divination chinoise qui explique comment la vie humaine passe par plusieurs phases. Toute son harmonie repose là-dessus… ».
Texte JF Mondot
Dessins AC Alvoët
site www.alvoet.com
Autres dessins visibles au Triton, exposition en cours sur les Femen …et quelques musiciens de jazz.|
Samedi soir au Triton, Aka Moon a fait entendre une musique qui emmène auditeurs et musiciens au bord de la transe, mais qui est en même temps soumise à une logique musicale rigoureuse et complexe.
Aka Moon avec Fabrizio Cassol (as), Stéphane Galland (dm), Michel Hatzigeorgiou (b), plus Fabian Fiorini (p), Le triton, 29 janvier 2016
Après des aventures musicales et géographiques très variées (autour de l’Afrique, de l’Inde, des Balkans) Aka Moon continue de pratiquer cette sorte de nomadisme musical qui est devenu sa signature. Pour leur dernier projet, ils ont choisi de s’attaquer au continent Scarlatti, décidément source d’inspiration pour les jazzmen (on se souvient du beau disque d’Enrico Pieranunzi en 2008).
Leur lecture de Scarlatti est très libre. Dans leurs compositions, Scarlatti apparaît, disparaît, ou flotte en suspension. Scarlatti sert de matière première à une musique qui peut prendre des accents funk ou franchement rock, ou inspirer des ballades planantes. Les trois compères ne s’interdisent rien, pas même, à certains moments, une relecture littérale de Scarlatti sous les doigts virtuoses du pianiste Fabian Fiorini. Tout se passe comme si Aka Moon avait voulu faire surgir toutes les virtualités de danse, de musique orientale, de comptines folkloriques que l’on trouve chez Scarlatti.
Pour mieux rendre compte de cette musique, peut-être peut-on tenter de décrire le premier morceau. Il commence par une introduction amirable du bassiste Michel Hatzigeorgiou, qui en quelques accords installe une atmosphère recueillie. Le chuintement de ses doigts sur les cordes résonne dans le silence. Ensuite , au saxophone alto, Fabrizio Cassol propose des phrases lyriques et planantes, dont le débit s’accélère peu à peu. Au piano, Fabian Fiorini flirte délicieusement avec la dissonance. La musique devient moins planante, les tournures du saxophones plus répétitives et plus insistantes. Et tout-à-coup, la musique accélère irrésistiblement. Les trois musiciens poussent ensemble dans la même direction, et l’on a le sentiment d’être collé au plafond par l’énergie farouche qui est mise en mouvement.
Le batteur Stéphane Galland est au coeur de cette transe sauvage. Il martyrise impitoyablement ses fûts. Je me dis en l’écoutant que j’ai rarement entendu un batteur frapper aussi fort. Mais ce fou furieux joue aussi fin que fort. C’est un papou qui fait des équations. C’est un barbare avec un doctorat en physique nucléaire. Pour le dire autrement, Stéphane Galland est un maître des polyphonies. Pendant les premiers morceaux , j’essaie de démêler la logique des structures complexes qu’il propose, j’écarquille les oreilles pour tenter de discerner s’il y a un rythme principal et des rythmes secondaires, je compte sur mes doigts, de mains et de pieds, je prends des notes, je fais des calculs, complexes et me perds dans les retenues, à la fin je n’y comprends plus rien, et renonce pour me laisser porter par cette houle océanique qui sort de sa batterie.
Toute la première partie du concert se passe ainsi, avec des phases de tension et de repos, comme dans une sorte de triple-huit musical. Les mérites de Cassol (grand architecte de toute cette musique) et de Galland ne sauraient éclipser les mérites des autres musiciens. Le bassiste, Michel Hatzigeorgiou, fin et subtil, se montre capable aussi d’apporter ses épices aux tourneries diabloliques élaborées par Cassol et Galland. Le rôle du pianiste invité, Fabian Fiorini, est également essentiel.Il arrive à passer en un clin d’oeil de moments déchaînés à la restitution littérale d’une sonate de Scarlatti. A la pause, il ne cache d’ailleurs pas la difficulté de l’exercice: « Quand je dois passer d’ambiance très fortes à des ambiances où tout repose sur le toucher, c’est difficile. J’ai besoin d’un piano pour pouvoir redescendre… ».
Après la première partie, le groupe abandonne Scarlatti pour évoquer les aventures précédentes d’Aka Moon, autour des la musique des Balkans ou des musiques créées pour la danse. On retrouve toujours dans cette deuxième partie ce mouvement de triple huit musical, et si l’on devait émettre une réserve sur la musique proposée par ce groupe ce serait sans doute pour le côté un peu systématique de ce mouvement tension-détente qui semble au coeur de leur musique. Mais pour le reste on est épaté par la générosité de ce groupe qui a proposé deux véritables concerts en une seule soirée. Aka Moon, tout amateur de jazz et de musique vivante doit vivre cela au moins une fois dans sa vie…
Après le concert, on s’entretient avec Pascal Mabit, jeune et brillant saxophoniste du CNSM, admirateur du groupe avec lequel il a déjà suivi deux stages. Pascal Mabit souligne le caractère très pensé de cette musique: « L’une des spécialités de Fabrizio Cassol, ce sont ces métriques qui diminuent progressivement. Il a expérimenté plein de choses, comme par exemple des compositions-miroir qui peuvent être jouées dans un sens comme dans l’autre. Et ça sonne super bien! Par ailleurs, ses compositions ne reposent pas seulement sur une structure mathématique. Fabrizio cassol s’est également beaucoup inspiré du Ye King, un livre de divination chinoise qui explique comment la vie humaine passe par plusieurs phases. Toute son harmonie repose là-dessus… ».
Texte JF Mondot
Dessins AC Alvoët
site www.alvoet.com
Autres dessins visibles au Triton, exposition en cours sur les Femen …et quelques musiciens de jazz.|
Samedi soir au Triton, Aka Moon a fait entendre une musique qui emmène auditeurs et musiciens au bord de la transe, mais qui est en même temps soumise à une logique musicale rigoureuse et complexe.
Aka Moon avec Fabrizio Cassol (as), Stéphane Galland (dm), Michel Hatzigeorgiou (b), plus Fabian Fiorini (p), Le triton, 29 janvier 2016
Après des aventures musicales et géographiques très variées (autour de l’Afrique, de l’Inde, des Balkans) Aka Moon continue de pratiquer cette sorte de nomadisme musical qui est devenu sa signature. Pour leur dernier projet, ils ont choisi de s’attaquer au continent Scarlatti, décidément source d’inspiration pour les jazzmen (on se souvient du beau disque d’Enrico Pieranunzi en 2008).
Leur lecture de Scarlatti est très libre. Dans leurs compositions, Scarlatti apparaît, disparaît, ou flotte en suspension. Scarlatti sert de matière première à une musique qui peut prendre des accents funk ou franchement rock, ou inspirer des ballades planantes. Les trois compères ne s’interdisent rien, pas même, à certains moments, une relecture littérale de Scarlatti sous les doigts virtuoses du pianiste Fabian Fiorini. Tout se passe comme si Aka Moon avait voulu faire surgir toutes les virtualités de danse, de musique orientale, de comptines folkloriques que l’on trouve chez Scarlatti.
Pour mieux rendre compte de cette musique, peut-être peut-on tenter de décrire le premier morceau. Il commence par une introduction amirable du bassiste Michel Hatzigeorgiou, qui en quelques accords installe une atmosphère recueillie. Le chuintement de ses doigts sur les cordes résonne dans le silence. Ensuite , au saxophone alto, Fabrizio Cassol propose des phrases lyriques et planantes, dont le débit s’accélère peu à peu. Au piano, Fabian Fiorini flirte délicieusement avec la dissonance. La musique devient moins planante, les tournures du saxophones plus répétitives et plus insistantes. Et tout-à-coup, la musique accélère irrésistiblement. Les trois musiciens poussent ensemble dans la même direction, et l’on a le sentiment d’être collé au plafond par l’énergie farouche qui est mise en mouvement.
Le batteur Stéphane Galland est au coeur de cette transe sauvage. Il martyrise impitoyablement ses fûts. Je me dis en l’écoutant que j’ai rarement entendu un batteur frapper aussi fort. Mais ce fou furieux joue aussi fin que fort. C’est un papou qui fait des équations. C’est un barbare avec un doctorat en physique nucléaire. Pour le dire autrement, Stéphane Galland est un maître des polyphonies. Pendant les premiers morceaux , j’essaie de démêler la logique des structures complexes qu’il propose, j’écarquille les oreilles pour tenter de discerner s’il y a un rythme principal et des rythmes secondaires, je compte sur mes doigts, de mains et de pieds, je prends des notes, je fais des calculs, complexes et me perds dans les retenues, à la fin je n’y comprends plus rien, et renonce pour me laisser porter par cette houle océanique qui sort de sa batterie.
Toute la première partie du concert se passe ainsi, avec des phases de tension et de repos, comme dans une sorte de triple-huit musical. Les mérites de Cassol (grand architecte de toute cette musique) et de Galland ne sauraient éclipser les mérites des autres musiciens. Le bassiste, Michel Hatzigeorgiou, fin et subtil, se montre capable aussi d’apporter ses épices aux tourneries diabloliques élaborées par Cassol et Galland. Le rôle du pianiste invité, Fabian Fiorini, est également essentiel.Il arrive à passer en un clin d’oeil de moments déchaînés à la restitution littérale d’une sonate de Scarlatti. A la pause, il ne cache d’ailleurs pas la difficulté de l’exercice: « Quand je dois passer d’ambiance très fortes à des ambiances où tout repose sur le toucher, c’est difficile. J’ai besoin d’un piano pour pouvoir redescendre… ».
Après la première partie, le groupe abandonne Scarlatti pour évoquer les aventures précédentes d’Aka Moon, autour des la musique des Balkans ou des musiques créées pour la danse. On retrouve toujours dans cette deuxième partie ce mouvement de triple huit musical, et si l’on devait émettre une réserve sur la musique proposée par ce groupe ce serait sans doute pour le côté un peu systématique de ce mouvement tension-détente qui semble au coeur de leur musique. Mais pour le reste on est épaté par la générosité de ce groupe qui a proposé deux véritables concerts en une seule soirée. Aka Moon, tout amateur de jazz et de musique vivante doit vivre cela au moins une fois dans sa vie…
Après le concert, on s’entretient avec Pascal Mabit, jeune et brillant saxophoniste du CNSM, admirateur du groupe avec lequel il a déjà suivi deux stages. Pascal Mabit souligne le caractère très pensé de cette musique: « L’une des spécialités de Fabrizio Cassol, ce sont ces métriques qui diminuent progressivement. Il a expérimenté plein de choses, comme par exemple des compositions-miroir qui peuvent être jouées dans un sens comme dans l’autre. Et ça sonne super bien! Par ailleurs, ses compositions ne reposent pas seulement sur une structure mathématique. Fabrizio cassol s’est également beaucoup inspiré du Ye King, un livre de divination chinoise qui explique comment la vie humaine passe par plusieurs phases. Toute son harmonie repose là-dessus… ».
Texte JF Mondot
Dessins AC Alvoët
site www.alvoet.com
Autres dessins visibles au Triton, exposition en cours sur les Femen …et quelques musiciens de jazz.|
Samedi soir au Triton, Aka Moon a fait entendre une musique qui emmène auditeurs et musiciens au bord de la transe, mais qui est en même temps soumise à une logique musicale rigoureuse et complexe.
Aka Moon avec Fabrizio Cassol (as), Stéphane Galland (dm), Michel Hatzigeorgiou (b), plus Fabian Fiorini (p), Le triton, 29 janvier 2016
Après des aventures musicales et géographiques très variées (autour de l’Afrique, de l’Inde, des Balkans) Aka Moon continue de pratiquer cette sorte de nomadisme musical qui est devenu sa signature. Pour leur dernier projet, ils ont choisi de s’attaquer au continent Scarlatti, décidément source d’inspiration pour les jazzmen (on se souvient du beau disque d’Enrico Pieranunzi en 2008).
Leur lecture de Scarlatti est très libre. Dans leurs compositions, Scarlatti apparaît, disparaît, ou flotte en suspension. Scarlatti sert de matière première à une musique qui peut prendre des accents funk ou franchement rock, ou inspirer des ballades planantes. Les trois compères ne s’interdisent rien, pas même, à certains moments, une relecture littérale de Scarlatti sous les doigts virtuoses du pianiste Fabian Fiorini. Tout se passe comme si Aka Moon avait voulu faire surgir toutes les virtualités de danse, de musique orientale, de comptines folkloriques que l’on trouve chez Scarlatti.
Pour mieux rendre compte de cette musique, peut-être peut-on tenter de décrire le premier morceau. Il commence par une introduction amirable du bassiste Michel Hatzigeorgiou, qui en quelques accords installe une atmosphère recueillie. Le chuintement de ses doigts sur les cordes résonne dans le silence. Ensuite , au saxophone alto, Fabrizio Cassol propose des phrases lyriques et planantes, dont le débit s’accélère peu à peu. Au piano, Fabian Fiorini flirte délicieusement avec la dissonance. La musique devient moins planante, les tournures du saxophones plus répétitives et plus insistantes. Et tout-à-coup, la musique accélère irrésistiblement. Les trois musiciens poussent ensemble dans la même direction, et l’on a le sentiment d’être collé au plafond par l’énergie farouche qui est mise en mouvement.
Le batteur Stéphane Galland est au coeur de cette transe sauvage. Il martyrise impitoyablement ses fûts. Je me dis en l’écoutant que j’ai rarement entendu un batteur frapper aussi fort. Mais ce fou furieux joue aussi fin que fort. C’est un papou qui fait des équations. C’est un barbare avec un doctorat en physique nucléaire. Pour le dire autrement, Stéphane Galland est un maître des polyphonies. Pendant les premiers morceaux , j’essaie de démêler la logique des structures complexes qu’il propose, j’écarquille les oreilles pour tenter de discerner s’il y a un rythme principal et des rythmes secondaires, je compte sur mes doigts, de mains et de pieds, je prends des notes, je fais des calculs, complexes et me perds dans les retenues, à la fin je n’y comprends plus rien, et renonce pour me laisser porter par cette houle océanique qui sort de sa batterie.
Toute la première partie du concert se passe ainsi, avec des phases de tension et de repos, comme dans une sorte de triple-huit musical. Les mérites de Cassol (grand architecte de toute cette musique) et de Galland ne sauraient éclipser les mérites des autres musiciens. Le bassiste, Michel Hatzigeorgiou, fin et subtil, se montre capable aussi d’apporter ses épices aux tourneries diabloliques élaborées par Cassol et Galland. Le rôle du pianiste invité, Fabian Fiorini, est également essentiel.Il arrive à passer en un clin d’oeil de moments déchaînés à la restitution littérale d’une sonate de Scarlatti. A la pause, il ne cache d’ailleurs pas la difficulté de l’exercice: « Quand je dois passer d’ambiance très fortes à des ambiances où tout repose sur le toucher, c’est difficile. J’ai besoin d’un piano pour pouvoir redescendre… ».
Après la première partie, le groupe abandonne Scarlatti pour évoquer les aventures précédentes d’Aka Moon, autour des la musique des Balkans ou des musiques créées pour la danse. On retrouve toujours dans cette deuxième partie ce mouvement de triple huit musical, et si l’on devait émettre une réserve sur la musique proposée par ce groupe ce serait sans doute pour le côté un peu systématique de ce mouvement tension-détente qui semble au coeur de leur musique. Mais pour le reste on est épaté par la générosité de ce groupe qui a proposé deux véritables concerts en une seule soirée. Aka Moon, tout amateur de jazz et de musique vivante doit vivre cela au moins une fois dans sa vie…
Après le concert, on s’entretient avec Pascal Mabit, jeune et brillant saxophoniste du CNSM, admirateur du groupe avec lequel il a déjà suivi deux stages. Pascal Mabit souligne le caractère très pensé de cette musique: « L’une des spécialités de Fabrizio Cassol, ce sont ces métriques qui diminuent progressivement. Il a expérimenté plein de choses, comme par exemple des compositions-miroir qui peuvent être jouées dans un sens comme dans l’autre. Et ça sonne super bien! Par ailleurs, ses compositions ne reposent pas seulement sur une structure mathématique. Fabrizio cassol s’est également beaucoup inspiré du Ye King, un livre de divination chinoise qui explique comment la vie humaine passe par plusieurs phases. Toute son harmonie repose là-dessus… ».
Texte JF Mondot
Dessins AC Alvoët
site www.alvoet.com
Autres dessins visibles au Triton, exposition en cours sur les Femen …et quelques musiciens de jazz.