Jazz Time au Perreux!
Le centre des Bords de Marne du Perreux, renouant avec la tradition des années 80, proposait vendredi et samedi un festival de jazz sur deux jours. La programmation, éclectique et variée, a permis d’entendre une trentaine de musiciens, parmi lesquels Lisa Simone, André Minvielle, le grand ensemble Osiris, le duo Ortie (Elodie pasquier et Grégoire Gensse) et le duo Anthony caillet Christophe Girard.
Anthony Caillet (euphonium, bugle, trompette) et Christophe Girard (accordéon), Smoking mouse duo
Samedi, c’est par un splendide duo que débute la deuxième journée de ce festival. Le jeu d’Anthony Caillet apparaît comme une publicité vivante pour l’euphonium tant il démontre à chaque morceau l’extraordinaire éventail de possibilités de cet instrument. Sur Nebula, morceau éponyme de leur disque (paru chez Klarthe, distribution Harmonia mundi), il fait des merveilles. Son intervention, après une introduction poignante de Christophe Girard est d’une douceur sidérante. Dans les notes qu’il produit, il semble ne garder que l’enveloppe du son. Il émet une série de phrases à la légèreté liquide, comme une symphonie de bulles, avant que le son ne se charpente progressivement. Un peu plus tard (je crois que c’est dans Finish) il explore les possibilités de l’euphonium dans le grave, avec des phrases renforcées par l’accordéon qui joue à l’unisson. Dans un autre morceau, Impedance, on entend l’euphonium s’ébattre dans l’aigu. Cela fait comme des petit serpentins et suggère une forme de fragilité attendrissante. Il y a quelque chose d’émouvant à voir les éléphants (baryton, saxophone basse, tuba ou euphonium) adopter des attitudes de ballerines…
Quand il n’est pas à l’euphonium, Anthony caillet est au bugle et à la trompette. Certes, tous ces instruments relèvent de la même aire linguistique puisqu’ils sont en si bémol, mais passer à l’autre demeure un vrai défi. Anthony Caillet se sort de l’exercice haut la main. Il utilise pleinement le registre de chacun, avec par exemple des aigus fermes et bien tenus à la trompette, et même, sur un ou deux morceaux des effets Wah-Wah (mais sans sourdine) à l’ancienne.
Cette virtuosité instrumentale est mise au service des compositions de l’accordénoniste Christophe Girard. Elles sont d’un lyrisme épuré. On relève beaucoup d’espace dans ces compositions (et dans les improvisations qui les prolongent). Cette dimension lyrique et mélodique forte se double d’une sorte d’urgence qui doit beaucoup à Christophe Girard. C’est lui, qui sans cesse, verse de l’huile sur le feu. Il propulse des lignes de basse ardentes, vibrantes, dynamiques qui obligent Anthony Caillet à donner le meilleur de lui-même. Christophe Girard sait aussi donner du volume à la musique grâce à sa virtuosité polyrythmique. Dans son chorus sur Impedance, il ajoute de nouvelles voix à la main gauche et à la main droite, donnant une dimension orchestrale à cette musique jouée en duo.
Après le concert, on discute quelques minutes avec Anthony Caillet, que l’on interroge sur les avantages et la difficulté de passer d’un instrument à l’autre. Côté avantage, il relève que la pratique de ces différents instruments est comme une « gymnastique mentale »: « Quand je joue de la trompette ou du bugle, il ne faut surtout pas que je pense comme un euphoniste. Il faut que je fasse des phrases dans la logique de chaque instrument; Du coup cela enrichit mon jeu quand je repasse à l’euphonium! ». Et côté difficultés: « La trompette et le bugle n’ont pas les mêmes nécessités physiques que l’euphonium. A l’euphonium il faut une grande quantité d’air, mais à la trompette et au bugle ce qui compte, c’est la vitesse de l’air, Quand je passe de l’euphonium au bugle je me retrouve à faire de longues phrases, le réservoir est toujours plein, mais si je passe de la trompette à l’euphonium, je suis parfois à court d’air! ». Parmi la multitude de projets dans lesquels Anthony Caillet est impliqué, on note un duo avec le fantastique tubiste François Thuillier que l’on peut notamment entendre avec Andy Emler, Jean-Marie Machado ou Patrice Caratini.
Après ces deux splendides musiciens, le festival des bords de Marne proposait un autre duo, le duo Oritie, formé par Elodie Pasquier et Grégoire Gensse.
Grégoire Gensse (piano cru, et piano préparé) Elodie pasquier (clarinette basse, et clarinette)
Le duo Ortie se présente sous une facette presque suave. Grégoire Gensse joue au piano des choses gracieuses, touchantes, presque romantiques tandis qu’Elodie Pasquier explore les frontières du souffle et du timbre à la clarinette basse. On remarque l’intensité de l’écoute entre ces deux musiciens. Puis ça tourne, Grégoire Gensse élabore de nouvelles configurations sonores, en se servant des cordes de son piano, en plaquant des accords énergiques sur le piano, tandis que la clarinette basse de sa partenaire va accrocher des notes aiguës et énonce des phrases plus agressives. On est admiratif de la fluidité avec laquelle les deux musiciens passent d’une situation de jeu à l’autre tout en explorant les frontières de leurs instruments. Elodie Pascquier slappe à la clarinette basse, avant de proposer une sorte de ligne de basse hypnotique qui inspire à Grégoire Gensse l’envie d’investigations dans les entrailles de son piano. Il y introduit des objets divers (balles de ping pong, verres, aimants, élastiques…) et en tire des effets qui ne sont pas seulement insolites ou facétieux mais qui enrichissent véritablement son discours musical. Parfois, son intrument sonne comme un clavecin, parfois comme un jouet d’enfant. Il y a d’ailleurs beaucoup d’enfance dans cette musique, y compris dans les moments lyriques et graves, comme dans ce beau morceau dédié à la mémoire de Jacques Mahieux (voir l’hommage de Franck Bergerot sur ce blog).
Le duo, toujours en mouvement, ne cesse de se réinventer tout au long du concert. Grégoire Gensse plaque des accords qui donnent à la musique une force et une ampleur saisissantes. Quand à Elodie Pasquier, elle délaisse parfois la clarinette basse pour la clarinette. Si à la clarinette basse, elle aime travailler les frontières du timbre et du souffle, à la clarinette c’est presque le contraire. Elle joue sur la plénitude du son. Sans doute sa formation classique transparaît-elle dans le chorus qu’elle délivre, avec des phrases comme des volutes qui voltigent dans le grave et dans l’aigu. C’est le plus beau chorus de clarinette que j’aie entendu depuis bien longtemps. Suivent d’autres configurations de jeu. Dans l’une d’elle, Grégoire gensse joue avec « des boites à Meuh » qu’il a placées dans son piano. Il a réussi à bricoler, je ne sais comment, un moyen pour tenir une note du piano et jouer ainsi tout un passage avec la résonnance de cette note tenue. Décidément, on ne sait jamais ce qui va sortir du piano de Grégoire Gensse. Les deux musiciens d’Ortie livrent une musique à leur image: imprévisible, gaie, poétique, prenante.
Après ces deux concerts de l’après-midi, le festival prévoit encore trois concert différents avec Lisa Simone en apothéose. Il n’y avait pas de voix dans les concerts de l’après-midi, mais la dimension vocale était présente dans les concerts du soir, en particulier avec Antonio Placer et Elena Ledda.
Antonio Placer (voix, textes, compositions) , Elena ledda (voix) , Stracho Temelkovski (basse, guitare, mandoline) gabriele mirabassi (clarinette).
La voix somptueuse d’Antonio Placer a cette capacité d’atteindre directement le coeur des gens. C’est une voix chaude, profonde, vibrante, capable même d’aller sans déchoir du côté du pathos. Une voix contenant tous les sanglots et toutes les colères, capable en outre de saut de registre inattendus où elle va chercher des aigus émouvants. La clarinette de Gabriele Mirabassi lui apporte son soutien. Placer, entre quelques chansons, glisse quelques paroles sur les événements qui secouent le monde (« Je suis riche de deux pays », « Si on regarde en soi, on trouve des tas de migrants »). Il dit aussi, en s’adressant au public: « Sans vous notre présence serait absurde, mais sans nous…votre vie ne serait pas la même! »
Jan Lundgren Trio Jan lundgren (piano), Mattias Svensson (contrebasse), Zoltan Csörsz (batterie)
Le deuxième concert de la soirée est un magnifique trio venu de Scandinavie, que je découvre. C’est un trio piano basse batterie équilibré et allant, qui se caractérise par un swing aussi inaltérable que gracieux, tout en lignes claires. Belle lecture de Round Midnight. Le concert se termine par deux folk song suédoises empreintes d’une nostalgie qui me rappelle Dear Old Stockholm. Mais de manière surprenante la dernière folk song se commue en blues, et même en rythm n’blues. Le concert se finit dans une douce et délicate euphorie. Je choisis ce moment pour m’esbigner, me disant que j’aurai bien des occasions d’ecouter Lisa Simone un autre jour. Le festival me semble avoir réussi un beau défi, celui de proposer un programme attractif et qui ne se coupe pas de la création vivante. Que cette programmation soit due à un musicien comme Jean-Marie Machado n’est évidemment pas un hasard. De quoi donner envie de revenir l’an prochain.
Texte: jf mondot
Photos: JB Millot (Anthony Caillet et Christophe Girard) et Bernard Lazeras (Ortie)
|Le centre des Bords de Marne du Perreux, renouant avec la tradition des années 80, proposait vendredi et samedi un festival de jazz sur deux jours. La programmation, éclectique et variée, a permis d’entendre une trentaine de musiciens, parmi lesquels Lisa Simone, André Minvielle, le grand ensemble Osiris, le duo Ortie (Elodie pasquier et Grégoire Gensse) et le duo Anthony caillet Christophe Girard.
Anthony Caillet (euphonium, bugle, trompette) et Christophe Girard (accordéon), Smoking mouse duo
Samedi, c’est par un splendide duo que débute la deuxième journée de ce festival. Le jeu d’Anthony Caillet apparaît comme une publicité vivante pour l’euphonium tant il démontre à chaque morceau l’extraordinaire éventail de possibilités de cet instrument. Sur Nebula, morceau éponyme de leur disque (paru chez Klarthe, distribution Harmonia mundi), il fait des merveilles. Son intervention, après une introduction poignante de Christophe Girard est d’une douceur sidérante. Dans les notes qu’il produit, il semble ne garder que l’enveloppe du son. Il émet une série de phrases à la légèreté liquide, comme une symphonie de bulles, avant que le son ne se charpente progressivement. Un peu plus tard (je crois que c’est dans Finish) il explore les possibilités de l’euphonium dans le grave, avec des phrases renforcées par l’accordéon qui joue à l’unisson. Dans un autre morceau, Impedance, on entend l’euphonium s’ébattre dans l’aigu. Cela fait comme des petit serpentins et suggère une forme de fragilité attendrissante. Il y a quelque chose d’émouvant à voir les éléphants (baryton, saxophone basse, tuba ou euphonium) adopter des attitudes de ballerines…
Quand il n’est pas à l’euphonium, Anthony caillet est au bugle et à la trompette. Certes, tous ces instruments relèvent de la même aire linguistique puisqu’ils sont en si bémol, mais passer à l’autre demeure un vrai défi. Anthony Caillet se sort de l’exercice haut la main. Il utilise pleinement le registre de chacun, avec par exemple des aigus fermes et bien tenus à la trompette, et même, sur un ou deux morceaux des effets Wah-Wah (mais sans sourdine) à l’ancienne.
Cette virtuosité instrumentale est mise au service des compositions de l’accordénoniste Christophe Girard. Elles sont d’un lyrisme épuré. On relève beaucoup d’espace dans ces compositions (et dans les improvisations qui les prolongent). Cette dimension lyrique et mélodique forte se double d’une sorte d’urgence qui doit beaucoup à Christophe Girard. C’est lui, qui sans cesse, verse de l’huile sur le feu. Il propulse des lignes de basse ardentes, vibrantes, dynamiques qui obligent Anthony Caillet à donner le meilleur de lui-même. Christophe Girard sait aussi donner du volume à la musique grâce à sa virtuosité polyrythmique. Dans son chorus sur Impedance, il ajoute de nouvelles voix à la main gauche et à la main droite, donnant une dimension orchestrale à cette musique jouée en duo.
Après le concert, on discute quelques minutes avec Anthony Caillet, que l’on interroge sur les avantages et la difficulté de passer d’un instrument à l’autre. Côté avantage, il relève que la pratique de ces différents instruments est comme une « gymnastique mentale »: « Quand je joue de la trompette ou du bugle, il ne faut surtout pas que je pense comme un euphoniste. Il faut que je fasse des phrases dans la logique de chaque instrument; Du coup cela enrichit mon jeu quand je repasse à l’euphonium! ». Et côté difficultés: « La trompette et le bugle n’ont pas les mêmes nécessités physiques que l’euphonium. A l’euphonium il faut une grande quantité d’air, mais à la trompette et au bugle ce qui compte, c’est la vitesse de l’air, Quand je passe de l’euphonium au bugle je me retrouve à faire de longues phrases, le réservoir est toujours plein, mais si je passe de la trompette à l’euphonium, je suis parfois à court d’air! ». Parmi la multitude de projets dans lesquels Anthony Caillet est impliqué, on note un duo avec le fantastique tubiste François Thuillier que l’on peut notamment entendre avec Andy Emler, Jean-Marie Machado ou Patrice Caratini.
Après ces deux splendides musiciens, le festival des bords de Marne proposait un autre duo, le duo Oritie, formé par Elodie Pasquier et Grégoire Gensse.
Grégoire Gensse (piano cru, et piano préparé) Elodie pasquier (clarinette basse, et clarinette)
Le duo Ortie se présente sous une facette presque suave. Grégoire Gensse joue au piano des choses gracieuses, touchantes, presque romantiques tandis qu’Elodie Pasquier explore les frontières du souffle et du timbre à la clarinette basse. On remarque l’intensité de l’écoute entre ces deux musiciens. Puis ça tourne, Grégoire Gensse élabore de nouvelles configurations sonores, en se servant des cordes de son piano, en plaquant des accords énergiques sur le piano, tandis que la clarinette basse de sa partenaire va accrocher des notes aiguës et énonce des phrases plus agressives. On est admiratif de la fluidité avec laquelle les deux musiciens passent d’une situation de jeu à l’autre tout en explorant les frontières de leurs instruments. Elodie Pascquier slappe à la clarinette basse, avant de proposer une sorte de ligne de basse hypnotique qui inspire à Grégoire Gensse l’envie d’investigations dans les entrailles de son piano. Il y introduit des objets divers (balles de ping pong, verres, aimants, élastiques…) et en tire des effets qui ne sont pas seulement insolites ou facétieux mais qui enrichissent véritablement son discours musical. Parfois, son intrument sonne comme un clavecin, parfois comme un jouet d’enfant. Il y a d’ailleurs beaucoup d’enfance dans cette musique, y compris dans les moments lyriques et graves, comme dans ce beau morceau dédié à la mémoire de Jacques Mahieux (voir l’hommage de Franck Bergerot sur ce blog).
Le duo, toujours en mouvement, ne cesse de se réinventer tout au long du concert. Grégoire Gensse plaque des accords qui donnent à la musique une force et une ampleur saisissantes. Quand à Elodie Pasquier, elle délaisse parfois la clarinette basse pour la clarinette. Si à la clarinette basse, elle aime travailler les frontières du timbre et du souffle, à la clarinette c’est presque le contraire. Elle joue sur la plénitude du son. Sans doute sa formation classique transparaît-elle dans le chorus qu’elle délivre, avec des phrases comme des volutes qui voltigent dans le grave et dans l’aigu. C’est le plus beau chorus de clarinette que j’aie entendu depuis bien longtemps. Suivent d’autres configurations de jeu. Dans l’une d’elle, Grégoire gensse joue avec « des boites à Meuh » qu’il a placées dans son piano. Il a réussi à bricoler, je ne sais comment, un moyen pour tenir une note du piano et jouer ainsi tout un passage avec la résonnance de cette note tenue. Décidément, on ne sait jamais ce qui va sortir du piano de Grégoire Gensse. Les deux musiciens d’Ortie livrent une musique à leur image: imprévisible, gaie, poétique, prenante.
Après ces deux concerts de l’après-midi, le festival prévoit encore trois concert différents avec Lisa Simone en apothéose. Il n’y avait pas de voix dans les concerts de l’après-midi, mais la dimension vocale était présente dans les concerts du soir, en particulier avec Antonio Placer et Elena Ledda.
Antonio Placer (voix, textes, compositions) , Elena ledda (voix) , Stracho Temelkovski (basse, guitare, mandoline) gabriele mirabassi (clarinette).
La voix somptueuse d’Antonio Placer a cette capacité d’atteindre directement le coeur des gens. C’est une voix chaude, profonde, vibrante, capable même d’aller sans déchoir du côté du pathos. Une voix contenant tous les sanglots et toutes les colères, capable en outre de saut de registre inattendus où elle va chercher des aigus émouvants. La clarinette de Gabriele Mirabassi lui apporte son soutien. Placer, entre quelques chansons, glisse quelques paroles sur les événements qui secouent le monde (« Je suis riche de deux pays », « Si on regarde en soi, on trouve des tas de migrants »). Il dit aussi, en s’adressant au public: « Sans vous notre présence serait absurde, mais sans nous…votre vie ne serait pas la même! »
Jan Lundgren Trio Jan lundgren (piano), Mattias Svensson (contrebasse), Zoltan Csörsz (batterie)
Le deuxième concert de la soirée est un magnifique trio venu de Scandinavie, que je découvre. C’est un trio piano basse batterie équilibré et allant, qui se caractérise par un swing aussi inaltérable que gracieux, tout en lignes claires. Belle lecture de Round Midnight. Le concert se termine par deux folk song suédoises empreintes d’une nostalgie qui me rappelle Dear Old Stockholm. Mais de manière surprenante la dernière folk song se commue en blues, et même en rythm n’blues. Le concert se finit dans une douce et délicate euphorie. Je choisis ce moment pour m’esbigner, me disant que j’aurai bien des occasions d’ecouter Lisa Simone un autre jour. Le festival me semble avoir réussi un beau défi, celui de proposer un programme attractif et qui ne se coupe pas de la création vivante. Que cette programmation soit due à un musicien comme Jean-Marie Machado n’est évidemment pas un hasard. De quoi donner envie de revenir l’an prochain.
Texte: jf mondot
Photos: JB Millot (Anthony Caillet et Christophe Girard) et Bernard Lazeras (Ortie)
|Le centre des Bords de Marne du Perreux, renouant avec la tradition des années 80, proposait vendredi et samedi un festival de jazz sur deux jours. La programmation, éclectique et variée, a permis d’entendre une trentaine de musiciens, parmi lesquels Lisa Simone, André Minvielle, le grand ensemble Osiris, le duo Ortie (Elodie pasquier et Grégoire Gensse) et le duo Anthony caillet Christophe Girard.
Anthony Caillet (euphonium, bugle, trompette) et Christophe Girard (accordéon), Smoking mouse duo
Samedi, c’est par un splendide duo que débute la deuxième journée de ce festival. Le jeu d’Anthony Caillet apparaît comme une publicité vivante pour l’euphonium tant il démontre à chaque morceau l’extraordinaire éventail de possibilités de cet instrument. Sur Nebula, morceau éponyme de leur disque (paru chez Klarthe, distribution Harmonia mundi), il fait des merveilles. Son intervention, après une introduction poignante de Christophe Girard est d’une douceur sidérante. Dans les notes qu’il produit, il semble ne garder que l’enveloppe du son. Il émet une série de phrases à la légèreté liquide, comme une symphonie de bulles, avant que le son ne se charpente progressivement. Un peu plus tard (je crois que c’est dans Finish) il explore les possibilités de l’euphonium dans le grave, avec des phrases renforcées par l’accordéon qui joue à l’unisson. Dans un autre morceau, Impedance, on entend l’euphonium s’ébattre dans l’aigu. Cela fait comme des petit serpentins et suggère une forme de fragilité attendrissante. Il y a quelque chose d’émouvant à voir les éléphants (baryton, saxophone basse, tuba ou euphonium) adopter des attitudes de ballerines…
Quand il n’est pas à l’euphonium, Anthony caillet est au bugle et à la trompette. Certes, tous ces instruments relèvent de la même aire linguistique puisqu’ils sont en si bémol, mais passer à l’autre demeure un vrai défi. Anthony Caillet se sort de l’exercice haut la main. Il utilise pleinement le registre de chacun, avec par exemple des aigus fermes et bien tenus à la trompette, et même, sur un ou deux morceaux des effets Wah-Wah (mais sans sourdine) à l’ancienne.
Cette virtuosité instrumentale est mise au service des compositions de l’accordénoniste Christophe Girard. Elles sont d’un lyrisme épuré. On relève beaucoup d’espace dans ces compositions (et dans les improvisations qui les prolongent). Cette dimension lyrique et mélodique forte se double d’une sorte d’urgence qui doit beaucoup à Christophe Girard. C’est lui, qui sans cesse, verse de l’huile sur le feu. Il propulse des lignes de basse ardentes, vibrantes, dynamiques qui obligent Anthony Caillet à donner le meilleur de lui-même. Christophe Girard sait aussi donner du volume à la musique grâce à sa virtuosité polyrythmique. Dans son chorus sur Impedance, il ajoute de nouvelles voix à la main gauche et à la main droite, donnant une dimension orchestrale à cette musique jouée en duo.
Après le concert, on discute quelques minutes avec Anthony Caillet, que l’on interroge sur les avantages et la difficulté de passer d’un instrument à l’autre. Côté avantage, il relève que la pratique de ces différents instruments est comme une « gymnastique mentale »: « Quand je joue de la trompette ou du bugle, il ne faut surtout pas que je pense comme un euphoniste. Il faut que je fasse des phrases dans la logique de chaque instrument; Du coup cela enrichit mon jeu quand je repasse à l’euphonium! ». Et côté difficultés: « La trompette et le bugle n’ont pas les mêmes nécessités physiques que l’euphonium. A l’euphonium il faut une grande quantité d’air, mais à la trompette et au bugle ce qui compte, c’est la vitesse de l’air, Quand je passe de l’euphonium au bugle je me retrouve à faire de longues phrases, le réservoir est toujours plein, mais si je passe de la trompette à l’euphonium, je suis parfois à court d’air! ». Parmi la multitude de projets dans lesquels Anthony Caillet est impliqué, on note un duo avec le fantastique tubiste François Thuillier que l’on peut notamment entendre avec Andy Emler, Jean-Marie Machado ou Patrice Caratini.
Après ces deux splendides musiciens, le festival des bords de Marne proposait un autre duo, le duo Oritie, formé par Elodie Pasquier et Grégoire Gensse.
Grégoire Gensse (piano cru, et piano préparé) Elodie pasquier (clarinette basse, et clarinette)
Le duo Ortie se présente sous une facette presque suave. Grégoire Gensse joue au piano des choses gracieuses, touchantes, presque romantiques tandis qu’Elodie Pasquier explore les frontières du souffle et du timbre à la clarinette basse. On remarque l’intensité de l’écoute entre ces deux musiciens. Puis ça tourne, Grégoire Gensse élabore de nouvelles configurations sonores, en se servant des cordes de son piano, en plaquant des accords énergiques sur le piano, tandis que la clarinette basse de sa partenaire va accrocher des notes aiguës et énonce des phrases plus agressives. On est admiratif de la fluidité avec laquelle les deux musiciens passent d’une situation de jeu à l’autre tout en explorant les frontières de leurs instruments. Elodie Pascquier slappe à la clarinette basse, avant de proposer une sorte de ligne de basse hypnotique qui inspire à Grégoire Gensse l’envie d’investigations dans les entrailles de son piano. Il y introduit des objets divers (balles de ping pong, verres, aimants, élastiques…) et en tire des effets qui ne sont pas seulement insolites ou facétieux mais qui enrichissent véritablement son discours musical. Parfois, son intrument sonne comme un clavecin, parfois comme un jouet d’enfant. Il y a d’ailleurs beaucoup d’enfance dans cette musique, y compris dans les moments lyriques et graves, comme dans ce beau morceau dédié à la mémoire de Jacques Mahieux (voir l’hommage de Franck Bergerot sur ce blog).
Le duo, toujours en mouvement, ne cesse de se réinventer tout au long du concert. Grégoire Gensse plaque des accords qui donnent à la musique une force et une ampleur saisissantes. Quand à Elodie Pasquier, elle délaisse parfois la clarinette basse pour la clarinette. Si à la clarinette basse, elle aime travailler les frontières du timbre et du souffle, à la clarinette c’est presque le contraire. Elle joue sur la plénitude du son. Sans doute sa formation classique transparaît-elle dans le chorus qu’elle délivre, avec des phrases comme des volutes qui voltigent dans le grave et dans l’aigu. C’est le plus beau chorus de clarinette que j’aie entendu depuis bien longtemps. Suivent d’autres configurations de jeu. Dans l’une d’elle, Grégoire gensse joue avec « des boites à Meuh » qu’il a placées dans son piano. Il a réussi à bricoler, je ne sais comment, un moyen pour tenir une note du piano et jouer ainsi tout un passage avec la résonnance de cette note tenue. Décidément, on ne sait jamais ce qui va sortir du piano de Grégoire Gensse. Les deux musiciens d’Ortie livrent une musique à leur image: imprévisible, gaie, poétique, prenante.
Après ces deux concerts de l’après-midi, le festival prévoit encore trois concert différents avec Lisa Simone en apothéose. Il n’y avait pas de voix dans les concerts de l’après-midi, mais la dimension vocale était présente dans les concerts du soir, en particulier avec Antonio Placer et Elena Ledda.
Antonio Placer (voix, textes, compositions) , Elena ledda (voix) , Stracho Temelkovski (basse, guitare, mandoline) gabriele mirabassi (clarinette).
La voix somptueuse d’Antonio Placer a cette capacité d’atteindre directement le coeur des gens. C’est une voix chaude, profonde, vibrante, capable même d’aller sans déchoir du côté du pathos. Une voix contenant tous les sanglots et toutes les colères, capable en outre de saut de registre inattendus où elle va chercher des aigus émouvants. La clarinette de Gabriele Mirabassi lui apporte son soutien. Placer, entre quelques chansons, glisse quelques paroles sur les événements qui secouent le monde (« Je suis riche de deux pays », « Si on regarde en soi, on trouve des tas de migrants »). Il dit aussi, en s’adressant au public: « Sans vous notre présence serait absurde, mais sans nous…votre vie ne serait pas la même! »
Jan Lundgren Trio Jan lundgren (piano), Mattias Svensson (contrebasse), Zoltan Csörsz (batterie)
Le deuxième concert de la soirée est un magnifique trio venu de Scandinavie, que je découvre. C’est un trio piano basse batterie équilibré et allant, qui se caractérise par un swing aussi inaltérable que gracieux, tout en lignes claires. Belle lecture de Round Midnight. Le concert se termine par deux folk song suédoises empreintes d’une nostalgie qui me rappelle Dear Old Stockholm. Mais de manière surprenante la dernière folk song se commue en blues, et même en rythm n’blues. Le concert se finit dans une douce et délicate euphorie. Je choisis ce moment pour m’esbigner, me disant que j’aurai bien des occasions d’ecouter Lisa Simone un autre jour. Le festival me semble avoir réussi un beau défi, celui de proposer un programme attractif et qui ne se coupe pas de la création vivante. Que cette programmation soit due à un musicien comme Jean-Marie Machado n’est évidemment pas un hasard. De quoi donner envie de revenir l’an prochain.
Texte: jf mondot
Photos: JB Millot (Anthony Caillet et Christophe Girard) et Bernard Lazeras (Ortie)
|Le centre des Bords de Marne du Perreux, renouant avec la tradition des années 80, proposait vendredi et samedi un festival de jazz sur deux jours. La programmation, éclectique et variée, a permis d’entendre une trentaine de musiciens, parmi lesquels Lisa Simone, André Minvielle, le grand ensemble Osiris, le duo Ortie (Elodie pasquier et Grégoire Gensse) et le duo Anthony caillet Christophe Girard.
Anthony Caillet (euphonium, bugle, trompette) et Christophe Girard (accordéon), Smoking mouse duo
Samedi, c’est par un splendide duo que débute la deuxième journée de ce festival. Le jeu d’Anthony Caillet apparaît comme une publicité vivante pour l’euphonium tant il démontre à chaque morceau l’extraordinaire éventail de possibilités de cet instrument. Sur Nebula, morceau éponyme de leur disque (paru chez Klarthe, distribution Harmonia mundi), il fait des merveilles. Son intervention, après une introduction poignante de Christophe Girard est d’une douceur sidérante. Dans les notes qu’il produit, il semble ne garder que l’enveloppe du son. Il émet une série de phrases à la légèreté liquide, comme une symphonie de bulles, avant que le son ne se charpente progressivement. Un peu plus tard (je crois que c’est dans Finish) il explore les possibilités de l’euphonium dans le grave, avec des phrases renforcées par l’accordéon qui joue à l’unisson. Dans un autre morceau, Impedance, on entend l’euphonium s’ébattre dans l’aigu. Cela fait comme des petit serpentins et suggère une forme de fragilité attendrissante. Il y a quelque chose d’émouvant à voir les éléphants (baryton, saxophone basse, tuba ou euphonium) adopter des attitudes de ballerines…
Quand il n’est pas à l’euphonium, Anthony caillet est au bugle et à la trompette. Certes, tous ces instruments relèvent de la même aire linguistique puisqu’ils sont en si bémol, mais passer à l’autre demeure un vrai défi. Anthony Caillet se sort de l’exercice haut la main. Il utilise pleinement le registre de chacun, avec par exemple des aigus fermes et bien tenus à la trompette, et même, sur un ou deux morceaux des effets Wah-Wah (mais sans sourdine) à l’ancienne.
Cette virtuosité instrumentale est mise au service des compositions de l’accordénoniste Christophe Girard. Elles sont d’un lyrisme épuré. On relève beaucoup d’espace dans ces compositions (et dans les improvisations qui les prolongent). Cette dimension lyrique et mélodique forte se double d’une sorte d’urgence qui doit beaucoup à Christophe Girard. C’est lui, qui sans cesse, verse de l’huile sur le feu. Il propulse des lignes de basse ardentes, vibrantes, dynamiques qui obligent Anthony Caillet à donner le meilleur de lui-même. Christophe Girard sait aussi donner du volume à la musique grâce à sa virtuosité polyrythmique. Dans son chorus sur Impedance, il ajoute de nouvelles voix à la main gauche et à la main droite, donnant une dimension orchestrale à cette musique jouée en duo.
Après le concert, on discute quelques minutes avec Anthony Caillet, que l’on interroge sur les avantages et la difficulté de passer d’un instrument à l’autre. Côté avantage, il relève que la pratique de ces différents instruments est comme une « gymnastique mentale »: « Quand je joue de la trompette ou du bugle, il ne faut surtout pas que je pense comme un euphoniste. Il faut que je fasse des phrases dans la logique de chaque instrument; Du coup cela enrichit mon jeu quand je repasse à l’euphonium! ». Et côté difficultés: « La trompette et le bugle n’ont pas les mêmes nécessités physiques que l’euphonium. A l’euphonium il faut une grande quantité d’air, mais à la trompette et au bugle ce qui compte, c’est la vitesse de l’air, Quand je passe de l’euphonium au bugle je me retrouve à faire de longues phrases, le réservoir est toujours plein, mais si je passe de la trompette à l’euphonium, je suis parfois à court d’air! ». Parmi la multitude de projets dans lesquels Anthony Caillet est impliqué, on note un duo avec le fantastique tubiste François Thuillier que l’on peut notamment entendre avec Andy Emler, Jean-Marie Machado ou Patrice Caratini.
Après ces deux splendides musiciens, le festival des bords de Marne proposait un autre duo, le duo Oritie, formé par Elodie Pasquier et Grégoire Gensse.
Grégoire Gensse (piano cru, et piano préparé) Elodie pasquier (clarinette basse, et clarinette)
Le duo Ortie se présente sous une facette presque suave. Grégoire Gensse joue au piano des choses gracieuses, touchantes, presque romantiques tandis qu’Elodie Pasquier explore les frontières du souffle et du timbre à la clarinette basse. On remarque l’intensité de l’écoute entre ces deux musiciens. Puis ça tourne, Grégoire Gensse élabore de nouvelles configurations sonores, en se servant des cordes de son piano, en plaquant des accords énergiques sur le piano, tandis que la clarinette basse de sa partenaire va accrocher des notes aiguës et énonce des phrases plus agressives. On est admiratif de la fluidité avec laquelle les deux musiciens passent d’une situation de jeu à l’autre tout en explorant les frontières de leurs instruments. Elodie Pascquier slappe à la clarinette basse, avant de proposer une sorte de ligne de basse hypnotique qui inspire à Grégoire Gensse l’envie d’investigations dans les entrailles de son piano. Il y introduit des objets divers (balles de ping pong, verres, aimants, élastiques…) et en tire des effets qui ne sont pas seulement insolites ou facétieux mais qui enrichissent véritablement son discours musical. Parfois, son intrument sonne comme un clavecin, parfois comme un jouet d’enfant. Il y a d’ailleurs beaucoup d’enfance dans cette musique, y compris dans les moments lyriques et graves, comme dans ce beau morceau dédié à la mémoire de Jacques Mahieux (voir l’hommage de Franck Bergerot sur ce blog).
Le duo, toujours en mouvement, ne cesse de se réinventer tout au long du concert. Grégoire Gensse plaque des accords qui donnent à la musique une force et une ampleur saisissantes. Quand à Elodie Pasquier, elle délaisse parfois la clarinette basse pour la clarinette. Si à la clarinette basse, elle aime travailler les frontières du timbre et du souffle, à la clarinette c’est presque le contraire. Elle joue sur la plénitude du son. Sans doute sa formation classique transparaît-elle dans le chorus qu’elle délivre, avec des phrases comme des volutes qui voltigent dans le grave et dans l’aigu. C’est le plus beau chorus de clarinette que j’aie entendu depuis bien longtemps. Suivent d’autres configurations de jeu. Dans l’une d’elle, Grégoire gensse joue avec « des boites à Meuh » qu’il a placées dans son piano. Il a réussi à bricoler, je ne sais comment, un moyen pour tenir une note du piano et jouer ainsi tout un passage avec la résonnance de cette note tenue. Décidément, on ne sait jamais ce qui va sortir du piano de Grégoire Gensse. Les deux musiciens d’Ortie livrent une musique à leur image: imprévisible, gaie, poétique, prenante.
Après ces deux concerts de l’après-midi, le festival prévoit encore trois concert différents avec Lisa Simone en apothéose. Il n’y avait pas de voix dans les concerts de l’après-midi, mais la dimension vocale était présente dans les concerts du soir, en particulier avec Antonio Placer et Elena Ledda.
Antonio Placer (voix, textes, compositions) , Elena ledda (voix) , Stracho Temelkovski (basse, guitare, mandoline) gabriele mirabassi (clarinette).
La voix somptueuse d’Antonio Placer a cette capacité d’atteindre directement le coeur des gens. C’est une voix chaude, profonde, vibrante, capable même d’aller sans déchoir du côté du pathos. Une voix contenant tous les sanglots et toutes les colères, capable en outre de saut de registre inattendus où elle va chercher des aigus émouvants. La clarinette de Gabriele Mirabassi lui apporte son soutien. Placer, entre quelques chansons, glisse quelques paroles sur les événements qui secouent le monde (« Je suis riche de deux pays », « Si on regarde en soi, on trouve des tas de migrants »). Il dit aussi, en s’adressant au public: « Sans vous notre présence serait absurde, mais sans nous…votre vie ne serait pas la même! »
Jan Lundgren Trio Jan lundgren (piano), Mattias Svensson (contrebasse), Zoltan Csörsz (batterie)
Le deuxième concert de la soirée est un magnifique trio venu de Scandinavie, que je découvre. C’est un trio piano basse batterie équilibré et allant, qui se caractérise par un swing aussi inaltérable que gracieux, tout en lignes claires. Belle lecture de Round Midnight. Le concert se termine par deux folk song suédoises empreintes d’une nostalgie qui me rappelle Dear Old Stockholm. Mais de manière surprenante la dernière folk song se commue en blues, et même en rythm n’blues. Le concert se finit dans une douce et délicate euphorie. Je choisis ce moment pour m’esbigner, me disant que j’aurai bien des occasions d’ecouter Lisa Simone un autre jour. Le festival me semble avoir réussi un beau défi, celui de proposer un programme attractif et qui ne se coupe pas de la création vivante. Que cette programmation soit due à un musicien comme Jean-Marie Machado n’est évidemment pas un hasard. De quoi donner envie de revenir l’an prochain.
Texte: jf mondot
Photos: JB Millot (Anthony Caillet et Christophe Girard) et Bernard Lazeras (Ortie)