Otis Taylor chez lui au New Morning
Hier, 18 mars, le chanteur de blues Otis Taylor chantait au New Morning, moins mystérieux que par le passé, plus familier, d’une décontraction déconcertante devant un public ami, et néanmoins toujours aussi charismatique.
New Morning, Paris (75), le 18 mars 2016.
Otis Taylor (chant, guitare-banjo 5 cordes électrique, guitares), Anne Harris, Miles Brett (violon), Todd Edmunds (basse), Larry Thompson (batterie).
Je pourrais reprendre de larges portions de mon compte rendu rédigé dans la nuit du 21 au 22 septembre 2012, au sortir d’un concert d’Otis Taylor à Rennes. Faute d’être spécialiste du blues, mon observation candide resituait le personnage parmi des générations de “bluesmen historiens” (de Taj Mahal à Eric Bibb) d’un genre qui ne serait plus qu’un conservatoire d’une tradition finie, mais je m’étonnais de la puissance d’incarnation d’Otis Taylor, d’une espèce de légitimité sourde et sauvage (« Sauvage ! Sauvage ! », il s’amusera devant le public du New Morning de cette adjectif que lui a collé la presse, le programme de 2012 le présentant « tel un ours bourru »), d’un enracinement profond dans ces terres fangeuses qui longent le Mississippi de Memphis à New Orleans, mais dont il fait déborder les eaux sur tout le territoire américain, la fameuse Americana, voire jusqu’en Afrique. Car cette Afrique dont il est aujourd’hui de bon ton de nouer des liens faits de bric et de broc avec le Delta, il la convoque de la manière la plus sûre qui soit, à travers sa pratique du banjo, seul instrument de la diaspora africaine qui ait subsisté aux USA (au point d’être récupéré par la paysannerie blanche de la côte Est, puis par la bourgeoisie des villes), ce banjo qui fut le premier instrument d’Otis Taylor, auquel il consacra même un disque manifeste “Recapturing the Banjo”.
Une information que je n’avais pas pris la peine de saisir à l’heure de mon premier compte rendu nocturne, pas plus que je n’avais vérifié son âge (il est né en 1948, six ans après Taj Mahal). Ni son origine : il est de Chicago, mais a grandi à Denver, dans le Colorado bien loin des grands axes du blues, où il a cependant eu la chance de jammer (le 14 février 1968 nous apprend le programme du New Morning) avec Jimi Hendrix, sur Hey Joe qui n’a plus quitté son répertoire (et qu’il a encore repris hier et sur son dernier album “Hery Joe Opus Red Meat”). J’apprends encore qu’il vécut à Londres, flirta avec le rock abandonna, le métier en 1977 pour celui de brocanteur pour n’y revenir qu’en 1995.
Il commence donc son concert avec ce qui a toutes les allures d’une guitare électrique mais équipée de 4 cordes dont une chanterelle au-dessus de la corde grave, montée au milieu du manche, donc comme un banjo cinq cordes. Il en use avec des gestes iconoclastes, mêlant l’antique frailing (strumming, bum-ditty) des premiers banjos (brossage des cordes du revers de la main dans un mouvement d’ouverture des doigts vers le bas, en alternance avec le pouce battant la chanterele) et le picking (les doigts pinçant les cordes en remontant vers l’intérieur de la main), sur des harmonies évoquant moins précisément le blues que le vaste melting pot “americana” et surtout le Mali. Le geste est frustre – dans ses interviews, il ne s’en cache pas, affichant un autodidactisme résolu et un profond manque d’intérêt pour les questions techniques, sauf lorsqu’il s’agit d’évoquer l’origine africaine du banjo –, mais le toucher est sensuel, le son profond, l’attaque intense qui peut survenir comme le soudain coup de patte d’un félin calin.
Il changera plusieurs fois d’instruments, l’harmonica qui lui permettra une petite promenade parmi le public, et deux authentiques guitares électriques, la première accordée, m’a-t-il semblé de façon conventionnelle, et l’autre en open tuning, perdant sur l’une et l’autre sa touche malienne, mais toujours dans cet entre-deux où l’accent du blues se mêle aux vieux idiomes anglo-celtiques d’où émergea l’appalachian old time style, le blugrass, la country music. À chaque changement d’instruments, voir le temps de réparer une panne de pédale, il donne la parole à l’un de ses deux violonistes, car à Anne Harris s’est ajouté Miles Brett qui s’est substitué au guitariste Shaw Stachurski entendu à Rennes. La gestuelle d’Anne Harris évoque toujours la vieille école chorégraphique de Katerine Dunham, son violon hésitant entre l’âpreté du jeu appalachien double cordes (notamment dans une fervente version d’Amazing Grace) et une style à la candeur rhapsodisante. Le geste de Miles Brett est plus enraciné dans le blues, avec une touche plus que jazzy dans l’improvisation, réincarnation rajeunie du vieux Papa John Creach autrefois adopté par Jefferson Airplane et Hot Tuna. La rythmique reste la même, d’une efficacité redoutable, au service de cette dynamique énorme entretenue par cette voix capable de passer de tendres falsetto pianissimo et de soudains rugissements, tout comme la soudaine attaque d’un puissant groove électrique interrompt un délicat frailing.
Ce qui change vraiment par rapport à Rennes, c’est l’attitude du chanteur. Certes, persiste une présence presque débonnaire dans le caractère informel de l’entrée sur scène, d’enchaîner les morceaux , d’hésiter entre chacun d’eux, etc., mais le concert de Rennes avait quelque chose de rituel, de magique, une sorte de célébration. Hier, au New Morning, Otis salua une salle et un public qu’il connaît désormais bien, le public parisien festif, indiscipliné, bruyant, voire insolent, qu’il aborde avec un sourire complice, répondant à son attente et sollicitant son adhésion, voire sa participation, orchestrant par exemple une polyphonie de « Chut ! » tandis qu’une partie du public proteste aux conversations à voix hautes venue du fond de la salle. Plus entertainer que sorcier, désacralisant le feeling du blues par un clin d’œil complice lorsqu’il improvise : « I got the blues in Chicago… sometimes… in New York City too. » en début d’un morceau dont on n’est pas certain qu’il sache bien ce qu’il va être. D’où une prestation déstabilisante où une décontraction frisant la désinvolture peut se superposer de manière quasi simultanée à un engagement pourvoyeur d’authentiques moments de transe. Franck Bergerot
Otis Taylor est à retrouver ce soir 19 mars au Théâtre Jacques Prévert dans le cadre de la Semaine du blues d’Aulnay-sous-Bois, le 21 à l’Epicerie moderne de Feyzin en région lyonnaise, le 25 avril à Marseille (Cri du Port), le 27 à Saint-Raphaël (Théâtre Félix Martin), le 28 à La Ravoire (Centre Culturel Jean Blanc), le 29 à Calais (Beautiful Swamp Blues Festival), le 30 à Langres (L’épicerie).
Quant aux Parisiens lecteurs de Jazzmag, ils ne manqueront pas de revenir au New Morning lundi prochain, 21 mars, pour le quartette de Chris Potter (David Virelles, Joe Martin, Kush Abadey) et le 22 pour The Cookers (Eddie Henderson, David Weiss, Donald Harrison, Billy Harper, George Cables, Cecil McBee et Billy Hart).
|Hier, 18 mars, le chanteur de blues Otis Taylor chantait au New Morning, moins mystérieux que par le passé, plus familier, d’une décontraction déconcertante devant un public ami, et néanmoins toujours aussi charismatique.
New Morning, Paris (75), le 18 mars 2016.
Otis Taylor (chant, guitare-banjo 5 cordes électrique, guitares), Anne Harris, Miles Brett (violon), Todd Edmunds (basse), Larry Thompson (batterie).
Je pourrais reprendre de larges portions de mon compte rendu rédigé dans la nuit du 21 au 22 septembre 2012, au sortir d’un concert d’Otis Taylor à Rennes. Faute d’être spécialiste du blues, mon observation candide resituait le personnage parmi des générations de “bluesmen historiens” (de Taj Mahal à Eric Bibb) d’un genre qui ne serait plus qu’un conservatoire d’une tradition finie, mais je m’étonnais de la puissance d’incarnation d’Otis Taylor, d’une espèce de légitimité sourde et sauvage (« Sauvage ! Sauvage ! », il s’amusera devant le public du New Morning de cette adjectif que lui a collé la presse, le programme de 2012 le présentant « tel un ours bourru »), d’un enracinement profond dans ces terres fangeuses qui longent le Mississippi de Memphis à New Orleans, mais dont il fait déborder les eaux sur tout le territoire américain, la fameuse Americana, voire jusqu’en Afrique. Car cette Afrique dont il est aujourd’hui de bon ton de nouer des liens faits de bric et de broc avec le Delta, il la convoque de la manière la plus sûre qui soit, à travers sa pratique du banjo, seul instrument de la diaspora africaine qui ait subsisté aux USA (au point d’être récupéré par la paysannerie blanche de la côte Est, puis par la bourgeoisie des villes), ce banjo qui fut le premier instrument d’Otis Taylor, auquel il consacra même un disque manifeste “Recapturing the Banjo”.
Une information que je n’avais pas pris la peine de saisir à l’heure de mon premier compte rendu nocturne, pas plus que je n’avais vérifié son âge (il est né en 1948, six ans après Taj Mahal). Ni son origine : il est de Chicago, mais a grandi à Denver, dans le Colorado bien loin des grands axes du blues, où il a cependant eu la chance de jammer (le 14 février 1968 nous apprend le programme du New Morning) avec Jimi Hendrix, sur Hey Joe qui n’a plus quitté son répertoire (et qu’il a encore repris hier et sur son dernier album “Hery Joe Opus Red Meat”). J’apprends encore qu’il vécut à Londres, flirta avec le rock abandonna, le métier en 1977 pour celui de brocanteur pour n’y revenir qu’en 1995.
Il commence donc son concert avec ce qui a toutes les allures d’une guitare électrique mais équipée de 4 cordes dont une chanterelle au-dessus de la corde grave, montée au milieu du manche, donc comme un banjo cinq cordes. Il en use avec des gestes iconoclastes, mêlant l’antique frailing (strumming, bum-ditty) des premiers banjos (brossage des cordes du revers de la main dans un mouvement d’ouverture des doigts vers le bas, en alternance avec le pouce battant la chanterele) et le picking (les doigts pinçant les cordes en remontant vers l’intérieur de la main), sur des harmonies évoquant moins précisément le blues que le vaste melting pot “americana” et surtout le Mali. Le geste est frustre – dans ses interviews, il ne s’en cache pas, affichant un autodidactisme résolu et un profond manque d’intérêt pour les questions techniques, sauf lorsqu’il s’agit d’évoquer l’origine africaine du banjo –, mais le toucher est sensuel, le son profond, l’attaque intense qui peut survenir comme le soudain coup de patte d’un félin calin.
Il changera plusieurs fois d’instruments, l’harmonica qui lui permettra une petite promenade parmi le public, et deux authentiques guitares électriques, la première accordée, m’a-t-il semblé de façon conventionnelle, et l’autre en open tuning, perdant sur l’une et l’autre sa touche malienne, mais toujours dans cet entre-deux où l’accent du blues se mêle aux vieux idiomes anglo-celtiques d’où émergea l’appalachian old time style, le blugrass, la country music. À chaque changement d’instruments, voir le temps de réparer une panne de pédale, il donne la parole à l’un de ses deux violonistes, car à Anne Harris s’est ajouté Miles Brett qui s’est substitué au guitariste Shaw Stachurski entendu à Rennes. La gestuelle d’Anne Harris évoque toujours la vieille école chorégraphique de Katerine Dunham, son violon hésitant entre l’âpreté du jeu appalachien double cordes (notamment dans une fervente version d’Amazing Grace) et une style à la candeur rhapsodisante. Le geste de Miles Brett est plus enraciné dans le blues, avec une touche plus que jazzy dans l’improvisation, réincarnation rajeunie du vieux Papa John Creach autrefois adopté par Jefferson Airplane et Hot Tuna. La rythmique reste la même, d’une efficacité redoutable, au service de cette dynamique énorme entretenue par cette voix capable de passer de tendres falsetto pianissimo et de soudains rugissements, tout comme la soudaine attaque d’un puissant groove électrique interrompt un délicat frailing.
Ce qui change vraiment par rapport à Rennes, c’est l’attitude du chanteur. Certes, persiste une présence presque débonnaire dans le caractère informel de l’entrée sur scène, d’enchaîner les morceaux , d’hésiter entre chacun d’eux, etc., mais le concert de Rennes avait quelque chose de rituel, de magique, une sorte de célébration. Hier, au New Morning, Otis salua une salle et un public qu’il connaît désormais bien, le public parisien festif, indiscipliné, bruyant, voire insolent, qu’il aborde avec un sourire complice, répondant à son attente et sollicitant son adhésion, voire sa participation, orchestrant par exemple une polyphonie de « Chut ! » tandis qu’une partie du public proteste aux conversations à voix hautes venue du fond de la salle. Plus entertainer que sorcier, désacralisant le feeling du blues par un clin d’œil complice lorsqu’il improvise : « I got the blues in Chicago… sometimes… in New York City too. » en début d’un morceau dont on n’est pas certain qu’il sache bien ce qu’il va être. D’où une prestation déstabilisante où une décontraction frisant la désinvolture peut se superposer de manière quasi simultanée à un engagement pourvoyeur d’authentiques moments de transe. Franck Bergerot
Otis Taylor est à retrouver ce soir 19 mars au Théâtre Jacques Prévert dans le cadre de la Semaine du blues d’Aulnay-sous-Bois, le 21 à l’Epicerie moderne de Feyzin en région lyonnaise, le 25 avril à Marseille (Cri du Port), le 27 à Saint-Raphaël (Théâtre Félix Martin), le 28 à La Ravoire (Centre Culturel Jean Blanc), le 29 à Calais (Beautiful Swamp Blues Festival), le 30 à Langres (L’épicerie).
Quant aux Parisiens lecteurs de Jazzmag, ils ne manqueront pas de revenir au New Morning lundi prochain, 21 mars, pour le quartette de Chris Potter (David Virelles, Joe Martin, Kush Abadey) et le 22 pour The Cookers (Eddie Henderson, David Weiss, Donald Harrison, Billy Harper, George Cables, Cecil McBee et Billy Hart).
|Hier, 18 mars, le chanteur de blues Otis Taylor chantait au New Morning, moins mystérieux que par le passé, plus familier, d’une décontraction déconcertante devant un public ami, et néanmoins toujours aussi charismatique.
New Morning, Paris (75), le 18 mars 2016.
Otis Taylor (chant, guitare-banjo 5 cordes électrique, guitares), Anne Harris, Miles Brett (violon), Todd Edmunds (basse), Larry Thompson (batterie).
Je pourrais reprendre de larges portions de mon compte rendu rédigé dans la nuit du 21 au 22 septembre 2012, au sortir d’un concert d’Otis Taylor à Rennes. Faute d’être spécialiste du blues, mon observation candide resituait le personnage parmi des générations de “bluesmen historiens” (de Taj Mahal à Eric Bibb) d’un genre qui ne serait plus qu’un conservatoire d’une tradition finie, mais je m’étonnais de la puissance d’incarnation d’Otis Taylor, d’une espèce de légitimité sourde et sauvage (« Sauvage ! Sauvage ! », il s’amusera devant le public du New Morning de cette adjectif que lui a collé la presse, le programme de 2012 le présentant « tel un ours bourru »), d’un enracinement profond dans ces terres fangeuses qui longent le Mississippi de Memphis à New Orleans, mais dont il fait déborder les eaux sur tout le territoire américain, la fameuse Americana, voire jusqu’en Afrique. Car cette Afrique dont il est aujourd’hui de bon ton de nouer des liens faits de bric et de broc avec le Delta, il la convoque de la manière la plus sûre qui soit, à travers sa pratique du banjo, seul instrument de la diaspora africaine qui ait subsisté aux USA (au point d’être récupéré par la paysannerie blanche de la côte Est, puis par la bourgeoisie des villes), ce banjo qui fut le premier instrument d’Otis Taylor, auquel il consacra même un disque manifeste “Recapturing the Banjo”.
Une information que je n’avais pas pris la peine de saisir à l’heure de mon premier compte rendu nocturne, pas plus que je n’avais vérifié son âge (il est né en 1948, six ans après Taj Mahal). Ni son origine : il est de Chicago, mais a grandi à Denver, dans le Colorado bien loin des grands axes du blues, où il a cependant eu la chance de jammer (le 14 février 1968 nous apprend le programme du New Morning) avec Jimi Hendrix, sur Hey Joe qui n’a plus quitté son répertoire (et qu’il a encore repris hier et sur son dernier album “Hery Joe Opus Red Meat”). J’apprends encore qu’il vécut à Londres, flirta avec le rock abandonna, le métier en 1977 pour celui de brocanteur pour n’y revenir qu’en 1995.
Il commence donc son concert avec ce qui a toutes les allures d’une guitare électrique mais équipée de 4 cordes dont une chanterelle au-dessus de la corde grave, montée au milieu du manche, donc comme un banjo cinq cordes. Il en use avec des gestes iconoclastes, mêlant l’antique frailing (strumming, bum-ditty) des premiers banjos (brossage des cordes du revers de la main dans un mouvement d’ouverture des doigts vers le bas, en alternance avec le pouce battant la chanterele) et le picking (les doigts pinçant les cordes en remontant vers l’intérieur de la main), sur des harmonies évoquant moins précisément le blues que le vaste melting pot “americana” et surtout le Mali. Le geste est frustre – dans ses interviews, il ne s’en cache pas, affichant un autodidactisme résolu et un profond manque d’intérêt pour les questions techniques, sauf lorsqu’il s’agit d’évoquer l’origine africaine du banjo –, mais le toucher est sensuel, le son profond, l’attaque intense qui peut survenir comme le soudain coup de patte d’un félin calin.
Il changera plusieurs fois d’instruments, l’harmonica qui lui permettra une petite promenade parmi le public, et deux authentiques guitares électriques, la première accordée, m’a-t-il semblé de façon conventionnelle, et l’autre en open tuning, perdant sur l’une et l’autre sa touche malienne, mais toujours dans cet entre-deux où l’accent du blues se mêle aux vieux idiomes anglo-celtiques d’où émergea l’appalachian old time style, le blugrass, la country music. À chaque changement d’instruments, voir le temps de réparer une panne de pédale, il donne la parole à l’un de ses deux violonistes, car à Anne Harris s’est ajouté Miles Brett qui s’est substitué au guitariste Shaw Stachurski entendu à Rennes. La gestuelle d’Anne Harris évoque toujours la vieille école chorégraphique de Katerine Dunham, son violon hésitant entre l’âpreté du jeu appalachien double cordes (notamment dans une fervente version d’Amazing Grace) et une style à la candeur rhapsodisante. Le geste de Miles Brett est plus enraciné dans le blues, avec une touche plus que jazzy dans l’improvisation, réincarnation rajeunie du vieux Papa John Creach autrefois adopté par Jefferson Airplane et Hot Tuna. La rythmique reste la même, d’une efficacité redoutable, au service de cette dynamique énorme entretenue par cette voix capable de passer de tendres falsetto pianissimo et de soudains rugissements, tout comme la soudaine attaque d’un puissant groove électrique interrompt un délicat frailing.
Ce qui change vraiment par rapport à Rennes, c’est l’attitude du chanteur. Certes, persiste une présence presque débonnaire dans le caractère informel de l’entrée sur scène, d’enchaîner les morceaux , d’hésiter entre chacun d’eux, etc., mais le concert de Rennes avait quelque chose de rituel, de magique, une sorte de célébration. Hier, au New Morning, Otis salua une salle et un public qu’il connaît désormais bien, le public parisien festif, indiscipliné, bruyant, voire insolent, qu’il aborde avec un sourire complice, répondant à son attente et sollicitant son adhésion, voire sa participation, orchestrant par exemple une polyphonie de « Chut ! » tandis qu’une partie du public proteste aux conversations à voix hautes venue du fond de la salle. Plus entertainer que sorcier, désacralisant le feeling du blues par un clin d’œil complice lorsqu’il improvise : « I got the blues in Chicago… sometimes… in New York City too. » en début d’un morceau dont on n’est pas certain qu’il sache bien ce qu’il va être. D’où une prestation déstabilisante où une décontraction frisant la désinvolture peut se superposer de manière quasi simultanée à un engagement pourvoyeur d’authentiques moments de transe. Franck Bergerot
Otis Taylor est à retrouver ce soir 19 mars au Théâtre Jacques Prévert dans le cadre de la Semaine du blues d’Aulnay-sous-Bois, le 21 à l’Epicerie moderne de Feyzin en région lyonnaise, le 25 avril à Marseille (Cri du Port), le 27 à Saint-Raphaël (Théâtre Félix Martin), le 28 à La Ravoire (Centre Culturel Jean Blanc), le 29 à Calais (Beautiful Swamp Blues Festival), le 30 à Langres (L’épicerie).
Quant aux Parisiens lecteurs de Jazzmag, ils ne manqueront pas de revenir au New Morning lundi prochain, 21 mars, pour le quartette de Chris Potter (David Virelles, Joe Martin, Kush Abadey) et le 22 pour The Cookers (Eddie Henderson, David Weiss, Donald Harrison, Billy Harper, George Cables, Cecil McBee et Billy Hart).
|Hier, 18 mars, le chanteur de blues Otis Taylor chantait au New Morning, moins mystérieux que par le passé, plus familier, d’une décontraction déconcertante devant un public ami, et néanmoins toujours aussi charismatique.
New Morning, Paris (75), le 18 mars 2016.
Otis Taylor (chant, guitare-banjo 5 cordes électrique, guitares), Anne Harris, Miles Brett (violon), Todd Edmunds (basse), Larry Thompson (batterie).
Je pourrais reprendre de larges portions de mon compte rendu rédigé dans la nuit du 21 au 22 septembre 2012, au sortir d’un concert d’Otis Taylor à Rennes. Faute d’être spécialiste du blues, mon observation candide resituait le personnage parmi des générations de “bluesmen historiens” (de Taj Mahal à Eric Bibb) d’un genre qui ne serait plus qu’un conservatoire d’une tradition finie, mais je m’étonnais de la puissance d’incarnation d’Otis Taylor, d’une espèce de légitimité sourde et sauvage (« Sauvage ! Sauvage ! », il s’amusera devant le public du New Morning de cette adjectif que lui a collé la presse, le programme de 2012 le présentant « tel un ours bourru »), d’un enracinement profond dans ces terres fangeuses qui longent le Mississippi de Memphis à New Orleans, mais dont il fait déborder les eaux sur tout le territoire américain, la fameuse Americana, voire jusqu’en Afrique. Car cette Afrique dont il est aujourd’hui de bon ton de nouer des liens faits de bric et de broc avec le Delta, il la convoque de la manière la plus sûre qui soit, à travers sa pratique du banjo, seul instrument de la diaspora africaine qui ait subsisté aux USA (au point d’être récupéré par la paysannerie blanche de la côte Est, puis par la bourgeoisie des villes), ce banjo qui fut le premier instrument d’Otis Taylor, auquel il consacra même un disque manifeste “Recapturing the Banjo”.
Une information que je n’avais pas pris la peine de saisir à l’heure de mon premier compte rendu nocturne, pas plus que je n’avais vérifié son âge (il est né en 1948, six ans après Taj Mahal). Ni son origine : il est de Chicago, mais a grandi à Denver, dans le Colorado bien loin des grands axes du blues, où il a cependant eu la chance de jammer (le 14 février 1968 nous apprend le programme du New Morning) avec Jimi Hendrix, sur Hey Joe qui n’a plus quitté son répertoire (et qu’il a encore repris hier et sur son dernier album “Hery Joe Opus Red Meat”). J’apprends encore qu’il vécut à Londres, flirta avec le rock abandonna, le métier en 1977 pour celui de brocanteur pour n’y revenir qu’en 1995.
Il commence donc son concert avec ce qui a toutes les allures d’une guitare électrique mais équipée de 4 cordes dont une chanterelle au-dessus de la corde grave, montée au milieu du manche, donc comme un banjo cinq cordes. Il en use avec des gestes iconoclastes, mêlant l’antique frailing (strumming, bum-ditty) des premiers banjos (brossage des cordes du revers de la main dans un mouvement d’ouverture des doigts vers le bas, en alternance avec le pouce battant la chanterele) et le picking (les doigts pinçant les cordes en remontant vers l’intérieur de la main), sur des harmonies évoquant moins précisément le blues que le vaste melting pot “americana” et surtout le Mali. Le geste est frustre – dans ses interviews, il ne s’en cache pas, affichant un autodidactisme résolu et un profond manque d’intérêt pour les questions techniques, sauf lorsqu’il s’agit d’évoquer l’origine africaine du banjo –, mais le toucher est sensuel, le son profond, l’attaque intense qui peut survenir comme le soudain coup de patte d’un félin calin.
Il changera plusieurs fois d’instruments, l’harmonica qui lui permettra une petite promenade parmi le public, et deux authentiques guitares électriques, la première accordée, m’a-t-il semblé de façon conventionnelle, et l’autre en open tuning, perdant sur l’une et l’autre sa touche malienne, mais toujours dans cet entre-deux où l’accent du blues se mêle aux vieux idiomes anglo-celtiques d’où émergea l’appalachian old time style, le blugrass, la country music. À chaque changement d’instruments, voir le temps de réparer une panne de pédale, il donne la parole à l’un de ses deux violonistes, car à Anne Harris s’est ajouté Miles Brett qui s’est substitué au guitariste Shaw Stachurski entendu à Rennes. La gestuelle d’Anne Harris évoque toujours la vieille école chorégraphique de Katerine Dunham, son violon hésitant entre l’âpreté du jeu appalachien double cordes (notamment dans une fervente version d’Amazing Grace) et une style à la candeur rhapsodisante. Le geste de Miles Brett est plus enraciné dans le blues, avec une touche plus que jazzy dans l’improvisation, réincarnation rajeunie du vieux Papa John Creach autrefois adopté par Jefferson Airplane et Hot Tuna. La rythmique reste la même, d’une efficacité redoutable, au service de cette dynamique énorme entretenue par cette voix capable de passer de tendres falsetto pianissimo et de soudains rugissements, tout comme la soudaine attaque d’un puissant groove électrique interrompt un délicat frailing.
Ce qui change vraiment par rapport à Rennes, c’est l’attitude du chanteur. Certes, persiste une présence presque débonnaire dans le caractère informel de l’entrée sur scène, d’enchaîner les morceaux , d’hésiter entre chacun d’eux, etc., mais le concert de Rennes avait quelque chose de rituel, de magique, une sorte de célébration. Hier, au New Morning, Otis salua une salle et un public qu’il connaît désormais bien, le public parisien festif, indiscipliné, bruyant, voire insolent, qu’il aborde avec un sourire complice, répondant à son attente et sollicitant son adhésion, voire sa participation, orchestrant par exemple une polyphonie de « Chut ! » tandis qu’une partie du public proteste aux conversations à voix hautes venue du fond de la salle. Plus entertainer que sorcier, désacralisant le feeling du blues par un clin d’œil complice lorsqu’il improvise : « I got the blues in Chicago… sometimes… in New York City too. » en début d’un morceau dont on n’est pas certain qu’il sache bien ce qu’il va être. D’où une prestation déstabilisante où une décontraction frisant la désinvolture peut se superposer de manière quasi simultanée à un engagement pourvoyeur d’authentiques moments de transe. Franck Bergerot
Otis Taylor est à retrouver ce soir 19 mars au Théâtre Jacques Prévert dans le cadre de la Semaine du blues d’Aulnay-sous-Bois, le 21 à l’Epicerie moderne de Feyzin en région lyonnaise, le 25 avril à Marseille (Cri du Port), le 27 à Saint-Raphaël (Théâtre Félix Martin), le 28 à La Ravoire (Centre Culturel Jean Blanc), le 29 à Calais (Beautiful Swamp Blues Festival), le 30 à Langres (L’épicerie).
Quant aux Parisiens lecteurs de Jazzmag, ils ne manqueront pas de revenir au New Morning lundi prochain, 21 mars, pour le quartette de Chris Potter (David Virelles, Joe Martin, Kush Abadey) et le 22 pour The Cookers (Eddie Henderson, David Weiss, Donald Harrison, Billy Harper, George Cables, Cecil McBee et Billy Hart).