Full House¹ pour Alain Jean-Marie et son trio
Ce soir, 8 avril, j’ai fait pantoufles. Au lieu d’aller écouter le batteur Antonin Gerbal au sein du groupe Horns (les bandes d’Umlaut et Coax) à Paris, à l’Atelier Polonceau, je suis sorti en voisin du Cabaret Jazz Club de Rueil-Malmaison, à 200m de mon lit, où les élèves de Gerbal jouaient avec ceux de Philippe Pilon en première partie du Trio d’Alain Jean-Marie.
1ère partie: Chloé Tallet (flûte), Pierre Verneyre (clarinette), Clément Rogel (guitare), Baptiste Lejeune (contrebasse), Corentin Derivière (batterie).
Première partie comme un concert de fin d’année du département jazz du conservatoire de Rueil-Malmaison. Car il y a un département jazz à Rueil-Malmaison. Lorsque l’on en visite le site, ça ne saute pas aux yeux. Sauf, sur l’onglet “manifestation” où l’on trouve le concert de ce soir ainsi mentionné : “Apéro jazz. Permière partie : concert des élèves du département jazz du CRR de Rueil-Malmaison (élèves de Claude Barthélémy, Antonin Gerbal et Philippe Pilon). Deuxième partie : programme à définir.” On ne s’étonnera pas que les concerts de jazz de Rueil ne soient jamais annoncés dans Jazz Magazine. Peu importe, nous dira-t-on, ce soir c’est plein : full house.
Reste donc qu’Antonin Gerbal (qui fait le grand écart entre le swing années 30 de l’Ulmaut Big band et les déconstructions de Peeping Tom), Claude Barthélémy (guitariste bien connu, plutôt “émancipé”) et Philippe Pilon (saxophoniste ténor velu pré-coltranien) se partagent le département jazz du CRR de Rueil-Malmaison. Pas trace ce soir des élèves de “Barthé” parmi ceux de Pilon, mais une rythmique envoyée par Gerbal du conservatoire du 7ème arrondissement parisien pour des raisons auxquels j’ai dû être inattentif.
Pourquoi un rédacteur en chef d’une revue de jazz qui traîne dans les concerts depuis quarante ans, prête-t-il encore attention à un concert de fin d’année scolaire. Pour la seconde partie évidemment : Alain Jean-Marie… Mais pas que. J’ai appris avec les années que, sous la casquette de rédacteur en chef, il valait mieux garder ces distances et laisser le talent se dessiner, ne pas donner de faux espoirs à de jeunes musiciens dont, mathématiquement, on sait que la grande majorité ne liront jamais leur nom dans Jazz Magazine, sauf peut-être en petit caractère dans les pages agenda. Et pourtant, ayant grandi à proximité du CIM d’Alain Guerrini, son fondateur, et participé trente années durant aux jurys du Concours de jazz de La Défense et du Tremplin jazz d’Avignon, j’ai gardé ce goût du spectacle de l’apprentissage des gestes musicaux, de l’acquisition d’une méthode, de l’élaboration d’une pensée musicale, de l’émergence du talent, des premiers tâtonnements dans le noir à l’éclosion. Et comme j’ai pris le parti de ne rien taire – ou presque – dans ces comptes rendus, je dirai que ce soir, après un Barbados un peu dans les chaussettes, sur I Remember You aux premières mesures encore un peu savonnées, puis Autumn in New York et Beautiful Love, j’ai pris du plaisir à entendre Clément Rogel qui n’en est certes pas à son premier chorus de guitare, à le voir construire ses phrases et déplacer ses doigts dans la géographie labyrinthique du manche. Quant à la flûtiste Chloé Tallet, pas nécessairement dotée d’un vocabulaire “jazz”, elle s’appuie apparemment sur quelques heures de vol au commande de son instrument, mais surtout une musicalité qui lui permet de faire chanter ces grilles harmoniques sans cliché, sans hâte, avec un sens de l’espace qui n’est pas la première qualité que l’on acquiert. À creuser. Les autres m’excuseront de mon silence à leur sujet… La presse, aussi spécialisée soit-elle, n’a pas forcément ni la compétence ni la faconde pour avoir son mot à dire sur chacun à la sortie d’un concert, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un groupe aussi jeune dans tous les sens du terme, pas plus qu’elle n’a la vocation de s’ériger en jury de fin de scolarité.
2ème partie: Alain Jean-Marie (piano), Gilles Naturel (contrebasse), Jeff Boudreaux (batterie).
Alain Jean-Marie donc. Et son trio. Sans Philippe Soirat. Dommage. Jeff Boudreaux le remplace, tant mieux. Même si, par-delà les qualités qu’on lui connaît par ailleurs (allez donc l’entendre mercredi prochain 13 avril au Baiser salé où il est en résidence mensuelle au sein du quartette du saxophoniste Rick Margitza en tandem avec le contrebassiste Peter Giron, avec Manuel Rocheman), on me pardonnera de regretter tout de même la cohésion éprouvée du ménage à trois Jean-Marie / Naturel / Soirat. Pourtant, dès les premières notes de You Don’t Know What Love Is, on sait qu’il va se passer quelques chose. Une façon de les jouer ces notes, sans jouer encore le thème, de les faire tourner rapidement dans une espèce de kaléidoscope où le pianiste nous fait désirer le thème en le laissant s’organiser progressivement avant de nous en offrir non pas la seule mélodie, mais une espèce de pâte harmonique levée, et légère comme un soufflet. Suivra Offshore Breeze de Denny Zeitlin dans un programme qui ne se laisse pas deviner, où les classiques s’enchaînent avec les raretés, Jean-Marie les explorant avec des compétences de guide en architecture, vous faisant découvrir à chaque visite les moindres recoins, les moindres boyaux, et redécouvrir telle salle que vous croyiez connaître par sa façon d’en renouveler l’éclairage. Le concert touchera à son sommet avec un Full House de circonstance¹, emprunté à Wes Montgomery, non plus en guide, mais en prêcheur, dans une longue exhortation churchy, d’une ferveur ascendante qui gagne l’assistance de la “maison pleine”, reprenant seulement son souffle sur le pont en un mouvement contraire à l’habitude où le pont du morceau est plutôt un moment de propulsion. Pour finir, un blues parkérien, Relaxin’ in Camarillo mais que ses doigts rendraient plutôt powellien, Round Midnight de Thelonious Monk qu’il décortique passionnément et, en rappel pour compléter cette sainte trinité qui lui est chère, In a Sentimental Mood de Duke Ellington, sur lequel il fait tomber quelques pétales de la Fleurette africaine. On repart le nez au vent de la fraîcheur printanière, le cœur léger, en s’excusant auprès des deux comparses de n’en rien dire, sinon que sans eux, ce concert n’aurait pas été ce qu’il fut. • Franck Bergerot
(1) Full house est le titre d’un morceau de Wes Montgomery enregistré live au Tsubo de Berkeley (Californie). Il fut publié sur l’un des plus grands albums du guitariste dont les notes de pochettes rappelaient que “full house” est une figure du poker (trois cartes de même valeur et deux d’une autre), mais nous apprenaient surtout que le club était plein comme un œuf et que pour entendre Wes, entouré ce soir-là de Johnny Griffin et de la rythmique de Miles Davis, la foule des amateurs se pressait tout alentour du club, notamment à proximité des haut-parleurs du studio d’enregistrement mobile installé à l’extérieur du club.
|Ce soir, 8 avril, j’ai fait pantoufles. Au lieu d’aller écouter le batteur Antonin Gerbal au sein du groupe Horns (les bandes d’Umlaut et Coax) à Paris, à l’Atelier Polonceau, je suis sorti en voisin du Cabaret Jazz Club de Rueil-Malmaison, à 200m de mon lit, où les élèves de Gerbal jouaient avec ceux de Philippe Pilon en première partie du Trio d’Alain Jean-Marie.
1ère partie: Chloé Tallet (flûte), Pierre Verneyre (clarinette), Clément Rogel (guitare), Baptiste Lejeune (contrebasse), Corentin Derivière (batterie).
Première partie comme un concert de fin d’année du département jazz du conservatoire de Rueil-Malmaison. Car il y a un département jazz à Rueil-Malmaison. Lorsque l’on en visite le site, ça ne saute pas aux yeux. Sauf, sur l’onglet “manifestation” où l’on trouve le concert de ce soir ainsi mentionné : “Apéro jazz. Permière partie : concert des élèves du département jazz du CRR de Rueil-Malmaison (élèves de Claude Barthélémy, Antonin Gerbal et Philippe Pilon). Deuxième partie : programme à définir.” On ne s’étonnera pas que les concerts de jazz de Rueil ne soient jamais annoncés dans Jazz Magazine. Peu importe, nous dira-t-on, ce soir c’est plein : full house.
Reste donc qu’Antonin Gerbal (qui fait le grand écart entre le swing années 30 de l’Ulmaut Big band et les déconstructions de Peeping Tom), Claude Barthélémy (guitariste bien connu, plutôt “émancipé”) et Philippe Pilon (saxophoniste ténor velu pré-coltranien) se partagent le département jazz du CRR de Rueil-Malmaison. Pas trace ce soir des élèves de “Barthé” parmi ceux de Pilon, mais une rythmique envoyée par Gerbal du conservatoire du 7ème arrondissement parisien pour des raisons auxquels j’ai dû être inattentif.
Pourquoi un rédacteur en chef d’une revue de jazz qui traîne dans les concerts depuis quarante ans, prête-t-il encore attention à un concert de fin d’année scolaire. Pour la seconde partie évidemment : Alain Jean-Marie… Mais pas que. J’ai appris avec les années que, sous la casquette de rédacteur en chef, il valait mieux garder ces distances et laisser le talent se dessiner, ne pas donner de faux espoirs à de jeunes musiciens dont, mathématiquement, on sait que la grande majorité ne liront jamais leur nom dans Jazz Magazine, sauf peut-être en petit caractère dans les pages agenda. Et pourtant, ayant grandi à proximité du CIM d’Alain Guerrini, son fondateur, et participé trente années durant aux jurys du Concours de jazz de La Défense et du Tremplin jazz d’Avignon, j’ai gardé ce goût du spectacle de l’apprentissage des gestes musicaux, de l’acquisition d’une méthode, de l’élaboration d’une pensée musicale, de l’émergence du talent, des premiers tâtonnements dans le noir à l’éclosion. Et comme j’ai pris le parti de ne rien taire – ou presque – dans ces comptes rendus, je dirai que ce soir, après un Barbados un peu dans les chaussettes, sur I Remember You aux premières mesures encore un peu savonnées, puis Autumn in New York et Beautiful Love, j’ai pris du plaisir à entendre Clément Rogel qui n’en est certes pas à son premier chorus de guitare, à le voir construire ses phrases et déplacer ses doigts dans la géographie labyrinthique du manche. Quant à la flûtiste Chloé Tallet, pas nécessairement dotée d’un vocabulaire “jazz”, elle s’appuie apparemment sur quelques heures de vol au commande de son instrument, mais surtout une musicalité qui lui permet de faire chanter ces grilles harmoniques sans cliché, sans hâte, avec un sens de l’espace qui n’est pas la première qualité que l’on acquiert. À creuser. Les autres m’excuseront de mon silence à leur sujet… La presse, aussi spécialisée soit-elle, n’a pas forcément ni la compétence ni la faconde pour avoir son mot à dire sur chacun à la sortie d’un concert, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un groupe aussi jeune dans tous les sens du terme, pas plus qu’elle n’a la vocation de s’ériger en jury de fin de scolarité.
2ème partie: Alain Jean-Marie (piano), Gilles Naturel (contrebasse), Jeff Boudreaux (batterie).
Alain Jean-Marie donc. Et son trio. Sans Philippe Soirat. Dommage. Jeff Boudreaux le remplace, tant mieux. Même si, par-delà les qualités qu’on lui connaît par ailleurs (allez donc l’entendre mercredi prochain 13 avril au Baiser salé où il est en résidence mensuelle au sein du quartette du saxophoniste Rick Margitza en tandem avec le contrebassiste Peter Giron, avec Manuel Rocheman), on me pardonnera de regretter tout de même la cohésion éprouvée du ménage à trois Jean-Marie / Naturel / Soirat. Pourtant, dès les premières notes de You Don’t Know What Love Is, on sait qu’il va se passer quelques chose. Une façon de les jouer ces notes, sans jouer encore le thème, de les faire tourner rapidement dans une espèce de kaléidoscope où le pianiste nous fait désirer le thème en le laissant s’organiser progressivement avant de nous en offrir non pas la seule mélodie, mais une espèce de pâte harmonique levée, et légère comme un soufflet. Suivra Offshore Breeze de Denny Zeitlin dans un programme qui ne se laisse pas deviner, où les classiques s’enchaînent avec les raretés, Jean-Marie les explorant avec des compétences de guide en architecture, vous faisant découvrir à chaque visite les moindres recoins, les moindres boyaux, et redécouvrir telle salle que vous croyiez connaître par sa façon d’en renouveler l’éclairage. Le concert touchera à son sommet avec un Full House de circonstance¹, emprunté à Wes Montgomery, non plus en guide, mais en prêcheur, dans une longue exhortation churchy, d’une ferveur ascendante qui gagne l’assistance de la “maison pleine”, reprenant seulement son souffle sur le pont en un mouvement contraire à l’habitude où le pont du morceau est plutôt un moment de propulsion. Pour finir, un blues parkérien, Relaxin’ in Camarillo mais que ses doigts rendraient plutôt powellien, Round Midnight de Thelonious Monk qu’il décortique passionnément et, en rappel pour compléter cette sainte trinité qui lui est chère, In a Sentimental Mood de Duke Ellington, sur lequel il fait tomber quelques pétales de la Fleurette africaine. On repart le nez au vent de la fraîcheur printanière, le cœur léger, en s’excusant auprès des deux comparses de n’en rien dire, sinon que sans eux, ce concert n’aurait pas été ce qu’il fut. • Franck Bergerot
(1) Full house est le titre d’un morceau de Wes Montgomery enregistré live au Tsubo de Berkeley (Californie). Il fut publié sur l’un des plus grands albums du guitariste dont les notes de pochettes rappelaient que “full house” est une figure du poker (trois cartes de même valeur et deux d’une autre), mais nous apprenaient surtout que le club était plein comme un œuf et que pour entendre Wes, entouré ce soir-là de Johnny Griffin et de la rythmique de Miles Davis, la foule des amateurs se pressait tout alentour du club, notamment à proximité des haut-parleurs du studio d’enregistrement mobile installé à l’extérieur du club.
|Ce soir, 8 avril, j’ai fait pantoufles. Au lieu d’aller écouter le batteur Antonin Gerbal au sein du groupe Horns (les bandes d’Umlaut et Coax) à Paris, à l’Atelier Polonceau, je suis sorti en voisin du Cabaret Jazz Club de Rueil-Malmaison, à 200m de mon lit, où les élèves de Gerbal jouaient avec ceux de Philippe Pilon en première partie du Trio d’Alain Jean-Marie.
1ère partie: Chloé Tallet (flûte), Pierre Verneyre (clarinette), Clément Rogel (guitare), Baptiste Lejeune (contrebasse), Corentin Derivière (batterie).
Première partie comme un concert de fin d’année du département jazz du conservatoire de Rueil-Malmaison. Car il y a un département jazz à Rueil-Malmaison. Lorsque l’on en visite le site, ça ne saute pas aux yeux. Sauf, sur l’onglet “manifestation” où l’on trouve le concert de ce soir ainsi mentionné : “Apéro jazz. Permière partie : concert des élèves du département jazz du CRR de Rueil-Malmaison (élèves de Claude Barthélémy, Antonin Gerbal et Philippe Pilon). Deuxième partie : programme à définir.” On ne s’étonnera pas que les concerts de jazz de Rueil ne soient jamais annoncés dans Jazz Magazine. Peu importe, nous dira-t-on, ce soir c’est plein : full house.
Reste donc qu’Antonin Gerbal (qui fait le grand écart entre le swing années 30 de l’Ulmaut Big band et les déconstructions de Peeping Tom), Claude Barthélémy (guitariste bien connu, plutôt “émancipé”) et Philippe Pilon (saxophoniste ténor velu pré-coltranien) se partagent le département jazz du CRR de Rueil-Malmaison. Pas trace ce soir des élèves de “Barthé” parmi ceux de Pilon, mais une rythmique envoyée par Gerbal du conservatoire du 7ème arrondissement parisien pour des raisons auxquels j’ai dû être inattentif.
Pourquoi un rédacteur en chef d’une revue de jazz qui traîne dans les concerts depuis quarante ans, prête-t-il encore attention à un concert de fin d’année scolaire. Pour la seconde partie évidemment : Alain Jean-Marie… Mais pas que. J’ai appris avec les années que, sous la casquette de rédacteur en chef, il valait mieux garder ces distances et laisser le talent se dessiner, ne pas donner de faux espoirs à de jeunes musiciens dont, mathématiquement, on sait que la grande majorité ne liront jamais leur nom dans Jazz Magazine, sauf peut-être en petit caractère dans les pages agenda. Et pourtant, ayant grandi à proximité du CIM d’Alain Guerrini, son fondateur, et participé trente années durant aux jurys du Concours de jazz de La Défense et du Tremplin jazz d’Avignon, j’ai gardé ce goût du spectacle de l’apprentissage des gestes musicaux, de l’acquisition d’une méthode, de l’élaboration d’une pensée musicale, de l’émergence du talent, des premiers tâtonnements dans le noir à l’éclosion. Et comme j’ai pris le parti de ne rien taire – ou presque – dans ces comptes rendus, je dirai que ce soir, après un Barbados un peu dans les chaussettes, sur I Remember You aux premières mesures encore un peu savonnées, puis Autumn in New York et Beautiful Love, j’ai pris du plaisir à entendre Clément Rogel qui n’en est certes pas à son premier chorus de guitare, à le voir construire ses phrases et déplacer ses doigts dans la géographie labyrinthique du manche. Quant à la flûtiste Chloé Tallet, pas nécessairement dotée d’un vocabulaire “jazz”, elle s’appuie apparemment sur quelques heures de vol au commande de son instrument, mais surtout une musicalité qui lui permet de faire chanter ces grilles harmoniques sans cliché, sans hâte, avec un sens de l’espace qui n’est pas la première qualité que l’on acquiert. À creuser. Les autres m’excuseront de mon silence à leur sujet… La presse, aussi spécialisée soit-elle, n’a pas forcément ni la compétence ni la faconde pour avoir son mot à dire sur chacun à la sortie d’un concert, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un groupe aussi jeune dans tous les sens du terme, pas plus qu’elle n’a la vocation de s’ériger en jury de fin de scolarité.
2ème partie: Alain Jean-Marie (piano), Gilles Naturel (contrebasse), Jeff Boudreaux (batterie).
Alain Jean-Marie donc. Et son trio. Sans Philippe Soirat. Dommage. Jeff Boudreaux le remplace, tant mieux. Même si, par-delà les qualités qu’on lui connaît par ailleurs (allez donc l’entendre mercredi prochain 13 avril au Baiser salé où il est en résidence mensuelle au sein du quartette du saxophoniste Rick Margitza en tandem avec le contrebassiste Peter Giron, avec Manuel Rocheman), on me pardonnera de regretter tout de même la cohésion éprouvée du ménage à trois Jean-Marie / Naturel / Soirat. Pourtant, dès les premières notes de You Don’t Know What Love Is, on sait qu’il va se passer quelques chose. Une façon de les jouer ces notes, sans jouer encore le thème, de les faire tourner rapidement dans une espèce de kaléidoscope où le pianiste nous fait désirer le thème en le laissant s’organiser progressivement avant de nous en offrir non pas la seule mélodie, mais une espèce de pâte harmonique levée, et légère comme un soufflet. Suivra Offshore Breeze de Denny Zeitlin dans un programme qui ne se laisse pas deviner, où les classiques s’enchaînent avec les raretés, Jean-Marie les explorant avec des compétences de guide en architecture, vous faisant découvrir à chaque visite les moindres recoins, les moindres boyaux, et redécouvrir telle salle que vous croyiez connaître par sa façon d’en renouveler l’éclairage. Le concert touchera à son sommet avec un Full House de circonstance¹, emprunté à Wes Montgomery, non plus en guide, mais en prêcheur, dans une longue exhortation churchy, d’une ferveur ascendante qui gagne l’assistance de la “maison pleine”, reprenant seulement son souffle sur le pont en un mouvement contraire à l’habitude où le pont du morceau est plutôt un moment de propulsion. Pour finir, un blues parkérien, Relaxin’ in Camarillo mais que ses doigts rendraient plutôt powellien, Round Midnight de Thelonious Monk qu’il décortique passionnément et, en rappel pour compléter cette sainte trinité qui lui est chère, In a Sentimental Mood de Duke Ellington, sur lequel il fait tomber quelques pétales de la Fleurette africaine. On repart le nez au vent de la fraîcheur printanière, le cœur léger, en s’excusant auprès des deux comparses de n’en rien dire, sinon que sans eux, ce concert n’aurait pas été ce qu’il fut. • Franck Bergerot
(1) Full house est le titre d’un morceau de Wes Montgomery enregistré live au Tsubo de Berkeley (Californie). Il fut publié sur l’un des plus grands albums du guitariste dont les notes de pochettes rappelaient que “full house” est une figure du poker (trois cartes de même valeur et deux d’une autre), mais nous apprenaient surtout que le club était plein comme un œuf et que pour entendre Wes, entouré ce soir-là de Johnny Griffin et de la rythmique de Miles Davis, la foule des amateurs se pressait tout alentour du club, notamment à proximité des haut-parleurs du studio d’enregistrement mobile installé à l’extérieur du club.
|Ce soir, 8 avril, j’ai fait pantoufles. Au lieu d’aller écouter le batteur Antonin Gerbal au sein du groupe Horns (les bandes d’Umlaut et Coax) à Paris, à l’Atelier Polonceau, je suis sorti en voisin du Cabaret Jazz Club de Rueil-Malmaison, à 200m de mon lit, où les élèves de Gerbal jouaient avec ceux de Philippe Pilon en première partie du Trio d’Alain Jean-Marie.
1ère partie: Chloé Tallet (flûte), Pierre Verneyre (clarinette), Clément Rogel (guitare), Baptiste Lejeune (contrebasse), Corentin Derivière (batterie).
Première partie comme un concert de fin d’année du département jazz du conservatoire de Rueil-Malmaison. Car il y a un département jazz à Rueil-Malmaison. Lorsque l’on en visite le site, ça ne saute pas aux yeux. Sauf, sur l’onglet “manifestation” où l’on trouve le concert de ce soir ainsi mentionné : “Apéro jazz. Permière partie : concert des élèves du département jazz du CRR de Rueil-Malmaison (élèves de Claude Barthélémy, Antonin Gerbal et Philippe Pilon). Deuxième partie : programme à définir.” On ne s’étonnera pas que les concerts de jazz de Rueil ne soient jamais annoncés dans Jazz Magazine. Peu importe, nous dira-t-on, ce soir c’est plein : full house.
Reste donc qu’Antonin Gerbal (qui fait le grand écart entre le swing années 30 de l’Ulmaut Big band et les déconstructions de Peeping Tom), Claude Barthélémy (guitariste bien connu, plutôt “émancipé”) et Philippe Pilon (saxophoniste ténor velu pré-coltranien) se partagent le département jazz du CRR de Rueil-Malmaison. Pas trace ce soir des élèves de “Barthé” parmi ceux de Pilon, mais une rythmique envoyée par Gerbal du conservatoire du 7ème arrondissement parisien pour des raisons auxquels j’ai dû être inattentif.
Pourquoi un rédacteur en chef d’une revue de jazz qui traîne dans les concerts depuis quarante ans, prête-t-il encore attention à un concert de fin d’année scolaire. Pour la seconde partie évidemment : Alain Jean-Marie… Mais pas que. J’ai appris avec les années que, sous la casquette de rédacteur en chef, il valait mieux garder ces distances et laisser le talent se dessiner, ne pas donner de faux espoirs à de jeunes musiciens dont, mathématiquement, on sait que la grande majorité ne liront jamais leur nom dans Jazz Magazine, sauf peut-être en petit caractère dans les pages agenda. Et pourtant, ayant grandi à proximité du CIM d’Alain Guerrini, son fondateur, et participé trente années durant aux jurys du Concours de jazz de La Défense et du Tremplin jazz d’Avignon, j’ai gardé ce goût du spectacle de l’apprentissage des gestes musicaux, de l’acquisition d’une méthode, de l’élaboration d’une pensée musicale, de l’émergence du talent, des premiers tâtonnements dans le noir à l’éclosion. Et comme j’ai pris le parti de ne rien taire – ou presque – dans ces comptes rendus, je dirai que ce soir, après un Barbados un peu dans les chaussettes, sur I Remember You aux premières mesures encore un peu savonnées, puis Autumn in New York et Beautiful Love, j’ai pris du plaisir à entendre Clément Rogel qui n’en est certes pas à son premier chorus de guitare, à le voir construire ses phrases et déplacer ses doigts dans la géographie labyrinthique du manche. Quant à la flûtiste Chloé Tallet, pas nécessairement dotée d’un vocabulaire “jazz”, elle s’appuie apparemment sur quelques heures de vol au commande de son instrument, mais surtout une musicalité qui lui permet de faire chanter ces grilles harmoniques sans cliché, sans hâte, avec un sens de l’espace qui n’est pas la première qualité que l’on acquiert. À creuser. Les autres m’excuseront de mon silence à leur sujet… La presse, aussi spécialisée soit-elle, n’a pas forcément ni la compétence ni la faconde pour avoir son mot à dire sur chacun à la sortie d’un concert, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un groupe aussi jeune dans tous les sens du terme, pas plus qu’elle n’a la vocation de s’ériger en jury de fin de scolarité.
2ème partie: Alain Jean-Marie (piano), Gilles Naturel (contrebasse), Jeff Boudreaux (batterie).
Alain Jean-Marie donc. Et son trio. Sans Philippe Soirat. Dommage. Jeff Boudreaux le remplace, tant mieux. Même si, par-delà les qualités qu’on lui connaît par ailleurs (allez donc l’entendre mercredi prochain 13 avril au Baiser salé où il est en résidence mensuelle au sein du quartette du saxophoniste Rick Margitza en tandem avec le contrebassiste Peter Giron, avec Manuel Rocheman), on me pardonnera de regretter tout de même la cohésion éprouvée du ménage à trois Jean-Marie / Naturel / Soirat. Pourtant, dès les premières notes de You Don’t Know What Love Is, on sait qu’il va se passer quelques chose. Une façon de les jouer ces notes, sans jouer encore le thème, de les faire tourner rapidement dans une espèce de kaléidoscope où le pianiste nous fait désirer le thème en le laissant s’organiser progressivement avant de nous en offrir non pas la seule mélodie, mais une espèce de pâte harmonique levée, et légère comme un soufflet. Suivra Offshore Breeze de Denny Zeitlin dans un programme qui ne se laisse pas deviner, où les classiques s’enchaînent avec les raretés, Jean-Marie les explorant avec des compétences de guide en architecture, vous faisant découvrir à chaque visite les moindres recoins, les moindres boyaux, et redécouvrir telle salle que vous croyiez connaître par sa façon d’en renouveler l’éclairage. Le concert touchera à son sommet avec un Full House de circonstance¹, emprunté à Wes Montgomery, non plus en guide, mais en prêcheur, dans une longue exhortation churchy, d’une ferveur ascendante qui gagne l’assistance de la “maison pleine”, reprenant seulement son souffle sur le pont en un mouvement contraire à l’habitude où le pont du morceau est plutôt un moment de propulsion. Pour finir, un blues parkérien, Relaxin’ in Camarillo mais que ses doigts rendraient plutôt powellien, Round Midnight de Thelonious Monk qu’il décortique passionnément et, en rappel pour compléter cette sainte trinité qui lui est chère, In a Sentimental Mood de Duke Ellington, sur lequel il fait tomber quelques pétales de la Fleurette africaine. On repart le nez au vent de la fraîcheur printanière, le cœur léger, en s’excusant auprès des deux comparses de n’en rien dire, sinon que sans eux, ce concert n’aurait pas été ce qu’il fut. • Franck Bergerot
(1) Full house est le titre d’un morceau de Wes Montgomery enregistré live au Tsubo de Berkeley (Californie). Il fut publié sur l’un des plus grands albums du guitariste dont les notes de pochettes rappelaient que “full house” est une figure du poker (trois cartes de même valeur et deux d’une autre), mais nous apprenaient surtout que le club était plein comme un œuf et que pour entendre Wes, entouré ce soir-là de Johnny Griffin et de la rythmique de Miles Davis, la foule des amateurs se pressait tout alentour du club, notamment à proximité des haut-parleurs du studio d’enregistrement mobile installé à l’extérieur du club.