Florent Nisse rejoue la Liberation Music aux Disquaires 2 (suite et à suivre)
Le mardi 12 avril, en attendant l’arrivée de l’orchestre réuni par le contrebassiste Florent Nisse pour rejouer le répertoire du Liberation Music Orchestra de Charlie Haden aux Disquaires de la rue des Taillandiers, l’envoyé de Jazzmag s’est abandonné à quelques songeries.
Rejouer la musique du Liberation Music Orchestra, est-ce bien nécessaire ? Les résurrections de l’orchestre original de 1970, m’ont toujours fait l’effet de pâles ressucées, d’autant plus pâles que les musiciens de la légendaire première mouture disparaissaient : Gato Barbieri, Roswell Rudd, Howard Johnson… puis Dewey Redman et Don Cherry… enfin Paul Motian. Et les messages de “Liberation” me paraissaient toujours plus vains alors que Charlie Haden s’enfermait dans un rôle de star capricieuse, digne du pire touriste yankee. Ce qui me rappelle un voyage en taxi d’une gare du Sud de la France vers un célèbre studio. Le chauffeur énumérait les grands musiciens passés dans son véhicule, qu’il classait à sa façon, du plus aimable au plus détestable. Les pires étaient souvent à ses yeux les contrebassistes. Je pris leur parti. Entre les attentions maternelles qu’il éprouve pour son précieux et fragile instrument, toujours trop encombrant, et les appréhensions pour lui-même, pour son dos soumis à rude épreuve tant par les heures de pratiques que par les heures de train, de car, d’avion et de taxi, un contrebassiste peut bien avoir quelques exigences. Celles de Charlie Haden, visiblement, dépassèrent les bornes (ce qui n’étonnera personne du métier), jusqu’à ce qu’il découvre à l’arrière du taxi, un chien qui eut raison de tous ses caprices. Sauf un seul, nouveau, le chauffeur du taxi fut invité à se présenter au studio avec son chien les jours suivants pour distraire le maître
Bref, j’ai probablement eu le tort de considérer les disques du Liberation Music Orchestra postérieurs à 1970 dans le miroir déformant de ces ragots de chauffeur de taxi et bénévole de festival, miroir qui n’était d’ailleurs peut-être que celui de la nostalgie. Je réécoute “Not in Our Name” (2004) en écrivant ses lignes sans parvenir à renouveler mon jugement. Et c’est ainsi que je voyais les choses le jour où je reçus un mail d’un organisme qui me proposait de donner une conférence sur “The Ballad of the Fallen” (1982) dans le cadre d’un travail d’étudiants musiciens travaillant sur ce répertoire. Je répondis que je ne me sentais ni intérêt ni compétence pour traiter ce sujet et j’en expliquais les raisons. « Justement, votre point de vue nous intéresse. » fut la réponse.
Piqué au vif, je commençais à me documenter sur la genèse du Liberation Music Orchestra : l’Amérique du Grand Ole Pry et de l’Old Time Music, les familles chantantes inspirées par la légendaire Carter Family, telle la Haden Family au sein de laquelle Charlie chanta dès son plus jeune âge à la radio, le protest song de Pete Seeger, Woody Guthrie, Josh White et des Almanac Singers auquel la Haden Family n’adhérait pas mais n’était pas indifférente, l’Amérique de Greenwich Village solidaire des Républicains espagnols, qui découvrait en vrac leurs hymnes, le répertoire révolutionnaire et syndicaliste, les collectages de terrain des musiques populaires du monde entier ou leurs enregistrements officiels publiés par des labels indépendants comme Asch Records, Folkways et Keynote qui produisaient également blues, jazz et country music.
L’engagement et le chant, voilà ce qui deviendra indissociable dans la carrière de Haden, ce naturel du chant qui permit la rencontre avec Ornette et ce lyrisme insaisissable que l’on appellera harmolodie, ce vagabondage contrapuntique spontané qui soudain, sur le solo de contrebasse de Ramblin’, cède la place au simple énoncé du vieil Old Joe Clark qu’Haden chanta certainement enfant dans le Haden Family Radio Show. Scott LaFaro dut en concevoir quelque jalousie, lui qui partagea un appartement avec Charlie, où il acquérait virtuosité et musicalité à la sueur de son front, travaillant sans relâche son instrument tandis que Haden se contentait de se défoncer (double motif de jalousie, si l’on songe que le bass junkie survécut cinq décennies au bass heroe). Le reste suivrait, la famille free new-yorkaise, la bande à Carla Bley, la rencontre de Keith Jarrett et Paul Motian dans l’Amérique du combat pour les droits civiques, de la guerre au Vietnam, du soutien aux dictatures Sud-américaines et du folk revival. D’où, sur le premier album “Liberation Music Orchestra” de 1969, ces collages de chants républicains espagnols, cet emprunt à Hans Eisler et Bertold Brecht, ces War Orphans, ce Song for Ché, ce Circus ’68 ’69 inspiré par le spectacle télévisé de la Convention démocrate de 1968 où l’orchestre de campagne tenta de couvrir le We Shall Overcome chanté par l’aile gauche du Parti opposée à la poursuite de la guerre au VIetnam.
La conférence qui m’avait été commandée fut annulée, fort heureusement car je ne sais pas quand j’aurais trouvé le temps de mettre en chantier un tel projet. Et probablement, Michel Benita auquel j’avais songé à céder l’affaire, eût été plus compétent et plus direct pour répondre à la commande qui m’avait été faite. Ou Florent Nisse… car le voici enfin et, à l’entendre, on ne s’étonne pas de cette passion qui l’amène sur la scène des Disquaires à reprendre le répertoire orchestral de Charlie Haden (à suivre très probablement). Franck Bergerot|Le mardi 12 avril, en attendant l’arrivée de l’orchestre réuni par le contrebassiste Florent Nisse pour rejouer le répertoire du Liberation Music Orchestra de Charlie Haden aux Disquaires de la rue des Taillandiers, l’envoyé de Jazzmag s’est abandonné à quelques songeries.
Rejouer la musique du Liberation Music Orchestra, est-ce bien nécessaire ? Les résurrections de l’orchestre original de 1970, m’ont toujours fait l’effet de pâles ressucées, d’autant plus pâles que les musiciens de la légendaire première mouture disparaissaient : Gato Barbieri, Roswell Rudd, Howard Johnson… puis Dewey Redman et Don Cherry… enfin Paul Motian. Et les messages de “Liberation” me paraissaient toujours plus vains alors que Charlie Haden s’enfermait dans un rôle de star capricieuse, digne du pire touriste yankee. Ce qui me rappelle un voyage en taxi d’une gare du Sud de la France vers un célèbre studio. Le chauffeur énumérait les grands musiciens passés dans son véhicule, qu’il classait à sa façon, du plus aimable au plus détestable. Les pires étaient souvent à ses yeux les contrebassistes. Je pris leur parti. Entre les attentions maternelles qu’il éprouve pour son précieux et fragile instrument, toujours trop encombrant, et les appréhensions pour lui-même, pour son dos soumis à rude épreuve tant par les heures de pratiques que par les heures de train, de car, d’avion et de taxi, un contrebassiste peut bien avoir quelques exigences. Celles de Charlie Haden, visiblement, dépassèrent les bornes (ce qui n’étonnera personne du métier), jusqu’à ce qu’il découvre à l’arrière du taxi, un chien qui eut raison de tous ses caprices. Sauf un seul, nouveau, le chauffeur du taxi fut invité à se présenter au studio avec son chien les jours suivants pour distraire le maître
Bref, j’ai probablement eu le tort de considérer les disques du Liberation Music Orchestra postérieurs à 1970 dans le miroir déformant de ces ragots de chauffeur de taxi et bénévole de festival, miroir qui n’était d’ailleurs peut-être que celui de la nostalgie. Je réécoute “Not in Our Name” (2004) en écrivant ses lignes sans parvenir à renouveler mon jugement. Et c’est ainsi que je voyais les choses le jour où je reçus un mail d’un organisme qui me proposait de donner une conférence sur “The Ballad of the Fallen” (1982) dans le cadre d’un travail d’étudiants musiciens travaillant sur ce répertoire. Je répondis que je ne me sentais ni intérêt ni compétence pour traiter ce sujet et j’en expliquais les raisons. « Justement, votre point de vue nous intéresse. » fut la réponse.
Piqué au vif, je commençais à me documenter sur la genèse du Liberation Music Orchestra : l’Amérique du Grand Ole Pry et de l’Old Time Music, les familles chantantes inspirées par la légendaire Carter Family, telle la Haden Family au sein de laquelle Charlie chanta dès son plus jeune âge à la radio, le protest song de Pete Seeger, Woody Guthrie, Josh White et des Almanac Singers auquel la Haden Family n’adhérait pas mais n’était pas indifférente, l’Amérique de Greenwich Village solidaire des Républicains espagnols, qui découvrait en vrac leurs hymnes, le répertoire révolutionnaire et syndicaliste, les collectages de terrain des musiques populaires du monde entier ou leurs enregistrements officiels publiés par des labels indépendants comme Asch Records, Folkways et Keynote qui produisaient également blues, jazz et country music.
L’engagement et le chant, voilà ce qui deviendra indissociable dans la carrière de Haden, ce naturel du chant qui permit la rencontre avec Ornette et ce lyrisme insaisissable que l’on appellera harmolodie, ce vagabondage contrapuntique spontané qui soudain, sur le solo de contrebasse de Ramblin’, cède la place au simple énoncé du vieil Old Joe Clark qu’Haden chanta certainement enfant dans le Haden Family Radio Show. Scott LaFaro dut en concevoir quelque jalousie, lui qui partagea un appartement avec Charlie, où il acquérait virtuosité et musicalité à la sueur de son front, travaillant sans relâche son instrument tandis que Haden se contentait de se défoncer (double motif de jalousie, si l’on songe que le bass junkie survécut cinq décennies au bass heroe). Le reste suivrait, la famille free new-yorkaise, la bande à Carla Bley, la rencontre de Keith Jarrett et Paul Motian dans l’Amérique du combat pour les droits civiques, de la guerre au Vietnam, du soutien aux dictatures Sud-américaines et du folk revival. D’où, sur le premier album “Liberation Music Orchestra” de 1969, ces collages de chants républicains espagnols, cet emprunt à Hans Eisler et Bertold Brecht, ces War Orphans, ce Song for Ché, ce Circus ’68 ’69 inspiré par le spectacle télévisé de la Convention démocrate de 1968 où l’orchestre de campagne tenta de couvrir le We Shall Overcome chanté par l’aile gauche du Parti opposée à la poursuite de la guerre au VIetnam.
La conférence qui m’avait été commandée fut annulée, fort heureusement car je ne sais pas quand j’aurais trouvé le temps de mettre en chantier un tel projet. Et probablement, Michel Benita auquel j’avais songé à céder l’affaire, eût été plus compétent et plus direct pour répondre à la commande qui m’avait été faite. Ou Florent Nisse… car le voici enfin et, à l’entendre, on ne s’étonne pas de cette passion qui l’amène sur la scène des Disquaires à reprendre le répertoire orchestral de Charlie Haden (à suivre très probablement). Franck Bergerot|Le mardi 12 avril, en attendant l’arrivée de l’orchestre réuni par le contrebassiste Florent Nisse pour rejouer le répertoire du Liberation Music Orchestra de Charlie Haden aux Disquaires de la rue des Taillandiers, l’envoyé de Jazzmag s’est abandonné à quelques songeries.
Rejouer la musique du Liberation Music Orchestra, est-ce bien nécessaire ? Les résurrections de l’orchestre original de 1970, m’ont toujours fait l’effet de pâles ressucées, d’autant plus pâles que les musiciens de la légendaire première mouture disparaissaient : Gato Barbieri, Roswell Rudd, Howard Johnson… puis Dewey Redman et Don Cherry… enfin Paul Motian. Et les messages de “Liberation” me paraissaient toujours plus vains alors que Charlie Haden s’enfermait dans un rôle de star capricieuse, digne du pire touriste yankee. Ce qui me rappelle un voyage en taxi d’une gare du Sud de la France vers un célèbre studio. Le chauffeur énumérait les grands musiciens passés dans son véhicule, qu’il classait à sa façon, du plus aimable au plus détestable. Les pires étaient souvent à ses yeux les contrebassistes. Je pris leur parti. Entre les attentions maternelles qu’il éprouve pour son précieux et fragile instrument, toujours trop encombrant, et les appréhensions pour lui-même, pour son dos soumis à rude épreuve tant par les heures de pratiques que par les heures de train, de car, d’avion et de taxi, un contrebassiste peut bien avoir quelques exigences. Celles de Charlie Haden, visiblement, dépassèrent les bornes (ce qui n’étonnera personne du métier), jusqu’à ce qu’il découvre à l’arrière du taxi, un chien qui eut raison de tous ses caprices. Sauf un seul, nouveau, le chauffeur du taxi fut invité à se présenter au studio avec son chien les jours suivants pour distraire le maître
Bref, j’ai probablement eu le tort de considérer les disques du Liberation Music Orchestra postérieurs à 1970 dans le miroir déformant de ces ragots de chauffeur de taxi et bénévole de festival, miroir qui n’était d’ailleurs peut-être que celui de la nostalgie. Je réécoute “Not in Our Name” (2004) en écrivant ses lignes sans parvenir à renouveler mon jugement. Et c’est ainsi que je voyais les choses le jour où je reçus un mail d’un organisme qui me proposait de donner une conférence sur “The Ballad of the Fallen” (1982) dans le cadre d’un travail d’étudiants musiciens travaillant sur ce répertoire. Je répondis que je ne me sentais ni intérêt ni compétence pour traiter ce sujet et j’en expliquais les raisons. « Justement, votre point de vue nous intéresse. » fut la réponse.
Piqué au vif, je commençais à me documenter sur la genèse du Liberation Music Orchestra : l’Amérique du Grand Ole Pry et de l’Old Time Music, les familles chantantes inspirées par la légendaire Carter Family, telle la Haden Family au sein de laquelle Charlie chanta dès son plus jeune âge à la radio, le protest song de Pete Seeger, Woody Guthrie, Josh White et des Almanac Singers auquel la Haden Family n’adhérait pas mais n’était pas indifférente, l’Amérique de Greenwich Village solidaire des Républicains espagnols, qui découvrait en vrac leurs hymnes, le répertoire révolutionnaire et syndicaliste, les collectages de terrain des musiques populaires du monde entier ou leurs enregistrements officiels publiés par des labels indépendants comme Asch Records, Folkways et Keynote qui produisaient également blues, jazz et country music.
L’engagement et le chant, voilà ce qui deviendra indissociable dans la carrière de Haden, ce naturel du chant qui permit la rencontre avec Ornette et ce lyrisme insaisissable que l’on appellera harmolodie, ce vagabondage contrapuntique spontané qui soudain, sur le solo de contrebasse de Ramblin’, cède la place au simple énoncé du vieil Old Joe Clark qu’Haden chanta certainement enfant dans le Haden Family Radio Show. Scott LaFaro dut en concevoir quelque jalousie, lui qui partagea un appartement avec Charlie, où il acquérait virtuosité et musicalité à la sueur de son front, travaillant sans relâche son instrument tandis que Haden se contentait de se défoncer (double motif de jalousie, si l’on songe que le bass junkie survécut cinq décennies au bass heroe). Le reste suivrait, la famille free new-yorkaise, la bande à Carla Bley, la rencontre de Keith Jarrett et Paul Motian dans l’Amérique du combat pour les droits civiques, de la guerre au Vietnam, du soutien aux dictatures Sud-américaines et du folk revival. D’où, sur le premier album “Liberation Music Orchestra” de 1969, ces collages de chants républicains espagnols, cet emprunt à Hans Eisler et Bertold Brecht, ces War Orphans, ce Song for Ché, ce Circus ’68 ’69 inspiré par le spectacle télévisé de la Convention démocrate de 1968 où l’orchestre de campagne tenta de couvrir le We Shall Overcome chanté par l’aile gauche du Parti opposée à la poursuite de la guerre au VIetnam.
La conférence qui m’avait été commandée fut annulée, fort heureusement car je ne sais pas quand j’aurais trouvé le temps de mettre en chantier un tel projet. Et probablement, Michel Benita auquel j’avais songé à céder l’affaire, eût été plus compétent et plus direct pour répondre à la commande qui m’avait été faite. Ou Florent Nisse… car le voici enfin et, à l’entendre, on ne s’étonne pas de cette passion qui l’amène sur la scène des Disquaires à reprendre le répertoire orchestral de Charlie Haden (à suivre très probablement). Franck Bergerot|Le mardi 12 avril, en attendant l’arrivée de l’orchestre réuni par le contrebassiste Florent Nisse pour rejouer le répertoire du Liberation Music Orchestra de Charlie Haden aux Disquaires de la rue des Taillandiers, l’envoyé de Jazzmag s’est abandonné à quelques songeries.
Rejouer la musique du Liberation Music Orchestra, est-ce bien nécessaire ? Les résurrections de l’orchestre original de 1970, m’ont toujours fait l’effet de pâles ressucées, d’autant plus pâles que les musiciens de la légendaire première mouture disparaissaient : Gato Barbieri, Roswell Rudd, Howard Johnson… puis Dewey Redman et Don Cherry… enfin Paul Motian. Et les messages de “Liberation” me paraissaient toujours plus vains alors que Charlie Haden s’enfermait dans un rôle de star capricieuse, digne du pire touriste yankee. Ce qui me rappelle un voyage en taxi d’une gare du Sud de la France vers un célèbre studio. Le chauffeur énumérait les grands musiciens passés dans son véhicule, qu’il classait à sa façon, du plus aimable au plus détestable. Les pires étaient souvent à ses yeux les contrebassistes. Je pris leur parti. Entre les attentions maternelles qu’il éprouve pour son précieux et fragile instrument, toujours trop encombrant, et les appréhensions pour lui-même, pour son dos soumis à rude épreuve tant par les heures de pratiques que par les heures de train, de car, d’avion et de taxi, un contrebassiste peut bien avoir quelques exigences. Celles de Charlie Haden, visiblement, dépassèrent les bornes (ce qui n’étonnera personne du métier), jusqu’à ce qu’il découvre à l’arrière du taxi, un chien qui eut raison de tous ses caprices. Sauf un seul, nouveau, le chauffeur du taxi fut invité à se présenter au studio avec son chien les jours suivants pour distraire le maître
Bref, j’ai probablement eu le tort de considérer les disques du Liberation Music Orchestra postérieurs à 1970 dans le miroir déformant de ces ragots de chauffeur de taxi et bénévole de festival, miroir qui n’était d’ailleurs peut-être que celui de la nostalgie. Je réécoute “Not in Our Name” (2004) en écrivant ses lignes sans parvenir à renouveler mon jugement. Et c’est ainsi que je voyais les choses le jour où je reçus un mail d’un organisme qui me proposait de donner une conférence sur “The Ballad of the Fallen” (1982) dans le cadre d’un travail d’étudiants musiciens travaillant sur ce répertoire. Je répondis que je ne me sentais ni intérêt ni compétence pour traiter ce sujet et j’en expliquais les raisons. « Justement, votre point de vue nous intéresse. » fut la réponse.
Piqué au vif, je commençais à me documenter sur la genèse du Liberation Music Orchestra : l’Amérique du Grand Ole Pry et de l’Old Time Music, les familles chantantes inspirées par la légendaire Carter Family, telle la Haden Family au sein de laquelle Charlie chanta dès son plus jeune âge à la radio, le protest song de Pete Seeger, Woody Guthrie, Josh White et des Almanac Singers auquel la Haden Family n’adhérait pas mais n’était pas indifférente, l’Amérique de Greenwich Village solidaire des Républicains espagnols, qui découvrait en vrac leurs hymnes, le répertoire révolutionnaire et syndicaliste, les collectages de terrain des musiques populaires du monde entier ou leurs enregistrements officiels publiés par des labels indépendants comme Asch Records, Folkways et Keynote qui produisaient également blues, jazz et country music.
L’engagement et le chant, voilà ce qui deviendra indissociable dans la carrière de Haden, ce naturel du chant qui permit la rencontre avec Ornette et ce lyrisme insaisissable que l’on appellera harmolodie, ce vagabondage contrapuntique spontané qui soudain, sur le solo de contrebasse de Ramblin’, cède la place au simple énoncé du vieil Old Joe Clark qu’Haden chanta certainement enfant dans le Haden Family Radio Show. Scott LaFaro dut en concevoir quelque jalousie, lui qui partagea un appartement avec Charlie, où il acquérait virtuosité et musicalité à la sueur de son front, travaillant sans relâche son instrument tandis que Haden se contentait de se défoncer (double motif de jalousie, si l’on songe que le bass junkie survécut cinq décennies au bass heroe). Le reste suivrait, la famille free new-yorkaise, la bande à Carla Bley, la rencontre de Keith Jarrett et Paul Motian dans l’Amérique du combat pour les droits civiques, de la guerre au Vietnam, du soutien aux dictatures Sud-américaines et du folk revival. D’où, sur le premier album “Liberation Music Orchestra” de 1969, ces collages de chants républicains espagnols, cet emprunt à Hans Eisler et Bertold Brecht, ces War Orphans, ce Song for Ché, ce Circus ’68 ’69 inspiré par le spectacle télévisé de la Convention démocrate de 1968 où l’orchestre de campagne tenta de couvrir le We Shall Overcome chanté par l’aile gauche du Parti opposée à la poursuite de la guerre au VIetnam.
La conférence qui m’avait été commandée fut annulée, fort heureusement car je ne sais pas quand j’aurais trouvé le temps de mettre en chantier un tel projet. Et probablement, Michel Benita auquel j’avais songé à céder l’affaire, eût été plus compétent et plus direct pour répondre à la commande qui m’avait été faite. Ou Florent Nisse… car le voici enfin et, à l’entendre, on ne s’étonne pas de cette passion qui l’amène sur la scène des Disquaires à reprendre le répertoire orchestral de Charlie Haden (à suivre très probablement). Franck Bergerot