Jazz 360 à Cénac (33), du trio Misc à Géraldine Laurent, un tour d'horizon complet.
« Jazz 360 » à Cénac (Gironde) a vécu sa deuxième journée sous le signe de la diversité des « jazz(s) », ce qui n’étonnera pas si l’on considère que l’appellation « 360 » – outre une fine allusion au code postal du village – renvoie à l’idée d’un tour d’horizon complet. Dans ce paysage (« pays jazz » disait Guy Le Querrec), quels musicien(e)s émergent, et quels autres marquent le terrain mais aussi le pas ? Voyons ça.
Éric Séva quartet, nomade sonore : Éric Séva (bs), Daniel Zimmermann (tb), Kevin Reveyrand (b), Mathieu Chazarenc (dm)
Misc (trio Jérôme Beaulieu) : Jérôme Beaulieu (p), Philippe Leduc (b), William Coté (dm)
Géraldine Laurent « At Work » quartet : Géraldine Laurent (as), Paul Lay (p), Yoni Zelnick (b), Donald Kontomanou (dm)
Belle affiche ! Éric Séva jouait à Camblanes à 14.00, nous n’y étions pas mais nous avions apprécié sa musique en trio l’année dernière à Marmande, et Robert Latxague a vanté les mérites du « nomade sonore » dans ces mêmes pages le 22 décembre 2015.
Le trio Jérôme Beaulieu est donc devenu « Misc ». On ne voit rien à commenter là dedans. Sous cette forme classique (p, b, dm) les trois jeunes canadiens proposent une musique largement influencée par les maîtres actuels du genre, de Brad Mehldau dont on sait qu’il affectionne les thèmes « pop » (Radiohead) à « The Bad Plus » dont on connaît la propension à projeter un discours binaire efficace, un tantinet « musiques actuelles » comme dirait Marmande (Francis, pas la ville). Et ça marche ! Public ravi, quasiment debout, vague impression qu’on découvre une jeunesse joyeuse, présentant bien, et pleine d’énergie. La réalité musicale est un peu moins exaltante – à notre sens en tous cas. Piano trop amplifié, batterie reproduisant un peu toujours les mêmes figures, et surtout musique adressée pour faire effet, et pas vraiment pour faire musique. Ça séduit dix minutes, ça laisse ensuite pantois, et même distant. Mais – je le souligne – vif succès d’opinion.
Géraldine Laurent se présente. Clairement fatiguée, elle a voulu assurer sa « conférence jouée » de 16.00, avec un léger retard. Passionnant : elle parle droit, simple, direct, d’elle, de sa formation à Niort (tout près d’ici), de sa formation classique, du fait que le jazz n’était pas son destin au départ même s’il est devenu sa vie. Et de sa « montée » à Paris, du métier, des rencontres, des « projets », du saxophone alto, du sien, qui est sa voix et lui permet de « chanter ». On en redemande, il faut aller faire la balance, elle sait que ça se passera vite, on continue de vouloir l’entendre, on a plein de questions à lui poser. Les gens qui sont là (nombreux) sont manifestement informés, des amateurs, des gens qui aiment.
On la retrouve un peu plus tard, toujours fatiguée, mais de plus en plus là, avec nous et décidée à faire entendre sa voix. Sans transiger sur quoi que ce soit. Paul Lay est au piano. On rappelle qu’il a obtenu en 2015 le prix Django Reinhardt, meilleur musicien français de jazz de l’année. On dira seulement, avec un rien de provocation, qu’il vaut bien mieux écouter les six minutes douze secondes de son improvisation en solo absolu sur une ballade de son leader que l’heure (?) d’improvisation que Keith Jarrett devrait dérouler le 6 juillet à l’auditorium de Bordeaux – prix des places totalement prohibitif, mais à Bordeaux on a les moyens, non ? En tous cas, Paul Lay est vraiment un pianiste magnifique, délicat ici, cogneur là, méditatif, intense, frappeur, reposé, reposant, excitant. Et avec ça soucieux de musique, et donc de ses partenaires. L’avenir d’un jazz vif, léger et bondissant.
Et puis Yoni Zelnick, le vieux copain de Niort, contrebasse qui se met en travers, et ça ne l’empêche pas, courbé comme un paysan sur sa faux, de nous jouer des motifs à répétition dignes des plus « low down », ou des solos transfigurés. Donald Kontomanou (entendu aussi avec Yonathan Avishai, le pianiste) est un batteur non seulement doté d’un sourire éclatant, mais encore capable de faire entendre ses caisses, ses fûts et ses cymbales avec un minimum de puissance de frappe. « Jouer loin, pas jouer fort », comme dit Aldo Romano. Le jazz, quoi, bien actuel parce qu’en acte. Avec tant de choses qui nous touchent aujourd’hui.
Touchés. Oui, c’est le mot. Géraldine Laurent, sans mot dire ou presque (en fait elle parle très bien d’elle-même, du métier, de la musique, etc.), vient de franchir une étape. Après avoir servi avec science et conscience, les maîtres anciens (de Parker à Gigi Gryce, en passant par Monk et Mingus, et puis tant d’autres), elle joue maintenant la musique qui sourd d’elle même, de sa plume, de son corps musicien. C’est dans sa manière, thèmes vrillés, phrases qui virevoltent, et puis c’est elle, danseuse, chanteuse, tendre, affectée un peu, mais pas trop, caressante. La musique passe, entre eux quatre il n’est question que de ça, la fatigue s’oublie – enfin nous on le croit, on le sait. Une musique de passion, de passion discrète. Drôlement fort, malgré la fragilité. Et drôlement beau. On quitte Cénac vers minuit. Oui… elle n’a pas joué « Round Midnight » en rappel, mais « Goodbye Pork Pie Hat » de Mingus, ce thème magnifique offert à Lester Young. Les jeunes musiciens veulent savoir, sur ce passé. Il y a peu à dire et beaucoup : ils ont, dans l’ensemble, tout donné à la musique et pas grand chose aux fétiches. Ils ont eu tort ?
Philippe Méziat| »Jazz 360″ à Cénac (Gironde) a vécu sa deuxième journée sous le signe de la diversité des « jazz(s) », ce qui n’étonnera pas si l’on considère que l’appellation « 360 » – outre une fine allusion au code postal du village – renvoie à l’idée d’un tour d’horizon complet. Dans ce paysage (« pays jazz » disait Guy Le Querrec), quels musicien(e)s émergent, et quels autres marquent le terrain mais aussi le pas ? Voyons ça.
Éric Séva quartet, nomade sonore : Éric Séva (bs), Daniel Zimmermann (tb), Kevin Reveyrand (b), Mathieu Chazarenc (dm)
Misc (trio Jérôme Beaulieu) : Jérôme Beaulieu (p), Philippe Leduc (b), William Coté (dm)
Géraldine Laurent « At Work » quartet : Géraldine Laurent (as), Paul Lay (p), Yoni Zelnick (b), Donald Kontomanou (dm)
Belle affiche ! Éric Séva jouait à Camblanes à 14.00, nous n’y étions pas mais nous avions apprécié sa musique en trio l’année dernière à Marmande, et Robert Latxague a vanté les mérites du « nomade sonore » dans ces mêmes pages le 22 décembre 2015.
Le trio Jérôme Beaulieu est donc devenu « Misc ». On ne voit rien à commenter là dedans. Sous cette forme classique (p, b, dm) les trois jeunes canadiens proposent une musique largement influencée par les maîtres actuels du genre, de Brad Mehldau dont on sait qu’il affectionne les thèmes « pop » (Radiohead) à « The Bad Plus » dont on connaît la propension à projeter un discours binaire efficace, un tantinet « musiques actuelles » comme dirait Marmande (Francis, pas la ville). Et ça marche ! Public ravi, quasiment debout, vague impression qu’on découvre une jeunesse joyeuse, présentant bien, et pleine d’énergie. La réalité musicale est un peu moins exaltante – à notre sens en tous cas. Piano trop amplifié, batterie reproduisant un peu toujours les mêmes figures, et surtout musique adressée pour faire effet, et pas vraiment pour faire musique. Ça séduit dix minutes, ça laisse ensuite pantois, et même distant. Mais – je le souligne – vif succès d’opinion.
Géraldine Laurent se présente. Clairement fatiguée, elle a voulu assurer sa « conférence jouée » de 16.00, avec un léger retard. Passionnant : elle parle droit, simple, direct, d’elle, de sa formation à Niort (tout près d’ici), de sa formation classique, du fait que le jazz n’était pas son destin au départ même s’il est devenu sa vie. Et de sa « montée » à Paris, du métier, des rencontres, des « projets », du saxophone alto, du sien, qui est sa voix et lui permet de « chanter ». On en redemande, il faut aller faire la balance, elle sait que ça se passera vite, on continue de vouloir l’entendre, on a plein de questions à lui poser. Les gens qui sont là (nombreux) sont manifestement informés, des amateurs, des gens qui aiment.
On la retrouve un peu plus tard, toujours fatiguée, mais de plus en plus là, avec nous et décidée à faire entendre sa voix. Sans transiger sur quoi que ce soit. Paul Lay est au piano. On rappelle qu’il a obtenu en 2015 le prix Django Reinhardt, meilleur musicien français de jazz de l’année. On dira seulement, avec un rien de provocation, qu’il vaut bien mieux écouter les six minutes douze secondes de son improvisation en solo absolu sur une ballade de son leader que l’heure (?) d’improvisation que Keith Jarrett devrait dérouler le 6 juillet à l’auditorium de Bordeaux – prix des places totalement prohibitif, mais à Bordeaux on a les moyens, non ? En tous cas, Paul Lay est vraiment un pianiste magnifique, délicat ici, cogneur là, méditatif, intense, frappeur, reposé, reposant, excitant. Et avec ça soucieux de musique, et donc de ses partenaires. L’avenir d’un jazz vif, léger et bondissant.
Et puis Yoni Zelnick, le vieux copain de Niort, contrebasse qui se met en travers, et ça ne l’empêche pas, courbé comme un paysan sur sa faux, de nous jouer des motifs à répétition dignes des plus « low down », ou des solos transfigurés. Donald Kontomanou (entendu aussi avec Yonathan Avishai, le pianiste) est un batteur non seulement doté d’un sourire éclatant, mais encore capable de faire entendre ses caisses, ses fûts et ses cymbales avec un minimum de puissance de frappe. « Jouer loin, pas jouer fort », comme dit Aldo Romano. Le jazz, quoi, bien actuel parce qu’en acte. Avec tant de choses qui nous touchent aujourd’hui.
Touchés. Oui, c’est le mot. Géraldine Laurent, sans mot dire ou presque (en fait elle parle très bien d’elle-même, du métier, de la musique, etc.), vient de franchir une étape. Après avoir servi avec science et conscience, les maîtres anciens (de Parker à Gigi Gryce, en passant par Monk et Mingus, et puis tant d’autres), elle joue maintenant la musique qui sourd d’elle même, de sa plume, de son corps musicien. C’est dans sa manière, thèmes vrillés, phrases qui virevoltent, et puis c’est elle, danseuse, chanteuse, tendre, affectée un peu, mais pas trop, caressante. La musique passe, entre eux quatre il n’est question que de ça, la fatigue s’oublie – enfin nous on le croit, on le sait. Une musique de passion, de passion discrète. Drôlement fort, malgré la fragilité. Et drôlement beau. On quitte Cénac vers minuit. Oui… elle n’a pas joué « Round Midnight » en rappel, mais « Goodbye Pork Pie Hat » de Mingus, ce thème magnifique offert à Lester Young. Les jeunes musiciens veulent savoir, sur ce passé. Il y a peu à dire et beaucoup : ils ont, dans l’ensemble, tout donné à la musique et pas grand chose aux fétiches. Ils ont eu tort ?
Philippe Méziat| »Jazz 360″ à Cénac (Gironde) a vécu sa deuxième journée sous le signe de la diversité des « jazz(s) », ce qui n’étonnera pas si l’on considère que l’appellation « 360 » – outre une fine allusion au code postal du village – renvoie à l’idée d’un tour d’horizon complet. Dans ce paysage (« pays jazz » disait Guy Le Querrec), quels musicien(e)s émergent, et quels autres marquent le terrain mais aussi le pas ? Voyons ça.
Éric Séva quartet, nomade sonore : Éric Séva (bs), Daniel Zimmermann (tb), Kevin Reveyrand (b), Mathieu Chazarenc (dm)
Misc (trio Jérôme Beaulieu) : Jérôme Beaulieu (p), Philippe Leduc (b), William Coté (dm)
Géraldine Laurent « At Work » quartet : Géraldine Laurent (as), Paul Lay (p), Yoni Zelnick (b), Donald Kontomanou (dm)
Belle affiche ! Éric Séva jouait à Camblanes à 14.00, nous n’y étions pas mais nous avions apprécié sa musique en trio l’année dernière à Marmande, et Robert Latxague a vanté les mérites du « nomade sonore » dans ces mêmes pages le 22 décembre 2015.
Le trio Jérôme Beaulieu est donc devenu « Misc ». On ne voit rien à commenter là dedans. Sous cette forme classique (p, b, dm) les trois jeunes canadiens proposent une musique largement influencée par les maîtres actuels du genre, de Brad Mehldau dont on sait qu’il affectionne les thèmes « pop » (Radiohead) à « The Bad Plus » dont on connaît la propension à projeter un discours binaire efficace, un tantinet « musiques actuelles » comme dirait Marmande (Francis, pas la ville). Et ça marche ! Public ravi, quasiment debout, vague impression qu’on découvre une jeunesse joyeuse, présentant bien, et pleine d’énergie. La réalité musicale est un peu moins exaltante – à notre sens en tous cas. Piano trop amplifié, batterie reproduisant un peu toujours les mêmes figures, et surtout musique adressée pour faire effet, et pas vraiment pour faire musique. Ça séduit dix minutes, ça laisse ensuite pantois, et même distant. Mais – je le souligne – vif succès d’opinion.
Géraldine Laurent se présente. Clairement fatiguée, elle a voulu assurer sa « conférence jouée » de 16.00, avec un léger retard. Passionnant : elle parle droit, simple, direct, d’elle, de sa formation à Niort (tout près d’ici), de sa formation classique, du fait que le jazz n’était pas son destin au départ même s’il est devenu sa vie. Et de sa « montée » à Paris, du métier, des rencontres, des « projets », du saxophone alto, du sien, qui est sa voix et lui permet de « chanter ». On en redemande, il faut aller faire la balance, elle sait que ça se passera vite, on continue de vouloir l’entendre, on a plein de questions à lui poser. Les gens qui sont là (nombreux) sont manifestement informés, des amateurs, des gens qui aiment.
On la retrouve un peu plus tard, toujours fatiguée, mais de plus en plus là, avec nous et décidée à faire entendre sa voix. Sans transiger sur quoi que ce soit. Paul Lay est au piano. On rappelle qu’il a obtenu en 2015 le prix Django Reinhardt, meilleur musicien français de jazz de l’année. On dira seulement, avec un rien de provocation, qu’il vaut bien mieux écouter les six minutes douze secondes de son improvisation en solo absolu sur une ballade de son leader que l’heure (?) d’improvisation que Keith Jarrett devrait dérouler le 6 juillet à l’auditorium de Bordeaux – prix des places totalement prohibitif, mais à Bordeaux on a les moyens, non ? En tous cas, Paul Lay est vraiment un pianiste magnifique, délicat ici, cogneur là, méditatif, intense, frappeur, reposé, reposant, excitant. Et avec ça soucieux de musique, et donc de ses partenaires. L’avenir d’un jazz vif, léger et bondissant.
Et puis Yoni Zelnick, le vieux copain de Niort, contrebasse qui se met en travers, et ça ne l’empêche pas, courbé comme un paysan sur sa faux, de nous jouer des motifs à répétition dignes des plus « low down », ou des solos transfigurés. Donald Kontomanou (entendu aussi avec Yonathan Avishai, le pianiste) est un batteur non seulement doté d’un sourire éclatant, mais encore capable de faire entendre ses caisses, ses fûts et ses cymbales avec un minimum de puissance de frappe. « Jouer loin, pas jouer fort », comme dit Aldo Romano. Le jazz, quoi, bien actuel parce qu’en acte. Avec tant de choses qui nous touchent aujourd’hui.
Touchés. Oui, c’est le mot. Géraldine Laurent, sans mot dire ou presque (en fait elle parle très bien d’elle-même, du métier, de la musique, etc.), vient de franchir une étape. Après avoir servi avec science et conscience, les maîtres anciens (de Parker à Gigi Gryce, en passant par Monk et Mingus, et puis tant d’autres), elle joue maintenant la musique qui sourd d’elle même, de sa plume, de son corps musicien. C’est dans sa manière, thèmes vrillés, phrases qui virevoltent, et puis c’est elle, danseuse, chanteuse, tendre, affectée un peu, mais pas trop, caressante. La musique passe, entre eux quatre il n’est question que de ça, la fatigue s’oublie – enfin nous on le croit, on le sait. Une musique de passion, de passion discrète. Drôlement fort, malgré la fragilité. Et drôlement beau. On quitte Cénac vers minuit. Oui… elle n’a pas joué « Round Midnight » en rappel, mais « Goodbye Pork Pie Hat » de Mingus, ce thème magnifique offert à Lester Young. Les jeunes musiciens veulent savoir, sur ce passé. Il y a peu à dire et beaucoup : ils ont, dans l’ensemble, tout donné à la musique et pas grand chose aux fétiches. Ils ont eu tort ?
Philippe Méziat| »Jazz 360″ à Cénac (Gironde) a vécu sa deuxième journée sous le signe de la diversité des « jazz(s) », ce qui n’étonnera pas si l’on considère que l’appellation « 360 » – outre une fine allusion au code postal du village – renvoie à l’idée d’un tour d’horizon complet. Dans ce paysage (« pays jazz » disait Guy Le Querrec), quels musicien(e)s émergent, et quels autres marquent le terrain mais aussi le pas ? Voyons ça.
Éric Séva quartet, nomade sonore : Éric Séva (bs), Daniel Zimmermann (tb), Kevin Reveyrand (b), Mathieu Chazarenc (dm)
Misc (trio Jérôme Beaulieu) : Jérôme Beaulieu (p), Philippe Leduc (b), William Coté (dm)
Géraldine Laurent « At Work » quartet : Géraldine Laurent (as), Paul Lay (p), Yoni Zelnick (b), Donald Kontomanou (dm)
Belle affiche ! Éric Séva jouait à Camblanes à 14.00, nous n’y étions pas mais nous avions apprécié sa musique en trio l’année dernière à Marmande, et Robert Latxague a vanté les mérites du « nomade sonore » dans ces mêmes pages le 22 décembre 2015.
Le trio Jérôme Beaulieu est donc devenu « Misc ». On ne voit rien à commenter là dedans. Sous cette forme classique (p, b, dm) les trois jeunes canadiens proposent une musique largement influencée par les maîtres actuels du genre, de Brad Mehldau dont on sait qu’il affectionne les thèmes « pop » (Radiohead) à « The Bad Plus » dont on connaît la propension à projeter un discours binaire efficace, un tantinet « musiques actuelles » comme dirait Marmande (Francis, pas la ville). Et ça marche ! Public ravi, quasiment debout, vague impression qu’on découvre une jeunesse joyeuse, présentant bien, et pleine d’énergie. La réalité musicale est un peu moins exaltante – à notre sens en tous cas. Piano trop amplifié, batterie reproduisant un peu toujours les mêmes figures, et surtout musique adressée pour faire effet, et pas vraiment pour faire musique. Ça séduit dix minutes, ça laisse ensuite pantois, et même distant. Mais – je le souligne – vif succès d’opinion.
Géraldine Laurent se présente. Clairement fatiguée, elle a voulu assurer sa « conférence jouée » de 16.00, avec un léger retard. Passionnant : elle parle droit, simple, direct, d’elle, de sa formation à Niort (tout près d’ici), de sa formation classique, du fait que le jazz n’était pas son destin au départ même s’il est devenu sa vie. Et de sa « montée » à Paris, du métier, des rencontres, des « projets », du saxophone alto, du sien, qui est sa voix et lui permet de « chanter ». On en redemande, il faut aller faire la balance, elle sait que ça se passera vite, on continue de vouloir l’entendre, on a plein de questions à lui poser. Les gens qui sont là (nombreux) sont manifestement informés, des amateurs, des gens qui aiment.
On la retrouve un peu plus tard, toujours fatiguée, mais de plus en plus là, avec nous et décidée à faire entendre sa voix. Sans transiger sur quoi que ce soit. Paul Lay est au piano. On rappelle qu’il a obtenu en 2015 le prix Django Reinhardt, meilleur musicien français de jazz de l’année. On dira seulement, avec un rien de provocation, qu’il vaut bien mieux écouter les six minutes douze secondes de son improvisation en solo absolu sur une ballade de son leader que l’heure (?) d’improvisation que Keith Jarrett devrait dérouler le 6 juillet à l’auditorium de Bordeaux – prix des places totalement prohibitif, mais à Bordeaux on a les moyens, non ? En tous cas, Paul Lay est vraiment un pianiste magnifique, délicat ici, cogneur là, méditatif, intense, frappeur, reposé, reposant, excitant. Et avec ça soucieux de musique, et donc de ses partenaires. L’avenir d’un jazz vif, léger et bondissant.
Et puis Yoni Zelnick, le vieux copain de Niort, contrebasse qui se met en travers, et ça ne l’empêche pas, courbé comme un paysan sur sa faux, de nous jouer des motifs à répétition dignes des plus « low down », ou des solos transfigurés. Donald Kontomanou (entendu aussi avec Yonathan Avishai, le pianiste) est un batteur non seulement doté d’un sourire éclatant, mais encore capable de faire entendre ses caisses, ses fûts et ses cymbales avec un minimum de puissance de frappe. « Jouer loin, pas jouer fort », comme dit Aldo Romano. Le jazz, quoi, bien actuel parce qu’en acte. Avec tant de choses qui nous touchent aujourd’hui.
Touchés. Oui, c’est le mot. Géraldine Laurent, sans mot dire ou presque (en fait elle parle très bien d’elle-même, du métier, de la musique, etc.), vient de franchir une étape. Après avoir servi avec science et conscience, les maîtres anciens (de Parker à Gigi Gryce, en passant par Monk et Mingus, et puis tant d’autres), elle joue maintenant la musique qui sourd d’elle même, de sa plume, de son corps musicien. C’est dans sa manière, thèmes vrillés, phrases qui virevoltent, et puis c’est elle, danseuse, chanteuse, tendre, affectée un peu, mais pas trop, caressante. La musique passe, entre eux quatre il n’est question que de ça, la fatigue s’oublie – enfin nous on le croit, on le sait. Une musique de passion, de passion discrète. Drôlement fort, malgré la fragilité. Et drôlement beau. On quitte Cénac vers minuit. Oui… elle n’a pas joué « Round Midnight » en rappel, mais « Goodbye Pork Pie Hat » de Mingus, ce thème magnifique offert à Lester Young. Les jeunes musiciens veulent savoir, sur ce passé. Il y a peu à dire et beaucoup : ils ont, dans l’ensemble, tout donné à la musique et pas grand chose aux fétiches. Ils ont eu tort ?
Philippe Méziat