Jazz à Luz 2016 (2)
À l’image du temps sur les Pyrénées ce jour, le deuxième jour de festival aura offert plusieurs éclaircies enchantées.
Festival Jazz à Luz
Jeudi 14 juillet 2016, Chapiteau du verger, 11h
Trio Gaspar Claus, Will Guthrie, Thomas Bonvalet
Gaspar Claus (vlle), Thomas Bonvalet (banjo, objets sonores), Will Guthrie (dm, perc)
Contrairement à l’événement de la veille, avec le trio de Ches Smith, le concert inaugural de la journée a remporté tous les suffrages. Et votre chroniqueur ne jouera pas les corbeaux et s’associera aux louanges d’un concert en tous points réussi.
Pas évident pour autant d’en rendre compte, d’en cerner les raisons ! D’autant que Jean-Pierre Layrac a présenté le groupe comme « des musiciens a priori pas faits pour se rencontrer »… Le fait qu’il s’agisse d’un trio récent, dont la première création n’a eu lieu qu’en mai au Penn ar jazz de Brest n’explique pas nécessairement la fraîcheur de l’ensemble. On connaît plus d’une formation ainsi assemblée pour lesquelles cela, soit n’a pas du tout fonctionné, soit a explosé au bout de quelques répétitions.
Côté esthétique, l’explication demeure périlleuse. À cause du premier morceau, on pourrait avancer l’idée d’une « musique industrieuse tribale », la pulsation étant placée au centre des débats, l’extase attendue se voyant perturbée par des parasitages bruitistes notamment de Gaspar Claus. Mais la deuxième longue improvisation tourne vers un oxymorique « chaos en organisation », avec injections paradoxales de bribes de swing up tempo par Will Guthrie (magnifique drive et un son de cymbale qui ne l’est pas moins). La teinte prise par l’ultime longue improvisation du concert eut quelque chose du zen japonais – par les sonorités des deux instrumentistes à cordes (claquements secs des cordes, temporalité étale, sentiment modal…) –, et déboucha sur l’expression pure d’une pulsation ressassée, après un beau passage tintinnabulant. De bout en bout, Thomas Bonvallet fut somptueux.
In fine, l’état d’une certaine grâce dans lequel nous projeta le trio Claus/Gunthrie/Bonvalet fut de nature dynamique, composé d’univers successifs, tous inscrits dans un mouvement avec peu d’anticipations possibles pour les auditeurs. Immergés dans l’ici et le maintenant, les musiciens y entraînaient d’autant mieux leur public. L’important dans cette musique n’était en effet ni progression, ni but à atteindre, mais la pure action en train d’être réalisée.
N’est-ce pas la fin de tout musicien, pourrait-on rétorquer ? Certes, mais les moyens et les stratégies mises en place ne sont souvent pas ceux de ce trio, qui consistent à ne rien promettre, à ne rien faire désirer, les instants non prévus succédant aux instants non prévisibles.
Festival Jazz à Luz
Jeudi 14 juillet 2016, Maison de la vallée, 15h
Fidel Fourneyron Solo
Fidel Fourneyron (tb)
Cette année le festival Jazz à Luz a permis à plusieurs musiciens porteurs d’une ambition forte en solo de s’exprimer, Fidel Fourneyron ouvrant le bal.
Tout en donnant libre cours à son imagination improvisatrice, chaque pièce exécutée par le tromboniste reposa sur un échafaudage précis. La première pièce s’apparenta à un refrain/couplets, le refrain constitué de multiphoniques, et les couplets basés sur l’idée de vitesse (par sauts de registre ou par le débit). La pièce suivante fut davantage proche d’un ABA’ aux coutures flexibles, tandis que la suivante reposa sur un motif ressassé, assez monkien dans sa simplicité relative. L’avant-dernière exécution reposa pour partie sur un effet de saturation lontano, l’une des marques de fabrique de Marc Ducret, grâce à un jeu en octaves (la note soufflée au trombone étant doublée par le voix de l’instrumentiste), cela avant qu’un ostinato installé dans le grave fut contrarié par des interventions garyvalentesques très puissantes dans l’aigu. Quant au groove de la dernière intervention de Fidel Fourneyron, il m’évoqua la ligne de basse du Black Market de Weather Report.
Fidel Fourneyron est un instrumentiste éblouissant, un musicien sincère et honnête qui propose des pièces du plus bel artisanat. Sans doute en rodage, le devenir de son projet en solo s’annonce des plus prometteurs.
A l’issue de ce solo, Anne Montaron anima une table ronde sur la question des collectifs en France. En attendant que les musiciens la rejoignent sur scène, elle s’adressa au public pour l’avertir des menaces qui pèsent sur les radios, et en particulier sur le groupe Radio France, le détricotage progressif du service public, qui a donné lieu à une grève importante l’année dernière, n’étant nullement à l’arrêt. Que les studios de la Radio, de « notre » radio, soient loués pour des prestations loin des missions initiatives du service public, passe encore. Mais que l’on définisse « ce que le public aime » ou affirmer que « telle musique n’intéresse (plus) personne », cela correspond-il à l’esprit qui par ses origines doit animer le service public ? Pour ma part, les médias qui s’adressent au plus grand nombre sont assez nombreux pour qu’il y en ait d’autres aux choix moins balisés, moins portés vers l’aliénation de masse. Les chaînes de Radio France, France Culture et France Musique en particulier, ont joué ce rôle auprès de moi, jeune puis moins jeune. Au nom de quoi proclame-t-on que « cela n’intéresse personne » ? Au nom de l’intérêt financier ! Inutile d’en dire davantage.
Lors de la table ronde, où se trouvèrent réunis Yann Gourdon (du collectif La Mobia), Fidel Fourneyron (membres de plusieurs collectifs), Jean-Brice Godet, Richard Comte, Julien Pontvianne et Alexandre Herer (collectif Onze Heure Onze), tous les témoignages concordèrent pour affirmer que le collectif s’impose quasiment comme la solution idéale pour continuer à vivre de sa musique « créative ». Le constat du rejet des étiquettes s’imposa également d’évidence aux dires de ces jeunes musiciens. En sous-texte, c’est la dureté des temps et la nécessité d’être pragmatique, de s’éloigner des attitudes politiques partisanes – ce qui ne signifie nullement refus de la politique, comme l’a rappelées l’un des intervenants – qui constituaient les idées ici exprimées.
En attendant le concert du soir, je fis comme beaucoup d’autres un détour à la salle du Forum de Luz-Saint-Sauveur pour déambuler au milieu des ballons de baudruches, des tubes et robinets, du savon, de l’eau et des trompettes en plastiques de l’Italien Alex Mendizabal. Ni installation, ni concert, il s’agissait de mettre en vibration les trompettes en plastique alimentées par un filet d’air très délicat (et précisément dosé) des gros ballons de baudruche. Tout au long des neuf heures de cette mise en action musicale d’une installation improbable, Alex Mendizabal resta actif pour ici modifier la pression d’air, là remettre de l’eau, ailleurs modifier l’angle de certains tubes… Sorte d’arte povera faisant chanter un matériau des plus simples, plusieurs personnes restèrent à l’écoute des variations perpétuelles de ce phénomène sonore que ni Cage ni Duchamp n’auraient renié !
Jeudi 14 juillet 2016, Chapiteau du verger, 19h
Le 7ème continent « Talking Trash »
Julián Elvira (fl, fl sub-cb), Joris Rühl, Joachim Badenhorst (cl, bcl), Eve Risser, Philippe Zoubek (p préparés), Pascal Niggenkemper (cb).
Le septième continent est cette immense étendue (six fois la France) de déchets de plastique amalgamés au nord de l’Océan Pacifique, par le jeu de différents courants. Cet effet collatéral de la surconsommation moderne a interpellé Pascal Niggenkemper (père d’un tout jeune enfant) qui a imaginé la constitution de ce sextette et imaginé son répertoire. Fidèle à sa philosophie, celle de la découverte, Jazz à Luz permettait d’entendre pour la première fois en France ce 7ème continent.
Dès la première plage, le ton est donné : texture sonore insaisissable, faite de bruissements, de crissements, d’hyper-aigus, d’infra-basse, de résidus de sons répandus par ressac formant de larges espaces. Ces passages apparemment libres – en réalité fondés sur quelque chose proche de l’aléatoire contrôlé – alternent avec d’autres aux mécaniques déglinguées, paraissant comme cassées du fait des sonorités injectées et des irrégularités rythmiques. Arrive ensuite une nouvelle plage de stagnation acide, opaque composée de tenues superposées envahissantes.
Bien que je tire à l’excès la métaphore du 7ème continent, la musique de Pascal Niggenkemper n’a rien de toxique. Pas plus que de la pollution subie. Loin d’un quelconque figuralisme, il donne à sentir des sentiments diffus, certainement inquiets, inspirés par ce constat atterrant/aberrant.
Plus le concert avance, plus on est happé par la production musicale. Elle possède une force d’attraction, une puissance d’expression toujours plus intense. Dans la seconde longue suite qui composa ensuite le répertoire du groupe, plusieurs évocations m’orientèrent pourtant vers une interprétation possible. Je remarquais tout d’abord une orchestration frappante du Concerto de chambre de Ligeti (flûte sub-contrebasse doublé par l’aigu du piano) ; un peu plus loin j’ai cru reconnaître un bout de phrase du Sacre du printemps ; un ami pensa, à raison, aux fanfares de Charles Ives. Et si Pascal Niggenkemper avait imaginé de truffer ses partitions de débris de musiques du passé, images dégradées d’une société à l’origine du 7ème continent ? Interrogé le lendemain, ce dernier infirma cette hypothèse…
Quoi qu’il en soit, la musique du sextette s’avéra non seulement originale – servie par d’admirables musiciens tous en phase –, non seulement porteuse d’un message important (si non, pourquoi un tel de nom de groupe ?), mais aussi à la puissance expressive éclatante, puissante, troublante. C’est pour ce genre d’émotion inattendue que l’on se déplace à Jazz à Luz.
Jeudi 14 juillet 2016, Chapiteau du verger, 23h
Les massifs de fleurs
Frédéric Le Junter (vx, machines bidouillées), Dominique Répécaud (elg).
Après que La Bande à Bacchus[1] ait animé les alentours du bar du verger avec succès, un duo iconoclaste était chargé de rendre encore plus belle la fête du 14 juillet. Mais à sa façon, décalée. Sur fond de guitare post-rock 70’s ouverte au free, Frédéric Le Junter joua au trublion avec des objets producteurs de sons de sa fabrication et des textes déclamés que, parfois, les pataphysiciens ou les surréalistes ne renieraient pas. On peut dire aussi, pour avoir une idée, que Les massifs de fleurs sont un peu l’équivalent de Didier Super en version bruitiste-free. Drôle (reprise de paroles de Johnny Halliday !) et percutant.
Vendredi 15 juillet 2016, Maison de la vallée, 1h15
France
Yann Gourdon (vielle à roue), Jérémie Sauvage (elb), Mathieu Tilly (dm).
Programmer un groupe nommé France n’est pas un geste anodin le soir du 14 juillet. De même, se nommer Jérémie Sauvage pour jouer une musique de transe est un signe du destin. Car, bien évidemment, le trio collectif France ne verse pas dans la musique « traditionnelle-traditionnelle » (comme on dit de nos jours qu’un musicien peut jouer « jazz-jazz »). Il y a certes la présence du bourdon de la vielle à roue, mais traité à la manière d’un drone. Et si la danse est le but déclaré d’une telle musique, elle a peu à voir avec la bourrée. « Entre krautrok et musique répétitive » explique le livret du festival. En tout cas, une autoroute du son qui enfle jusqu’à plus soif. Votre chroniqueur – qui, précision importante, danse plutôt peu – a fini par fuir les décibels. D’autant que dès 10h le lendemain, les festivaliers étaient invités à une balade musicale dans les montagnes…
[1] Simon Ferrari (ss, vx), Jean-Jacques Canon, Pablo Valat (tp), Eric Chafer (tu), Fabien Vallé (acc).|À l’image du temps sur les Pyrénées ce jour, le deuxième jour de festival aura offert plusieurs éclaircies enchantées.
Festival Jazz à Luz
Jeudi 14 juillet 2016, Chapiteau du verger, 11h
Trio Gaspar Claus, Will Guthrie, Thomas Bonvalet
Gaspar Claus (vlle), Thomas Bonvalet (banjo, objets sonores), Will Guthrie (dm, perc)
Contrairement à l’événement de la veille, avec le trio de Ches Smith, le concert inaugural de la journée a remporté tous les suffrages. Et votre chroniqueur ne jouera pas les corbeaux et s’associera aux louanges d’un concert en tous points réussi.
Pas évident pour autant d’en rendre compte, d’en cerner les raisons ! D’autant que Jean-Pierre Layrac a présenté le groupe comme « des musiciens a priori pas faits pour se rencontrer »… Le fait qu’il s’agisse d’un trio récent, dont la première création n’a eu lieu qu’en mai au Penn ar jazz de Brest n’explique pas nécessairement la fraîcheur de l’ensemble. On connaît plus d’une formation ainsi assemblée pour lesquelles cela, soit n’a pas du tout fonctionné, soit a explosé au bout de quelques répétitions.
Côté esthétique, l’explication demeure périlleuse. À cause du premier morceau, on pourrait avancer l’idée d’une « musique industrieuse tribale », la pulsation étant placée au centre des débats, l’extase attendue se voyant perturbée par des parasitages bruitistes notamment de Gaspar Claus. Mais la deuxième longue improvisation tourne vers un oxymorique « chaos en organisation », avec injections paradoxales de bribes de swing up tempo par Will Guthrie (magnifique drive et un son de cymbale qui ne l’est pas moins). La teinte prise par l’ultime longue improvisation du concert eut quelque chose du zen japonais – par les sonorités des deux instrumentistes à cordes (claquements secs des cordes, temporalité étale, sentiment modal…) –, et déboucha sur l’expression pure d’une pulsation ressassée, après un beau passage tintinnabulant. De bout en bout, Thomas Bonvallet fut somptueux.
In fine, l’état d’une certaine grâce dans lequel nous projeta le trio Claus/Gunthrie/Bonvalet fut de nature dynamique, composé d’univers successifs, tous inscrits dans un mouvement avec peu d’anticipations possibles pour les auditeurs. Immergés dans l’ici et le maintenant, les musiciens y entraînaient d’autant mieux leur public. L’important dans cette musique n’était en effet ni progression, ni but à atteindre, mais la pure action en train d’être réalisée.
N’est-ce pas la fin de tout musicien, pourrait-on rétorquer ? Certes, mais les moyens et les stratégies mises en place ne sont souvent pas ceux de ce trio, qui consistent à ne rien promettre, à ne rien faire désirer, les instants non prévus succédant aux instants non prévisibles.
Festival Jazz à Luz
Jeudi 14 juillet 2016, Maison de la vallée, 15h
Fidel Fourneyron Solo
Fidel Fourneyron (tb)
Cette année le festival Jazz à Luz a permis à plusieurs musiciens porteurs d’une ambition forte en solo de s’exprimer, Fidel Fourneyron ouvrant le bal.
Tout en donnant libre cours à son imagination improvisatrice, chaque pièce exécutée par le tromboniste reposa sur un échafaudage précis. La première pièce s’apparenta à un refrain/couplets, le refrain constitué de multiphoniques, et les couplets basés sur l’idée de vitesse (par sauts de registre ou par le débit). La pièce suivante fut davantage proche d’un ABA’ aux coutures flexibles, tandis que la suivante reposa sur un motif ressassé, assez monkien dans sa simplicité relative. L’avant-dernière exécution reposa pour partie sur un effet de saturation lontano, l’une des marques de fabrique de Marc Ducret, grâce à un jeu en octaves (la note soufflée au trombone étant doublée par le voix de l’instrumentiste), cela avant qu’un ostinato installé dans le grave fut contrarié par des interventions garyvalentesques très puissantes dans l’aigu. Quant au groove de la dernière intervention de Fidel Fourneyron, il m’évoqua la ligne de basse du Black Market de Weather Report.
Fidel Fourneyron est un instrumentiste éblouissant, un musicien sincère et honnête qui propose des pièces du plus bel artisanat. Sans doute en rodage, le devenir de son projet en solo s’annonce des plus prometteurs.
A l’issue de ce solo, Anne Montaron anima une table ronde sur la question des collectifs en France. En attendant que les musiciens la rejoignent sur scène, elle s’adressa au public pour l’avertir des menaces qui pèsent sur les radios, et en particulier sur le groupe Radio France, le détricotage progressif du service public, qui a donné lieu à une grève importante l’année dernière, n’étant nullement à l’arrêt. Que les studios de la Radio, de « notre » radio, soient loués pour des prestations loin des missions initiatives du service public, passe encore. Mais que l’on définisse « ce que le public aime » ou affirmer que « telle musique n’intéresse (plus) personne », cela correspond-il à l’esprit qui par ses origines doit animer le service public ? Pour ma part, les médias qui s’adressent au plus grand nombre sont assez nombreux pour qu’il y en ait d’autres aux choix moins balisés, moins portés vers l’aliénation de masse. Les chaînes de Radio France, France Culture et France Musique en particulier, ont joué ce rôle auprès de moi, jeune puis moins jeune. Au nom de quoi proclame-t-on que « cela n’intéresse personne » ? Au nom de l’intérêt financier ! Inutile d’en dire davantage.
Lors de la table ronde, où se trouvèrent réunis Yann Gourdon (du collectif La Mobia), Fidel Fourneyron (membres de plusieurs collectifs), Jean-Brice Godet, Richard Comte, Julien Pontvianne et Alexandre Herer (collectif Onze Heure Onze), tous les témoignages concordèrent pour affirmer que le collectif s’impose quasiment comme la solution idéale pour continuer à vivre de sa musique « créative ». Le constat du rejet des étiquettes s’imposa également d’évidence aux dires de ces jeunes musiciens. En sous-texte, c’est la dureté des temps et la nécessité d’être pragmatique, de s’éloigner des attitudes politiques partisanes – ce qui ne signifie nullement refus de la politique, comme l’a rappelées l’un des intervenants – qui constituaient les idées ici exprimées.
En attendant le concert du soir, je fis comme beaucoup d’autres un détour à la salle du Forum de Luz-Saint-Sauveur pour déambuler au milieu des ballons de baudruches, des tubes et robinets, du savon, de l’eau et des trompettes en plastiques de l’Italien Alex Mendizabal. Ni installation, ni concert, il s’agissait de mettre en vibration les trompettes en plastique alimentées par un filet d’air très délicat (et précisément dosé) des gros ballons de baudruche. Tout au long des neuf heures de cette mise en action musicale d’une installation improbable, Alex Mendizabal resta actif pour ici modifier la pression d’air, là remettre de l’eau, ailleurs modifier l’angle de certains tubes… Sorte d’arte povera faisant chanter un matériau des plus simples, plusieurs personnes restèrent à l’écoute des variations perpétuelles de ce phénomène sonore que ni Cage ni Duchamp n’auraient renié !
Jeudi 14 juillet 2016, Chapiteau du verger, 19h
Le 7ème continent « Talking Trash »
Julián Elvira (fl, fl sub-cb), Joris Rühl, Joachim Badenhorst (cl, bcl), Eve Risser, Philippe Zoubek (p préparés), Pascal Niggenkemper (cb).
Le septième continent est cette immense étendue (six fois la France) de déchets de plastique amalgamés au nord de l’Océan Pacifique, par le jeu de différents courants. Cet effet collatéral de la surconsommation moderne a interpellé Pascal Niggenkemper (père d’un tout jeune enfant) qui a imaginé la constitution de ce sextette et imaginé son répertoire. Fidèle à sa philosophie, celle de la découverte, Jazz à Luz permettait d’entendre pour la première fois en France ce 7ème continent.
Dès la première plage, le ton est donné : texture sonore insaisissable, faite de bruissements, de crissements, d’hyper-aigus, d’infra-basse, de résidus de sons répandus par ressac formant de larges espaces. Ces passages apparemment libres – en réalité fondés sur quelque chose proche de l’aléatoire contrôlé – alternent avec d’autres aux mécaniques déglinguées, paraissant comme cassées du fait des sonorités injectées et des irrégularités rythmiques. Arrive ensuite une nouvelle plage de stagnation acide, opaque composée de tenues superposées envahissantes.
Bien que je tire à l’excès la métaphore du 7ème continent, la musique de Pascal Niggenkemper n’a rien de toxique. Pas plus que de la pollution subie. Loin d’un quelconque figuralisme, il donne à sentir des sentiments diffus, certainement inquiets, inspirés par ce constat atterrant/aberrant.
Plus le concert avance, plus on est happé par la production musicale. Elle possède une force d’attraction, une puissance d’expression toujours plus intense. Dans la seconde longue suite qui composa ensuite le répertoire du groupe, plusieurs évocations m’orientèrent pourtant vers une interprétation possible. Je remarquais tout d’abord une orchestration frappante du Concerto de chambre de Ligeti (flûte sub-contrebasse doublé par l’aigu du piano) ; un peu plus loin j’ai cru reconnaître un bout de phrase du Sacre du printemps ; un ami pensa, à raison, aux fanfares de Charles Ives. Et si Pascal Niggenkemper avait imaginé de truffer ses partitions de débris de musiques du passé, images dégradées d’une société à l’origine du 7ème continent ? Interrogé le lendemain, ce dernier infirma cette hypothèse…
Quoi qu’il en soit, la musique du sextette s’avéra non seulement originale – servie par d’admirables musiciens tous en phase –, non seulement porteuse d’un message important (si non, pourquoi un tel de nom de groupe ?), mais aussi à la puissance expressive éclatante, puissante, troublante. C’est pour ce genre d’émotion inattendue que l’on se déplace à Jazz à Luz.
Jeudi 14 juillet 2016, Chapiteau du verger, 23h
Les massifs de fleurs
Frédéric Le Junter (vx, machines bidouillées), Dominique Répécaud (elg).
Après que La Bande à Bacchus[1] ait animé les alentours du bar du verger avec succès, un duo iconoclaste était chargé de rendre encore plus belle la fête du 14 juillet. Mais à sa façon, décalée. Sur fond de guitare post-rock 70’s ouverte au free, Frédéric Le Junter joua au trublion avec des objets producteurs de sons de sa fabrication et des textes déclamés que, parfois, les pataphysiciens ou les surréalistes ne renieraient pas. On peut dire aussi, pour avoir une idée, que Les massifs de fleurs sont un peu l’équivalent de Didier Super en version bruitiste-free. Drôle (reprise de paroles de Johnny Halliday !) et percutant.
Vendredi 15 juillet 2016, Maison de la vallée, 1h15
France
Yann Gourdon (vielle à roue), Jérémie Sauvage (elb), Mathieu Tilly (dm).
Programmer un groupe nommé France n’est pas un geste anodin le soir du 14 juillet. De même, se nommer Jérémie Sauvage pour jouer une musique de transe est un signe du destin. Car, bien évidemment, le trio collectif France ne verse pas dans la musique « traditionnelle-traditionnelle » (comme on dit de nos jours qu’un musicien peut jouer « jazz-jazz »). Il y a certes la présence du bourdon de la vielle à roue, mais traité à la manière d’un drone. Et si la danse est le but déclaré d’une telle musique, elle a peu à voir avec la bourrée. « Entre krautrok et musique répétitive » explique le livret du festival. En tout cas, une autoroute du son qui enfle jusqu’à plus soif. Votre chroniqueur – qui, précision importante, danse plutôt peu – a fini par fuir les décibels. D’autant que dès 10h le lendemain, les festivaliers étaient invités à une balade musicale dans les montagnes…
[1] Simon Ferrari (ss, vx), Jean-Jacques Canon, Pablo Valat (tp), Eric Chafer (tu), Fabien Vallé (acc).|À l’image du temps sur les Pyrénées ce jour, le deuxième jour de festival aura offert plusieurs éclaircies enchantées.
Festival Jazz à Luz
Jeudi 14 juillet 2016, Chapiteau du verger, 11h
Trio Gaspar Claus, Will Guthrie, Thomas Bonvalet
Gaspar Claus (vlle), Thomas Bonvalet (banjo, objets sonores), Will Guthrie (dm, perc)
Contrairement à l’événement de la veille, avec le trio de Ches Smith, le concert inaugural de la journée a remporté tous les suffrages. Et votre chroniqueur ne jouera pas les corbeaux et s’associera aux louanges d’un concert en tous points réussi.
Pas évident pour autant d’en rendre compte, d’en cerner les raisons ! D’autant que Jean-Pierre Layrac a présenté le groupe comme « des musiciens a priori pas faits pour se rencontrer »… Le fait qu’il s’agisse d’un trio récent, dont la première création n’a eu lieu qu’en mai au Penn ar jazz de Brest n’explique pas nécessairement la fraîcheur de l’ensemble. On connaît plus d’une formation ainsi assemblée pour lesquelles cela, soit n’a pas du tout fonctionné, soit a explosé au bout de quelques répétitions.
Côté esthétique, l’explication demeure périlleuse. À cause du premier morceau, on pourrait avancer l’idée d’une « musique industrieuse tribale », la pulsation étant placée au centre des débats, l’extase attendue se voyant perturbée par des parasitages bruitistes notamment de Gaspar Claus. Mais la deuxième longue improvisation tourne vers un oxymorique « chaos en organisation », avec injections paradoxales de bribes de swing up tempo par Will Guthrie (magnifique drive et un son de cymbale qui ne l’est pas moins). La teinte prise par l’ultime longue improvisation du concert eut quelque chose du zen japonais – par les sonorités des deux instrumentistes à cordes (claquements secs des cordes, temporalité étale, sentiment modal…) –, et déboucha sur l’expression pure d’une pulsation ressassée, après un beau passage tintinnabulant. De bout en bout, Thomas Bonvallet fut somptueux.
In fine, l’état d’une certaine grâce dans lequel nous projeta le trio Claus/Gunthrie/Bonvalet fut de nature dynamique, composé d’univers successifs, tous inscrits dans un mouvement avec peu d’anticipations possibles pour les auditeurs. Immergés dans l’ici et le maintenant, les musiciens y entraînaient d’autant mieux leur public. L’important dans cette musique n’était en effet ni progression, ni but à atteindre, mais la pure action en train d’être réalisée.
N’est-ce pas la fin de tout musicien, pourrait-on rétorquer ? Certes, mais les moyens et les stratégies mises en place ne sont souvent pas ceux de ce trio, qui consistent à ne rien promettre, à ne rien faire désirer, les instants non prévus succédant aux instants non prévisibles.
Festival Jazz à Luz
Jeudi 14 juillet 2016, Maison de la vallée, 15h
Fidel Fourneyron Solo
Fidel Fourneyron (tb)
Cette année le festival Jazz à Luz a permis à plusieurs musiciens porteurs d’une ambition forte en solo de s’exprimer, Fidel Fourneyron ouvrant le bal.
Tout en donnant libre cours à son imagination improvisatrice, chaque pièce exécutée par le tromboniste reposa sur un échafaudage précis. La première pièce s’apparenta à un refrain/couplets, le refrain constitué de multiphoniques, et les couplets basés sur l’idée de vitesse (par sauts de registre ou par le débit). La pièce suivante fut davantage proche d’un ABA’ aux coutures flexibles, tandis que la suivante reposa sur un motif ressassé, assez monkien dans sa simplicité relative. L’avant-dernière exécution reposa pour partie sur un effet de saturation lontano, l’une des marques de fabrique de Marc Ducret, grâce à un jeu en octaves (la note soufflée au trombone étant doublée par le voix de l’instrumentiste), cela avant qu’un ostinato installé dans le grave fut contrarié par des interventions garyvalentesques très puissantes dans l’aigu. Quant au groove de la dernière intervention de Fidel Fourneyron, il m’évoqua la ligne de basse du Black Market de Weather Report.
Fidel Fourneyron est un instrumentiste éblouissant, un musicien sincère et honnête qui propose des pièces du plus bel artisanat. Sans doute en rodage, le devenir de son projet en solo s’annonce des plus prometteurs.
A l’issue de ce solo, Anne Montaron anima une table ronde sur la question des collectifs en France. En attendant que les musiciens la rejoignent sur scène, elle s’adressa au public pour l’avertir des menaces qui pèsent sur les radios, et en particulier sur le groupe Radio France, le détricotage progressif du service public, qui a donné lieu à une grève importante l’année dernière, n’étant nullement à l’arrêt. Que les studios de la Radio, de « notre » radio, soient loués pour des prestations loin des missions initiatives du service public, passe encore. Mais que l’on définisse « ce que le public aime » ou affirmer que « telle musique n’intéresse (plus) personne », cela correspond-il à l’esprit qui par ses origines doit animer le service public ? Pour ma part, les médias qui s’adressent au plus grand nombre sont assez nombreux pour qu’il y en ait d’autres aux choix moins balisés, moins portés vers l’aliénation de masse. Les chaînes de Radio France, France Culture et France Musique en particulier, ont joué ce rôle auprès de moi, jeune puis moins jeune. Au nom de quoi proclame-t-on que « cela n’intéresse personne » ? Au nom de l’intérêt financier ! Inutile d’en dire davantage.
Lors de la table ronde, où se trouvèrent réunis Yann Gourdon (du collectif La Mobia), Fidel Fourneyron (membres de plusieurs collectifs), Jean-Brice Godet, Richard Comte, Julien Pontvianne et Alexandre Herer (collectif Onze Heure Onze), tous les témoignages concordèrent pour affirmer que le collectif s’impose quasiment comme la solution idéale pour continuer à vivre de sa musique « créative ». Le constat du rejet des étiquettes s’imposa également d’évidence aux dires de ces jeunes musiciens. En sous-texte, c’est la dureté des temps et la nécessité d’être pragmatique, de s’éloigner des attitudes politiques partisanes – ce qui ne signifie nullement refus de la politique, comme l’a rappelées l’un des intervenants – qui constituaient les idées ici exprimées.
En attendant le concert du soir, je fis comme beaucoup d’autres un détour à la salle du Forum de Luz-Saint-Sauveur pour déambuler au milieu des ballons de baudruches, des tubes et robinets, du savon, de l’eau et des trompettes en plastiques de l’Italien Alex Mendizabal. Ni installation, ni concert, il s’agissait de mettre en vibration les trompettes en plastique alimentées par un filet d’air très délicat (et précisément dosé) des gros ballons de baudruche. Tout au long des neuf heures de cette mise en action musicale d’une installation improbable, Alex Mendizabal resta actif pour ici modifier la pression d’air, là remettre de l’eau, ailleurs modifier l’angle de certains tubes… Sorte d’arte povera faisant chanter un matériau des plus simples, plusieurs personnes restèrent à l’écoute des variations perpétuelles de ce phénomène sonore que ni Cage ni Duchamp n’auraient renié !
Jeudi 14 juillet 2016, Chapiteau du verger, 19h
Le 7ème continent « Talking Trash »
Julián Elvira (fl, fl sub-cb), Joris Rühl, Joachim Badenhorst (cl, bcl), Eve Risser, Philippe Zoubek (p préparés), Pascal Niggenkemper (cb).
Le septième continent est cette immense étendue (six fois la France) de déchets de plastique amalgamés au nord de l’Océan Pacifique, par le jeu de différents courants. Cet effet collatéral de la surconsommation moderne a interpellé Pascal Niggenkemper (père d’un tout jeune enfant) qui a imaginé la constitution de ce sextette et imaginé son répertoire. Fidèle à sa philosophie, celle de la découverte, Jazz à Luz permettait d’entendre pour la première fois en France ce 7ème continent.
Dès la première plage, le ton est donné : texture sonore insaisissable, faite de bruissements, de crissements, d’hyper-aigus, d’infra-basse, de résidus de sons répandus par ressac formant de larges espaces. Ces passages apparemment libres – en réalité fondés sur quelque chose proche de l’aléatoire contrôlé – alternent avec d’autres aux mécaniques déglinguées, paraissant comme cassées du fait des sonorités injectées et des irrégularités rythmiques. Arrive ensuite une nouvelle plage de stagnation acide, opaque composée de tenues superposées envahissantes.
Bien que je tire à l’excès la métaphore du 7ème continent, la musique de Pascal Niggenkemper n’a rien de toxique. Pas plus que de la pollution subie. Loin d’un quelconque figuralisme, il donne à sentir des sentiments diffus, certainement inquiets, inspirés par ce constat atterrant/aberrant.
Plus le concert avance, plus on est happé par la production musicale. Elle possède une force d’attraction, une puissance d’expression toujours plus intense. Dans la seconde longue suite qui composa ensuite le répertoire du groupe, plusieurs évocations m’orientèrent pourtant vers une interprétation possible. Je remarquais tout d’abord une orchestration frappante du Concerto de chambre de Ligeti (flûte sub-contrebasse doublé par l’aigu du piano) ; un peu plus loin j’ai cru reconnaître un bout de phrase du Sacre du printemps ; un ami pensa, à raison, aux fanfares de Charles Ives. Et si Pascal Niggenkemper avait imaginé de truffer ses partitions de débris de musiques du passé, images dégradées d’une société à l’origine du 7ème continent ? Interrogé le lendemain, ce dernier infirma cette hypothèse…
Quoi qu’il en soit, la musique du sextette s’avéra non seulement originale – servie par d’admirables musiciens tous en phase –, non seulement porteuse d’un message important (si non, pourquoi un tel de nom de groupe ?), mais aussi à la puissance expressive éclatante, puissante, troublante. C’est pour ce genre d’émotion inattendue que l’on se déplace à Jazz à Luz.
Jeudi 14 juillet 2016, Chapiteau du verger, 23h
Les massifs de fleurs
Frédéric Le Junter (vx, machines bidouillées), Dominique Répécaud (elg).
Après que La Bande à Bacchus[1] ait animé les alentours du bar du verger avec succès, un duo iconoclaste était chargé de rendre encore plus belle la fête du 14 juillet. Mais à sa façon, décalée. Sur fond de guitare post-rock 70’s ouverte au free, Frédéric Le Junter joua au trublion avec des objets producteurs de sons de sa fabrication et des textes déclamés que, parfois, les pataphysiciens ou les surréalistes ne renieraient pas. On peut dire aussi, pour avoir une idée, que Les massifs de fleurs sont un peu l’équivalent de Didier Super en version bruitiste-free. Drôle (reprise de paroles de Johnny Halliday !) et percutant.
Vendredi 15 juillet 2016, Maison de la vallée, 1h15
France
Yann Gourdon (vielle à roue), Jérémie Sauvage (elb), Mathieu Tilly (dm).
Programmer un groupe nommé France n’est pas un geste anodin le soir du 14 juillet. De même, se nommer Jérémie Sauvage pour jouer une musique de transe est un signe du destin. Car, bien évidemment, le trio collectif France ne verse pas dans la musique « traditionnelle-traditionnelle » (comme on dit de nos jours qu’un musicien peut jouer « jazz-jazz »). Il y a certes la présence du bourdon de la vielle à roue, mais traité à la manière d’un drone. Et si la danse est le but déclaré d’une telle musique, elle a peu à voir avec la bourrée. « Entre krautrok et musique répétitive » explique le livret du festival. En tout cas, une autoroute du son qui enfle jusqu’à plus soif. Votre chroniqueur – qui, précision importante, danse plutôt peu – a fini par fuir les décibels. D’autant que dès 10h le lendemain, les festivaliers étaient invités à une balade musicale dans les montagnes…
[1] Simon Ferrari (ss, vx), Jean-Jacques Canon, Pablo Valat (tp), Eric Chafer (tu), Fabien Vallé (acc).|À l’image du temps sur les Pyrénées ce jour, le deuxième jour de festival aura offert plusieurs éclaircies enchantées.
Festival Jazz à Luz
Jeudi 14 juillet 2016, Chapiteau du verger, 11h
Trio Gaspar Claus, Will Guthrie, Thomas Bonvalet
Gaspar Claus (vlle), Thomas Bonvalet (banjo, objets sonores), Will Guthrie (dm, perc)
Contrairement à l’événement de la veille, avec le trio de Ches Smith, le concert inaugural de la journée a remporté tous les suffrages. Et votre chroniqueur ne jouera pas les corbeaux et s’associera aux louanges d’un concert en tous points réussi.
Pas évident pour autant d’en rendre compte, d’en cerner les raisons ! D’autant que Jean-Pierre Layrac a présenté le groupe comme « des musiciens a priori pas faits pour se rencontrer »… Le fait qu’il s’agisse d’un trio récent, dont la première création n’a eu lieu qu’en mai au Penn ar jazz de Brest n’explique pas nécessairement la fraîcheur de l’ensemble. On connaît plus d’une formation ainsi assemblée pour lesquelles cela, soit n’a pas du tout fonctionné, soit a explosé au bout de quelques répétitions.
Côté esthétique, l’explication demeure périlleuse. À cause du premier morceau, on pourrait avancer l’idée d’une « musique industrieuse tribale », la pulsation étant placée au centre des débats, l’extase attendue se voyant perturbée par des parasitages bruitistes notamment de Gaspar Claus. Mais la deuxième longue improvisation tourne vers un oxymorique « chaos en organisation », avec injections paradoxales de bribes de swing up tempo par Will Guthrie (magnifique drive et un son de cymbale qui ne l’est pas moins). La teinte prise par l’ultime longue improvisation du concert eut quelque chose du zen japonais – par les sonorités des deux instrumentistes à cordes (claquements secs des cordes, temporalité étale, sentiment modal…) –, et déboucha sur l’expression pure d’une pulsation ressassée, après un beau passage tintinnabulant. De bout en bout, Thomas Bonvallet fut somptueux.
In fine, l’état d’une certaine grâce dans lequel nous projeta le trio Claus/Gunthrie/Bonvalet fut de nature dynamique, composé d’univers successifs, tous inscrits dans un mouvement avec peu d’anticipations possibles pour les auditeurs. Immergés dans l’ici et le maintenant, les musiciens y entraînaient d’autant mieux leur public. L’important dans cette musique n’était en effet ni progression, ni but à atteindre, mais la pure action en train d’être réalisée.
N’est-ce pas la fin de tout musicien, pourrait-on rétorquer ? Certes, mais les moyens et les stratégies mises en place ne sont souvent pas ceux de ce trio, qui consistent à ne rien promettre, à ne rien faire désirer, les instants non prévus succédant aux instants non prévisibles.
Festival Jazz à Luz
Jeudi 14 juillet 2016, Maison de la vallée, 15h
Fidel Fourneyron Solo
Fidel Fourneyron (tb)
Cette année le festival Jazz à Luz a permis à plusieurs musiciens porteurs d’une ambition forte en solo de s’exprimer, Fidel Fourneyron ouvrant le bal.
Tout en donnant libre cours à son imagination improvisatrice, chaque pièce exécutée par le tromboniste reposa sur un échafaudage précis. La première pièce s’apparenta à un refrain/couplets, le refrain constitué de multiphoniques, et les couplets basés sur l’idée de vitesse (par sauts de registre ou par le débit). La pièce suivante fut davantage proche d’un ABA’ aux coutures flexibles, tandis que la suivante reposa sur un motif ressassé, assez monkien dans sa simplicité relative. L’avant-dernière exécution reposa pour partie sur un effet de saturation lontano, l’une des marques de fabrique de Marc Ducret, grâce à un jeu en octaves (la note soufflée au trombone étant doublée par le voix de l’instrumentiste), cela avant qu’un ostinato installé dans le grave fut contrarié par des interventions garyvalentesques très puissantes dans l’aigu. Quant au groove de la dernière intervention de Fidel Fourneyron, il m’évoqua la ligne de basse du Black Market de Weather Report.
Fidel Fourneyron est un instrumentiste éblouissant, un musicien sincère et honnête qui propose des pièces du plus bel artisanat. Sans doute en rodage, le devenir de son projet en solo s’annonce des plus prometteurs.
A l’issue de ce solo, Anne Montaron anima une table ronde sur la question des collectifs en France. En attendant que les musiciens la rejoignent sur scène, elle s’adressa au public pour l’avertir des menaces qui pèsent sur les radios, et en particulier sur le groupe Radio France, le détricotage progressif du service public, qui a donné lieu à une grève importante l’année dernière, n’étant nullement à l’arrêt. Que les studios de la Radio, de « notre » radio, soient loués pour des prestations loin des missions initiatives du service public, passe encore. Mais que l’on définisse « ce que le public aime » ou affirmer que « telle musique n’intéresse (plus) personne », cela correspond-il à l’esprit qui par ses origines doit animer le service public ? Pour ma part, les médias qui s’adressent au plus grand nombre sont assez nombreux pour qu’il y en ait d’autres aux choix moins balisés, moins portés vers l’aliénation de masse. Les chaînes de Radio France, France Culture et France Musique en particulier, ont joué ce rôle auprès de moi, jeune puis moins jeune. Au nom de quoi proclame-t-on que « cela n’intéresse personne » ? Au nom de l’intérêt financier ! Inutile d’en dire davantage.
Lors de la table ronde, où se trouvèrent réunis Yann Gourdon (du collectif La Mobia), Fidel Fourneyron (membres de plusieurs collectifs), Jean-Brice Godet, Richard Comte, Julien Pontvianne et Alexandre Herer (collectif Onze Heure Onze), tous les témoignages concordèrent pour affirmer que le collectif s’impose quasiment comme la solution idéale pour continuer à vivre de sa musique « créative ». Le constat du rejet des étiquettes s’imposa également d’évidence aux dires de ces jeunes musiciens. En sous-texte, c’est la dureté des temps et la nécessité d’être pragmatique, de s’éloigner des attitudes politiques partisanes – ce qui ne signifie nullement refus de la politique, comme l’a rappelées l’un des intervenants – qui constituaient les idées ici exprimées.
En attendant le concert du soir, je fis comme beaucoup d’autres un détour à la salle du Forum de Luz-Saint-Sauveur pour déambuler au milieu des ballons de baudruches, des tubes et robinets, du savon, de l’eau et des trompettes en plastiques de l’Italien Alex Mendizabal. Ni installation, ni concert, il s’agissait de mettre en vibration les trompettes en plastique alimentées par un filet d’air très délicat (et précisément dosé) des gros ballons de baudruche. Tout au long des neuf heures de cette mise en action musicale d’une installation improbable, Alex Mendizabal resta actif pour ici modifier la pression d’air, là remettre de l’eau, ailleurs modifier l’angle de certains tubes… Sorte d’arte povera faisant chanter un matériau des plus simples, plusieurs personnes restèrent à l’écoute des variations perpétuelles de ce phénomène sonore que ni Cage ni Duchamp n’auraient renié !
Jeudi 14 juillet 2016, Chapiteau du verger, 19h
Le 7ème continent « Talking Trash »
Julián Elvira (fl, fl sub-cb), Joris Rühl, Joachim Badenhorst (cl, bcl), Eve Risser, Philippe Zoubek (p préparés), Pascal Niggenkemper (cb).
Le septième continent est cette immense étendue (six fois la France) de déchets de plastique amalgamés au nord de l’Océan Pacifique, par le jeu de différents courants. Cet effet collatéral de la surconsommation moderne a interpellé Pascal Niggenkemper (père d’un tout jeune enfant) qui a imaginé la constitution de ce sextette et imaginé son répertoire. Fidèle à sa philosophie, celle de la découverte, Jazz à Luz permettait d’entendre pour la première fois en France ce 7ème continent.
Dès la première plage, le ton est donné : texture sonore insaisissable, faite de bruissements, de crissements, d’hyper-aigus, d’infra-basse, de résidus de sons répandus par ressac formant de larges espaces. Ces passages apparemment libres – en réalité fondés sur quelque chose proche de l’aléatoire contrôlé – alternent avec d’autres aux mécaniques déglinguées, paraissant comme cassées du fait des sonorités injectées et des irrégularités rythmiques. Arrive ensuite une nouvelle plage de stagnation acide, opaque composée de tenues superposées envahissantes.
Bien que je tire à l’excès la métaphore du 7ème continent, la musique de Pascal Niggenkemper n’a rien de toxique. Pas plus que de la pollution subie. Loin d’un quelconque figuralisme, il donne à sentir des sentiments diffus, certainement inquiets, inspirés par ce constat atterrant/aberrant.
Plus le concert avance, plus on est happé par la production musicale. Elle possède une force d’attraction, une puissance d’expression toujours plus intense. Dans la seconde longue suite qui composa ensuite le répertoire du groupe, plusieurs évocations m’orientèrent pourtant vers une interprétation possible. Je remarquais tout d’abord une orchestration frappante du Concerto de chambre de Ligeti (flûte sub-contrebasse doublé par l’aigu du piano) ; un peu plus loin j’ai cru reconnaître un bout de phrase du Sacre du printemps ; un ami pensa, à raison, aux fanfares de Charles Ives. Et si Pascal Niggenkemper avait imaginé de truffer ses partitions de débris de musiques du passé, images dégradées d’une société à l’origine du 7ème continent ? Interrogé le lendemain, ce dernier infirma cette hypothèse…
Quoi qu’il en soit, la musique du sextette s’avéra non seulement originale – servie par d’admirables musiciens tous en phase –, non seulement porteuse d’un message important (si non, pourquoi un tel de nom de groupe ?), mais aussi à la puissance expressive éclatante, puissante, troublante. C’est pour ce genre d’émotion inattendue que l’on se déplace à Jazz à Luz.
Jeudi 14 juillet 2016, Chapiteau du verger, 23h
Les massifs de fleurs
Frédéric Le Junter (vx, machines bidouillées), Dominique Répécaud (elg).
Après que La Bande à Bacchus[1] ait animé les alentours du bar du verger avec succès, un duo iconoclaste était chargé de rendre encore plus belle la fête du 14 juillet. Mais à sa façon, décalée. Sur fond de guitare post-rock 70’s ouverte au free, Frédéric Le Junter joua au trublion avec des objets producteurs de sons de sa fabrication et des textes déclamés que, parfois, les pataphysiciens ou les surréalistes ne renieraient pas. On peut dire aussi, pour avoir une idée, que Les massifs de fleurs sont un peu l’équivalent de Didier Super en version bruitiste-free. Drôle (reprise de paroles de Johnny Halliday !) et percutant.
Vendredi 15 juillet 2016, Maison de la vallée, 1h15
France
Yann Gourdon (vielle à roue), Jérémie Sauvage (elb), Mathieu Tilly (dm).
Programmer un groupe nommé France n’est pas un geste anodin le soir du 14 juillet. De même, se nommer Jérémie Sauvage pour jouer une musique de transe est un signe du destin. Car, bien évidemment, le trio collectif France ne verse pas dans la musique « traditionnelle-traditionnelle » (comme on dit de nos jours qu’un musicien peut jouer « jazz-jazz »). Il y a certes la présence du bourdon de la vielle à roue, mais traité à la manière d’un drone. Et si la danse est le but déclaré d’une telle musique, elle a peu à voir avec la bourrée. « Entre krautrok et musique répétitive » explique le livret du festival. En tout cas, une autoroute du son qui enfle jusqu’à plus soif. Votre chroniqueur – qui, précision importante, danse plutôt peu – a fini par fuir les décibels. D’autant que dès 10h le lendemain, les festivaliers étaient invités à une balade musicale dans les montagnes…
[1] Simon Ferrari (ss, vx), Jean-Jacques Canon, Pablo Valat (tp), Eric Chafer (tu), Fabien Vallé (acc).