La nuit remue en Provence: au Mucem à Marseille, Sarah Mc Kenzie, Kyle Eastwood, Hugh Coltman, Jean Pierre Como
Le festival Marseille Jazz des Cinq continents (www.marseillejazz.com) dont la programmation n’a rien à envier aux grosses machines de Vienne ou Marciac en est à sa dix-septième édition. Il a su investir des lieux forts et emblématiques marseillais et il dure cette année du 20 au 29 juillet. L’événement commence pour moi avec les deux soirées de concerts en plein air des samedi 23 et dimanche 24 juillet au Mucem, l’une des plus heureuses réalisations architecturales (Rudy Ricciotti) de ces dernières années, ouvert lors de Marseille Capitale Culturelle 2013, événement dont la ville ne cesse de récolter les fruits.Le site sur mer, à l’entrée de la calanque du Vieux Port, est exceptionnel (reportez vous au plan du site www.mucem.org/fr/le-mucem/un-musee-trois-lieux/le-fort-saint-jean) avec les trois entrées possibles pour le premier soir qui ne deviendront plus qu’une le lendemain…. En ces temps plus que chaotiques, tout le personnel de sécurité est en place pour assurer le spectacle et rassurer le public de Marseillais et de touristes.
Première soirée, sponsorisée par le Conseil Général dont le slogan « La Provence de demain ça commence aujourd’hui » par un hasard des plus heureux, évoque la formule de Cortazar dans L’homme à l’affût, sur Charlie Parker « Je l’ai déjà joué demain ». Association d’idées qui n’est pas tout à fait incongrue car nous le verrons, ces soirées s’ancrent résolument dans l’hommage et la tradition.
Sarah McKenzie quartet : Sarah McKenzie(piano,voix), Joe Caleb(guitare),Pierre Boussaguet(contrebasse), Marco Valeri( batterie).
Je n’ai entendu de la blonde Australienne que son tube sur la playlist de France Inter « Quoi quoi quoi quoi », bossa sympathique à la ligne accrocheuse … devenant vite rengaine.
Révélée par un concours, il y a seulement 3 ans (elle n’a que 28 ans), elle a filé étudier à la Berklee School et commencé une série de tournées internationales. Voilà une grande fille toute simple, blanche et blonde. On ne va pas le lui reprocher tout de même. Elle a trouvé un trio de partenaires attentifs ( dont Pierre Boussaguet à la contrebasse et un guitariste déchaîné Joe Caleb, sans oublier le batteur Marco Valeri).Prenant classiquement leur solo, ils forment un écrin satiné pour la chanteuse-pianiste ( au jeu un peu en retrait) qui interprète des standards de Cole Porter comme « We Could Be Lovers », titre de son dernier album sur Impulse, d’ Henri Mancini ( une version étirée de « Moon River ») ce qui est toujours délicat, tant on a en tête la délicate Audrey Hepburn ( à la voix pourtant fluette), s’accompagnant à la guitare dans Breakfast at Tiffany’s . Mais Sarah n’en a cure et elle reprend également « Lover Man » immortalisée par Billie Holiday. C’est que le Great American Songbook lui plaît et qu’elle s’essaie à continuer dans cette voie quand elle compose ses propres mélodies comme « Don’t Tempt Me » : voilà un jazz classique rendu avec des ballades tendres, du swing ( alors, le swing ne concerne pas seulement les plus de 65 ans? Comme l’affirmait une charmante ingénue, « animatrice » radio de France Inter).
La voix de Sarah McKenzie est grave, souple, sans recherche d’effets ni de virtuosité. Elle ne se risque pas trop dans les aigus, il lui manque encore cette fragilité qui peut devenir sensuelle, un sens « dramatique » qu’ il lui faudrait mettre en scène. Mais l’articulation est claire et l’énonciation parfaite. Un jazz vocal efficace et prometteur.
L’ entracte n’est pas vraiment libre, il faudrait aller écouter dans deux lieux différents et opposés géographiquement, les jeunes pousses locales , issues -la concurrence est rude, du Conservatoire Régional One Foot, trio électro jazz sur la terrasse du J4, devenue « dance floor » ou de l’ IMFP de Salon ( Cour de la Commande -entrée du fort St Jean ) Minuit 10 avec rock et musiques du monde (dispositif Jazz Emergence ). Je n’ai que trop peu de temps pour écouter le trio marseillais ( Yessai et Marc Karapetian, Matthieu Front qui se presse lui aussi de remonter la passerelle pour atteindre la Cour des Armes, scène du prochain groupe ). A suivre….
Kyle Eastwood quintet : une affaire de famille, clin d’oeil à Song for my father.
Andrew McCormack(piano), Chris Higgins ottoman (batterie), Quentin Collins(trompette), Brandon Allen(saxophones)
A l’évidence, le public est venu pour voir jouer le fils de …qui vous savez, dans son nouvel opus, intitulé Time Pieces, sorti sur Jazz Village en 2015 . Et il ne sera pas déçu ! Après le Song from the Château enregistré dans le Bordelais, changement de cap pour ce 7ème album, avec un quintet qui a acquis en jouant collectifdepuis quelques années, un son de groupe et une dynamique propre. Le premier morceau annonce la couleur, un « Prosecco »* très vif, effervescent ( normal). Le deuxième titre est prestement enlevé avec un duo contrebasse/ batterie ( déjà sur Paris Blue en 2005) sur le célèbre « Big Noise from Winnetka » (Bob Haggart et Ray Beauduc 1938 , repris entre autre par Gene Krupa en 1958 ), lancé comme un « bullet train » . Puis suit un hommage non déguisé au jazz des années cinquante et soixante, à cette musique qu’il aime, le hard bop du pianiste Horace Silver, co-fondateur avec Art Blakey des Jazz Messengers : ça joue carré, efficace là encore, sans esbroufe et avec une « furia » maîtrisée , une précipitation très contrôlée , un swing ( j’y reviens) funk et vif …argent, un lyrisme fiévreux, des motifs à répétition qui mettent sous tension. L’ instrumentation est un quintet classique avec trompette et sax qui rivalisent de vélocité sur des thèmes bluesifiés ou gospelisés aux mélodies chantantes comme ce « Blowing the Blues away » qui vous emporte, ou un « Silver piece » qui reste en tête. D’ Horace Silver, on passe naturellement à Herbie Hancock et à sa « Dolphin Dance » ( du mythique Maiden Voyage, un classique Blue note). Bien sûr que l’on peut penser à Jaco Pastorius avec sa basse électrique mais la version de ce soir est d’une sensualité et fluidité rares. Si Kyle Eastwood joue sobrement de séduisantes lignes mélodiques dans l’esprit du blues, il n’en est pas moins éclectique musicalement : grand voyageur, il a composé des thèmes inspirés de musiques du monde et il interprète avec archet sur sa contrebasse prototype, un « Marrakech » accompagné d’un Brandon Allen au soprano, très convaincant pour rendre la couleur de la place Jeema El Fna aux charmeurs de serpents et vendeurs d’oranges. Comme le contrebassiste est aussi partie prenante des musiques de films de son paternel ( le dernier étant Jersey Boys, soit la triste histoire du chanteur-leader Frankie Valli, film passé quelque peu inaperçu ici, ce qui est fort dommage). Pour preuve, Kyle joue en duo avec Andrew McCormack au piano, une version écourtée mais assez saisissante d’une composition tirée de Letters from Iwo Jima . Je me prends à penser que le souhait de Clint Eastwood est réalisé, lui qui avouait, lors d’une soirée hommage à Carnegie Hall, en 1996, que, si, petit garçon à Oakland , il écoutait avec ravissement « Sing sing sing » ( Gene Krupa, Benny Goodman, Teddy Wilson, Lionel Hampton) en 1938, l’ héritage (bien compris) de la musique américaine se transmettait avec les nouvelles générations, les Joshua Redman, James Carter, Jon Faddis, Roy Hargrove et …son fils qui eut pour mentor le guitariste Kenny Burrell ( voir le formidable documentaire présenté la veille à la Bibliothèque l’Alcazar, Eastwood After Hours. De Play Misty for me ( son premier film) à Bird, Clint Eastwood a toujours rendu hommage au jazz et à ses interprètes.
*Pour le rappel, on aura droit à un autre breuvage, brésilien cette fois, un « Caipirinha » funky, torché en 7 minutes, nous promet-t-il, le concert devant s’arrêter à minuit quinze. Mais contrairement à Cendrillon, très affablement, Kyle et ses amis viendront dédicacer, se prêter aux selfies des amateurs… Simplement et comme souvent chez les Américains, avec professionnalisme !
La dernière soirée située au Mucem, avant de reprendre le chemin du Palais Longchamp, était encore consacrée à une certaine tradition puisqu’elle proposait un programme en hommage au chanteur et pianiste de jazz Nat King Cole.
Hugh Coltman Quartet: Shadows-Songs for Nat King Cole :Thomas Naïm (guitare), Gael Rakotondrabe (piano), Christophe Minck (contrebasse), Raphaël Chassin(batterie).
C’est la première fois que je voyais le chanteur harmoniciste anglais Hugh Coltman et j’avoue avoir été séduite par son interprétation sensible, passionnée même, de chansons qui font partie du répertoire : l’image lisse du malheureux Nat King Cole qui devait sourire alors que la ségrégation vivait ses heures les plus sombres, Hugh Coltman qui parle un français parfait , nous la fait oublier . Les chansons jugées parfois sirupeuses du crooner au sourire impeccable qui vendit des millions de singles, sont de petits bijoux, devenus des standards précieux. Là encore, il s’agit d’une histoire de famille car le chanteur évoque sa mère qui lui fit découvrir « Morning Star », (du film St Louis blues 1958 où joue Nat King Cole). On retient l’ interprétation émouvante de « Nature Boy » d’Eden Ahbez, plus encore que celle de « Mona Lisa ». Le bluesman, venu au jazz sur les conseils d’Eric Legnini s’approprie intelligemment ces thèmes comme « Sweet Lorraine », ou le très éloquent « Pretend » de sa voix rauque, patinée par la cigarette et l’alcool. Après « You Rascal You », « Smile » de Charlie Chaplin (Les temps modernes), ou encore “Meet me at no special place”, une fin tonique et dansante avec cette façon de « blueser » à la Muddy Waters . Avec un humour et une élégance très british.Convainquant !
Nous n‘en aurons pas fini avec le chant puisque le nouveau projet du pianiste Jean Pierre Como, Express Europa qui poursuit l’aventure initiée en 1995 d ‘Express Paris Roma avec son complice de Sixun ( le groupe de jazz rock tendance caraïbe des années 80), le guitariste Louis Winsberg ( « Alba ») incorpore le chant à sa musique déjà si mélodique. Hugh Coltman revient donc chanter « Voyage » et « Turn, Turn ». Un autre chanteur, italien cette fois, le jeune Walter Ricci se lance, prenant confiance et ses marques au fur et à mesure du concert.
Jean Pierre Como, toujours timide, s’enhardit lui aussi jusqu’à jouer, avec un phrasé et une sensibilité romantiques, soutenu par le toujours impeccable Thomas Bramerie à la contrebasse, Stéphane Huchard à la batterie et le saxophoniste Stéphane Guillaume que j’ai plaisir à retrouver, qui tire parfaitement son épingle du jeu en remplaçant du Romain Stefano di Battista.
Dans la nuit apaisée qui remue, au rythme du clapotis de l’eau qui baigne l’entrée de la passe du Lacydon, le public quitte heureux, ce lieu et ce jardin extraordinaires…
Sophie Chambon|Le festival Marseille Jazz des Cinq continents (www.marseillejazz.com) dont la programmation n’a rien à envier aux grosses machines de Vienne ou Marciac en est à sa dix-septième édition. Il a su investir des lieux forts et emblématiques marseillais et il dure cette année du 20 au 29 juillet. L’événement commence pour moi avec les deux soirées de concerts en plein air des samedi 23 et dimanche 24 juillet au Mucem, l’une des plus heureuses réalisations architecturales (Rudy Ricciotti) de ces dernières années, ouvert lors de Marseille Capitale Culturelle 2013, événement dont la ville ne cesse de récolter les fruits.Le site sur mer, à l’entrée de la calanque du Vieux Port, est exceptionnel (reportez vous au plan du site www.mucem.org/fr/le-mucem/un-musee-trois-lieux/le-fort-saint-jean) avec les trois entrées possibles pour le premier soir qui ne deviendront plus qu’une le lendemain…. En ces temps plus que chaotiques, tout le personnel de sécurité est en place pour assurer le spectacle et rassurer le public de Marseillais et de touristes.
Première soirée, sponsorisée par le Conseil Général dont le slogan « La Provence de demain ça commence aujourd’hui » par un hasard des plus heureux, évoque la formule de Cortazar dans L’homme à l’affût, sur Charlie Parker « Je l’ai déjà joué demain ». Association d’idées qui n’est pas tout à fait incongrue car nous le verrons, ces soirées s’ancrent résolument dans l’hommage et la tradition.
Sarah McKenzie quartet : Sarah McKenzie(piano,voix), Joe Caleb(guitare),Pierre Boussaguet(contrebasse), Marco Valeri( batterie).
Je n’ai entendu de la blonde Australienne que son tube sur la playlist de France Inter « Quoi quoi quoi quoi », bossa sympathique à la ligne accrocheuse … devenant vite rengaine.
Révélée par un concours, il y a seulement 3 ans (elle n’a que 28 ans), elle a filé étudier à la Berklee School et commencé une série de tournées internationales. Voilà une grande fille toute simple, blanche et blonde. On ne va pas le lui reprocher tout de même. Elle a trouvé un trio de partenaires attentifs ( dont Pierre Boussaguet à la contrebasse et un guitariste déchaîné Joe Caleb, sans oublier le batteur Marco Valeri).Prenant classiquement leur solo, ils forment un écrin satiné pour la chanteuse-pianiste ( au jeu un peu en retrait) qui interprète des standards de Cole Porter comme « We Could Be Lovers », titre de son dernier album sur Impulse, d’ Henri Mancini ( une version étirée de « Moon River ») ce qui est toujours délicat, tant on a en tête la délicate Audrey Hepburn ( à la voix pourtant fluette), s’accompagnant à la guitare dans Breakfast at Tiffany’s . Mais Sarah n’en a cure et elle reprend également « Lover Man » immortalisée par Billie Holiday. C’est que le Great American Songbook lui plaît et qu’elle s’essaie à continuer dans cette voie quand elle compose ses propres mélodies comme « Don’t Tempt Me » : voilà un jazz classique rendu avec des ballades tendres, du swing ( alors, le swing ne concerne pas seulement les plus de 65 ans? Comme l’affirmait une charmante ingénue, « animatrice » radio de France Inter).
La voix de Sarah McKenzie est grave, souple, sans recherche d’effets ni de virtuosité. Elle ne se risque pas trop dans les aigus, il lui manque encore cette fragilité qui peut devenir sensuelle, un sens « dramatique » qu’ il lui faudrait mettre en scène. Mais l’articulation est claire et l’énonciation parfaite. Un jazz vocal efficace et prometteur.
L’ entracte n’est pas vraiment libre, il faudrait aller écouter dans deux lieux différents et opposés géographiquement, les jeunes pousses locales , issues -la concurrence est rude, du Conservatoire Régional One Foot, trio électro jazz sur la terrasse du J4, devenue « dance floor » ou de l’ IMFP de Salon ( Cour de la Commande -entrée du fort St Jean ) Minuit 10 avec rock et musiques du monde (dispositif Jazz Emergence ). Je n’ai que trop peu de temps pour écouter le trio marseillais ( Yessai et Marc Karapetian, Matthieu Front qui se presse lui aussi de remonter la passerelle pour atteindre la Cour des Armes, scène du prochain groupe ). A suivre….
Kyle Eastwood quintet : une affaire de famille, clin d’oeil à Song for my father.
Andrew McCormack(piano), Chris Higgins ottoman (batterie), Quentin Collins(trompette), Brandon Allen(saxophones)
A l’évidence, le public est venu pour voir jouer le fils de …qui vous savez, dans son nouvel opus, intitulé Time Pieces, sorti sur Jazz Village en 2015 . Et il ne sera pas déçu ! Après le Song from the Château enregistré dans le Bordelais, changement de cap pour ce 7ème album, avec un quintet qui a acquis en jouant collectifdepuis quelques années, un son de groupe et une dynamique propre. Le premier morceau annonce la couleur, un « Prosecco »* très vif, effervescent ( normal). Le deuxième titre est prestement enlevé avec un duo contrebasse/ batterie ( déjà sur Paris Blue en 2005) sur le célèbre « Big Noise from Winnetka » (Bob Haggart et Ray Beauduc 1938 , repris entre autre par Gene Krupa en 1958 ), lancé comme un « bullet train » . Puis suit un hommage non déguisé au jazz des années cinquante et soixante, à cette musique qu’il aime, le hard bop du pianiste Horace Silver, co-fondateur avec Art Blakey des Jazz Messengers : ça joue carré, efficace là encore, sans esbroufe et avec une « furia » maîtrisée , une précipitation très contrôlée , un swing ( j’y reviens) funk et vif …argent, un lyrisme fiévreux, des motifs à répétition qui mettent sous tension. L’ instrumentation est un quintet classique avec trompette et sax qui rivalisent de vélocité sur des thèmes bluesifiés ou gospelisés aux mélodies chantantes comme ce « Blowing the Blues away » qui vous emporte, ou un « Silver piece » qui reste en tête. D’ Horace Silver, on passe naturellement à Herbie Hancock et à sa « Dolphin Dance » ( du mythique Maiden Voyage, un classique Blue note). Bien sûr que l’on peut penser à Jaco Pastorius avec sa basse électrique mais la version de ce soir est d’une sensualité et fluidité rares. Si Kyle Eastwood joue sobrement de séduisantes lignes mélodiques dans l’esprit du blues, il n’en est pas moins éclectique musicalement : grand voyageur, il a composé des thèmes inspirés de musiques du monde et il interprète avec archet sur sa contrebasse prototype, un « Marrakech » accompagné d’un Brandon Allen au soprano, très convaincant pour rendre la couleur de la place Jeema El Fna aux charmeurs de serpents et vendeurs d’oranges. Comme le contrebassiste est aussi partie prenante des musiques de films de son paternel ( le dernier étant Jersey Boys, soit la triste histoire du chanteur-leader Frankie Valli, film passé quelque peu inaperçu ici, ce qui est fort dommage). Pour preuve, Kyle joue en duo avec Andrew McCormack au piano, une version écourtée mais assez saisissante d’une composition tirée de Letters from Iwo Jima . Je me prends à penser que le souhait de Clint Eastwood est réalisé, lui qui avouait, lors d’une soirée hommage à Carnegie Hall, en 1996, que, si, petit garçon à Oakland , il écoutait avec ravissement « Sing sing sing » ( Gene Krupa, Benny Goodman, Teddy Wilson, Lionel Hampton) en 1938, l’ héritage (bien compris) de la musique américaine se transmettait avec les nouvelles générations, les Joshua Redman, James Carter, Jon Faddis, Roy Hargrove et …son fils qui eut pour mentor le guitariste Kenny Burrell ( voir le formidable documentaire présenté la veille à la Bibliothèque l’Alcazar, Eastwood After Hours. De Play Misty for me ( son premier film) à Bird, Clint Eastwood a toujours rendu hommage au jazz et à ses interprètes.
*Pour le rappel, on aura droit à un autre breuvage, brésilien cette fois, un « Caipirinha » funky, torché en 7 minutes, nous promet-t-il, le concert devant s’arrêter à minuit quinze. Mais contrairement à Cendrillon, très affablement, Kyle et ses amis viendront dédicacer, se prêter aux selfies des amateurs… Simplement et comme souvent chez les Américains, avec professionnalisme !
La dernière soirée située au Mucem, avant de reprendre le chemin du Palais Longchamp, était encore consacrée à une certaine tradition puisqu’elle proposait un programme en hommage au chanteur et pianiste de jazz Nat King Cole.
Hugh Coltman Quartet: Shadows-Songs for Nat King Cole :Thomas Naïm (guitare), Gael Rakotondrabe (piano), Christophe Minck (contrebasse), Raphaël Chassin(batterie).
C’est la première fois que je voyais le chanteur harmoniciste anglais Hugh Coltman et j’avoue avoir été séduite par son interprétation sensible, passionnée même, de chansons qui font partie du répertoire : l’image lisse du malheureux Nat King Cole qui devait sourire alors que la ségrégation vivait ses heures les plus sombres, Hugh Coltman qui parle un français parfait , nous la fait oublier . Les chansons jugées parfois sirupeuses du crooner au sourire impeccable qui vendit des millions de singles, sont de petits bijoux, devenus des standards précieux. Là encore, il s’agit d’une histoire de famille car le chanteur évoque sa mère qui lui fit découvrir « Morning Star », (du film St Louis blues 1958 où joue Nat King Cole). On retient l’ interprétation émouvante de « Nature Boy » d’Eden Ahbez, plus encore que celle de « Mona Lisa ». Le bluesman, venu au jazz sur les conseils d’Eric Legnini s’approprie intelligemment ces thèmes comme « Sweet Lorraine », ou le très éloquent « Pretend » de sa voix rauque, patinée par la cigarette et l’alcool. Après « You Rascal You », « Smile » de Charlie Chaplin (Les temps modernes), ou encore “Meet me at no special place”, une fin tonique et dansante avec cette façon de « blueser » à la Muddy Waters . Avec un humour et une élégance très british.Convainquant !
Nous n‘en aurons pas fini avec le chant puisque le nouveau projet du pianiste Jean Pierre Como, Express Europa qui poursuit l’aventure initiée en 1995 d ‘Express Paris Roma avec son complice de Sixun ( le groupe de jazz rock tendance caraïbe des années 80), le guitariste Louis Winsberg ( « Alba ») incorpore le chant à sa musique déjà si mélodique. Hugh Coltman revient donc chanter « Voyage » et « Turn, Turn ». Un autre chanteur, italien cette fois, le jeune Walter Ricci se lance, prenant confiance et ses marques au fur et à mesure du concert.
Jean Pierre Como, toujours timide, s’enhardit lui aussi jusqu’à jouer, avec un phrasé et une sensibilité romantiques, soutenu par le toujours impeccable Thomas Bramerie à la contrebasse, Stéphane Huchard à la batterie et le saxophoniste Stéphane Guillaume que j’ai plaisir à retrouver, qui tire parfaitement son épingle du jeu en remplaçant du Romain Stefano di Battista.
Dans la nuit apaisée qui remue, au rythme du clapotis de l’eau qui baigne l’entrée de la passe du Lacydon, le public quitte heureux, ce lieu et ce jardin extraordinaires…
Sophie Chambon|Le festival Marseille Jazz des Cinq continents (www.marseillejazz.com) dont la programmation n’a rien à envier aux grosses machines de Vienne ou Marciac en est à sa dix-septième édition. Il a su investir des lieux forts et emblématiques marseillais et il dure cette année du 20 au 29 juillet. L’événement commence pour moi avec les deux soirées de concerts en plein air des samedi 23 et dimanche 24 juillet au Mucem, l’une des plus heureuses réalisations architecturales (Rudy Ricciotti) de ces dernières années, ouvert lors de Marseille Capitale Culturelle 2013, événement dont la ville ne cesse de récolter les fruits.Le site sur mer, à l’entrée de la calanque du Vieux Port, est exceptionnel (reportez vous au plan du site www.mucem.org/fr/le-mucem/un-musee-trois-lieux/le-fort-saint-jean) avec les trois entrées possibles pour le premier soir qui ne deviendront plus qu’une le lendemain…. En ces temps plus que chaotiques, tout le personnel de sécurité est en place pour assurer le spectacle et rassurer le public de Marseillais et de touristes.
Première soirée, sponsorisée par le Conseil Général dont le slogan « La Provence de demain ça commence aujourd’hui » par un hasard des plus heureux, évoque la formule de Cortazar dans L’homme à l’affût, sur Charlie Parker « Je l’ai déjà joué demain ». Association d’idées qui n’est pas tout à fait incongrue car nous le verrons, ces soirées s’ancrent résolument dans l’hommage et la tradition.
Sarah McKenzie quartet : Sarah McKenzie(piano,voix), Joe Caleb(guitare),Pierre Boussaguet(contrebasse), Marco Valeri( batterie).
Je n’ai entendu de la blonde Australienne que son tube sur la playlist de France Inter « Quoi quoi quoi quoi », bossa sympathique à la ligne accrocheuse … devenant vite rengaine.
Révélée par un concours, il y a seulement 3 ans (elle n’a que 28 ans), elle a filé étudier à la Berklee School et commencé une série de tournées internationales. Voilà une grande fille toute simple, blanche et blonde. On ne va pas le lui reprocher tout de même. Elle a trouvé un trio de partenaires attentifs ( dont Pierre Boussaguet à la contrebasse et un guitariste déchaîné Joe Caleb, sans oublier le batteur Marco Valeri).Prenant classiquement leur solo, ils forment un écrin satiné pour la chanteuse-pianiste ( au jeu un peu en retrait) qui interprète des standards de Cole Porter comme « We Could Be Lovers », titre de son dernier album sur Impulse, d’ Henri Mancini ( une version étirée de « Moon River ») ce qui est toujours délicat, tant on a en tête la délicate Audrey Hepburn ( à la voix pourtant fluette), s’accompagnant à la guitare dans Breakfast at Tiffany’s . Mais Sarah n’en a cure et elle reprend également « Lover Man » immortalisée par Billie Holiday. C’est que le Great American Songbook lui plaît et qu’elle s’essaie à continuer dans cette voie quand elle compose ses propres mélodies comme « Don’t Tempt Me » : voilà un jazz classique rendu avec des ballades tendres, du swing ( alors, le swing ne concerne pas seulement les plus de 65 ans? Comme l’affirmait une charmante ingénue, « animatrice » radio de France Inter).
La voix de Sarah McKenzie est grave, souple, sans recherche d’effets ni de virtuosité. Elle ne se risque pas trop dans les aigus, il lui manque encore cette fragilité qui peut devenir sensuelle, un sens « dramatique » qu’ il lui faudrait mettre en scène. Mais l’articulation est claire et l’énonciation parfaite. Un jazz vocal efficace et prometteur.
L’ entracte n’est pas vraiment libre, il faudrait aller écouter dans deux lieux différents et opposés géographiquement, les jeunes pousses locales , issues -la concurrence est rude, du Conservatoire Régional One Foot, trio électro jazz sur la terrasse du J4, devenue « dance floor » ou de l’ IMFP de Salon ( Cour de la Commande -entrée du fort St Jean ) Minuit 10 avec rock et musiques du monde (dispositif Jazz Emergence ). Je n’ai que trop peu de temps pour écouter le trio marseillais ( Yessai et Marc Karapetian, Matthieu Front qui se presse lui aussi de remonter la passerelle pour atteindre la Cour des Armes, scène du prochain groupe ). A suivre….
Kyle Eastwood quintet : une affaire de famille, clin d’oeil à Song for my father.
Andrew McCormack(piano), Chris Higgins ottoman (batterie), Quentin Collins(trompette), Brandon Allen(saxophones)
A l’évidence, le public est venu pour voir jouer le fils de …qui vous savez, dans son nouvel opus, intitulé Time Pieces, sorti sur Jazz Village en 2015 . Et il ne sera pas déçu ! Après le Song from the Château enregistré dans le Bordelais, changement de cap pour ce 7ème album, avec un quintet qui a acquis en jouant collectifdepuis quelques années, un son de groupe et une dynamique propre. Le premier morceau annonce la couleur, un « Prosecco »* très vif, effervescent ( normal). Le deuxième titre est prestement enlevé avec un duo contrebasse/ batterie ( déjà sur Paris Blue en 2005) sur le célèbre « Big Noise from Winnetka » (Bob Haggart et Ray Beauduc 1938 , repris entre autre par Gene Krupa en 1958 ), lancé comme un « bullet train » . Puis suit un hommage non déguisé au jazz des années cinquante et soixante, à cette musique qu’il aime, le hard bop du pianiste Horace Silver, co-fondateur avec Art Blakey des Jazz Messengers : ça joue carré, efficace là encore, sans esbroufe et avec une « furia » maîtrisée , une précipitation très contrôlée , un swing ( j’y reviens) funk et vif …argent, un lyrisme fiévreux, des motifs à répétition qui mettent sous tension. L’ instrumentation est un quintet classique avec trompette et sax qui rivalisent de vélocité sur des thèmes bluesifiés ou gospelisés aux mélodies chantantes comme ce « Blowing the Blues away » qui vous emporte, ou un « Silver piece » qui reste en tête. D’ Horace Silver, on passe naturellement à Herbie Hancock et à sa « Dolphin Dance » ( du mythique Maiden Voyage, un classique Blue note). Bien sûr que l’on peut penser à Jaco Pastorius avec sa basse électrique mais la version de ce soir est d’une sensualité et fluidité rares. Si Kyle Eastwood joue sobrement de séduisantes lignes mélodiques dans l’esprit du blues, il n’en est pas moins éclectique musicalement : grand voyageur, il a composé des thèmes inspirés de musiques du monde et il interprète avec archet sur sa contrebasse prototype, un « Marrakech » accompagné d’un Brandon Allen au soprano, très convaincant pour rendre la couleur de la place Jeema El Fna aux charmeurs de serpents et vendeurs d’oranges. Comme le contrebassiste est aussi partie prenante des musiques de films de son paternel ( le dernier étant Jersey Boys, soit la triste histoire du chanteur-leader Frankie Valli, film passé quelque peu inaperçu ici, ce qui est fort dommage). Pour preuve, Kyle joue en duo avec Andrew McCormack au piano, une version écourtée mais assez saisissante d’une composition tirée de Letters from Iwo Jima . Je me prends à penser que le souhait de Clint Eastwood est réalisé, lui qui avouait, lors d’une soirée hommage à Carnegie Hall, en 1996, que, si, petit garçon à Oakland , il écoutait avec ravissement « Sing sing sing » ( Gene Krupa, Benny Goodman, Teddy Wilson, Lionel Hampton) en 1938, l’ héritage (bien compris) de la musique américaine se transmettait avec les nouvelles générations, les Joshua Redman, James Carter, Jon Faddis, Roy Hargrove et …son fils qui eut pour mentor le guitariste Kenny Burrell ( voir le formidable documentaire présenté la veille à la Bibliothèque l’Alcazar, Eastwood After Hours. De Play Misty for me ( son premier film) à Bird, Clint Eastwood a toujours rendu hommage au jazz et à ses interprètes.
*Pour le rappel, on aura droit à un autre breuvage, brésilien cette fois, un « Caipirinha » funky, torché en 7 minutes, nous promet-t-il, le concert devant s’arrêter à minuit quinze. Mais contrairement à Cendrillon, très affablement, Kyle et ses amis viendront dédicacer, se prêter aux selfies des amateurs… Simplement et comme souvent chez les Américains, avec professionnalisme !
La dernière soirée située au Mucem, avant de reprendre le chemin du Palais Longchamp, était encore consacrée à une certaine tradition puisqu’elle proposait un programme en hommage au chanteur et pianiste de jazz Nat King Cole.
Hugh Coltman Quartet: Shadows-Songs for Nat King Cole :Thomas Naïm (guitare), Gael Rakotondrabe (piano), Christophe Minck (contrebasse), Raphaël Chassin(batterie).
C’est la première fois que je voyais le chanteur harmoniciste anglais Hugh Coltman et j’avoue avoir été séduite par son interprétation sensible, passionnée même, de chansons qui font partie du répertoire : l’image lisse du malheureux Nat King Cole qui devait sourire alors que la ségrégation vivait ses heures les plus sombres, Hugh Coltman qui parle un français parfait , nous la fait oublier . Les chansons jugées parfois sirupeuses du crooner au sourire impeccable qui vendit des millions de singles, sont de petits bijoux, devenus des standards précieux. Là encore, il s’agit d’une histoire de famille car le chanteur évoque sa mère qui lui fit découvrir « Morning Star », (du film St Louis blues 1958 où joue Nat King Cole). On retient l’ interprétation émouvante de « Nature Boy » d’Eden Ahbez, plus encore que celle de « Mona Lisa ». Le bluesman, venu au jazz sur les conseils d’Eric Legnini s’approprie intelligemment ces thèmes comme « Sweet Lorraine », ou le très éloquent « Pretend » de sa voix rauque, patinée par la cigarette et l’alcool. Après « You Rascal You », « Smile » de Charlie Chaplin (Les temps modernes), ou encore “Meet me at no special place”, une fin tonique et dansante avec cette façon de « blueser » à la Muddy Waters . Avec un humour et une élégance très british.Convainquant !
Nous n‘en aurons pas fini avec le chant puisque le nouveau projet du pianiste Jean Pierre Como, Express Europa qui poursuit l’aventure initiée en 1995 d ‘Express Paris Roma avec son complice de Sixun ( le groupe de jazz rock tendance caraïbe des années 80), le guitariste Louis Winsberg ( « Alba ») incorpore le chant à sa musique déjà si mélodique. Hugh Coltman revient donc chanter « Voyage » et « Turn, Turn ». Un autre chanteur, italien cette fois, le jeune Walter Ricci se lance, prenant confiance et ses marques au fur et à mesure du concert.
Jean Pierre Como, toujours timide, s’enhardit lui aussi jusqu’à jouer, avec un phrasé et une sensibilité romantiques, soutenu par le toujours impeccable Thomas Bramerie à la contrebasse, Stéphane Huchard à la batterie et le saxophoniste Stéphane Guillaume que j’ai plaisir à retrouver, qui tire parfaitement son épingle du jeu en remplaçant du Romain Stefano di Battista.
Dans la nuit apaisée qui remue, au rythme du clapotis de l’eau qui baigne l’entrée de la passe du Lacydon, le public quitte heureux, ce lieu et ce jardin extraordinaires…
Sophie Chambon|Le festival Marseille Jazz des Cinq continents (www.marseillejazz.com) dont la programmation n’a rien à envier aux grosses machines de Vienne ou Marciac en est à sa dix-septième édition. Il a su investir des lieux forts et emblématiques marseillais et il dure cette année du 20 au 29 juillet. L’événement commence pour moi avec les deux soirées de concerts en plein air des samedi 23 et dimanche 24 juillet au Mucem, l’une des plus heureuses réalisations architecturales (Rudy Ricciotti) de ces dernières années, ouvert lors de Marseille Capitale Culturelle 2013, événement dont la ville ne cesse de récolter les fruits.Le site sur mer, à l’entrée de la calanque du Vieux Port, est exceptionnel (reportez vous au plan du site www.mucem.org/fr/le-mucem/un-musee-trois-lieux/le-fort-saint-jean) avec les trois entrées possibles pour le premier soir qui ne deviendront plus qu’une le lendemain…. En ces temps plus que chaotiques, tout le personnel de sécurité est en place pour assurer le spectacle et rassurer le public de Marseillais et de touristes.
Première soirée, sponsorisée par le Conseil Général dont le slogan « La Provence de demain ça commence aujourd’hui » par un hasard des plus heureux, évoque la formule de Cortazar dans L’homme à l’affût, sur Charlie Parker « Je l’ai déjà joué demain ». Association d’idées qui n’est pas tout à fait incongrue car nous le verrons, ces soirées s’ancrent résolument dans l’hommage et la tradition.
Sarah McKenzie quartet : Sarah McKenzie(piano,voix), Joe Caleb(guitare),Pierre Boussaguet(contrebasse), Marco Valeri( batterie).
Je n’ai entendu de la blonde Australienne que son tube sur la playlist de France Inter « Quoi quoi quoi quoi », bossa sympathique à la ligne accrocheuse … devenant vite rengaine.
Révélée par un concours, il y a seulement 3 ans (elle n’a que 28 ans), elle a filé étudier à la Berklee School et commencé une série de tournées internationales. Voilà une grande fille toute simple, blanche et blonde. On ne va pas le lui reprocher tout de même. Elle a trouvé un trio de partenaires attentifs ( dont Pierre Boussaguet à la contrebasse et un guitariste déchaîné Joe Caleb, sans oublier le batteur Marco Valeri).Prenant classiquement leur solo, ils forment un écrin satiné pour la chanteuse-pianiste ( au jeu un peu en retrait) qui interprète des standards de Cole Porter comme « We Could Be Lovers », titre de son dernier album sur Impulse, d’ Henri Mancini ( une version étirée de « Moon River ») ce qui est toujours délicat, tant on a en tête la délicate Audrey Hepburn ( à la voix pourtant fluette), s’accompagnant à la guitare dans Breakfast at Tiffany’s . Mais Sarah n’en a cure et elle reprend également « Lover Man » immortalisée par Billie Holiday. C’est que le Great American Songbook lui plaît et qu’elle s’essaie à continuer dans cette voie quand elle compose ses propres mélodies comme « Don’t Tempt Me » : voilà un jazz classique rendu avec des ballades tendres, du swing ( alors, le swing ne concerne pas seulement les plus de 65 ans? Comme l’affirmait une charmante ingénue, « animatrice » radio de France Inter).
La voix de Sarah McKenzie est grave, souple, sans recherche d’effets ni de virtuosité. Elle ne se risque pas trop dans les aigus, il lui manque encore cette fragilité qui peut devenir sensuelle, un sens « dramatique » qu’ il lui faudrait mettre en scène. Mais l’articulation est claire et l’énonciation parfaite. Un jazz vocal efficace et prometteur.
L’ entracte n’est pas vraiment libre, il faudrait aller écouter dans deux lieux différents et opposés géographiquement, les jeunes pousses locales , issues -la concurrence est rude, du Conservatoire Régional One Foot, trio électro jazz sur la terrasse du J4, devenue « dance floor » ou de l’ IMFP de Salon ( Cour de la Commande -entrée du fort St Jean ) Minuit 10 avec rock et musiques du monde (dispositif Jazz Emergence ). Je n’ai que trop peu de temps pour écouter le trio marseillais ( Yessai et Marc Karapetian, Matthieu Front qui se presse lui aussi de remonter la passerelle pour atteindre la Cour des Armes, scène du prochain groupe ). A suivre….
Kyle Eastwood quintet : une affaire de famille, clin d’oeil à Song for my father.
Andrew McCormack(piano), Chris Higgins ottoman (batterie), Quentin Collins(trompette), Brandon Allen(saxophones)
A l’évidence, le public est venu pour voir jouer le fils de …qui vous savez, dans son nouvel opus, intitulé Time Pieces, sorti sur Jazz Village en 2015 . Et il ne sera pas déçu ! Après le Song from the Château enregistré dans le Bordelais, changement de cap pour ce 7ème album, avec un quintet qui a acquis en jouant collectifdepuis quelques années, un son de groupe et une dynamique propre. Le premier morceau annonce la couleur, un « Prosecco »* très vif, effervescent ( normal). Le deuxième titre est prestement enlevé avec un duo contrebasse/ batterie ( déjà sur Paris Blue en 2005) sur le célèbre « Big Noise from Winnetka » (Bob Haggart et Ray Beauduc 1938 , repris entre autre par Gene Krupa en 1958 ), lancé comme un « bullet train » . Puis suit un hommage non déguisé au jazz des années cinquante et soixante, à cette musique qu’il aime, le hard bop du pianiste Horace Silver, co-fondateur avec Art Blakey des Jazz Messengers : ça joue carré, efficace là encore, sans esbroufe et avec une « furia » maîtrisée , une précipitation très contrôlée , un swing ( j’y reviens) funk et vif …argent, un lyrisme fiévreux, des motifs à répétition qui mettent sous tension. L’ instrumentation est un quintet classique avec trompette et sax qui rivalisent de vélocité sur des thèmes bluesifiés ou gospelisés aux mélodies chantantes comme ce « Blowing the Blues away » qui vous emporte, ou un « Silver piece » qui reste en tête. D’ Horace Silver, on passe naturellement à Herbie Hancock et à sa « Dolphin Dance » ( du mythique Maiden Voyage, un classique Blue note). Bien sûr que l’on peut penser à Jaco Pastorius avec sa basse électrique mais la version de ce soir est d’une sensualité et fluidité rares. Si Kyle Eastwood joue sobrement de séduisantes lignes mélodiques dans l’esprit du blues, il n’en est pas moins éclectique musicalement : grand voyageur, il a composé des thèmes inspirés de musiques du monde et il interprète avec archet sur sa contrebasse prototype, un « Marrakech » accompagné d’un Brandon Allen au soprano, très convaincant pour rendre la couleur de la place Jeema El Fna aux charmeurs de serpents et vendeurs d’oranges. Comme le contrebassiste est aussi partie prenante des musiques de films de son paternel ( le dernier étant Jersey Boys, soit la triste histoire du chanteur-leader Frankie Valli, film passé quelque peu inaperçu ici, ce qui est fort dommage). Pour preuve, Kyle joue en duo avec Andrew McCormack au piano, une version écourtée mais assez saisissante d’une composition tirée de Letters from Iwo Jima . Je me prends à penser que le souhait de Clint Eastwood est réalisé, lui qui avouait, lors d’une soirée hommage à Carnegie Hall, en 1996, que, si, petit garçon à Oakland , il écoutait avec ravissement « Sing sing sing » ( Gene Krupa, Benny Goodman, Teddy Wilson, Lionel Hampton) en 1938, l’ héritage (bien compris) de la musique américaine se transmettait avec les nouvelles générations, les Joshua Redman, James Carter, Jon Faddis, Roy Hargrove et …son fils qui eut pour mentor le guitariste Kenny Burrell ( voir le formidable documentaire présenté la veille à la Bibliothèque l’Alcazar, Eastwood After Hours. De Play Misty for me ( son premier film) à Bird, Clint Eastwood a toujours rendu hommage au jazz et à ses interprètes.
*Pour le rappel, on aura droit à un autre breuvage, brésilien cette fois, un « Caipirinha » funky, torché en 7 minutes, nous promet-t-il, le concert devant s’arrêter à minuit quinze. Mais contrairement à Cendrillon, très affablement, Kyle et ses amis viendront dédicacer, se prêter aux selfies des amateurs… Simplement et comme souvent chez les Américains, avec professionnalisme !
La dernière soirée située au Mucem, avant de reprendre le chemin du Palais Longchamp, était encore consacrée à une certaine tradition puisqu’elle proposait un programme en hommage au chanteur et pianiste de jazz Nat King Cole.
Hugh Coltman Quartet: Shadows-Songs for Nat King Cole :Thomas Naïm (guitare), Gael Rakotondrabe (piano), Christophe Minck (contrebasse), Raphaël Chassin(batterie).
C’est la première fois que je voyais le chanteur harmoniciste anglais Hugh Coltman et j’avoue avoir été séduite par son interprétation sensible, passionnée même, de chansons qui font partie du répertoire : l’image lisse du malheureux Nat King Cole qui devait sourire alors que la ségrégation vivait ses heures les plus sombres, Hugh Coltman qui parle un français parfait , nous la fait oublier . Les chansons jugées parfois sirupeuses du crooner au sourire impeccable qui vendit des millions de singles, sont de petits bijoux, devenus des standards précieux. Là encore, il s’agit d’une histoire de famille car le chanteur évoque sa mère qui lui fit découvrir « Morning Star », (du film St Louis blues 1958 où joue Nat King Cole). On retient l’ interprétation émouvante de « Nature Boy » d’Eden Ahbez, plus encore que celle de « Mona Lisa ». Le bluesman, venu au jazz sur les conseils d’Eric Legnini s’approprie intelligemment ces thèmes comme « Sweet Lorraine », ou le très éloquent « Pretend » de sa voix rauque, patinée par la cigarette et l’alcool. Après « You Rascal You », « Smile » de Charlie Chaplin (Les temps modernes), ou encore “Meet me at no special place”, une fin tonique et dansante avec cette façon de « blueser » à la Muddy Waters . Avec un humour et une élégance très british.Convainquant !
Nous n‘en aurons pas fini avec le chant puisque le nouveau projet du pianiste Jean Pierre Como, Express Europa qui poursuit l’aventure initiée en 1995 d ‘Express Paris Roma avec son complice de Sixun ( le groupe de jazz rock tendance caraïbe des années 80), le guitariste Louis Winsberg ( « Alba ») incorpore le chant à sa musique déjà si mélodique. Hugh Coltman revient donc chanter « Voyage » et « Turn, Turn ». Un autre chanteur, italien cette fois, le jeune Walter Ricci se lance, prenant confiance et ses marques au fur et à mesure du concert.
Jean Pierre Como, toujours timide, s’enhardit lui aussi jusqu’à jouer, avec un phrasé et une sensibilité romantiques, soutenu par le toujours impeccable Thomas Bramerie à la contrebasse, Stéphane Huchard à la batterie et le saxophoniste Stéphane Guillaume que j’ai plaisir à retrouver, qui tire parfaitement son épingle du jeu en remplaçant du Romain Stefano di Battista.
Dans la nuit apaisée qui remue, au rythme du clapotis de l’eau qui baigne l’entrée de la passe du Lacydon, le public quitte heureux, ce lieu et ce jardin extraordinaires…
Sophie Chambon