Jazz à Saint Rémy (9ème) : transmissions, amitiés, souvenirs et…surprises !
L’édition de Jazz à Saint Rémy 2016 a été étonnante. Le programme bien équilibré proposait un intéressant panorama de jazz(s) d’aujourd’hui. Mais moult surprises furent aussi au rendez-vous.
Parisien/Peirani Duo : Emile Parisien (ss)/Vincent Peirani (acc) ; Daniel Mille Quintet (Hommage à Astor Piazzola) : Daniel Mille (acc), Grégoire Korniluk, Paul Colomb et Frédéric Deville (cello), D. Imbert (b), Samuel Strouk (arr). 15 août Alpillium. Plus, invités surprises : Stéphane Belmondo (bugle) et… Jean-Louis Trintignant.
Le duo Parisien/Peirani est très demandé par les organisateurs de concerts. Pas seulement en France, mais aussi dans toute l’Europe. En deux ans le duo s’est produit des centaines de fois. Les deux complices participent aussi par ailleurs à de nombreux autres projets (ensemble ou chacun de leur côté). Pourtant, sur scène comme en coulisses, pas le moindre indice de lassitude… Leur joie de jouer est intacte, palpable. Sur le répertoire de leur superbe CD (le bien nommé Belle Epoque) qu’ils connaissent sur le bout des doigts, aucune routine, ils modifient les arrangements et se tendent moult pièges… qui les font sourire et qui, visiblement, les stimulent. Leurs interprétations a-typiques et créatives sur Egyptian Fantasy, Song for Medina (de Bechet) et Temptation Rag (joué par Bechet) ravissent le public. La présentation par Peirani d’une composition originale (3 Temps pour Michel P.) dédiée à Portal (avec qui il joue d’ailleurs fréquemment) est fort facétieuse. Carrément taquine même (pour rester politicaly correct…). Bel hommage finalement, respectueux, mais aussi (pour le dire vite)… distancié. Accompagnateur ou soliste, Peirani nous fait tomber de l’armoire. Un extra terrestre du « piano du pauvre ». Virtuosité mais pas que. Sonorités, amples, d’orgue d’église. Basses groovy. « Quoi qu’il fasse ou qu’il touche, c’est parfait, c’est juste, c’est en place, c’est remuant, c’est accessible, c’est raffiné. » (F.B.). Bardé de diplômes et de récompenses dans le monde du classique comme dans celui du jazz, Peirani a même participé dans sa prime jeunesse (comme Marcel Azzola à la fin des années 40) à des « Championnats d’accordéon » (oui ça existe… on apprend tous les jours !) qu’il a très souvent gagnés. Improvisateur novateur il est en train de bousculer les hiérarchies bien installées de l’accordéon jazz… Emile Parisien est devenu en quelques années un maître du soprano. Héritier de tous les grands de ce saxophone si particulier. Il a gardé le meilleur de Bechet (celui d’avant les vibratos exaspérants des années 50…) mais on pense aussi en l’écoutant à Steve Lacy, à John Coltrane et à Wayne Shorter. En une synthèse ultra personnelle. Il nous délivre ses solos sous forme de cascades sonores puissantes et étourdissantes.
Emile Parisien ( à gauche) et Vincent Peirani. Photo Maurice Salvadori/Jazz à Saint Rémy
Courte remarque (un peu futile, mais bon…) : quelques « facebookers » reprochent à Emile ses « gesticulations » (qui pour moi n’ont rien d’artificielles mais sont le simple reflet de son engagement total, « corps et âme » comme on dit). Hypothèse : on peut imaginer que les mêmes « détracteurs » de la gestuelle d’Emile adoraient certainement, jadis, Ray Charles se balançant en permanence en de très grands mouvements d’avant en arrière à longueur de concerts, ou trouvent sûrement, aujourd’hui, « géniales» les grimaces et contorsions de Keith Jarrett! Qui sait ?
Dans son hommage à Astor Piazzola Daniel Mille a joué la carte de la sobriété et du classicisme. C’est profond, réfléchi, grave, lyrique et sensuel. Un moment magistral de grâce et d’intensité. Les arrangements de Samuel Strouk pour les 3 violoncelles mettent bien en valeur le jeu généreux et ample de Grégoire Korniluk. Diego Imbert, habituel maître de la walking bass, nous étonna, vraiment, à l’archet.
Belles surprises en fin de concert.
La première : Stephane Belmondo, programmé le lendemain avec son hommage à Chet Baker, est déjà arrivé à Saint Rémy. D.Mille l’invite à rejoindre son quintet. Stéphane joue un thème au bugle. Sa sonorité feutrée et sensuelle s’accorde parfaitement à l’univers du grand compositeur argentin.
La seconde : Daniel Mille est très lié à la famille Trintignant. Il avait préparé un spectacle avec Marie avant son tragique décès et il accompagne souvent Jean-Louis pour des récitals poétiques.Venu en voisin des ses terres cévenoles Jean-Louis Trintignant a offert au festival un superbe impromptu : il a récité (sans prompteur cela va de soi pour un artiste de cette trempe…) le magnifique texte de Boris Vian « Je ne voudrais pas crever » . Voix et diction toujours aussi superbes (à 86 ans!). Grande émotion (pour le public comme pour les musiciens) et longue standing ovation.
Jean-Louis Trintignant (Photo Maurice Salvadori/Jazz à Saint Rémy)
Et enfin, au final, sur le mythique « LiberTango », Peirani, Parisien, Belmondo et le quintet de Daniel Mille ont «tapé le boeuf », comme au bon vieux temps des festivals d’antan.
La photo du salut de l’ensemble des musiciens entourant J.-L. Trintignant, radieux, est éloquente… Tous visiblement ravis d’avoir participé à cette étonnante rencontre.
(Photos PHA)
Hugo Lippi Quartet : Hugo Lippi (g), Alain Jean-Marie (p), Yoni Zelnick (b), Mourad Benhammou (dr) ; Stephane Belmondo Trio (Love for Chet) : Stéphane Belmondo (tp, bugle), Thomas Bramerie (b), Jerôme Barde (g). Plus, projection du court métrage (N&B de 1989) Chet Romance de Bertrand Fèvre. 16 août Alpillium.
Hugo Lippi est depuis presque 20 ans (il est arrivé à Paris en 1997) l’un des guitaristes reconnu de la scène parisienne. Pilier de nombreuses nuits du, feu mais mythique, Petit Opportun ou du Duc des Lombards entre autres. Il s’est aussi produit dans de nombreux festivals français et européens aux côtés d ‘Emmanuel Bex, de Simon Goubert, Siegfried Kessler, Florin Niculescu, René Urtreger, Eric Legnini, Christian Escoudé, André Ceccarelli, Sarah Lazarus, Stéphane Belmondo, Julien Lourau, Sylvain Luc, Pierrick Pedron, Rick Margitza, Patrick Artero, Fabien Mary et beaucoup d’autres. Belle carte de visite pour ce guitariste, pas frimeur pour un sou, qui maîtrise parfaitement le langage post-bop. Phrasés élégants, sonorités tendres et cristallines, jeu fluide.
En 2014, pour son album « Up through the years« , il enregistre avec une des Rolls Royce française de la rythmique bop : Alain Jean-Marie (p), Sylvain Romano (b) et Mourad Benhammou (dr). Celle qui était annoncée pour ce concert Saint Rémois. Changement de dernière minute S.Romano était remplacé par le solide Yoni Zelnick qui s’intégra parfaitement à l’accompagnement inspiré, comme toujours, d’A. Jean-Marie et aux figures rythmiques époustouflantes de M. Benhammou. Bonus visuel : la superbe et spectaculaire gestuelle de Mourad.
Alain Jean-Marie, Hugo Lippi, Yoni Zelnick, Mourad Benammou (Photo Maurice Salvadori/Jazz à Saint Rémy)
Après l’entracte, encore une surprise : projection du court métrage de 1989 Chet Romance de Bertrand Fèvre (en N&B). Atmosphères à la Jammin the Blues de Jon Mili (ce chef d’œuvre de 1944). Chet en quartet avec… Alain Jean-Marie au piano ! Alain qui vient juste de terminer son set avec H. Lippi. Très ému, il dit quelques mots sur le tournage (il y a presque 30 ans…) et sur sa collaboration avec Chet.
NB : Jammin the blues et Chet Romance sont téléchargeables (en principe gratuitement sur internet).
Le superbe projet Love for Chet de Stéphane Belmondo tourne beaucoup depuis un an. Ce projet « vient de loin » comme on dit… De très loin même. Une belle histoire de transmission et d’amitiés… En 1987, Stéphane a 20 ans, il joue au Palace (mythique club parisien aujourd’hui disparu). Chet Baker l’entend et l’invite à se joindre à lui pour le concert qu’il doit donner le lendemain au New Morning. Et là carrément Chet le présente comme « le trompettiste le plus prometteur de sa génération en Europe ». Ensuite « il m’a toujours donné des conseils précieux. Nous parlions beaucoup ensemble, de la musique, de la vie. Il était comme un papa pour moi. Cette rencontre m’a profondément touché et il m’aura fallu 25 ans pour que je puisse enfin oser lui rendre hommage avec ce projet Love for Chet » ! Projet décliné en trio sans batterie. Formule qu’affectionnait Chet car il ne supportait pas les batteurs « bourrins »… En témoigne les superbes enregistrements que Chet grava pour le label Steeple Chase dans ce format (avec Doug Raney et NHOP). Sur des standards mythiques ou sur « La chanson d’Hélène » (composée pour le film Les Choses de la vie) Stéphane montre qu’il a du cœur à revendre. Il n’est pas facile de célébrer une idole avec originalité tout en conservant sa propre personnalité musicale. Stéphane réussit ce pari avec son jeu à la fois feutré et enivrant, intimiste et tout en retenue. Mais ce trio nous conte aussi une autre belle histoire. Celle d’une longue amitié. Stéphane joue avec Thomas Bramerie (b) depuis qu’il a 15 ans ! Deux musiciens de la filière jazz dite « toulonnaise » qui a donné à la scène jazz française de très nombreux instrumentistes talentueux. Au sein du trio, Thomas Bramerie est un pilier solide au jeu plein et sensuel. Sur plusieurs solos il se révéla à la fois mélodique et exubérant. Le guitariste Jerôme Barde jouait pour la première fois avec le groupe. Musicien discret qui après de solides études à la prestigieuse Berkeley School de Boston Jerôme a accompagné beaucoup de grosses pointures et participé à des projets variés (dont les siens). Belle surprise (encore une) de le découvrir dans ce contexte. Fluidité, sensibilité et grande impression de facilité. Jeu incisif, nerveux et presque « sec », mais toujours juste. Harmonies subtiles proposées avec une méticulosité incisive qui n’exclut pas le lyrisme. Toutes qualités parfaitement adaptées à l’esprit du « Love for Chet » de Stéphane Belmondo.
S. Belmondo, Thomas Bramerie, Jerôme Barde(Photo Maurice Salvatori/Jazz à Saint Rémy)
Pour la dernière soirée j’étais absent (excusé) mais des témoins dignes de fois m’ont dit que Didier Lockwood (vl) accompagné par le trio d’Antoine Hervier avait triomphé. Son concert était non seulement sold out mais de nombreuses personnes n’avaient pas pu obtenir de billet.
Belle récompense pour les organisateurs au moment où ils commencent déjà à préparer le dixième anniversaire de Jazz à Saint Rémy.
Pierre-Henri Ardonceau
PS : Pour quelques rapides informations « contextuelles » sur le jazz à Saint Rémy, voir le jazzlive consacré à l’édition 2015 ici : http://www.jazzmagazine.com/saint-remy-de-provence-philippe-et-lisa-triomphent
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L’édition de Jazz à Saint Rémy 2016 a été étonnante. Le programme bien équilibré proposait un intéressant panorama de jazz(s) d’aujourd’hui. Mais moult surprises furent aussi au rendez-vous.
Parisien/Peirani Duo : Emile Parisien (ss)/Vincent Peirani (acc) ; Daniel Mille Quintet (Hommage à Astor Piazzola) : Daniel Mille (acc), Grégoire Korniluk, Paul Colomb et Frédéric Deville (cello), D. Imbert (b), Samuel Strouk (arr). 15 août Alpillium. Plus, invités surprises : Stéphane Belmondo (bugle) et… Jean-Louis Trintignant.
Le duo Parisien/Peirani est très demandé par les organisateurs de concerts. Pas seulement en France, mais aussi dans toute l’Europe. En deux ans le duo s’est produit des centaines de fois. Les deux complices participent aussi par ailleurs à de nombreux autres projets (ensemble ou chacun de leur côté). Pourtant, sur scène comme en coulisses, pas le moindre indice de lassitude… Leur joie de jouer est intacte, palpable. Sur le répertoire de leur superbe CD (le bien nommé Belle Epoque) qu’ils connaissent sur le bout des doigts, aucune routine, ils modifient les arrangements et se tendent moult pièges… qui les font sourire et qui, visiblement, les stimulent. Leurs interprétations a-typiques et créatives sur Egyptian Fantasy, Song for Medina (de Bechet) et Temptation Rag (joué par Bechet) ravissent le public. La présentation par Peirani d’une composition originale (3 Temps pour Michel P.) dédiée à Portal (avec qui il joue d’ailleurs fréquemment) est fort facétieuse. Carrément taquine même (pour rester politicaly correct…). Bel hommage finalement, respectueux, mais aussi (pour le dire vite)… distancié. Accompagnateur ou soliste, Peirani nous fait tomber de l’armoire. Un extra terrestre du « piano du pauvre ». Virtuosité mais pas que. Sonorités, amples, d’orgue d’église. Basses groovy. « Quoi qu’il fasse ou qu’il touche, c’est parfait, c’est juste, c’est en place, c’est remuant, c’est accessible, c’est raffiné. » (F.B.). Bardé de diplômes et de récompenses dans le monde du classique comme dans celui du jazz, Peirani a même participé dans sa prime jeunesse (comme Marcel Azzola à la fin des années 40) à des « Championnats d’accordéon » (oui ça existe… on apprend tous les jours !) qu’il a très souvent gagnés. Improvisateur novateur il est en train de bousculer les hiérarchies bien installées de l’accordéon jazz… Emile Parisien est devenu en quelques années un maître du soprano. Héritier de tous les grands de ce saxophone si particulier. Il a gardé le meilleur de Bechet (celui d’avant les vibratos exaspérants des années 50…) mais on pense aussi en l’écoutant à Steve Lacy, à John Coltrane et à Wayne Shorter. En une synthèse ultra personnelle. Il nous délivre ses solos sous forme de cascades sonores puissantes et étourdissantes.
Emile Parisien ( à gauche) et Vincent Peirani. Photo Maurice Salvadori/Jazz à Saint Rémy
Courte remarque (un peu futile, mais bon…) : quelques « facebookers » reprochent à Emile ses « gesticulations » (qui pour moi n’ont rien d’artificielles mais sont le simple reflet de son engagement total, « corps et âme » comme on dit). Hypothèse : on peut imaginer que les mêmes « détracteurs » de la gestuelle d’Emile adoraient certainement, jadis, Ray Charles se balançant en permanence en de très grands mouvements d’avant en arrière à longueur de concerts, ou trouvent sûrement, aujourd’hui, « géniales» les grimaces et contorsions de Keith Jarrett! Qui sait ?
Dans son hommage à Astor Piazzola Daniel Mille a joué la carte de la sobriété et du classicisme. C’est profond, réfléchi, grave, lyrique et sensuel. Un moment magistral de grâce et d’intensité. Les arrangements de Samuel Strouk pour les 3 violoncelles mettent bien en valeur le jeu généreux et ample de Grégoire Korniluk. Diego Imbert, habituel maître de la walking bass, nous étonna, vraiment, à l’archet.
Belles surprises en fin de concert.
La première : Stephane Belmondo, programmé le lendemain avec son hommage à Chet Baker, est déjà arrivé à Saint Rémy. D.Mille l’invite à rejoindre son quintet. Stéphane joue un thème au bugle. Sa sonorité feutrée et sensuelle s’accorde parfaitement à l’univers du grand compositeur argentin.
La seconde : Daniel Mille est très lié à la famille Trintignant. Il avait préparé un spectacle avec Marie avant son tragique décès et il accompagne souvent Jean-Louis pour des récitals poétiques.Venu en voisin des ses terres cévenoles Jean-Louis Trintignant a offert au festival un superbe impromptu : il a récité (sans prompteur cela va de soi pour un artiste de cette trempe…) le magnifique texte de Boris Vian « Je ne voudrais pas crever » . Voix et diction toujours aussi superbes (à 86 ans!). Grande émotion (pour le public comme pour les musiciens) et longue standing ovation.
Jean-Louis Trintignant (Photo Maurice Salvadori/Jazz à Saint Rémy)
Et enfin, au final, sur le mythique « LiberTango », Peirani, Parisien, Belmondo et le quintet de Daniel Mille ont «tapé le boeuf », comme au bon vieux temps des festivals d’antan.
La photo du salut de l’ensemble des musiciens entourant J.-L. Trintignant, radieux, est éloquente… Tous visiblement ravis d’avoir participé à cette étonnante rencontre.
(Photos PHA)
Hugo Lippi Quartet : Hugo Lippi (g), Alain Jean-Marie (p), Yoni Zelnick (b), Mourad Benhammou (dr) ; Stephane Belmondo Trio (Love for Chet) : Stéphane Belmondo (tp, bugle), Thomas Bramerie (b), Jerôme Barde (g). Plus, projection du court métrage (N&B de 1989) Chet Romance de Bertrand Fèvre. 16 août Alpillium.
Hugo Lippi est depuis presque 20 ans (il est arrivé à Paris en 1997) l’un des guitaristes reconnu de la scène parisienne. Pilier de nombreuses nuits du, feu mais mythique, Petit Opportun ou du Duc des Lombards entre autres. Il s’est aussi produit dans de nombreux festivals français et européens aux côtés d ‘Emmanuel Bex, de Simon Goubert, Siegfried Kessler, Florin Niculescu, René Urtreger, Eric Legnini, Christian Escoudé, André Ceccarelli, Sarah Lazarus, Stéphane Belmondo, Julien Lourau, Sylvain Luc, Pierrick Pedron, Rick Margitza, Patrick Artero, Fabien Mary et beaucoup d’autres. Belle carte de visite pour ce guitariste, pas frimeur pour un sou, qui maîtrise parfaitement le langage post-bop. Phrasés élégants, sonorités tendres et cristallines, jeu fluide.
En 2014, pour son album « Up through the years« , il enregistre avec une des Rolls Royce française de la rythmique bop : Alain Jean-Marie (p), Sylvain Romano (b) et Mourad Benhammou (dr). Celle qui était annoncée pour ce concert Saint Rémois. Changement de dernière minute S.Romano était remplacé par le solide Yoni Zelnick qui s’intégra parfaitement à l’accompagnement inspiré, comme toujours, d’A. Jean-Marie et aux figures rythmiques époustouflantes de M. Benhammou. Bonus visuel : la superbe et spectaculaire gestuelle de Mourad.
Alain Jean-Marie, Hugo Lippi, Yoni Zelnick, Mourad Benammou (Photo Maurice Salvadori/Jazz à Saint Rémy)
Après l’entracte, encore une surprise : projection du court métrage de 1989 Chet Romance de Bertrand Fèvre (en N&B). Atmosphères à la Jammin the Blues de Jon Mili (ce chef d’œuvre de 1944). Chet en quartet avec… Alain Jean-Marie au piano ! Alain qui vient juste de terminer son set avec H. Lippi. Très ému, il dit quelques mots sur le tournage (il y a presque 30 ans…) et sur sa collaboration avec Chet.
NB : Jammin the blues et Chet Romance sont téléchargeables (en principe gratuitement sur internet).
Le superbe projet Love for Chet de Stéphane Belmondo tourne beaucoup depuis un an. Ce projet « vient de loin » comme on dit… De très loin même. Une belle histoire de transmission et d’amitiés… En 1987, Stéphane a 20 ans, il joue au Palace (mythique club parisien aujourd’hui disparu). Chet Baker l’entend et l’invite à se joindre à lui pour le concert qu’il doit donner le lendemain au New Morning. Et là carrément Chet le présente comme « le trompettiste le plus prometteur de sa génération en Europe ». Ensuite « il m’a toujours donné des conseils précieux. Nous parlions beaucoup ensemble, de la musique, de la vie. Il était comme un papa pour moi. Cette rencontre m’a profondément touché et il m’aura fallu 25 ans pour que je puisse enfin oser lui rendre hommage avec ce projet Love for Chet » ! Projet décliné en trio sans batterie. Formule qu’affectionnait Chet car il ne supportait pas les batteurs « bourrins »… En témoigne les superbes enregistrements que Chet grava pour le label Steeple Chase dans ce format (avec Doug Raney et NHOP). Sur des standards mythiques ou sur « La chanson d’Hélène » (composée pour le film Les Choses de la vie) Stéphane montre qu’il a du cœur à revendre. Il n’est pas facile de célébrer une idole avec originalité tout en conservant sa propre personnalité musicale. Stéphane réussit ce pari avec son jeu à la fois feutré et enivrant, intimiste et tout en retenue. Mais ce trio nous conte aussi une autre belle histoire. Celle d’une longue amitié. Stéphane joue avec Thomas Bramerie (b) depuis qu’il a 15 ans ! Deux musiciens de la filière jazz dite « toulonnaise » qui a donné à la scène jazz française de très nombreux instrumentistes talentueux. Au sein du trio, Thomas Bramerie est un pilier solide au jeu plein et sensuel. Sur plusieurs solos il se révéla à la fois mélodique et exubérant. Le guitariste Jerôme Barde jouait pour la première fois avec le groupe. Musicien discret qui après de solides études à la prestigieuse Berkeley School de Boston Jerôme a accompagné beaucoup de grosses pointures et participé à des projets variés (dont les siens). Belle surprise (encore une) de le découvrir dans ce contexte. Fluidité, sensibilité et grande impression de facilité. Jeu incisif, nerveux et presque « sec », mais toujours juste. Harmonies subtiles proposées avec une méticulosité incisive qui n’exclut pas le lyrisme. Toutes qualités parfaitement adaptées à l’esprit du « Love for Chet » de Stéphane Belmondo.
S. Belmondo, Thomas Bramerie, Jerôme Barde(Photo Maurice Salvatori/Jazz à Saint Rémy)
Pour la dernière soirée j’étais absent (excusé) mais des témoins dignes de fois m’ont dit que Didier Lockwood (vl) accompagné par le trio d’Antoine Hervier avait triomphé. Son concert était non seulement sold out mais de nombreuses personnes n’avaient pas pu obtenir de billet.
Belle récompense pour les organisateurs au moment où ils commencent déjà à préparer le dixième anniversaire de Jazz à Saint Rémy.
Pierre-Henri Ardonceau
PS : Pour quelques rapides informations « contextuelles » sur le jazz à Saint Rémy, voir le jazzlive consacré à l’édition 2015 ici : http://www.jazzmagazine.com/saint-remy-de-provence-philippe-et-lisa-triomphent
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L’édition de Jazz à Saint Rémy 2016 a été étonnante. Le programme bien équilibré proposait un intéressant panorama de jazz(s) d’aujourd’hui. Mais moult surprises furent aussi au rendez-vous.
Parisien/Peirani Duo : Emile Parisien (ss)/Vincent Peirani (acc) ; Daniel Mille Quintet (Hommage à Astor Piazzola) : Daniel Mille (acc), Grégoire Korniluk, Paul Colomb et Frédéric Deville (cello), D. Imbert (b), Samuel Strouk (arr). 15 août Alpillium. Plus, invités surprises : Stéphane Belmondo (bugle) et… Jean-Louis Trintignant.
Le duo Parisien/Peirani est très demandé par les organisateurs de concerts. Pas seulement en France, mais aussi dans toute l’Europe. En deux ans le duo s’est produit des centaines de fois. Les deux complices participent aussi par ailleurs à de nombreux autres projets (ensemble ou chacun de leur côté). Pourtant, sur scène comme en coulisses, pas le moindre indice de lassitude… Leur joie de jouer est intacte, palpable. Sur le répertoire de leur superbe CD (le bien nommé Belle Epoque) qu’ils connaissent sur le bout des doigts, aucune routine, ils modifient les arrangements et se tendent moult pièges… qui les font sourire et qui, visiblement, les stimulent. Leurs interprétations a-typiques et créatives sur Egyptian Fantasy, Song for Medina (de Bechet) et Temptation Rag (joué par Bechet) ravissent le public. La présentation par Peirani d’une composition originale (3 Temps pour Michel P.) dédiée à Portal (avec qui il joue d’ailleurs fréquemment) est fort facétieuse. Carrément taquine même (pour rester politicaly correct…). Bel hommage finalement, respectueux, mais aussi (pour le dire vite)… distancié. Accompagnateur ou soliste, Peirani nous fait tomber de l’armoire. Un extra terrestre du « piano du pauvre ». Virtuosité mais pas que. Sonorités, amples, d’orgue d’église. Basses groovy. « Quoi qu’il fasse ou qu’il touche, c’est parfait, c’est juste, c’est en place, c’est remuant, c’est accessible, c’est raffiné. » (F.B.). Bardé de diplômes et de récompenses dans le monde du classique comme dans celui du jazz, Peirani a même participé dans sa prime jeunesse (comme Marcel Azzola à la fin des années 40) à des « Championnats d’accordéon » (oui ça existe… on apprend tous les jours !) qu’il a très souvent gagnés. Improvisateur novateur il est en train de bousculer les hiérarchies bien installées de l’accordéon jazz… Emile Parisien est devenu en quelques années un maître du soprano. Héritier de tous les grands de ce saxophone si particulier. Il a gardé le meilleur de Bechet (celui d’avant les vibratos exaspérants des années 50…) mais on pense aussi en l’écoutant à Steve Lacy, à John Coltrane et à Wayne Shorter. En une synthèse ultra personnelle. Il nous délivre ses solos sous forme de cascades sonores puissantes et étourdissantes.
Emile Parisien ( à gauche) et Vincent Peirani. Photo Maurice Salvadori/Jazz à Saint Rémy
Courte remarque (un peu futile, mais bon…) : quelques « facebookers » reprochent à Emile ses « gesticulations » (qui pour moi n’ont rien d’artificielles mais sont le simple reflet de son engagement total, « corps et âme » comme on dit). Hypothèse : on peut imaginer que les mêmes « détracteurs » de la gestuelle d’Emile adoraient certainement, jadis, Ray Charles se balançant en permanence en de très grands mouvements d’avant en arrière à longueur de concerts, ou trouvent sûrement, aujourd’hui, « géniales» les grimaces et contorsions de Keith Jarrett! Qui sait ?
Dans son hommage à Astor Piazzola Daniel Mille a joué la carte de la sobriété et du classicisme. C’est profond, réfléchi, grave, lyrique et sensuel. Un moment magistral de grâce et d’intensité. Les arrangements de Samuel Strouk pour les 3 violoncelles mettent bien en valeur le jeu généreux et ample de Grégoire Korniluk. Diego Imbert, habituel maître de la walking bass, nous étonna, vraiment, à l’archet.
Belles surprises en fin de concert.
La première : Stephane Belmondo, programmé le lendemain avec son hommage à Chet Baker, est déjà arrivé à Saint Rémy. D.Mille l’invite à rejoindre son quintet. Stéphane joue un thème au bugle. Sa sonorité feutrée et sensuelle s’accorde parfaitement à l’univers du grand compositeur argentin.
La seconde : Daniel Mille est très lié à la famille Trintignant. Il avait préparé un spectacle avec Marie avant son tragique décès et il accompagne souvent Jean-Louis pour des récitals poétiques.Venu en voisin des ses terres cévenoles Jean-Louis Trintignant a offert au festival un superbe impromptu : il a récité (sans prompteur cela va de soi pour un artiste de cette trempe…) le magnifique texte de Boris Vian « Je ne voudrais pas crever » . Voix et diction toujours aussi superbes (à 86 ans!). Grande émotion (pour le public comme pour les musiciens) et longue standing ovation.
Jean-Louis Trintignant (Photo Maurice Salvadori/Jazz à Saint Rémy)
Et enfin, au final, sur le mythique « LiberTango », Peirani, Parisien, Belmondo et le quintet de Daniel Mille ont «tapé le boeuf », comme au bon vieux temps des festivals d’antan.
La photo du salut de l’ensemble des musiciens entourant J.-L. Trintignant, radieux, est éloquente… Tous visiblement ravis d’avoir participé à cette étonnante rencontre.
(Photos PHA)
Hugo Lippi Quartet : Hugo Lippi (g), Alain Jean-Marie (p), Yoni Zelnick (b), Mourad Benhammou (dr) ; Stephane Belmondo Trio (Love for Chet) : Stéphane Belmondo (tp, bugle), Thomas Bramerie (b), Jerôme Barde (g). Plus, projection du court métrage (N&B de 1989) Chet Romance de Bertrand Fèvre. 16 août Alpillium.
Hugo Lippi est depuis presque 20 ans (il est arrivé à Paris en 1997) l’un des guitaristes reconnu de la scène parisienne. Pilier de nombreuses nuits du, feu mais mythique, Petit Opportun ou du Duc des Lombards entre autres. Il s’est aussi produit dans de nombreux festivals français et européens aux côtés d ‘Emmanuel Bex, de Simon Goubert, Siegfried Kessler, Florin Niculescu, René Urtreger, Eric Legnini, Christian Escoudé, André Ceccarelli, Sarah Lazarus, Stéphane Belmondo, Julien Lourau, Sylvain Luc, Pierrick Pedron, Rick Margitza, Patrick Artero, Fabien Mary et beaucoup d’autres. Belle carte de visite pour ce guitariste, pas frimeur pour un sou, qui maîtrise parfaitement le langage post-bop. Phrasés élégants, sonorités tendres et cristallines, jeu fluide.
En 2014, pour son album « Up through the years« , il enregistre avec une des Rolls Royce française de la rythmique bop : Alain Jean-Marie (p), Sylvain Romano (b) et Mourad Benhammou (dr). Celle qui était annoncée pour ce concert Saint Rémois. Changement de dernière minute S.Romano était remplacé par le solide Yoni Zelnick qui s’intégra parfaitement à l’accompagnement inspiré, comme toujours, d’A. Jean-Marie et aux figures rythmiques époustouflantes de M. Benhammou. Bonus visuel : la superbe et spectaculaire gestuelle de Mourad.
Alain Jean-Marie, Hugo Lippi, Yoni Zelnick, Mourad Benammou (Photo Maurice Salvadori/Jazz à Saint Rémy)
Après l’entracte, encore une surprise : projection du court métrage de 1989 Chet Romance de Bertrand Fèvre (en N&B). Atmosphères à la Jammin the Blues de Jon Mili (ce chef d’œuvre de 1944). Chet en quartet avec… Alain Jean-Marie au piano ! Alain qui vient juste de terminer son set avec H. Lippi. Très ému, il dit quelques mots sur le tournage (il y a presque 30 ans…) et sur sa collaboration avec Chet.
NB : Jammin the blues et Chet Romance sont téléchargeables (en principe gratuitement sur internet).
Le superbe projet Love for Chet de Stéphane Belmondo tourne beaucoup depuis un an. Ce projet « vient de loin » comme on dit… De très loin même. Une belle histoire de transmission et d’amitiés… En 1987, Stéphane a 20 ans, il joue au Palace (mythique club parisien aujourd’hui disparu). Chet Baker l’entend et l’invite à se joindre à lui pour le concert qu’il doit donner le lendemain au New Morning. Et là carrément Chet le présente comme « le trompettiste le plus prometteur de sa génération en Europe ». Ensuite « il m’a toujours donné des conseils précieux. Nous parlions beaucoup ensemble, de la musique, de la vie. Il était comme un papa pour moi. Cette rencontre m’a profondément touché et il m’aura fallu 25 ans pour que je puisse enfin oser lui rendre hommage avec ce projet Love for Chet » ! Projet décliné en trio sans batterie. Formule qu’affectionnait Chet car il ne supportait pas les batteurs « bourrins »… En témoigne les superbes enregistrements que Chet grava pour le label Steeple Chase dans ce format (avec Doug Raney et NHOP). Sur des standards mythiques ou sur « La chanson d’Hélène » (composée pour le film Les Choses de la vie) Stéphane montre qu’il a du cœur à revendre. Il n’est pas facile de célébrer une idole avec originalité tout en conservant sa propre personnalité musicale. Stéphane réussit ce pari avec son jeu à la fois feutré et enivrant, intimiste et tout en retenue. Mais ce trio nous conte aussi une autre belle histoire. Celle d’une longue amitié. Stéphane joue avec Thomas Bramerie (b) depuis qu’il a 15 ans ! Deux musiciens de la filière jazz dite « toulonnaise » qui a donné à la scène jazz française de très nombreux instrumentistes talentueux. Au sein du trio, Thomas Bramerie est un pilier solide au jeu plein et sensuel. Sur plusieurs solos il se révéla à la fois mélodique et exubérant. Le guitariste Jerôme Barde jouait pour la première fois avec le groupe. Musicien discret qui après de solides études à la prestigieuse Berkeley School de Boston Jerôme a accompagné beaucoup de grosses pointures et participé à des projets variés (dont les siens). Belle surprise (encore une) de le découvrir dans ce contexte. Fluidité, sensibilité et grande impression de facilité. Jeu incisif, nerveux et presque « sec », mais toujours juste. Harmonies subtiles proposées avec une méticulosité incisive qui n’exclut pas le lyrisme. Toutes qualités parfaitement adaptées à l’esprit du « Love for Chet » de Stéphane Belmondo.
S. Belmondo, Thomas Bramerie, Jerôme Barde(Photo Maurice Salvatori/Jazz à Saint Rémy)
Pour la dernière soirée j’étais absent (excusé) mais des témoins dignes de fois m’ont dit que Didier Lockwood (vl) accompagné par le trio d’Antoine Hervier avait triomphé. Son concert était non seulement sold out mais de nombreuses personnes n’avaient pas pu obtenir de billet.
Belle récompense pour les organisateurs au moment où ils commencent déjà à préparer le dixième anniversaire de Jazz à Saint Rémy.
Pierre-Henri Ardonceau
PS : Pour quelques rapides informations « contextuelles » sur le jazz à Saint Rémy, voir le jazzlive consacré à l’édition 2015 ici : http://www.jazzmagazine.com/saint-remy-de-provence-philippe-et-lisa-triomphent
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L’édition de Jazz à Saint Rémy 2016 a été étonnante. Le programme bien équilibré proposait un intéressant panorama de jazz(s) d’aujourd’hui. Mais moult surprises furent aussi au rendez-vous.
Parisien/Peirani Duo : Emile Parisien (ss)/Vincent Peirani (acc) ; Daniel Mille Quintet (Hommage à Astor Piazzola) : Daniel Mille (acc), Grégoire Korniluk, Paul Colomb et Frédéric Deville (cello), D. Imbert (b), Samuel Strouk (arr). 15 août Alpillium. Plus, invités surprises : Stéphane Belmondo (bugle) et… Jean-Louis Trintignant.
Le duo Parisien/Peirani est très demandé par les organisateurs de concerts. Pas seulement en France, mais aussi dans toute l’Europe. En deux ans le duo s’est produit des centaines de fois. Les deux complices participent aussi par ailleurs à de nombreux autres projets (ensemble ou chacun de leur côté). Pourtant, sur scène comme en coulisses, pas le moindre indice de lassitude… Leur joie de jouer est intacte, palpable. Sur le répertoire de leur superbe CD (le bien nommé Belle Epoque) qu’ils connaissent sur le bout des doigts, aucune routine, ils modifient les arrangements et se tendent moult pièges… qui les font sourire et qui, visiblement, les stimulent. Leurs interprétations a-typiques et créatives sur Egyptian Fantasy, Song for Medina (de Bechet) et Temptation Rag (joué par Bechet) ravissent le public. La présentation par Peirani d’une composition originale (3 Temps pour Michel P.) dédiée à Portal (avec qui il joue d’ailleurs fréquemment) est fort facétieuse. Carrément taquine même (pour rester politicaly correct…). Bel hommage finalement, respectueux, mais aussi (pour le dire vite)… distancié. Accompagnateur ou soliste, Peirani nous fait tomber de l’armoire. Un extra terrestre du « piano du pauvre ». Virtuosité mais pas que. Sonorités, amples, d’orgue d’église. Basses groovy. « Quoi qu’il fasse ou qu’il touche, c’est parfait, c’est juste, c’est en place, c’est remuant, c’est accessible, c’est raffiné. » (F.B.). Bardé de diplômes et de récompenses dans le monde du classique comme dans celui du jazz, Peirani a même participé dans sa prime jeunesse (comme Marcel Azzola à la fin des années 40) à des « Championnats d’accordéon » (oui ça existe… on apprend tous les jours !) qu’il a très souvent gagnés. Improvisateur novateur il est en train de bousculer les hiérarchies bien installées de l’accordéon jazz… Emile Parisien est devenu en quelques années un maître du soprano. Héritier de tous les grands de ce saxophone si particulier. Il a gardé le meilleur de Bechet (celui d’avant les vibratos exaspérants des années 50…) mais on pense aussi en l’écoutant à Steve Lacy, à John Coltrane et à Wayne Shorter. En une synthèse ultra personnelle. Il nous délivre ses solos sous forme de cascades sonores puissantes et étourdissantes.
Emile Parisien ( à gauche) et Vincent Peirani. Photo Maurice Salvadori/Jazz à Saint Rémy
Courte remarque (un peu futile, mais bon…) : quelques « facebookers » reprochent à Emile ses « gesticulations » (qui pour moi n’ont rien d’artificielles mais sont le simple reflet de son engagement total, « corps et âme » comme on dit). Hypothèse : on peut imaginer que les mêmes « détracteurs » de la gestuelle d’Emile adoraient certainement, jadis, Ray Charles se balançant en permanence en de très grands mouvements d’avant en arrière à longueur de concerts, ou trouvent sûrement, aujourd’hui, « géniales» les grimaces et contorsions de Keith Jarrett! Qui sait ?
Dans son hommage à Astor Piazzola Daniel Mille a joué la carte de la sobriété et du classicisme. C’est profond, réfléchi, grave, lyrique et sensuel. Un moment magistral de grâce et d’intensité. Les arrangements de Samuel Strouk pour les 3 violoncelles mettent bien en valeur le jeu généreux et ample de Grégoire Korniluk. Diego Imbert, habituel maître de la walking bass, nous étonna, vraiment, à l’archet.
Belles surprises en fin de concert.
La première : Stephane Belmondo, programmé le lendemain avec son hommage à Chet Baker, est déjà arrivé à Saint Rémy. D.Mille l’invite à rejoindre son quintet. Stéphane joue un thème au bugle. Sa sonorité feutrée et sensuelle s’accorde parfaitement à l’univers du grand compositeur argentin.
La seconde : Daniel Mille est très lié à la famille Trintignant. Il avait préparé un spectacle avec Marie avant son tragique décès et il accompagne souvent Jean-Louis pour des récitals poétiques.Venu en voisin des ses terres cévenoles Jean-Louis Trintignant a offert au festival un superbe impromptu : il a récité (sans prompteur cela va de soi pour un artiste de cette trempe…) le magnifique texte de Boris Vian « Je ne voudrais pas crever » . Voix et diction toujours aussi superbes (à 86 ans!). Grande émotion (pour le public comme pour les musiciens) et longue standing ovation.
Jean-Louis Trintignant (Photo Maurice Salvadori/Jazz à Saint Rémy)
Et enfin, au final, sur le mythique « LiberTango », Peirani, Parisien, Belmondo et le quintet de Daniel Mille ont «tapé le boeuf », comme au bon vieux temps des festivals d’antan.
La photo du salut de l’ensemble des musiciens entourant J.-L. Trintignant, radieux, est éloquente… Tous visiblement ravis d’avoir participé à cette étonnante rencontre.
(Photos PHA)
Hugo Lippi Quartet : Hugo Lippi (g), Alain Jean-Marie (p), Yoni Zelnick (b), Mourad Benhammou (dr) ; Stephane Belmondo Trio (Love for Chet) : Stéphane Belmondo (tp, bugle), Thomas Bramerie (b), Jerôme Barde (g). Plus, projection du court métrage (N&B de 1989) Chet Romance de Bertrand Fèvre. 16 août Alpillium.
Hugo Lippi est depuis presque 20 ans (il est arrivé à Paris en 1997) l’un des guitaristes reconnu de la scène parisienne. Pilier de nombreuses nuits du, feu mais mythique, Petit Opportun ou du Duc des Lombards entre autres. Il s’est aussi produit dans de nombreux festivals français et européens aux côtés d ‘Emmanuel Bex, de Simon Goubert, Siegfried Kessler, Florin Niculescu, René Urtreger, Eric Legnini, Christian Escoudé, André Ceccarelli, Sarah Lazarus, Stéphane Belmondo, Julien Lourau, Sylvain Luc, Pierrick Pedron, Rick Margitza, Patrick Artero, Fabien Mary et beaucoup d’autres. Belle carte de visite pour ce guitariste, pas frimeur pour un sou, qui maîtrise parfaitement le langage post-bop. Phrasés élégants, sonorités tendres et cristallines, jeu fluide.
En 2014, pour son album « Up through the years« , il enregistre avec une des Rolls Royce française de la rythmique bop : Alain Jean-Marie (p), Sylvain Romano (b) et Mourad Benhammou (dr). Celle qui était annoncée pour ce concert Saint Rémois. Changement de dernière minute S.Romano était remplacé par le solide Yoni Zelnick qui s’intégra parfaitement à l’accompagnement inspiré, comme toujours, d’A. Jean-Marie et aux figures rythmiques époustouflantes de M. Benhammou. Bonus visuel : la superbe et spectaculaire gestuelle de Mourad.
Alain Jean-Marie, Hugo Lippi, Yoni Zelnick, Mourad Benammou (Photo Maurice Salvadori/Jazz à Saint Rémy)
Après l’entracte, encore une surprise : projection du court métrage de 1989 Chet Romance de Bertrand Fèvre (en N&B). Atmosphères à la Jammin the Blues de Jon Mili (ce chef d’œuvre de 1944). Chet en quartet avec… Alain Jean-Marie au piano ! Alain qui vient juste de terminer son set avec H. Lippi. Très ému, il dit quelques mots sur le tournage (il y a presque 30 ans…) et sur sa collaboration avec Chet.
NB : Jammin the blues et Chet Romance sont téléchargeables (en principe gratuitement sur internet).
Le superbe projet Love for Chet de Stéphane Belmondo tourne beaucoup depuis un an. Ce projet « vient de loin » comme on dit… De très loin même. Une belle histoire de transmission et d’amitiés… En 1987, Stéphane a 20 ans, il joue au Palace (mythique club parisien aujourd’hui disparu). Chet Baker l’entend et l’invite à se joindre à lui pour le concert qu’il doit donner le lendemain au New Morning. Et là carrément Chet le présente comme « le trompettiste le plus prometteur de sa génération en Europe ». Ensuite « il m’a toujours donné des conseils précieux. Nous parlions beaucoup ensemble, de la musique, de la vie. Il était comme un papa pour moi. Cette rencontre m’a profondément touché et il m’aura fallu 25 ans pour que je puisse enfin oser lui rendre hommage avec ce projet Love for Chet » ! Projet décliné en trio sans batterie. Formule qu’affectionnait Chet car il ne supportait pas les batteurs « bourrins »… En témoigne les superbes enregistrements que Chet grava pour le label Steeple Chase dans ce format (avec Doug Raney et NHOP). Sur des standards mythiques ou sur « La chanson d’Hélène » (composée pour le film Les Choses de la vie) Stéphane montre qu’il a du cœur à revendre. Il n’est pas facile de célébrer une idole avec originalité tout en conservant sa propre personnalité musicale. Stéphane réussit ce pari avec son jeu à la fois feutré et enivrant, intimiste et tout en retenue. Mais ce trio nous conte aussi une autre belle histoire. Celle d’une longue amitié. Stéphane joue avec Thomas Bramerie (b) depuis qu’il a 15 ans ! Deux musiciens de la filière jazz dite « toulonnaise » qui a donné à la scène jazz française de très nombreux instrumentistes talentueux. Au sein du trio, Thomas Bramerie est un pilier solide au jeu plein et sensuel. Sur plusieurs solos il se révéla à la fois mélodique et exubérant. Le guitariste Jerôme Barde jouait pour la première fois avec le groupe. Musicien discret qui après de solides études à la prestigieuse Berkeley School de Boston Jerôme a accompagné beaucoup de grosses pointures et participé à des projets variés (dont les siens). Belle surprise (encore une) de le découvrir dans ce contexte. Fluidité, sensibilité et grande impression de facilité. Jeu incisif, nerveux et presque « sec », mais toujours juste. Harmonies subtiles proposées avec une méticulosité incisive qui n’exclut pas le lyrisme. Toutes qualités parfaitement adaptées à l’esprit du « Love for Chet » de Stéphane Belmondo.
S. Belmondo, Thomas Bramerie, Jerôme Barde(Photo Maurice Salvatori/Jazz à Saint Rémy)
Pour la dernière soirée j’étais absent (excusé) mais des témoins dignes de fois m’ont dit que Didier Lockwood (vl) accompagné par le trio d’Antoine Hervier avait triomphé. Son concert était non seulement sold out mais de nombreuses personnes n’avaient pas pu obtenir de billet.
Belle récompense pour les organisateurs au moment où ils commencent déjà à préparer le dixième anniversaire de Jazz à Saint Rémy.
Pierre-Henri Ardonceau
PS : Pour quelques rapides informations « contextuelles » sur le jazz à Saint Rémy, voir le jazzlive consacré à l’édition 2015 ici : http://www.jazzmagazine.com/saint-remy-de-provence-philippe-et-lisa-triomphent