Jazz live
Publié le 16 Oct 2016

MARTIAL SOLAL à l'OPÉRA DE LYON : JOIE ET FÉLICITÉ !

Le pianiste était pour une soirée l’hôte de la grande salle de l’Opéra, avec un trio inédit, et en invitée de marque, et de cœur, sa fille Claudia. Standards, compositions originales glanées au fil des décennies, improvisations sans entraves, Martial heureux et enjoué, partenaires attentifs et totalement investis : le public, très nombreux, fut conquis, et rappela le pianiste, consentant, jusqu’à extinction des feux.

Trio Solal Lyon 14-10-16photo © Xavier Prévost

Martial Solal (piano), Mads Vinding (contrebasse), Bernard Lubat (batterie)

invitée : Claudia Solal (voix)

Opéra de Lyon, 14 octobre 2016, 20h30

Le trio est inédit, mais il repose sur d’anciennes connivences. Bernard Lubat avait naguère accompagné Martial sur scène, et il était batteur sur le seul disque du pianiste légèrement orienté vers le jazz binaire (« Locomotion », 1974, réédité en CD). Plus récemment Bernard était aussi au clavier pour un mémorable duo de pianos, en janvier 2014 au festival Sons d’hiver, dont un DVD porte témoignage (« In and Out », filmé par Thierry Augé, La Huit production). Quant à Mads Vinding, Martial l’avait rencontré dès 1999 à Copenhague à l’occasion du Jazzpar Prize qui lui fut décerné, et qui induisait un concert de création avec des partenaires danois.

On commence, bille en tête, avec un anatole en si bémol, Swing Spring , pour planter le décor et affirmer haut et fort l’idiome de référence. Puis c’est Aigue Marine, magnifique thème de la fin des années 70, qui permet au pianiste-compositeur d’affirmer sa singularité. Suit, sur un mode moins mélancolique, Coming Yesterday, issu de la même période, avec ses détours thématiques, ses intervalles tendus, et sa beauté intrigante. Martial présente thèmes et partenaires avec son humour coutumier, laconique et très pince-sans-rire. À cet instant du concert il libère ses partenaires qui, dit-il « ont besoin de se reposer, car il y avait beaucoup de notes à jouer ». Et il nous offre en solo un medley du répertoire ellingtonien, de Sophisticated Lady à Satin Doll en passant par Take the «A» Train, Caravan, In a Sentimental Mood…. L’amour de cette musique transpire jusque dans la transgression amicale de ses formes canoniques.

C’est le moment pour le pianiste d’accueillir son invitée, sa fille Claudia, pour un duo de trois titres qui va parcourir tout l’ambitus artistique des deux protagonistes. On reste pour commencer dans les parages d’Ellington avec le sublime Lush Life de Billy Strayhorn, que Claudia parvient à magnifier, par l’intensité de son expression, soutenue par Martial qui se met au service de la musique et de l’interprète, sans rien abdiquer de sa singularité. Le duo suivant se joue sur un hymne bebop, In Walked Bud, de Thelonious Monk, avec les paroles de Jon Hendricks (qui l’avait enregistré au côté de Monk pour le disque « Underground »). Claudia commence a cappella, puis Martial libère sa verve de bopper, en une osmose parfaite. L’épisode en duo va se conclure dans l’improvisation la plus libre : Claudia lance des phrases hardies, sans paroles, aux intervalles inattendus, et Martial répond au piano, par adhésion ou par contraste. Le jeu se joue, le discours se tend, jusqu’à une sorte d’acmé. Puis dans un espace d’accalmie la chanteuse prend sur le piano un petit recueil de ses textes, écrits en anglais, qu’elle chante dans l’invention mélodique de l’instant, toujours en dialogue intime avec son père. Et au moment le plus opportun, comme par télépathie, le pianiste pose les notes conclusives : pas de doute, Claudia, comme son père, rejoint le cercle magique des compositeurs de l’instant.

opera de lyon france 14 oct 2016photo © Christophe Charpenel

Retour au trio, avec Here’s That Rainy Day, donné dans tout son lyrisme, mais fracturé en douceur par les incartades solaliennes. Bernard Lubat donne un très beau solo, aux balais, en faisant dans l’improvisation chanter le souvenir du thème : je pense un court instant à Jacques Mahieux, l’ami très regretté, qui excellait dans cet art de faire revivre la mélodie dans le solo de batterie. En coda, facétieux, Martial esquisse Mendelssohn et sa Marche nuptiale, avant d’avouer au public qu’il est rare d’entendre un batteur faire tout un solo aux balais et que, décidément, il aime ça ; et d’une même voix il annonce un solo de Mads Vinding sur Night and Day. Le contrebassiste fait chanter le thème, le contourne, puis s’en libère, en virtuose toujours musicien, avant d’être rejoint, pour la dernière grille, par le piano et la batterie. Suit le très sinueux, et complexe, Zag Zig, composé par Martial voici près de quinze ans. Tout l’art du compositeur est là, dans les portes dérobées, les pirouettes, la jubilation rythmique. Toujours facétieux Martial demande au public, après l’interprétation, s’il y a dans la salle des volontaires pour écrire des paroles sur ce terrain miné…. Ensuite, pour se détendre, le trio joue Tea For Two : j’ai souvent entendu Martial le jouer, en solo généralement, et c’est toujours l’occasion de nouvelles surprises. Le pianiste passe en quelques mesures d’un garnérisme déconstruit à une claudication monkienne, et à une cavalcade « à la Tristano ». Martial s’amuse. Les solos alternés de quatre mesures (que les jazzmen appellent 4-4) provoquent une partie de cache-cache chez les musiciens, qui se volent des mesures, imposent un silence quand ils devraient reprendre. Bernard Lubat scate là où l’on attendrait la percussion, bref l’ambiance est ludique, et le pianiste glisse même une bribe de Marche turque pour pimenter l’intermède. Public en joie, rappel chaleureux, et Martial annonce un standard éculé qu’ils vont, dit-il, s’efforcer de déséculer… Ce sera un beau Lover Man, plein de fantaisies et de détours, mais qui garde la mémoire de versions historiques. Au deuxième rappel le pianiste convainc ses partenaires de rester avec lui pour What Is This Thing Called Love, respectueusement passé à la moulinette, en toute musicalité, avec verve et imagination, et l’obligatoire coda en forme de Hot House. Pour le troisième rappel, après que Claudia s’est jointe au trio pour partager les bravos, Martial revient seul : « Il y a bien, dit-il, quelqu’un dans la salle dont c’est aujourd’hui l’anniversaire…. », et il se lance dans un démontage savoureux de Happy Birthday to You, montrant une fois de plus que l’invention du jazzman n’est pas forcément tributaire du matériau musical. Il dit qu’il est tard, qu’il serait temps de partir, mais que son train n’est que le lendemain à midi, et il esquisse l’un des thèmes d’ À bout de souffle, avant de revenir au micro préciser que c’est une musique qu’il a composée pour ce film voici 60 ans (en fait 57 ans, mais Martial se moque de la fuite du temps !). Et il se remet au piano pour un savant tuilage de deux thèmes (La Mort et New York Herald Tribune), comme dans la scène finale du film. Le cinéphile et le mélomane, qui cohabitent en moi pacifiquement, jubilent. Comme le public. Le pianiste quitte la scène, comme à regret, et les applaudissements ne s’éteindront que lorsque la salle se rallumera, pour signifier que la fête est finie. Martial paraît très heureux ; nous le sommes aussi, au-delà du dicible. C’est décidément le grand retour de Martial Solal, après les concerts de décembre 2015 au Sunside avec Dave Liebman, et avant les retrouvailles de ce même duo, le 29 octobre à 20h, dans le grand studio 104 de la Maison de la Radio, pour un concert « Jazz sur le vif » exceptionnel.

Xavier Prévost

Martial Solal jouera en duo avec Dave Liebman le samedi 29 octobre à 20h, dans le grand studio 104 de la Maison de la Radio, pour un concert « Jazz sur le vif » exceptionnel.

http://www.maisondelaradio.fr/evenement/jazz/jazz-sur-le-vif-20 |Le pianiste était pour une soirée l’hôte de la grande salle de l’Opéra, avec un trio inédit, et en invitée de marque, et de cœur, sa fille Claudia. Standards, compositions originales glanées au fil des décennies, improvisations sans entraves, Martial heureux et enjoué, partenaires attentifs et totalement investis : le public, très nombreux, fut conquis, et rappela le pianiste, consentant, jusqu’à extinction des feux.

Trio Solal Lyon 14-10-16photo © Xavier Prévost

Martial Solal (piano), Mads Vinding (contrebasse), Bernard Lubat (batterie)

invitée : Claudia Solal (voix)

Opéra de Lyon, 14 octobre 2016, 20h30

Le trio est inédit, mais il repose sur d’anciennes connivences. Bernard Lubat avait naguère accompagné Martial sur scène, et il était batteur sur le seul disque du pianiste légèrement orienté vers le jazz binaire (« Locomotion », 1974, réédité en CD). Plus récemment Bernard était aussi au clavier pour un mémorable duo de pianos, en janvier 2014 au festival Sons d’hiver, dont un DVD porte témoignage (« In and Out », filmé par Thierry Augé, La Huit production). Quant à Mads Vinding, Martial l’avait rencontré dès 1999 à Copenhague à l’occasion du Jazzpar Prize qui lui fut décerné, et qui induisait un concert de création avec des partenaires danois.

On commence, bille en tête, avec un anatole en si bémol, Swing Spring , pour planter le décor et affirmer haut et fort l’idiome de référence. Puis c’est Aigue Marine, magnifique thème de la fin des années 70, qui permet au pianiste-compositeur d’affirmer sa singularité. Suit, sur un mode moins mélancolique, Coming Yesterday, issu de la même période, avec ses détours thématiques, ses intervalles tendus, et sa beauté intrigante. Martial présente thèmes et partenaires avec son humour coutumier, laconique et très pince-sans-rire. À cet instant du concert il libère ses partenaires qui, dit-il « ont besoin de se reposer, car il y avait beaucoup de notes à jouer ». Et il nous offre en solo un medley du répertoire ellingtonien, de Sophisticated Lady à Satin Doll en passant par Take the «A» Train, Caravan, In a Sentimental Mood…. L’amour de cette musique transpire jusque dans la transgression amicale de ses formes canoniques.

C’est le moment pour le pianiste d’accueillir son invitée, sa fille Claudia, pour un duo de trois titres qui va parcourir tout l’ambitus artistique des deux protagonistes. On reste pour commencer dans les parages d’Ellington avec le sublime Lush Life de Billy Strayhorn, que Claudia parvient à magnifier, par l’intensité de son expression, soutenue par Martial qui se met au service de la musique et de l’interprète, sans rien abdiquer de sa singularité. Le duo suivant se joue sur un hymne bebop, In Walked Bud, de Thelonious Monk, avec les paroles de Jon Hendricks (qui l’avait enregistré au côté de Monk pour le disque « Underground »). Claudia commence a cappella, puis Martial libère sa verve de bopper, en une osmose parfaite. L’épisode en duo va se conclure dans l’improvisation la plus libre : Claudia lance des phrases hardies, sans paroles, aux intervalles inattendus, et Martial répond au piano, par adhésion ou par contraste. Le jeu se joue, le discours se tend, jusqu’à une sorte d’acmé. Puis dans un espace d’accalmie la chanteuse prend sur le piano un petit recueil de ses textes, écrits en anglais, qu’elle chante dans l’invention mélodique de l’instant, toujours en dialogue intime avec son père. Et au moment le plus opportun, comme par télépathie, le pianiste pose les notes conclusives : pas de doute, Claudia, comme son père, rejoint le cercle magique des compositeurs de l’instant.

opera de lyon france 14 oct 2016photo © Christophe Charpenel

Retour au trio, avec Here’s That Rainy Day, donné dans tout son lyrisme, mais fracturé en douceur par les incartades solaliennes. Bernard Lubat donne un très beau solo, aux balais, en faisant dans l’improvisation chanter le souvenir du thème : je pense un court instant à Jacques Mahieux, l’ami très regretté, qui excellait dans cet art de faire revivre la mélodie dans le solo de batterie. En coda, facétieux, Martial esquisse Mendelssohn et sa Marche nuptiale, avant d’avouer au public qu’il est rare d’entendre un batteur faire tout un solo aux balais et que, décidément, il aime ça ; et d’une même voix il annonce un solo de Mads Vinding sur Night and Day. Le contrebassiste fait chanter le thème, le contourne, puis s’en libère, en virtuose toujours musicien, avant d’être rejoint, pour la dernière grille, par le piano et la batterie. Suit le très sinueux, et complexe, Zag Zig, composé par Martial voici près de quinze ans. Tout l’art du compositeur est là, dans les portes dérobées, les pirouettes, la jubilation rythmique. Toujours facétieux Martial demande au public, après l’interprétation, s’il y a dans la salle des volontaires pour écrire des paroles sur ce terrain miné…. Ensuite, pour se détendre, le trio joue Tea For Two : j’ai souvent entendu Martial le jouer, en solo généralement, et c’est toujours l’occasion de nouvelles surprises. Le pianiste passe en quelques mesures d’un garnérisme déconstruit à une claudication monkienne, et à une cavalcade « à la Tristano ». Martial s’amuse. Les solos alternés de quatre mesures (que les jazzmen appellent 4-4) provoquent une partie de cache-cache chez les musiciens, qui se volent des mesures, imposent un silence quand ils devraient reprendre. Bernard Lubat scate là où l’on attendrait la percussion, bref l’ambiance est ludique, et le pianiste glisse même une bribe de Marche turque pour pimenter l’intermède. Public en joie, rappel chaleureux, et Martial annonce un standard éculé qu’ils vont, dit-il, s’efforcer de déséculer… Ce sera un beau Lover Man, plein de fantaisies et de détours, mais qui garde la mémoire de versions historiques. Au deuxième rappel le pianiste convainc ses partenaires de rester avec lui pour What Is This Thing Called Love, respectueusement passé à la moulinette, en toute musicalité, avec verve et imagination, et l’obligatoire coda en forme de Hot House. Pour le troisième rappel, après que Claudia s’est jointe au trio pour partager les bravos, Martial revient seul : « Il y a bien, dit-il, quelqu’un dans la salle dont c’est aujourd’hui l’anniversaire…. », et il se lance dans un démontage savoureux de Happy Birthday to You, montrant une fois de plus que l’invention du jazzman n’est pas forcément tributaire du matériau musical. Il dit qu’il est tard, qu’il serait temps de partir, mais que son train n’est que le lendemain à midi, et il esquisse l’un des thèmes d’ À bout de souffle, avant de revenir au micro préciser que c’est une musique qu’il a composée pour ce film voici 60 ans (en fait 57 ans, mais Martial se moque de la fuite du temps !). Et il se remet au piano pour un savant tuilage de deux thèmes (La Mort et New York Herald Tribune), comme dans la scène finale du film. Le cinéphile et le mélomane, qui cohabitent en moi pacifiquement, jubilent. Comme le public. Le pianiste quitte la scène, comme à regret, et les applaudissements ne s’éteindront que lorsque la salle se rallumera, pour signifier que la fête est finie. Martial paraît très heureux ; nous le sommes aussi, au-delà du dicible. C’est décidément le grand retour de Martial Solal, après les concerts de décembre 2015 au Sunside avec Dave Liebman, et avant les retrouvailles de ce même duo, le 29 octobre à 20h, dans le grand studio 104 de la Maison de la Radio, pour un concert « Jazz sur le vif » exceptionnel.

Xavier Prévost

Martial Solal jouera en duo avec Dave Liebman le samedi 29 octobre à 20h, dans le grand studio 104 de la Maison de la Radio, pour un concert « Jazz sur le vif » exceptionnel.

http://www.maisondelaradio.fr/evenement/jazz/jazz-sur-le-vif-20 |Le pianiste était pour une soirée l’hôte de la grande salle de l’Opéra, avec un trio inédit, et en invitée de marque, et de cœur, sa fille Claudia. Standards, compositions originales glanées au fil des décennies, improvisations sans entraves, Martial heureux et enjoué, partenaires attentifs et totalement investis : le public, très nombreux, fut conquis, et rappela le pianiste, consentant, jusqu’à extinction des feux.

Trio Solal Lyon 14-10-16photo © Xavier Prévost

Martial Solal (piano), Mads Vinding (contrebasse), Bernard Lubat (batterie)

invitée : Claudia Solal (voix)

Opéra de Lyon, 14 octobre 2016, 20h30

Le trio est inédit, mais il repose sur d’anciennes connivences. Bernard Lubat avait naguère accompagné Martial sur scène, et il était batteur sur le seul disque du pianiste légèrement orienté vers le jazz binaire (« Locomotion », 1974, réédité en CD). Plus récemment Bernard était aussi au clavier pour un mémorable duo de pianos, en janvier 2014 au festival Sons d’hiver, dont un DVD porte témoignage (« In and Out », filmé par Thierry Augé, La Huit production). Quant à Mads Vinding, Martial l’avait rencontré dès 1999 à Copenhague à l’occasion du Jazzpar Prize qui lui fut décerné, et qui induisait un concert de création avec des partenaires danois.

On commence, bille en tête, avec un anatole en si bémol, Swing Spring , pour planter le décor et affirmer haut et fort l’idiome de référence. Puis c’est Aigue Marine, magnifique thème de la fin des années 70, qui permet au pianiste-compositeur d’affirmer sa singularité. Suit, sur un mode moins mélancolique, Coming Yesterday, issu de la même période, avec ses détours thématiques, ses intervalles tendus, et sa beauté intrigante. Martial présente thèmes et partenaires avec son humour coutumier, laconique et très pince-sans-rire. À cet instant du concert il libère ses partenaires qui, dit-il « ont besoin de se reposer, car il y avait beaucoup de notes à jouer ». Et il nous offre en solo un medley du répertoire ellingtonien, de Sophisticated Lady à Satin Doll en passant par Take the «A» Train, Caravan, In a Sentimental Mood…. L’amour de cette musique transpire jusque dans la transgression amicale de ses formes canoniques.

C’est le moment pour le pianiste d’accueillir son invitée, sa fille Claudia, pour un duo de trois titres qui va parcourir tout l’ambitus artistique des deux protagonistes. On reste pour commencer dans les parages d’Ellington avec le sublime Lush Life de Billy Strayhorn, que Claudia parvient à magnifier, par l’intensité de son expression, soutenue par Martial qui se met au service de la musique et de l’interprète, sans rien abdiquer de sa singularité. Le duo suivant se joue sur un hymne bebop, In Walked Bud, de Thelonious Monk, avec les paroles de Jon Hendricks (qui l’avait enregistré au côté de Monk pour le disque « Underground »). Claudia commence a cappella, puis Martial libère sa verve de bopper, en une osmose parfaite. L’épisode en duo va se conclure dans l’improvisation la plus libre : Claudia lance des phrases hardies, sans paroles, aux intervalles inattendus, et Martial répond au piano, par adhésion ou par contraste. Le jeu se joue, le discours se tend, jusqu’à une sorte d’acmé. Puis dans un espace d’accalmie la chanteuse prend sur le piano un petit recueil de ses textes, écrits en anglais, qu’elle chante dans l’invention mélodique de l’instant, toujours en dialogue intime avec son père. Et au moment le plus opportun, comme par télépathie, le pianiste pose les notes conclusives : pas de doute, Claudia, comme son père, rejoint le cercle magique des compositeurs de l’instant.

opera de lyon france 14 oct 2016photo © Christophe Charpenel

Retour au trio, avec Here’s That Rainy Day, donné dans tout son lyrisme, mais fracturé en douceur par les incartades solaliennes. Bernard Lubat donne un très beau solo, aux balais, en faisant dans l’improvisation chanter le souvenir du thème : je pense un court instant à Jacques Mahieux, l’ami très regretté, qui excellait dans cet art de faire revivre la mélodie dans le solo de batterie. En coda, facétieux, Martial esquisse Mendelssohn et sa Marche nuptiale, avant d’avouer au public qu’il est rare d’entendre un batteur faire tout un solo aux balais et que, décidément, il aime ça ; et d’une même voix il annonce un solo de Mads Vinding sur Night and Day. Le contrebassiste fait chanter le thème, le contourne, puis s’en libère, en virtuose toujours musicien, avant d’être rejoint, pour la dernière grille, par le piano et la batterie. Suit le très sinueux, et complexe, Zag Zig, composé par Martial voici près de quinze ans. Tout l’art du compositeur est là, dans les portes dérobées, les pirouettes, la jubilation rythmique. Toujours facétieux Martial demande au public, après l’interprétation, s’il y a dans la salle des volontaires pour écrire des paroles sur ce terrain miné…. Ensuite, pour se détendre, le trio joue Tea For Two : j’ai souvent entendu Martial le jouer, en solo généralement, et c’est toujours l’occasion de nouvelles surprises. Le pianiste passe en quelques mesures d’un garnérisme déconstruit à une claudication monkienne, et à une cavalcade « à la Tristano ». Martial s’amuse. Les solos alternés de quatre mesures (que les jazzmen appellent 4-4) provoquent une partie de cache-cache chez les musiciens, qui se volent des mesures, imposent un silence quand ils devraient reprendre. Bernard Lubat scate là où l’on attendrait la percussion, bref l’ambiance est ludique, et le pianiste glisse même une bribe de Marche turque pour pimenter l’intermède. Public en joie, rappel chaleureux, et Martial annonce un standard éculé qu’ils vont, dit-il, s’efforcer de déséculer… Ce sera un beau Lover Man, plein de fantaisies et de détours, mais qui garde la mémoire de versions historiques. Au deuxième rappel le pianiste convainc ses partenaires de rester avec lui pour What Is This Thing Called Love, respectueusement passé à la moulinette, en toute musicalité, avec verve et imagination, et l’obligatoire coda en forme de Hot House. Pour le troisième rappel, après que Claudia s’est jointe au trio pour partager les bravos, Martial revient seul : « Il y a bien, dit-il, quelqu’un dans la salle dont c’est aujourd’hui l’anniversaire…. », et il se lance dans un démontage savoureux de Happy Birthday to You, montrant une fois de plus que l’invention du jazzman n’est pas forcément tributaire du matériau musical. Il dit qu’il est tard, qu’il serait temps de partir, mais que son train n’est que le lendemain à midi, et il esquisse l’un des thèmes d’ À bout de souffle, avant de revenir au micro préciser que c’est une musique qu’il a composée pour ce film voici 60 ans (en fait 57 ans, mais Martial se moque de la fuite du temps !). Et il se remet au piano pour un savant tuilage de deux thèmes (La Mort et New York Herald Tribune), comme dans la scène finale du film. Le cinéphile et le mélomane, qui cohabitent en moi pacifiquement, jubilent. Comme le public. Le pianiste quitte la scène, comme à regret, et les applaudissements ne s’éteindront que lorsque la salle se rallumera, pour signifier que la fête est finie. Martial paraît très heureux ; nous le sommes aussi, au-delà du dicible. C’est décidément le grand retour de Martial Solal, après les concerts de décembre 2015 au Sunside avec Dave Liebman, et avant les retrouvailles de ce même duo, le 29 octobre à 20h, dans le grand studio 104 de la Maison de la Radio, pour un concert « Jazz sur le vif » exceptionnel.

Xavier Prévost

Martial Solal jouera en duo avec Dave Liebman le samedi 29 octobre à 20h, dans le grand studio 104 de la Maison de la Radio, pour un concert « Jazz sur le vif » exceptionnel.

http://www.maisondelaradio.fr/evenement/jazz/jazz-sur-le-vif-20 |Le pianiste était pour une soirée l’hôte de la grande salle de l’Opéra, avec un trio inédit, et en invitée de marque, et de cœur, sa fille Claudia. Standards, compositions originales glanées au fil des décennies, improvisations sans entraves, Martial heureux et enjoué, partenaires attentifs et totalement investis : le public, très nombreux, fut conquis, et rappela le pianiste, consentant, jusqu’à extinction des feux.

Trio Solal Lyon 14-10-16photo © Xavier Prévost

Martial Solal (piano), Mads Vinding (contrebasse), Bernard Lubat (batterie)

invitée : Claudia Solal (voix)

Opéra de Lyon, 14 octobre 2016, 20h30

Le trio est inédit, mais il repose sur d’anciennes connivences. Bernard Lubat avait naguère accompagné Martial sur scène, et il était batteur sur le seul disque du pianiste légèrement orienté vers le jazz binaire (« Locomotion », 1974, réédité en CD). Plus récemment Bernard était aussi au clavier pour un mémorable duo de pianos, en janvier 2014 au festival Sons d’hiver, dont un DVD porte témoignage (« In and Out », filmé par Thierry Augé, La Huit production). Quant à Mads Vinding, Martial l’avait rencontré dès 1999 à Copenhague à l’occasion du Jazzpar Prize qui lui fut décerné, et qui induisait un concert de création avec des partenaires danois.

On commence, bille en tête, avec un anatole en si bémol, Swing Spring , pour planter le décor et affirmer haut et fort l’idiome de référence. Puis c’est Aigue Marine, magnifique thème de la fin des années 70, qui permet au pianiste-compositeur d’affirmer sa singularité. Suit, sur un mode moins mélancolique, Coming Yesterday, issu de la même période, avec ses détours thématiques, ses intervalles tendus, et sa beauté intrigante. Martial présente thèmes et partenaires avec son humour coutumier, laconique et très pince-sans-rire. À cet instant du concert il libère ses partenaires qui, dit-il « ont besoin de se reposer, car il y avait beaucoup de notes à jouer ». Et il nous offre en solo un medley du répertoire ellingtonien, de Sophisticated Lady à Satin Doll en passant par Take the «A» Train, Caravan, In a Sentimental Mood…. L’amour de cette musique transpire jusque dans la transgression amicale de ses formes canoniques.

C’est le moment pour le pianiste d’accueillir son invitée, sa fille Claudia, pour un duo de trois titres qui va parcourir tout l’ambitus artistique des deux protagonistes. On reste pour commencer dans les parages d’Ellington avec le sublime Lush Life de Billy Strayhorn, que Claudia parvient à magnifier, par l’intensité de son expression, soutenue par Martial qui se met au service de la musique et de l’interprète, sans rien abdiquer de sa singularité. Le duo suivant se joue sur un hymne bebop, In Walked Bud, de Thelonious Monk, avec les paroles de Jon Hendricks (qui l’avait enregistré au côté de Monk pour le disque « Underground »). Claudia commence a cappella, puis Martial libère sa verve de bopper, en une osmose parfaite. L’épisode en duo va se conclure dans l’improvisation la plus libre : Claudia lance des phrases hardies, sans paroles, aux intervalles inattendus, et Martial répond au piano, par adhésion ou par contraste. Le jeu se joue, le discours se tend, jusqu’à une sorte d’acmé. Puis dans un espace d’accalmie la chanteuse prend sur le piano un petit recueil de ses textes, écrits en anglais, qu’elle chante dans l’invention mélodique de l’instant, toujours en dialogue intime avec son père. Et au moment le plus opportun, comme par télépathie, le pianiste pose les notes conclusives : pas de doute, Claudia, comme son père, rejoint le cercle magique des compositeurs de l’instant.

opera de lyon france 14 oct 2016photo © Christophe Charpenel

Retour au trio, avec Here’s That Rainy Day, donné dans tout son lyrisme, mais fracturé en douceur par les incartades solaliennes. Bernard Lubat donne un très beau solo, aux balais, en faisant dans l’improvisation chanter le souvenir du thème : je pense un court instant à Jacques Mahieux, l’ami très regretté, qui excellait dans cet art de faire revivre la mélodie dans le solo de batterie. En coda, facétieux, Martial esquisse Mendelssohn et sa Marche nuptiale, avant d’avouer au public qu’il est rare d’entendre un batteur faire tout un solo aux balais et que, décidément, il aime ça ; et d’une même voix il annonce un solo de Mads Vinding sur Night and Day. Le contrebassiste fait chanter le thème, le contourne, puis s’en libère, en virtuose toujours musicien, avant d’être rejoint, pour la dernière grille, par le piano et la batterie. Suit le très sinueux, et complexe, Zag Zig, composé par Martial voici près de quinze ans. Tout l’art du compositeur est là, dans les portes dérobées, les pirouettes, la jubilation rythmique. Toujours facétieux Martial demande au public, après l’interprétation, s’il y a dans la salle des volontaires pour écrire des paroles sur ce terrain miné…. Ensuite, pour se détendre, le trio joue Tea For Two : j’ai souvent entendu Martial le jouer, en solo généralement, et c’est toujours l’occasion de nouvelles surprises. Le pianiste passe en quelques mesures d’un garnérisme déconstruit à une claudication monkienne, et à une cavalcade « à la Tristano ». Martial s’amuse. Les solos alternés de quatre mesures (que les jazzmen appellent 4-4) provoquent une partie de cache-cache chez les musiciens, qui se volent des mesures, imposent un silence quand ils devraient reprendre. Bernard Lubat scate là où l’on attendrait la percussion, bref l’ambiance est ludique, et le pianiste glisse même une bribe de Marche turque pour pimenter l’intermède. Public en joie, rappel chaleureux, et Martial annonce un standard éculé qu’ils vont, dit-il, s’efforcer de déséculer… Ce sera un beau Lover Man, plein de fantaisies et de détours, mais qui garde la mémoire de versions historiques. Au deuxième rappel le pianiste convainc ses partenaires de rester avec lui pour What Is This Thing Called Love, respectueusement passé à la moulinette, en toute musicalité, avec verve et imagination, et l’obligatoire coda en forme de Hot House. Pour le troisième rappel, après que Claudia s’est jointe au trio pour partager les bravos, Martial revient seul : « Il y a bien, dit-il, quelqu’un dans la salle dont c’est aujourd’hui l’anniversaire…. », et il se lance dans un démontage savoureux de Happy Birthday to You, montrant une fois de plus que l’invention du jazzman n’est pas forcément tributaire du matériau musical. Il dit qu’il est tard, qu’il serait temps de partir, mais que son train n’est que le lendemain à midi, et il esquisse l’un des thèmes d’ À bout de souffle, avant de revenir au micro préciser que c’est une musique qu’il a composée pour ce film voici 60 ans (en fait 57 ans, mais Martial se moque de la fuite du temps !). Et il se remet au piano pour un savant tuilage de deux thèmes (La Mort et New York Herald Tribune), comme dans la scène finale du film. Le cinéphile et le mélomane, qui cohabitent en moi pacifiquement, jubilent. Comme le public. Le pianiste quitte la scène, comme à regret, et les applaudissements ne s’éteindront que lorsque la salle se rallumera, pour signifier que la fête est finie. Martial paraît très heureux ; nous le sommes aussi, au-delà du dicible. C’est décidément le grand retour de Martial Solal, après les concerts de décembre 2015 au Sunside avec Dave Liebman, et avant les retrouvailles de ce même duo, le 29 octobre à 20h, dans le grand studio 104 de la Maison de la Radio, pour un concert « Jazz sur le vif » exceptionnel.

Xavier Prévost

Martial Solal jouera en duo avec Dave Liebman le samedi 29 octobre à 20h, dans le grand studio 104 de la Maison de la Radio, pour un concert « Jazz sur le vif » exceptionnel.

http://www.maisondelaradio.fr/evenement/jazz/jazz-sur-le-vif-20