D'JAZZ NEVERS : Joëlle Léandre, Voodoo, Equal Crossings et Fresu-Caine
8 novembre : troisième journée du festival, où je relaie l’ami Bergerot. Pluralisme à tous les étages, entre improvisation radicale, conjugaison du Miles électrique et de Hendrix l’incendiare, jazz de chambre survitaminé et duo de prestige.
« Trans » Joëlle Léandre (contrebasse, voix), Serge Teyssot-Gay (guitare électrique)
Maison de la Culture, Salle Lauberty, 12h15
Sur scène ils sont l’une et l’autre pieds nus, comme pour garder un contact tellurique. Cela commence legato, par la guitare, sans attaques, car c’est un excitateur électro-magnétique qui met en résonance les cordes. La contrebasse, à l’archet, tisse un entrelacs d’observation. Puis vient le staccato, les attaques d’archet plus insistantes, le pizzicato plus requérant. Le dialogue se noue quand la tension monte, jusqu’à un terme naturel : celui où les deux partenaires, d’un regard complice, s’accordent sur la fin de séquence.
On reprend sur un changement d’accessoire, côté guitare : une baguette isole les cordes de la touche, et un petite cymbale posée au dessus des micros permet d’engendrer un fourmillement de sons. La contrebasse surenchérit en saccades, harmoniques et autre trouvailles. Et le dialogue va se poursuivre ainsi tout au long du concert. Serge Teyssot-Gay effleure les sons du rock, Joëlle Léandre entre dans un groove obsédant, et donne de sa belle voix un chant primal, qui rappelle celui des prisonniers afro-américains enregistrés naguère dans les pénitenciers du Sud par Alan Lomax. Dans une autre séquence elle mêlera langage imaginaire et langue véhiculaire, avec une facétieuse fantaisie. Décidément, cette musique est toujours aussi intensément vivante. C’est à cela que je pense, me remémorant un court instant les performances de Joëlle avec la regrettée Annick Nozati : j’écoute la contrebassiste depuis des lustres, et elle ne laisse jamais de m’étonner, de me surprendre, comme ce duo, que j’avais pourtant écouté sur disque, et qui semble offrir chaque fois un jour neuf.
Philippe Gordiani (guitare), Antoine Berjeaut (trompette), Alice Perret (claviers), Joachim Florent (guitare basse), Emmanuel Scarpa (batterie).
Café Charbon, 18h30
Un groupe lyonnais aux trois cinquièmes, et un beau projet : édifier concrètement l’imaginaire d’une rencontre musicale qui n’a pas pu advenir : celle de Miles Davis et de Jimi Hendrix. Pas question pour le guitariste Philippe Gordiani de tenter de refaire l’une et l’autre musique en même temps, à l’identique et en remix. Il s’agit plutôt de conjuguer l’impact du Power trio de Jimi Hendrix avec le psychédélisme électrique du Miles des années 1970 à 1974, avant son retrait provisoire. Le choix du trompettiste pour ce projet est symbolique : Antoine Berjeaut n’est pas un épigone de Miles. Dans son utilisation des effets électroniques par exemple, il se réclamerait plutôt de Jon Hassell. Et ce choix décalé annonce clairement la couleur : faire revivre l’incroyable énergie de ces musiques et de cette époque avec un groupe d’aujourd’hui, en picorant des fragments des œuvres : côté Miles de « Bitches Brew » à « Get Up With It » en passant par « On the Corner » et « Live Evil » ; côté Hendrix en piochant dans les classiques (« Elecrtic Ladyland », « Band of Gypsys »….) mais aussi dans la foultitude de fragmenrs publiés à titre posthume, en reprenant ici un rif, là un groove. Le résultat est bluffant : énergie, musicalité radicale, intensité des solos toujours conjoints au son du groupe. Car c’est exactement cet esprit qui se retrouve : un jeu collectif au service d’une puissance d’expression partagée. Les partenaires font merveille : Alice Perret au piano électrique et à l’orgue (avec un son vintage pour cet instrument) tient la tension en éveil. Joachim Florent et Emmanuel Scarpa maintiennent une pulsation souple et pleine d’une irrépressible vitalité. Beau travail, vraiment. Le groupe avait travaillé trois jours en amont dans le lieu pour enregistrer la matière d’un disque à paraître, lequel inclura aussi des extraits du concert. Et comme le faisait Teo Macero pour Miles, Philippe Gordiani va assembler ces fragments pour en faire une œuvre originale, que l’on guette avec impatience !
« Equal Crossings »
Régis Huby (violon ténor, effets électroniques, composition), Marc Ducret (guitare), Bruno Angelini (piano, piano électrique, effets électroniques), Michele Rabbia (percussions, effets électroniques).
Maison de la Culture, Salle Philippe Genty, 20h30
Un groupe étonnant, par son instrumentation et le choix des interprètes ; étonnant et totalement cohérent. Car ce qui caractérise chacun d’eux c’est une exigence artistique sans faille, un goût de l’interprétation habitée, de l’engagement absolu dans la musique, et un talent d’improvisateur au-delà de tout éloge. On est au carrefour de tous les langages musicaux : jazz, musique dite contemporaine, rock progressif, musique de chambre (musclée : une chambre forte!). Comme le disque (« Equal Crossings », Abalone / L’Autre distribution) le concert est en forme de suite, en trois mouvements, lesquels comportent des reliefs, des pauses, des pleins et des déliés. L’écriture est serrée, mais elle offre une foule d’interstices où s’épanouit l’improvisation, parfois en duos diagonaux (piano-percussions par exemple, etc….). La dynamique, extrêmement large, permet des contrastes saisissants : un crescendo rapide sera suivi d’un decrescendo presque brutal, avec une force d’expression indiscutable. Les voix sont tissées avec science et sensualité, dans un mouvement qui porte l’auditeur de repère en repère, d’émoi en surprise. Bref c’est l’exemple, finalement assez rare dans ces musiques, d’une grande forme maîtrisée autour d’une expressivité plus que forte : une totale réussite.
Duo Paolo Fresu / Uri Caine
Paolo Fresu (trompette, bugle, effets électroniques), Uri Caine (piano, piano électrique)
Maison de la Culture, Salle Philippe Genty, 22h15
La soirée, et la journée, se concluaient avec le duo Paolo Fresu-Uri Caine. Les deux compères jouent ensemble depuis plus de dix ans, et plusieurs disques portent trace de cette collaboration. C’est comme un jeu de rôles, où le pianiste serait l’impétueux, le volubile, et le trompettiste le mélodiste retenu qui parfois sort de sa réserve pour des poursuites enflammées avec son partenaire. Le concert commence avec Bach, et son Menuet en Sol majeur. Le pianiste attaque, exacerbe les angles, appuie l’accentuation. Le trompettiste, avec sourdine, se tourne du côté opposé et déploie la ligne mélodique avec délicatesse. Puis il va partir dans l’improvisation, sortant de sa réserve et rejoignant Uri Caine dans sa fougue. Ce seront ensuite des standards (Solar, I Loves You Porgy, Cheek to Cheek….). Le pianiste déploie sa magnifique indépendance des mains, faisant ainsi résonner l’équivalent d’un groupe dans son seul clavier. Il est frappant de voir à quel point, dans l’effervescence du plaisir de jouer, ils parviennent à improviser simultanément, en parallèle, en se relançant aussi parfois à l’intérieur même de leurs discours autonomes. Paolo Fresu passe constamment de la trompette au bugle, selon les besoin de l’expression, et le concert se poursuit avec encore ses détours classiques (Monteverdi, et en rappel sa contemporaine, la très rare Barbara Strozzi), et des standards du jazz (Doxy, Night in Tunisia, et me semble-t-il First Song de Charlie Haden). Les deux musiciens semblent goûter pleinement la joie de leurs échanges, même si parfois le pianiste se laisse emporter par une volubilité virtuose qui frise l’ostentation : mais on entre dans son jeu sans se faire prier. Au second rappel, une sorte de blues funky très escarpé se dirigera, sur tempo plus que lent, vers une improvisation recueillie du pianiste, tandis que le trompettiste, en souffle continu, va tenir la note qui fonde la tonalité pendant plusieurs cycles harmoniques, jusqu’à extinction douce de la musique.
Xavier Prévost|8 novembre : troisième journée du festival, où je relaie l’ami Bergerot. Pluralisme à tous les étages, entre improvisation radicale, conjugaison du Miles électrique et de Hendrix l’incendiare, jazz de chambre survitaminé et duo de prestige.
« Trans » Joëlle Léandre (contrebasse, voix), Serge Teyssot-Gay (guitare électrique)
Maison de la Culture, Salle Lauberty, 12h15
Sur scène ils sont l’une et l’autre pieds nus, comme pour garder un contact tellurique. Cela commence legato, par la guitare, sans attaques, car c’est un excitateur électro-magnétique qui met en résonance les cordes. La contrebasse, à l’archet, tisse un entrelacs d’observation. Puis vient le staccato, les attaques d’archet plus insistantes, le pizzicato plus requérant. Le dialogue se noue quand la tension monte, jusqu’à un terme naturel : celui où les deux partenaires, d’un regard complice, s’accordent sur la fin de séquence.
On reprend sur un changement d’accessoire, côté guitare : une baguette isole les cordes de la touche, et un petite cymbale posée au dessus des micros permet d’engendrer un fourmillement de sons. La contrebasse surenchérit en saccades, harmoniques et autre trouvailles. Et le dialogue va se poursuivre ainsi tout au long du concert. Serge Teyssot-Gay effleure les sons du rock, Joëlle Léandre entre dans un groove obsédant, et donne de sa belle voix un chant primal, qui rappelle celui des prisonniers afro-américains enregistrés naguère dans les pénitenciers du Sud par Alan Lomax. Dans une autre séquence elle mêlera langage imaginaire et langue véhiculaire, avec une facétieuse fantaisie. Décidément, cette musique est toujours aussi intensément vivante. C’est à cela que je pense, me remémorant un court instant les performances de Joëlle avec la regrettée Annick Nozati : j’écoute la contrebassiste depuis des lustres, et elle ne laisse jamais de m’étonner, de me surprendre, comme ce duo, que j’avais pourtant écouté sur disque, et qui semble offrir chaque fois un jour neuf.
Philippe Gordiani (guitare), Antoine Berjeaut (trompette), Alice Perret (claviers), Joachim Florent (guitare basse), Emmanuel Scarpa (batterie).
Café Charbon, 18h30
Un groupe lyonnais aux trois cinquièmes, et un beau projet : édifier concrètement l’imaginaire d’une rencontre musicale qui n’a pas pu advenir : celle de Miles Davis et de Jimi Hendrix. Pas question pour le guitariste Philippe Gordiani de tenter de refaire l’une et l’autre musique en même temps, à l’identique et en remix. Il s’agit plutôt de conjuguer l’impact du Power trio de Jimi Hendrix avec le psychédélisme électrique du Miles des années 1970 à 1974, avant son retrait provisoire. Le choix du trompettiste pour ce projet est symbolique : Antoine Berjeaut n’est pas un épigone de Miles. Dans son utilisation des effets électroniques par exemple, il se réclamerait plutôt de Jon Hassell. Et ce choix décalé annonce clairement la couleur : faire revivre l’incroyable énergie de ces musiques et de cette époque avec un groupe d’aujourd’hui, en picorant des fragments des œuvres : côté Miles de « Bitches Brew » à « Get Up With It » en passant par « On the Corner » et « Live Evil » ; côté Hendrix en piochant dans les classiques (« Elecrtic Ladyland », « Band of Gypsys »….) mais aussi dans la foultitude de fragmenrs publiés à titre posthume, en reprenant ici un rif, là un groove. Le résultat est bluffant : énergie, musicalité radicale, intensité des solos toujours conjoints au son du groupe. Car c’est exactement cet esprit qui se retrouve : un jeu collectif au service d’une puissance d’expression partagée. Les partenaires font merveille : Alice Perret au piano électrique et à l’orgue (avec un son vintage pour cet instrument) tient la tension en éveil. Joachim Florent et Emmanuel Scarpa maintiennent une pulsation souple et pleine d’une irrépressible vitalité. Beau travail, vraiment. Le groupe avait travaillé trois jours en amont dans le lieu pour enregistrer la matière d’un disque à paraître, lequel inclura aussi des extraits du concert. Et comme le faisait Teo Macero pour Miles, Philippe Gordiani va assembler ces fragments pour en faire une œuvre originale, que l’on guette avec impatience !
« Equal Crossings »
Régis Huby (violon ténor, effets électroniques, composition), Marc Ducret (guitare), Bruno Angelini (piano, piano électrique, effets électroniques), Michele Rabbia (percussions, effets électroniques).
Maison de la Culture, Salle Philippe Genty, 20h30
Un groupe étonnant, par son instrumentation et le choix des interprètes ; étonnant et totalement cohérent. Car ce qui caractérise chacun d’eux c’est une exigence artistique sans faille, un goût de l’interprétation habitée, de l’engagement absolu dans la musique, et un talent d’improvisateur au-delà de tout éloge. On est au carrefour de tous les langages musicaux : jazz, musique dite contemporaine, rock progressif, musique de chambre (musclée : une chambre forte!). Comme le disque (« Equal Crossings », Abalone / L’Autre distribution) le concert est en forme de suite, en trois mouvements, lesquels comportent des reliefs, des pauses, des pleins et des déliés. L’écriture est serrée, mais elle offre une foule d’interstices où s’épanouit l’improvisation, parfois en duos diagonaux (piano-percussions par exemple, etc….). La dynamique, extrêmement large, permet des contrastes saisissants : un crescendo rapide sera suivi d’un decrescendo presque brutal, avec une force d’expression indiscutable. Les voix sont tissées avec science et sensualité, dans un mouvement qui porte l’auditeur de repère en repère, d’émoi en surprise. Bref c’est l’exemple, finalement assez rare dans ces musiques, d’une grande forme maîtrisée autour d’une expressivité plus que forte : une totale réussite.
Duo Paolo Fresu / Uri Caine
Paolo Fresu (trompette, bugle, effets électroniques), Uri Caine (piano, piano électrique)
Maison de la Culture, Salle Philippe Genty, 22h15
La soirée, et la journée, se concluaient avec le duo Paolo Fresu-Uri Caine. Les deux compères jouent ensemble depuis plus de dix ans, et plusieurs disques portent trace de cette collaboration. C’est comme un jeu de rôles, où le pianiste serait l’impétueux, le volubile, et le trompettiste le mélodiste retenu qui parfois sort de sa réserve pour des poursuites enflammées avec son partenaire. Le concert commence avec Bach, et son Menuet en Sol majeur. Le pianiste attaque, exacerbe les angles, appuie l’accentuation. Le trompettiste, avec sourdine, se tourne du côté opposé et déploie la ligne mélodique avec délicatesse. Puis il va partir dans l’improvisation, sortant de sa réserve et rejoignant Uri Caine dans sa fougue. Ce seront ensuite des standards (Solar, I Loves You Porgy, Cheek to Cheek….). Le pianiste déploie sa magnifique indépendance des mains, faisant ainsi résonner l’équivalent d’un groupe dans son seul clavier. Il est frappant de voir à quel point, dans l’effervescence du plaisir de jouer, ils parviennent à improviser simultanément, en parallèle, en se relançant aussi parfois à l’intérieur même de leurs discours autonomes. Paolo Fresu passe constamment de la trompette au bugle, selon les besoin de l’expression, et le concert se poursuit avec encore ses détours classiques (Monteverdi, et en rappel sa contemporaine, la très rare Barbara Strozzi), et des standards du jazz (Doxy, Night in Tunisia, et me semble-t-il First Song de Charlie Haden). Les deux musiciens semblent goûter pleinement la joie de leurs échanges, même si parfois le pianiste se laisse emporter par une volubilité virtuose qui frise l’ostentation : mais on entre dans son jeu sans se faire prier. Au second rappel, une sorte de blues funky très escarpé se dirigera, sur tempo plus que lent, vers une improvisation recueillie du pianiste, tandis que le trompettiste, en souffle continu, va tenir la note qui fonde la tonalité pendant plusieurs cycles harmoniques, jusqu’à extinction douce de la musique.
Xavier Prévost|8 novembre : troisième journée du festival, où je relaie l’ami Bergerot. Pluralisme à tous les étages, entre improvisation radicale, conjugaison du Miles électrique et de Hendrix l’incendiare, jazz de chambre survitaminé et duo de prestige.
« Trans » Joëlle Léandre (contrebasse, voix), Serge Teyssot-Gay (guitare électrique)
Maison de la Culture, Salle Lauberty, 12h15
Sur scène ils sont l’une et l’autre pieds nus, comme pour garder un contact tellurique. Cela commence legato, par la guitare, sans attaques, car c’est un excitateur électro-magnétique qui met en résonance les cordes. La contrebasse, à l’archet, tisse un entrelacs d’observation. Puis vient le staccato, les attaques d’archet plus insistantes, le pizzicato plus requérant. Le dialogue se noue quand la tension monte, jusqu’à un terme naturel : celui où les deux partenaires, d’un regard complice, s’accordent sur la fin de séquence.
On reprend sur un changement d’accessoire, côté guitare : une baguette isole les cordes de la touche, et un petite cymbale posée au dessus des micros permet d’engendrer un fourmillement de sons. La contrebasse surenchérit en saccades, harmoniques et autre trouvailles. Et le dialogue va se poursuivre ainsi tout au long du concert. Serge Teyssot-Gay effleure les sons du rock, Joëlle Léandre entre dans un groove obsédant, et donne de sa belle voix un chant primal, qui rappelle celui des prisonniers afro-américains enregistrés naguère dans les pénitenciers du Sud par Alan Lomax. Dans une autre séquence elle mêlera langage imaginaire et langue véhiculaire, avec une facétieuse fantaisie. Décidément, cette musique est toujours aussi intensément vivante. C’est à cela que je pense, me remémorant un court instant les performances de Joëlle avec la regrettée Annick Nozati : j’écoute la contrebassiste depuis des lustres, et elle ne laisse jamais de m’étonner, de me surprendre, comme ce duo, que j’avais pourtant écouté sur disque, et qui semble offrir chaque fois un jour neuf.
Philippe Gordiani (guitare), Antoine Berjeaut (trompette), Alice Perret (claviers), Joachim Florent (guitare basse), Emmanuel Scarpa (batterie).
Café Charbon, 18h30
Un groupe lyonnais aux trois cinquièmes, et un beau projet : édifier concrètement l’imaginaire d’une rencontre musicale qui n’a pas pu advenir : celle de Miles Davis et de Jimi Hendrix. Pas question pour le guitariste Philippe Gordiani de tenter de refaire l’une et l’autre musique en même temps, à l’identique et en remix. Il s’agit plutôt de conjuguer l’impact du Power trio de Jimi Hendrix avec le psychédélisme électrique du Miles des années 1970 à 1974, avant son retrait provisoire. Le choix du trompettiste pour ce projet est symbolique : Antoine Berjeaut n’est pas un épigone de Miles. Dans son utilisation des effets électroniques par exemple, il se réclamerait plutôt de Jon Hassell. Et ce choix décalé annonce clairement la couleur : faire revivre l’incroyable énergie de ces musiques et de cette époque avec un groupe d’aujourd’hui, en picorant des fragments des œuvres : côté Miles de « Bitches Brew » à « Get Up With It » en passant par « On the Corner » et « Live Evil » ; côté Hendrix en piochant dans les classiques (« Elecrtic Ladyland », « Band of Gypsys »….) mais aussi dans la foultitude de fragmenrs publiés à titre posthume, en reprenant ici un rif, là un groove. Le résultat est bluffant : énergie, musicalité radicale, intensité des solos toujours conjoints au son du groupe. Car c’est exactement cet esprit qui se retrouve : un jeu collectif au service d’une puissance d’expression partagée. Les partenaires font merveille : Alice Perret au piano électrique et à l’orgue (avec un son vintage pour cet instrument) tient la tension en éveil. Joachim Florent et Emmanuel Scarpa maintiennent une pulsation souple et pleine d’une irrépressible vitalité. Beau travail, vraiment. Le groupe avait travaillé trois jours en amont dans le lieu pour enregistrer la matière d’un disque à paraître, lequel inclura aussi des extraits du concert. Et comme le faisait Teo Macero pour Miles, Philippe Gordiani va assembler ces fragments pour en faire une œuvre originale, que l’on guette avec impatience !
« Equal Crossings »
Régis Huby (violon ténor, effets électroniques, composition), Marc Ducret (guitare), Bruno Angelini (piano, piano électrique, effets électroniques), Michele Rabbia (percussions, effets électroniques).
Maison de la Culture, Salle Philippe Genty, 20h30
Un groupe étonnant, par son instrumentation et le choix des interprètes ; étonnant et totalement cohérent. Car ce qui caractérise chacun d’eux c’est une exigence artistique sans faille, un goût de l’interprétation habitée, de l’engagement absolu dans la musique, et un talent d’improvisateur au-delà de tout éloge. On est au carrefour de tous les langages musicaux : jazz, musique dite contemporaine, rock progressif, musique de chambre (musclée : une chambre forte!). Comme le disque (« Equal Crossings », Abalone / L’Autre distribution) le concert est en forme de suite, en trois mouvements, lesquels comportent des reliefs, des pauses, des pleins et des déliés. L’écriture est serrée, mais elle offre une foule d’interstices où s’épanouit l’improvisation, parfois en duos diagonaux (piano-percussions par exemple, etc….). La dynamique, extrêmement large, permet des contrastes saisissants : un crescendo rapide sera suivi d’un decrescendo presque brutal, avec une force d’expression indiscutable. Les voix sont tissées avec science et sensualité, dans un mouvement qui porte l’auditeur de repère en repère, d’émoi en surprise. Bref c’est l’exemple, finalement assez rare dans ces musiques, d’une grande forme maîtrisée autour d’une expressivité plus que forte : une totale réussite.
Duo Paolo Fresu / Uri Caine
Paolo Fresu (trompette, bugle, effets électroniques), Uri Caine (piano, piano électrique)
Maison de la Culture, Salle Philippe Genty, 22h15
La soirée, et la journée, se concluaient avec le duo Paolo Fresu-Uri Caine. Les deux compères jouent ensemble depuis plus de dix ans, et plusieurs disques portent trace de cette collaboration. C’est comme un jeu de rôles, où le pianiste serait l’impétueux, le volubile, et le trompettiste le mélodiste retenu qui parfois sort de sa réserve pour des poursuites enflammées avec son partenaire. Le concert commence avec Bach, et son Menuet en Sol majeur. Le pianiste attaque, exacerbe les angles, appuie l’accentuation. Le trompettiste, avec sourdine, se tourne du côté opposé et déploie la ligne mélodique avec délicatesse. Puis il va partir dans l’improvisation, sortant de sa réserve et rejoignant Uri Caine dans sa fougue. Ce seront ensuite des standards (Solar, I Loves You Porgy, Cheek to Cheek….). Le pianiste déploie sa magnifique indépendance des mains, faisant ainsi résonner l’équivalent d’un groupe dans son seul clavier. Il est frappant de voir à quel point, dans l’effervescence du plaisir de jouer, ils parviennent à improviser simultanément, en parallèle, en se relançant aussi parfois à l’intérieur même de leurs discours autonomes. Paolo Fresu passe constamment de la trompette au bugle, selon les besoin de l’expression, et le concert se poursuit avec encore ses détours classiques (Monteverdi, et en rappel sa contemporaine, la très rare Barbara Strozzi), et des standards du jazz (Doxy, Night in Tunisia, et me semble-t-il First Song de Charlie Haden). Les deux musiciens semblent goûter pleinement la joie de leurs échanges, même si parfois le pianiste se laisse emporter par une volubilité virtuose qui frise l’ostentation : mais on entre dans son jeu sans se faire prier. Au second rappel, une sorte de blues funky très escarpé se dirigera, sur tempo plus que lent, vers une improvisation recueillie du pianiste, tandis que le trompettiste, en souffle continu, va tenir la note qui fonde la tonalité pendant plusieurs cycles harmoniques, jusqu’à extinction douce de la musique.
Xavier Prévost|8 novembre : troisième journée du festival, où je relaie l’ami Bergerot. Pluralisme à tous les étages, entre improvisation radicale, conjugaison du Miles électrique et de Hendrix l’incendiare, jazz de chambre survitaminé et duo de prestige.
« Trans » Joëlle Léandre (contrebasse, voix), Serge Teyssot-Gay (guitare électrique)
Maison de la Culture, Salle Lauberty, 12h15
Sur scène ils sont l’une et l’autre pieds nus, comme pour garder un contact tellurique. Cela commence legato, par la guitare, sans attaques, car c’est un excitateur électro-magnétique qui met en résonance les cordes. La contrebasse, à l’archet, tisse un entrelacs d’observation. Puis vient le staccato, les attaques d’archet plus insistantes, le pizzicato plus requérant. Le dialogue se noue quand la tension monte, jusqu’à un terme naturel : celui où les deux partenaires, d’un regard complice, s’accordent sur la fin de séquence.
On reprend sur un changement d’accessoire, côté guitare : une baguette isole les cordes de la touche, et un petite cymbale posée au dessus des micros permet d’engendrer un fourmillement de sons. La contrebasse surenchérit en saccades, harmoniques et autre trouvailles. Et le dialogue va se poursuivre ainsi tout au long du concert. Serge Teyssot-Gay effleure les sons du rock, Joëlle Léandre entre dans un groove obsédant, et donne de sa belle voix un chant primal, qui rappelle celui des prisonniers afro-américains enregistrés naguère dans les pénitenciers du Sud par Alan Lomax. Dans une autre séquence elle mêlera langage imaginaire et langue véhiculaire, avec une facétieuse fantaisie. Décidément, cette musique est toujours aussi intensément vivante. C’est à cela que je pense, me remémorant un court instant les performances de Joëlle avec la regrettée Annick Nozati : j’écoute la contrebassiste depuis des lustres, et elle ne laisse jamais de m’étonner, de me surprendre, comme ce duo, que j’avais pourtant écouté sur disque, et qui semble offrir chaque fois un jour neuf.
Philippe Gordiani (guitare), Antoine Berjeaut (trompette), Alice Perret (claviers), Joachim Florent (guitare basse), Emmanuel Scarpa (batterie).
Café Charbon, 18h30
Un groupe lyonnais aux trois cinquièmes, et un beau projet : édifier concrètement l’imaginaire d’une rencontre musicale qui n’a pas pu advenir : celle de Miles Davis et de Jimi Hendrix. Pas question pour le guitariste Philippe Gordiani de tenter de refaire l’une et l’autre musique en même temps, à l’identique et en remix. Il s’agit plutôt de conjuguer l’impact du Power trio de Jimi Hendrix avec le psychédélisme électrique du Miles des années 1970 à 1974, avant son retrait provisoire. Le choix du trompettiste pour ce projet est symbolique : Antoine Berjeaut n’est pas un épigone de Miles. Dans son utilisation des effets électroniques par exemple, il se réclamerait plutôt de Jon Hassell. Et ce choix décalé annonce clairement la couleur : faire revivre l’incroyable énergie de ces musiques et de cette époque avec un groupe d’aujourd’hui, en picorant des fragments des œuvres : côté Miles de « Bitches Brew » à « Get Up With It » en passant par « On the Corner » et « Live Evil » ; côté Hendrix en piochant dans les classiques (« Elecrtic Ladyland », « Band of Gypsys »….) mais aussi dans la foultitude de fragmenrs publiés à titre posthume, en reprenant ici un rif, là un groove. Le résultat est bluffant : énergie, musicalité radicale, intensité des solos toujours conjoints au son du groupe. Car c’est exactement cet esprit qui se retrouve : un jeu collectif au service d’une puissance d’expression partagée. Les partenaires font merveille : Alice Perret au piano électrique et à l’orgue (avec un son vintage pour cet instrument) tient la tension en éveil. Joachim Florent et Emmanuel Scarpa maintiennent une pulsation souple et pleine d’une irrépressible vitalité. Beau travail, vraiment. Le groupe avait travaillé trois jours en amont dans le lieu pour enregistrer la matière d’un disque à paraître, lequel inclura aussi des extraits du concert. Et comme le faisait Teo Macero pour Miles, Philippe Gordiani va assembler ces fragments pour en faire une œuvre originale, que l’on guette avec impatience !
« Equal Crossings »
Régis Huby (violon ténor, effets électroniques, composition), Marc Ducret (guitare), Bruno Angelini (piano, piano électrique, effets électroniques), Michele Rabbia (percussions, effets électroniques).
Maison de la Culture, Salle Philippe Genty, 20h30
Un groupe étonnant, par son instrumentation et le choix des interprètes ; étonnant et totalement cohérent. Car ce qui caractérise chacun d’eux c’est une exigence artistique sans faille, un goût de l’interprétation habitée, de l’engagement absolu dans la musique, et un talent d’improvisateur au-delà de tout éloge. On est au carrefour de tous les langages musicaux : jazz, musique dite contemporaine, rock progressif, musique de chambre (musclée : une chambre forte!). Comme le disque (« Equal Crossings », Abalone / L’Autre distribution) le concert est en forme de suite, en trois mouvements, lesquels comportent des reliefs, des pauses, des pleins et des déliés. L’écriture est serrée, mais elle offre une foule d’interstices où s’épanouit l’improvisation, parfois en duos diagonaux (piano-percussions par exemple, etc….). La dynamique, extrêmement large, permet des contrastes saisissants : un crescendo rapide sera suivi d’un decrescendo presque brutal, avec une force d’expression indiscutable. Les voix sont tissées avec science et sensualité, dans un mouvement qui porte l’auditeur de repère en repère, d’émoi en surprise. Bref c’est l’exemple, finalement assez rare dans ces musiques, d’une grande forme maîtrisée autour d’une expressivité plus que forte : une totale réussite.
Duo Paolo Fresu / Uri Caine
Paolo Fresu (trompette, bugle, effets électroniques), Uri Caine (piano, piano électrique)
Maison de la Culture, Salle Philippe Genty, 22h15
La soirée, et la journée, se concluaient avec le duo Paolo Fresu-Uri Caine. Les deux compères jouent ensemble depuis plus de dix ans, et plusieurs disques portent trace de cette collaboration. C’est comme un jeu de rôles, où le pianiste serait l’impétueux, le volubile, et le trompettiste le mélodiste retenu qui parfois sort de sa réserve pour des poursuites enflammées avec son partenaire. Le concert commence avec Bach, et son Menuet en Sol majeur. Le pianiste attaque, exacerbe les angles, appuie l’accentuation. Le trompettiste, avec sourdine, se tourne du côté opposé et déploie la ligne mélodique avec délicatesse. Puis il va partir dans l’improvisation, sortant de sa réserve et rejoignant Uri Caine dans sa fougue. Ce seront ensuite des standards (Solar, I Loves You Porgy, Cheek to Cheek….). Le pianiste déploie sa magnifique indépendance des mains, faisant ainsi résonner l’équivalent d’un groupe dans son seul clavier. Il est frappant de voir à quel point, dans l’effervescence du plaisir de jouer, ils parviennent à improviser simultanément, en parallèle, en se relançant aussi parfois à l’intérieur même de leurs discours autonomes. Paolo Fresu passe constamment de la trompette au bugle, selon les besoin de l’expression, et le concert se poursuit avec encore ses détours classiques (Monteverdi, et en rappel sa contemporaine, la très rare Barbara Strozzi), et des standards du jazz (Doxy, Night in Tunisia, et me semble-t-il First Song de Charlie Haden). Les deux musiciens semblent goûter pleinement la joie de leurs échanges, même si parfois le pianiste se laisse emporter par une volubilité virtuose qui frise l’ostentation : mais on entre dans son jeu sans se faire prier. Au second rappel, une sorte de blues funky très escarpé se dirigera, sur tempo plus que lent, vers une improvisation recueillie du pianiste, tandis que le trompettiste, en souffle continu, va tenir la note qui fonde la tonalité pendant plusieurs cycles harmoniques, jusqu’à extinction douce de la musique.
Xavier Prévost